Erwann vient de rentrer à son domicile, exténué par une soirée trop bruyante et arrosée. Il n’a jamais aimé ce genre de rendez-vous où l’on se force à faire la fête pour célébrer une date du calendrier.
Il aurait préféré rester tranquillement chez lui, à peaufiner ses projets professionnels, mais son meilleur ami l’a presque tiré par les cheveux pour le faire sortir de sa caverne. Quentin ne lui a pas laisser le choix, refusant catégoriquement de laisser son pote seul un soir de réveillon.
Maintenant, ses fringues sentent la cigarette et il se sent au bord de la nausée à cause de l’excès de nourriture qu’on l’a obligé à ingurgiter.
Le silence de son immense demeure l’oppresse. Il s’allume une cigarette et en tire une bouffée, accoudé à la fenêtre ouverte de la cuisine. Le vent marin vient lui caresser la joue.
Il aurait préféré que Manon-Tiphaine soit là, mais elle dort chez sa meilleure amie cette nuit… A quinze ans, sa fille mène déjà sa propre vie et, même si cela lui tord le ventre, il doit bien se résoudre à l’idée que bientôt, elle n’aura plus autant besoin de lui… Si seulement il avait eu d’autres enfants pour continuer à pouponner et à se sentir utile. Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence, cela ne semble plus d’actualité. À ses yeux, ses quarante ans ont sonné le glas d’une nouvelle paternité et il semble que pour lui, tout cela soit terminé.
Pourtant, il ne se sent pas si vieux que ça, même si certains matins, son corps le rappelle à l’ordre. Il a bien conscience de ne pas faire tout ce qu’il faut pour être en parfaite santé. Son alimentation laisse parfois à désirer. Lorsqu’il est seul chez lui et qu’il n’a pas l’obligation de préparer un repas sain et équilibré, il se rabat sur un traiteur ou des surgelés.
Et puis la cigarette n’aide en rien. Il sait que c’est une très mauvaise habitude mais ne se sent pas la force d’arrêter. Fragilisé par son divorce, séparé de sa fille qu’il partage avec son ex-femme par le biais de la garde alternée, sa vie privée lui donne souvent l’impression d’avoir tout rater.
En tant que papa solo la moitié du temps, il n’est pas sûr d’être à la hauteur des attentes de sa fille. Partagé entre la culpabilité de ne pas être assez disponible pour elle et la peur de l’étouffer, il a du mal à savoir où se trouve le juste milieu.
Erwann tire une nouvelle et longue bouffée et expire les volutes de fumée, qui s’évaporent en multiples arabesques blanches au cœur de la nuit noire.
La photo est le seul domaine où il se sent bon actuellement.
Son travail le passionne tellement qu’en l’absence de sa fille, il s’y consacre corps et âme, travaillant parfois jusque tard dans la nuit. Seulement voilà. Les nuits courtes se paient plus chers qu’avant et son ami ostéopathe reçoit de plus en plus souvent sa visite. Lorsqu’il court, ses poumons le brûlent et son souffle se raréfie, comme s’il faisait du trekking en haute montagne.
Bien que crevé par cette soirée qui lui a semblée interminable autant qu’inutile, Erwann passe sous la douche. L’odeur de la clope a imprégné ses cheveux, qu’il laisse pousser depuis sa séparation d’avec Alice, la mère de sa fille. Comme pour souligner qu’une page était belle et bien tournée, il a décidé de changer de tête et même de look pour passer ce cap difficile.
A présent, il arbore un carré mi-long, naturellement ondulé, qu’il attache en chignon rapide sur le sommet de sa tête, dégageant ainsi les côtés de son crâne complètement rasés. Une coupe réalisée par son autre meilleur ami, Richard, coiffeur de son état, qui était aussi de la partie au réveillon de la nouvelle année.
Ses deux meilleurs potes n’ont d’ailleurs pas cessé de le chambrer toute la soirée, lorsqu’une trentenaire un brin excentrique que personne ne connaissait, lui a fait un rentre-dedans acharné. Vulgaire et complètement éméchée, la fille en question ne lui a inspiré que de la pitié. C’est pourtant lui qui s’est dévoué pour lui tenir les cheveux lorsque cette dernière s’est mise à vomir sur la terrasse juste à ses côtés. La moitié des convives étaient alors sortis dehors pour fumer. Après lui avoir tendu un mouchoir pour qu’elle puisse se nettoyer, il s’était éclipsé dans la maison, avant qu’une autre malheureuse dans son genre ne vienne le solliciter.
Il est vrai que depuis qu’il arbore cette coupe de cheveux plus moderne, son succès auprès des femmes ne cesse d’amplifier. A l’origine, il a juste voulu rajeunir son image, très importante dans son métier. Erwann voulait afficher un style dynamique pour se sentir plus branché. Certes, depuis les commandes ne cessent d’affluer, mais aussi toutes les femmes un peu délaissées qui veulent s’encanailler…
En sortant de la douche, Erwann tombe sur un petit mot qui a été laissé à son attention sur le dessus de son panier de linge sale. Il reconnaît de suite son écriture un peu penchée…