Chapitre 16 – Le refus de l’abandon
Octobre 1951
Atlantique nord
373 mots
Un groupe de jeunes passagers s’agglutina aux hublots de gauche. Leurs murmures à voix basses rappelaient le fond de chuchotement d’une messe funéraire qui s’étire. À la faveur d’une ouverture dans le couvert nuageux, certains pointaient des navires, d’autres fouillaient l’horizon à la recherche des lumières d’une côte.
Gerflynt refusa la bouteille de vodka que lui tendit Amanda. La peur lui donnait des crampes. « Cette femme, l’Hirondelle, vous devez la honnir.
— J’ai essayé.
— Quoi ?
— Nous sommes consœurs de peloton d’exécution ma chérie. Il nous est impossible de se détester totalement. »
Gerflynt se mordit les lèvres. Elle venait à l’instant d’embrasser sa propre fin. Le front humide, le cœur emballé, elle resserra sa ceinture de sécurité. L’avion tanguait dans tous les sens, le fuselage hurlait. « Mais Madame, euh ! Amanda, vous avez survécu. Elle renifla. Contrôle. Appel d’air.
— Toutes les deux, oui. Enzo est arrivé avec son détachement. Juste avant qu’on nous abatte comme des chiennes. Il s’est pointé pour elle, pas pour moi.
— Ont-ils poursuivi leurs… Euh, leurs amours, après la guerre ?
— Non.
— Alors…
— Impossible, nous avons essayé à plusieurs reprises. Nous venons d’échouer à nouveau. La blessure est…
— La blessure. Oui. Cette blessure-là. »
Encore une secousse. Un rouleau d’air raviva la terreur dans l’appareil. « La mort imminente ne semble pas nous en délivrer, ajouta Gerflynt. En fait, c’est tout le contraire. Je ne veux pas finir de cette façon, pas comme un déchet jeté aux ordures de la vie. »
Surtout ne pas chialer. La gamine pensa à sa Révérende Mère. Dos droit. Respiration. Repos.
La descente se poursuivit. À dix mille pieds, le Capitaine annonça la traversée du plancher nuageux. Ceux qui n’étaient pas encore assis devaient prendre place et boucler leur ceinture. Dans les hublots de gauche, les moteurs apparaissaient et disparaissent à la faveur des nuages teintés aux couleurs du sang. « Le péché originel » pensa Gerflynt.
Une odeur de brûlé se répandit dans l’avion. L’éclairage vascilla et s’éteignit. L’ingénieur hurla. « La génératrice ! Le feu se propage ! » Dans ce vacarme, meublé seulement par le silence des passagers, une femme coula une plainte aigüe à l’image d’une harpie célébrant la géhenne, cette rivière de magma qui emmène les âmes au fond des enfers.