Brumaille
Nous ne sommes plus assurés de rien. Pas plus que la lune soit ronde de ces quartiers, que les neiges soient éternelles ou les océans des paquets d’eau sans fond, amas de bruits du monde faits de roulis et de rumeurs. On avance dans les jours et nous nous prenons à douter de tant et de tout, de ce qui, hier encore, était inaltérable, une terre, un ciel et, entre les deux, cet éternel jaillissement parce que l’avenir ne pouvait qu’être plus grand, plus beau, meilleur sur la terre promise. Bien sûr l’on savait le jadis et le naguère, le cruel et le barbare, diables et ronces. Mais les coutelas étaient rangés et il faisait bon croire aux évangiles : impossible que demain il puisse faire nuit. Nos parents, vieux de leur malheur, racontaient parfois les jours de gris où ça sifflait par-dessus les toits et les champs, temps où l’on disait les Boches, la ligne de démarcation et des trains qui hurlaient dans la plaine. On écoutait cet autrefois des livres d’histoires, chanceux d’être enfants de Monnet et Schuman. On était gamin qui courrait dans les éclaboussures d’une pluie d’orage. On cueillait un bouton-d’or, l’approchait d’une gorge pâle. On riait : il y avait ce reflet de jaune, c’est donc qu’elle aimait le beurre. C’était simple. Aujourd’hui, 17 avril, est un joli mot. Tu as écouté ton premier concert de grenouilles de l’année. Mais ces coassements à fleur d’étang n’étaient déjà plus les mêmes. Une mélopée qui montait, une alerte ? L’ultime tentative avant le trop tard, l’affolement du mercure. Et puis il y avait ces dimanches d’élections où ils se présentaient, enflammés et mordicus. Ils s’appelaient Georges et Arlette, René et François. Rien n’était mieux avant, tu le sais cela. Pourtant, même la démocratie n’est plus ce qu’elle était. N’être plus sûrs de rien. Pas même d’échapper à la brumaille, à la brune et aux vents mauvais. De pouvoir longtemps encore écrire que nostalgie est un joli mot.