Encore une page blanche…
Encore un jour où rien d’autre ne sortira de ma plume, qu’une tâche d’encre noire venant souiller ce rectangle dramatiquement blanc. Aurai-je perdu toute inspiration ?
*Tu es pathétique*
Encore cette voix en moi… Elle a raison, mon rêve de devenir un écrivain reconnu se voit constamment brisé par cette maudite page blanche, revenant inlassablement tôt ou tard dans mes récits.
*Nous ne sommes pas si différents”
Différents ? Je n’ose lever les yeux vers le miroir imposant trônant dans mon bureau. Depuis quelques temps, j’ai des hallucinations en le regardant. L’impression dérangeante qu’il ne copie pas avec exactitude mes mouvements… Le manque de sommeil sans doute.
*Regarde-moi… Tu sais que je suis là*
Je cède, m’observant un long moment, plongeant dans mes propres yeux… Rien… Je soupire, partiellement déçu, je l’avoue, j’aurai peut-être pu y trouver là un début d’idée…
*Je m’amuse. Regarde encore, discutons un peu veux-tu?*
Je relève les yeux, les ouvre, stupéfait. Mon reflet est là. M’attendant. Assis à ma place dans son monde, miroir du mien, mais dans une position différente : jambes croisées, jouant avec sa plume, dont le modèle reste pourtant inerte sur le bois.
Qui es-tu ?
*Je suis toi*
Moi ?
*Toi.*
Impossible
*En effet.*
Il sourit, ou je souris ? Je frémis, je perds l’esprit, mais trouve en cette perte de sens une échappatoire à ma prison blanche.
*Nous sommes semblables, tous deux créateurs, reflet contraire l’un de l’autre. Toi, réalité manipulant l’imaginaire, moi, cauchemar manipulant le réel*
Je ne comprends pas. Il est là, me parle, change de surface au gré de mon regard, passant du miroir aux fenêtres, des vitres aux meubles cirés. Même fermer les yeux ne m’en préserve pas… Et pourtant, il me fascine. Est-ce narcissique ?
*Nous sommes pareils, tu traces tes vies sous ta plume, faisant naître et mourir à ta guise. Tu scelles leurs destins, les froisses, les jettes, les réécris, leur imposes tes choix, leurs bonheurs et leurs malheurs, créateur de mondes voués à tes lubies.
Je fais de même. Mais, mes pantins sont de chair et de sang. Tu vois ? Je suis ton reflet. Toi, réel jouant avec l’irréel. Moi, irréel jouant de la réalité*
Il ne peut être vrai, impossible. Pourtant, il me parle, marche dans son monde irréel, me sourit sans commune mesure avec ce que ma bouche est capable de produire.
*As-tu regardé le monde qui t’entoure récemment ? Prisonnier de ta page, tu n’as pas remarqué que nos mondes se sont rapprochés, le tien suffoque sous le mien, panique, s’écroule, s’envolera bientôt en fumée. Tu as dehors toute une matière pour briser ta geôle vierge. La réalité des cauchemars, la disparition de l’espoir. Profites-en, je te l’offre…*
Sans savoir pourquoi, je me lève, m’approche de la fenêtre… Là, dans la rue je vois les gens paniquer, des incendies dévorer ma ville, des créatures étranges sortant des ombres pour y replonger après avoir attrapé des passants affolés…
Je ne peux défaire mon regard de ce spectacle, je sens mon reflet sourire derrière moi. Et en réponse, je souris à mon tour. Qui est le reflet à présent ? Je sens mon coeur s’emballer, mes yeux n’arrivent plus à suivre les évènements extérieurs…
De la peur ? Non, de l’excitation… Les idées me viennent, se bousculent dans mon esprit, trop, beaucoup trop. Je n’arrive pas à toutes les retenir.
Je me jette sur ma feuille. Les mots tombent les uns après les autres, mon écriture est laide, frénétique, presqu’illisible.
Qu’importe, j’écris…
J’écris!
Ce maudit blanc disparait sous l’encre noire. Je brise enfin cette prison, je ne remarque pas que je n’ai plus de reflet dans le miroir. Du moins autre que mon habituel, fidèle et docile. Je ne sens pas le sol chauffer, l’air devenir plus lourd, les crépitements similaires aux bûches embrasées d’une cheminée.
J’écris, j’écris !
Dans un bruit sourd, le sol s’ouvre sous mes pieds, me plongeant dans l’enfer caniculaire de mon rez-de-chaussée en proie aux flammes ayant dévoré le plafond. Je sens ma jambe brisée, coincée sous les décombres brûlants, je suis piégé, les cendres emplissent ma bouche et mon nez déjà saturé de fumée…
Je vais brûler vif. Je sens l’odeur de ma propre peau léchée par ces langues ardentes.
Et pourtant, ma plus grande détresse au moment où je vais quitter ce monde, c’est de voir cette maudite feuille blanche que j’ai enfin vaincue. Elle tombe lentement, au gré des courants chauds, comme me narguant par sa danse légère, mais inexorable, vers les flammes qui effaceront toute trace de ma victoire…
Woo ! Magnifique ! Que dire ?
je confirme, on va très bien s’entendre tous les deux 😀