La Création des Mondes I – Les Dieux Entravés

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Prologue 

Silisisma était une terre solitaire, infertile, inhabitée, vide de vie, d’air et d’eau. Seulement recouverte d’une terre noire, sèche, chaude et friable, son sol était dur et craquelé, comme fissuré. La température ambiante de cette terre était douce, malgré l’absence d’air qui rendait l’atmosphère lourde. Mais ce qui frappait le plus, c’était le silence. Pas un bruit. Un silence lourd. Très lourd, comme si ce dernier reprochait à Silisisma son absence de vie. 

Seulement, un jour, Terre Noire -la Déesse-Mère-, et Ciel -le Dieu-Père-, Dieux Impalpables, invisibles, fondateurs, bien que présents depuis peu, bien que conscients du secret de cet univers, furent lassés de ce vide. Ils firent alors tournoyer les éléments. Un orage, sec, secoua cette terre inconnue de l’Univers. Un éclair éblouissant venant de Ciel frappa Terre Noire. Le sol trembla et apparut un être humanoïde à la peau pâle, les cheveux blonds et longs, les yeux verts, une tunique verte recouvrant son corps musclé. 

Il s’appelait Nuage de Cendre et c’était le premier Dieu Physique de ce Monde. Nuage de Cendre tenait à la main un bâton de bois, du peuplier, alors même que les arbres n’existaient pas encore…

 Son visage était fin, ses joues étaient creuses et ses lèvres fines semblaient se retenir de trembler à cause du froid qui régnait. Malgré tout, il semblait extrêmement beau.

Il parcouru Silisisma en quête d’un endroit habitable. Ne trouvant rien, au bout d’un an de voyage, lassé de ce paysage morne et sans vie auquel il ne s’habituait pas, la colère le gagna. Il frappa le sol de son bâton. Aussitôt, un autre être, humanoïde également, sortit du sol. Sa peau était sombre, comme brunie par une trop longue exposition au soleil, ses cheveux étaient bruns également, presque noirs, longs et rassemblés en longues mèches compactes. Il portait, lui aussi, une tunique verte et tenait un bâton à la main. Il s’appelait Bois de Chêne. 

一 Bonjour, murmura ce dernier d’une voix grave et profonde. Si profonde que Terre Noire en frissonna, secouant ses deux premiers habitants.

一 Bonjour, répondit Nuage de Cendre, aucunement surpris de cette apparition, comme si elle était ce qu’il y avait de plus naturel. 

一 C’est, il marqua un instant de réflexion, très joli, ici, ajouta le nouveau venu. 

Il mentait, évidemment. Il n’y avait rien de plus morne et de plus laid que cette terre craquelée à perte de vue. 

S’ils avaient tendu l’oreille, ils auraient pu entendre Terre Noire répondre vivement à cette phrase pleine d’ironie. “Qu’y puis-je ?”

一 Si, par le plus grand des hasards, tu pouvais améliorer cet endroit, je t’en serais reconnaissant.

L’espoir qui pointait dans la voix du blond n’échappa pas à son interlocuteur. 

一 Bien sûr que je peux ! Pourquoi croyez-vous que je suis là ? 

A ces mots, le second Dieu se mit à marcher, sur ses pas poussaient des arbres de toutes sortes. Ils sortaient de Terre Noire et poussaient aussi haut qu’ils le pouvaient comme s’ils voulaient approcher Ciel. 

Silisisma était désormais couverte d’arbres, de branchages et autres végétaux. De Terre s’élevait des bois vers Ciel. 

Une fois sa tâche achevée, il arracha une longue branche à un saule pleureur, qui, comme tous les autres arbres n’avaient aucun feuillage, et frappa le sol à son tour. 

Une jeune fille sortit alors du sol, malgré son apparence humaine, sa peau, ses cheveux et ses yeux verts la rendaient surprenante et mystérieuse. Elle aussi, portait une tunique verte, comme ses confrères. Son prénom aurait fait rire tous ceux qui la voyaient : elle se nommait Feuille Rousse. Sans s’être concertée avec les deux autres dieux, elle avait comprit : le brun, ça commençait à peser un peu ! Alors, Feuille Rousse se mit à danser, une danse légère et douce, à chaque fois que ses membres frôlaient le bois, l’arbre se parait de feuilles, sous ses pas, de l’herbe poussait, ainsi que des pousses de plantes. Bientôt, Silisisma fut couverte de feuillage de toutes formes et de toutes tailles, chacun en harmonie avec sa plante. Elle arracha des lianes, qui, dans ses mains étaient devenues raides et solides, et frappa le sol. 

Une seconde femme sortit de Terre Noire, elle paraissait très jeune, comme une enfant dans un corps d’adulte. Ses cheveux multicolores flottaient dans son dos, ses yeux aussi étaient verts, mais possédaient de nombreux reflets changeants. Dès son arrivée sur le sol, son regard, comme aimanté, se braqua sur Nuage de Cendre : 

一 Je m’appelle Fleur, déclara-t-elle de sa voix enfantine mais ferme et douce. 

Elle semblait vouloir rendre ce Monde heureux. 

Elle courut alors, vite, si vite que l’on ne pouvait pas la voir, seulement lorsqu’elle s’arrêta devant ses compagnons, il sembla qu’elle n’avait pas bougé, mais les fleurs qui étaient apparues sur les plantes et arbres démentaient cette impression. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les teintes, des transparentes et des opaques, avec des reflets ou mates… C’était un déluge de couleur, de joie et de beauté. Tous les autres Dieux étaient conquis. La déesse cueillit un bouquet de fleurs, dont les tiges étaient droites et solides et dont les pétales étaient aux couleurs de l’arc-en-ciel et frappa le sol à son tour. L’homme qui en sortit était bleu, sa tunique verte faisait ressortir la pâleur de sa peau. Visiblement, le voyage ne lui avait pas plu. Il trébucha et s’étala de tout son long sur le sol, qui se creusa et se remplit d’eau. Soudain dans son élément, le nouveau Dieu creusa de nouveaux fossés qui se remplirent d’eau également. C’est ainsi que l’eau douce apparut sur Silisisma. Une eau fraîche, pure, claire… Douce. 

Feuille Rousse se pencha vers lui pour l’aider à se relever : 

一 Comment t’appelles-tu ? 

一 Eau Douce. 

Elle lâcha sa main et il s’écroula à nouveau. Sans prêter attention aux Dieux qui se précipitaient vers lui pour l’aider, il leva les mains devant l’eau. Celle-ci s’éleva dans le ciel, formant une fine colonne sur laquelle il s’appuya pour se relever, et il frappa le sol. 

Une femme sortit de l’eau, comme un poisson qui, curieux, voulait découvrir le Monde. Elle regarda Eau Douce avec surprise, puis s’allongea. Le sol se creusa et la fosse qui se remplit d’eau, une eau agitée, pleine de remous, salée… loin d’être aussi calme que celle de son frère. Elle se présenta : 

一 Écume Blanche est mon nom. 

Après s’être créé une colonne d’eau, elle prit la main d’Eau Douce et, ensemble, ils frappèrent le sol de leurs bâtons d’eau. 

Un homme immense, la peau grise, les cheveux poivre et sel, les yeux gris-vert glacier apparut alors. Le géant, de sa voix rocailleuse déclara : 

一 Je peux créer quelque chose d’éternel. 

Cette phrase raviva l’intérêt de tous les autres personnages qui l’entouraient. 

一 Quoi donc ? l’interrogèrent-ils en chœur. 

一 La pierre. 

Il se mit alors en boule et roula sur le côté créant les pierres, cailloux, grottes, falaises et autres roches. 

一 Mon nom est Pierre Solide. 

A l’aide d’un long rocher gris, à l’instar de sa peau, il frappa le sol. 

Sa force et son calme le firent admirer par ses congénères. 

L’homme qui apparut était transparent mais ses habits verts le trahissaient. Il s’envola en murmurant : 

一 Je m’appelle Vent Éternel. 

Il volait, d’est en ouest, du nord au sud, créant des perturbations dans l’air, il venait de créer le vent. Tel un oiseau, son corps traçait des arabesques dans le Ciel. Ce dernier en était ravi, car les précédents événements s’étaient déroulés sur Terre Noire. Une colonne d’air en mouvement à la main, l’Homme Invisible frappa le sol. 

Un homme difforme apparut à son tour, son corps ne semblait pas appartenir à cet Univers, il était là mais semblait éloigné ou dans une mauvaise peau. Il se dégageait de lui une odeur sauvage qui évoquait la nature. Il s’appelait Animal. 

Il se transforma alors avec une vitesse incroyable, chaque être en lequel il se métamorphosait apparaissait sur la terre, donnant ainsi naissance à des milliards de créatures, de la petite fourmis au grand éléphant, de la majestueuse baleine au gracile poisson-lune, du coloré perroquet au vil corbeau. 

Sa tâche accomplie, il arracha la corne d’une gazelle, l’orna de plumes, ajouta des écailles et frappa le sol. 

Un Dieu et une Déesse sortirent de Terre Noire, main dans la main, unis, il était lumineux, elle était noire, le corps constellé de petites taches claires, comme si elle était atteinte de vitiligo,ses cheveux, eux, étaient striés de mèches blanches. Tous deux tenaient à la main un bâton, elle, noir tacheté, lui, de lumière. Ils étaient Jour et Nuit. 

Ensemble, rassemblés en un cercle parfait, main dans la main, les treize premiers dieux prirent leurs bâtons et frappèrent. Les premiers êtres humains apparurent. 

Jamais les treize Premiers Dieux n’avaient été aussi heureux. 

| Chapitre 1

Isadora, huit ans, fille de marchands, habitante de Mahatalma, capitale de l’Empire du Nord, accompagnait ses parents au palais, comme tous les jeudis, pour vendre leurs productions. Là-bas vivait le Prince Brutus, son ami avec qui elle jouait lorsqu’elle venait au palais. Ce jour-là, il faisait beau, les oiseaux chantaient et il n’y avait pas un nuage en vue. Une fois ses parents entrés dans la salle d’audience, Isadora partit en direction de l’aile des Princes où vivait son ami. Il lui avait tant manqué !

Elle traversa d’un pas vif les couloirs blancs. Tout était blanc dans le palais de l’Empereur. L’enfant trouvait cette couleur morne et triste, sans vie, mais qui était-elle pour critiquer la décoration impériale ?

Depuis leur naissance, Brutus et elle s’étaient toujours retrouvés ensemble lorsque leurs parents discutaient prix et colifichets… Ils étaient devenus amis et, malgré leur différence au niveau social, tous les deux étaient inséparables. Mais Isadora savait bien, au fond d’elle, que, une fois devenu Empereur, leur amitié disparaîtrait, aussi, la petite profitait de chaque instant. 

Elle frappa à la porte, un coup fort, deux faibles, c’était leur code de reconnaissance, ainsi il savait que c’était elle et non pas son envahissant précepteur, sans quoi il n’aurait pas répondu. Immédiatement, la porte s’ouvrit sur Brutus qui l’attrapa par le poignet et se mit à courir, l’entraînant avec lui à travers les corridors alambiqués du palais.

Les deux enfants se rendirent discrètement au chenil, où ils firent sortir leur petit favori : Griffe, un chien d’un blanc immaculé et d’une fidélité sans faille. Enfin, ils sortirent du palais par une porte dérobée dans la pierre du mur de la façade sud, qui donnait sur la ville, avant de se mettre à courir comme des fous dans la forêt avoisinante. 

Isadora ne posa pas la moindre question, habituée à ce qu’il l’emmène partout où ça le chantait, toujours prêt à lui montrer ses dernières découvertes sur le royaume. Grâce à lui, elle en savait plus que bien des enfants et avait les mêmes connaissances que les Princes, alors qu’elle était née de parents commerçants.

一 Viens, je vais te montrer quelque chose, lui cria le Prince alors qu’elle s’arrêtait pour reprendre son souffle.

Ils reprirent leur course jusqu’à l’entrée d’une grotte dans une falaise, à l’intérieure, on aurait dit que le temps était suspendu, les parois de cristal reflétaient les couleurs de l’arc-en-ciel, les murs de la grotte étaient ornés de menhirs sculptés à même la roche et au centre se trouvait un majestueux dolmen. Soudain, le Prince se retourna :

一 Où est Griffe ? 

Ils cherchèrent partout, le chien avait disparu. Sans réfléchir, Isadora monta sur le dolmen et cria :

一 Griffe ! Viens à moi ! Viens moi ! Viens à moi !

Brutus lui avait dit qu’il était dressé à répondre à cet appel. Cela leur avait déjà servi, mais si rarement qu’ils étaient paniqués à l’idée d’avoir perdu l’animal. L’enfant trouvait l’ordre étrange, mais, encore une fois, n’avait rien dit, se contentant de crier.

Cependant, ce ne fut pas le chien qui apparut mais un phénomène étrange : les menhirs se soulevèrent dans les airs et, une fois à trois mètres du sol, se stabilisèrent puis, peu à peu, se métamorphosèrent en êtres humanoïdes. Douze êtres qui la regardaient avec reconnaissance, avec intérêt, respect, mais aussi avec surprise. La peur s’empara du Prince, il s’enfuit en hurlant :

一 Monstre ! Mon père te fera châtier ! Ne m’approche plus jamais, toi et tes démons ! Comment ai-je pu te faire confiance ? Monstre !

Une larme solitaire coula sur la joue de la petite fille, blessée. Elle n’y était pour rien ! Elle ne savait même pas ce qui venait de se passer ! Elle avait peur, elle aussi, mais elle était tétanisée, incapable de bouger…

Les douze personnages descendirent lentement et se posèrent à quelques centimètres du sol.

一 Qui êtes-vous ? balbutia-t-elle lorsqu’elle reprit l’usage de la parole.

L’un deux, blond, la peau pâle et les yeux verts, celui qui ressemblait le plus à un humain de l’Empire du Nord s’avança vers elle :

一 Nous sommes les Premiers Dieux, des Dieux Maléfiques nous ont entravés.

Isadora fronça les sourcils et recompta pour être bien certaine… Mais quelque chose n’allait pas…

一 Ce n’est pas vrai ! Les premiers dieux sont treize ! riposta la petite, qui avait l’œil vif.

一 C’est vrai mais Nuit à réussit à se sauver, continua le Dieu.

Il avait une voix douce, calme et assurée, Isadora le croyait, mais elle restait méfiante, par principe, elle avait tout de même perdu son meilleur ami à cause d’eux ! Et puis, qui lui disait que ce n’était pas eux, les Esprits Maléfiques ?

一 Comment arrivez-vous à venir ici, alors ? demanda-t-elle avec sa moue enfantine qui faisait fondre ses parents habituellement.

Une petite femme aux cheveux multicolores s’approcha aussi :

一 Tu es une des douze personnes pouvant nous aider, tu as le Don de nous contacter, mais seulement avec ces paroles : “Viens à moi !”, dites trois fois. Et avec une circonstance similaire à celle-ci avec douze élément identiques déposés en cercle par Nuit. 

La brunette cligna des yeux, prenant le temps d’assimiler l’information…

Un homme dont la peau était noire comme l’ébène lui dit :

一 Retrouve les autres Élus, vous avez tous des habits verts, notre couleur, mais à part vous, personne n’en a conscience. Sois discrète, ne parle à personne d’autre de cela sauf si tu n’as pas le choix. Tu devras prouver tes dires au premier Élu, pour les autres ce ne sera sans doute pas nécessaire. Dépêche-toi, sinon le Chaos s’abattra sur Silisisma, il y aura des sacrifices humains et vous serez tous réduits en esclavage ! Nous te faisons confiance…

Les autres Dieux semblaient la supplier silencieusement. 

Il y avait tant de désespoir, de conviction dans sa voix qu’Isadora ne pouvait que le croire. Il était sincère, elle en était certaine. Mais…

一 Mais… Je n’ai que huit ans !

Le Dieu blond s’approcha d’elle un peu plus.

一 Tu es jeune, c’est un fait, mais ton Don et celui de chacun de ceux qui t’aideront suffiront à battre les Dieux Maléfiques. Tu vas grandir et tu deviendras plus forte, plus puissante encore. Tu verras… Je ne te promets pas quelque chose de facile, une histoire dans laquelle tu seras l’héroïne adulée de tous. Mais je sais que tu vas réussir. Tu es née pour sauver Silisisma, Isadora. La vie ne sera pas tendre, mais on sera là, loin, mais avec toi tout de même…

Isadora ne put en entendre plus, elle s’évanouit, vidée de toute son énergie. Les communications divines seront-elles toujours aussi épuisantes ? pensa-t-elle en sombrant de l’inconscience.

A son réveil, le ciel n’avait pas changé… Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Elle repartit vers la capitale en se demandant ce qu’elle allait faire de ces informations. Cette histoire s’était-elle réellement passée ? Était-ce un rêve ? Son intuition lui disait que tout était vrai… Elle connaissait le chemin par cœur, pas grâce à un quelconque sens de l’orientation sur-développé, non, elle avait simplement l’habitude de parcourir les alentours de la cité. Un connaissance des routes qui lui permettait une réflexion intense sur le chemin du retour. Enfin, elle atteignit les remparts de la capitale. Là elle reçut un choc, ses parents rentraient chez eux, quittant le palais de marbre blanc elle les appela, ils détournèrent la tête. Pire, ils semblaient avoir honte de la connaître et avaient l’air de vouloir cacher leur lien. 

Elle n’existait plus pour eux. Brutus leur avait sans doute tout raconté. Pour ses parents, elle était désormais un monstre. Pourtant, si les Dieux disaient vrai, c’était tout le contraire !

Abandonner ses enfants était un crime puni par la loi divine. L’Homme se devait d’aimer sa progéniture. Pourquoi l’abandonnaient-ils, alors ? Pourquoi est-ce qu’ils ne l’aimaient plus ? Tant de pensées négatives lui traversaient l’esprit qu’elle ne vit pas les autres habitants du palais s’approcher d’elle, un couteau, une pierre, une fourche ou simplement le poing brandit vers elle.

La peur et la colère se mêlaient. Ils n’avaient pas le droit ! Mais elle était seule, sans défense, fragile, et…

La jeune fille évita de justesse un coup de fourche.

Elle réfléchira plus tard, désormais, il fallait fuir. Et vite !

Prenant ses jambes à son cou, Isadora se précipita dans la première brèche de la foule et couru aussi loin et aussi vite qu’elle pouvait. Nombreux étaient ceux qui la poursuivaient et l’insultaient, plus encore ceux qui lui jetaient pierres, lames et autres projectiles.

Quelques-uns l’atteignirent. Elle sentit d’un coup quelque chose chaud couler le long de sa joue en même temps qu’une vive brûlure. Posant sa main sur la blessure, elle renifla pour retenir ses larmes en continuant de courir, louvoyant entre les projectiles. 

Comment les nouvelles avaient-elles pu aller aussi vite dans la capitale ? Elle n’avait pas été inconscient plus de quelques heures, elle en était certaine ! Pourtant, la ville entière semblait avoir été prévenue.

Jamais elle n’avait rencontré autant de haine. Elle avait toujours été une enfant choyée, aimée… Tout cela était bien trop nouveau, violent. 

Elle avait mal.

Intérieurement, la petite fille se jura qu’une fois les Dieux libérés, les Esprits Maléfiques détruits, une fois qu’elle serait forte, puissante et couverte de gloire, elle reviendrait, et elle se vengerait. Elle détruirait Brutus et il comprendrait, à son tour, la douleur du rejet.

Elle était jeune, fragile, faiblarde… mais déterminée.

Malgré ses huit ans, elle décida de partir et d’accomplir la volonté des Dieux.

| Chapitre 2

Isadora courait dans la forêt, les larmes inondant ses joues. Le pays entier semblait savoir qui elle était. Non ! Qui ils pensaient savoir qu’elle était ! Elle n’était pas un monstre !

Elle ne l’était pas, n’est-ce pas ?

Sa vue brouillée par les larmes ne lui donnait qu’un aperçu vague de la sylve autour d’elle. Personne n’allait jamais ici, on racontait que des centaures y vivaient. Ces créatures dangereuses et cruelles rendaient le lieu interdit. 

Les souvenirs des récits sanglants qu’elle avait autrefois entendu la firent frissonner. Quitter l’armée qui la poursuivait pour se jeter dans l’entre des centaures n’était peut-être pas la meilleure idée. Mais il était trop tard pour reculer. 

Peut-être qu’elle mourrait bientôt, mais ce n’était pas grave, au moins, ce ne serait pas face aux hommes du père de Brutus.

Les ronces lui lacéraient la peau et déchiraient ses habits, mais ce n’était rien face à ce qu’elle venait de vivre, toute cette haine endurée en si peu de temps, cette violence qu’elle n’avait jamais rencontré avant…

Plus elle avançait, plus l’endroit s’assombrissait… Peut-être la nuit tombait-elle ? Ou peut-être s’était-elle trop enfoncée dans le bois ? Elle se refusait de réfléchir. Son cerveau ne lui disait qu’une chose : Cours ! Fuis ! Loin !

Les arbres étaient de plus en plus rapprochés, de plus en plus hauts, de plus en plus tordus, de plus en plus menaçants au fur et à mesure de sa course.

Son corps lui suppliait de s’arrêter, alors que son esprit lui intimait de continuer. Mais on l’avait jetée hors des auberges, même dans les écuries, elle n’était pas la bienvenue ! De même pour la porcherie, sous les porches, dans les étables… Même lorsqu’elle proposait de l’argent, on lui claquait la porte au nez en criant :

一 Monstre ! Retourne dans les plaines de Souffrance !

Monstre ! Monstre ! Monstre ! … Ce mot résonnait dans sa tête, comme s’il voulait qu’elle finisse par y croire…

Elle renifla en maudissant Brutus, son Don et tous les Dieux. Elle n’avait rien fait ! Pourquoi alors est-ce qu’on la blâmait ?

Elle s’arrêta un instant afin de reprendre ses esprits. Je ne me laisserai pas abattre ! se dit-elle, avec conviction.

Ses pensées analysèrent les derniers événements…

Elle avait marché à travers la ville, couru sous des jets de pierre et échappé à l’armée qui s’était lancée à ses trousses. Elle était un monstre pour tout le monde. Pourquoi tant d’intolérance ? Elle avait fini, à la tombée de la nuit, à semer les trois soldats qui l’avaient repérée à l’entrée de la cité. Le bois le plus proche s’était alors avéré le refuge le plus sûr… Pour l’instant. De quoi serait fait le jour suivant ? Y aura-t-il seulement un lendemain ?

Elle s’arrêta un instant, les arbres lui semblaient effrayants… Peut-être que les soldats ne la suivraient pas dans un endroit aussi terrorisant ?

Recroquevillée sous un arbre au tronc épais, elle se laissa aller aux larmes et à la détresse. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus. Pourquoi ? Et puis, peu importe. Qu’ils lui claquent la porte au nez si ça leur chante ! Mais, pitié, qu’ils ne lui lancent plus de pierres dans les rues ! Rien n’était plus dur que de passer de la petite fille aimée et choyée au monstre haït de tous en quelques secondes. C’était si douloureux ! Elle n’avait que huit ans, comment les Dieux voulaient-ils qu’elle les aide ? C’était impossible.

Pourtant, déjà, son cerveau tournait à plein régime pour trouver une solution. Retrouver les Élus… Ils étaient forcément dans un autre pays, sinon ce serait trop facile ! Et puis, ils ne la croiraient pas ! Ils en avaient des bonnes, eux ! Bon… Maintenant, il va falloir quitter le pays… Et avec sa tête mise à prix, ça allait être d’une facilité… Mais au moins,à l’étranger, on ne la connaissait pas.

Elle frotta machinalement ses plaies. Comment avait-elle survécu, elle n’en savait rien. Mais ce qu’elle savait, c’est que la lapidation était habituellement réservée aux plus grands criminels. Elle regarda un instant le ciel noir, presque invisible derrière le feuillage des arbres. Quelques étoiles étaient visibles ça et là, mais tout semblait indiquer qu’il était minuit passé. 

Autour d’elle, tout était que mousse, rochers, feuilles et fougères… Comment allait-elle faire le lendemain pour sortir de cette jungle ? Elle aurait dû y penser avant de s’enfoncer aussi loin ! Isadora renifla. Cet endroit était beaucoup plus effrayant maintenant qu’elle entendait les bruits nocturnes des créatures, certainement dangereuses, qui y vivaient. Elle entraperçut même des yeux ! Là, derrière le buisson !

La douleur et la fatigue eurent finalement raison d’elle et le sommeil l’emporta. Son sommeil fut agité. Très agité. Il plut durant la nuit, le froid ravivant les douleurs au niveau de ses plaies. Le pire fut les cauchemars. Elle rêva que les autres Élus ne la croyaient pas, qu’ils tentaient de la tuer. Elle rêva que la garde la rattrapait et qu’elle finissait pendue sur la place publique. Elle rêva qu’elle était folle et que rien de tout ça n’était vrai… Tant de songes qui la firent bouger pendant son sommeil.

Ses mouvements l’emmenèrent à des rochers pointus sur le sentier escarpé – qu’elle n’avait pas suivi – du bois. Elle roula sur le chemin, ses plaies se rouvrant brusquement et d’autres apparaissant. Son sommeil était si lourd, et son besoin de repos si grand, qu’elle ne se réveilla pas.

Le lendemain matin, écorchée, en pleurs et à peine consciente, elle se réveilla avec une certitude : il fallait quitter le pays. La solution qui lui vint à l’esprit la dégoûta, mais il le fallait. Tentant de se lever avec difficulté, elle réussit quelques pas hésitants. Tout son corps la faisait souffrir. Sa peau était couverte de boue et de sang mêlés. Autour d’elle, le même mélange lui indiquait l’agitation de la nuit. Ses plaies étaient ouvertes mais ne saignaient plus. Titubant, elle s’assit sur un gros rocher et gratta la saleté qui s’était accumulée sur elle.

Puis, elle revint à son plan. Elle savait comment quitter le pays incognito, et elle le ferait, ne serait-ce que pour rester en vie.

Elle chercha une pierre au côté suffisamment tranchant, et, quand cela fut fait, elle la tailla un peu plus contre un rocher.

Pour tester son tranchant, elle se coupa légèrement la main, grimaçant à la vue du sang. Lorsqu’une goutte tomba sur la mousse, elle s’estima satisfaite.

Elle réunit alors ses cheveux sombres et les coupa. Les mèches tombèrent à ses côtés. Elle tâta sa nuque et sursauta en sentant la peau sous ses doigts. C’était définitivement tout sauf agréable. 

Mettant son doigt blessé dans sa bouche pour faire cesser l’afflux de sang, elle se leva et avança sans savoir où aller.

| Chapitre 3

Isadora marchait en titubant, cherchant désespérément à sortir du champ qui la masquait à la vue de tous. Mais qui l’empêchait aussi d’obtenir le moindre secours. 

Elle souffrait encore beaucoup de ses blessures, mais elles semblaient se guérir d’elles-même et se refermer doucement, laissant tout de même la plupart ouvertes et ensanglantées. Malgré tout, la douleur l’empêchait de marcher aussi vite qu’elle l’aurait voulu, et la faim commençait à se faire sentir. Or, elle refusait de goûter à la moindre baie sauvage. Elle ignorait qu’elles étaient comestibles… Pourtant, certaines semblaient si délicieuses… Mais mourir n’était pas dans ses plans de la journée.

Luttant contre son estomac, elle continua d’avancer.

Soudain, un mouvement identifié par un bruit de pas la fit se retourner. Personne. Elle recommença à marcher. Un autre bruit dans les fourrés lui indiqua une réelle présence. La petite se retourna une nouvelle fois… Personne. La brunette tourna autour d’elle, lentement, cherchant le moindre signe de vie. Qu’est-ce qui aurait pu être assez gros pour faire tout ce vacarme, mais assez fin pour être invisible ?

一 Bonjour, fillette.

Isadora sursauta. Elle brandit devant elle la pierre qu’elle avait taillée dans la matinée avant de baisser son arme de fortune et de reculer brusquement, paniquée.

Devant elle se trouvait un immense centaure.

Mesurant près de trois mètres de haut, l’être arborait une musculature impressionnante. Il portait un arc et un carquois, dans son dos. Son visage était presque jovial, avec ses yeux orangés rêveurs et de longs cheveux bruns. Il avait le visage d’un jeune adulte humain. Son sourire creusait une fossette dans le coin de sa joue, lui donnant un air enfantin.

Isadora n’osait regarder la partie équestre de son corps. C’était… Étrange. Et effrayant. Et incroyable. Et… Et il y avait trop de “et” !

Pourtant, la robe brune et luisante de centaure n’avait rien d’effrayante.

Le centaure inclina légèrement la tête sur le côté, visiblement amusé par la petite fille aux cheveux coupés n’importe comment devant lui, et de son air terrorisé et volontaire à la fois.

一 Ce n’est pas tous les jours que l’on voit une humaine par ici… murmura-t-il doucement, presque avec tendresse.

Sa douceur contrastait avec sa stature de guerrier.

Isadora, recroquevillée sur elle-même, terrorisée, au bord des larmes, recula brusquement lorsque le centaure se pencha vers elle. Pourquoi était-il si gentil ? Toutes les légendes disaient que les centaures sont des monstres !

Et si c’était une ruse pour la tuer ?

Pourtant, une petite voix dans sa tête lui disait : “Toi aussi, on t’a traité de monstre sans raison… Les centaures sont sans doute méprisés à tort ?” C’était une voix douce, grave et tendre, elle lui parlait comme on parle à un ami, à un adulte… C’est ce qui convainquit Isadora qu’il ne s’agissait pas de ses pensées mais bien d’une personne qui parlait dans sa tête. Elle décida de lui faire confiance.

La voix a raison, songea Isadora, qui espéra en même temps que cette dernière se manifeste à d’autres moments pour la guider.

一 Je m’appelle Carlo, et toi ?

Sans attendre la réponse, il lui prit la main et la hissa sur son dos, sans aucun effort. C’était étrange pour elle de monter, pas seulement parce qu’elle n’avait jamais été sur un équidé, car cela n’était pas dans le moyens de ses parents que de lui offrir des cours d’équitation, ou, tout simplement, autre chose que leur vieil âne qui servait aux déplacements dans la ville, mais surtout car celui-ci était à moitié humain !

La pauvre enfant ne protesta même pas. Au contraire. Le centaure lui semblait bienveillant. Et, surtout, elle avait perçu autour de lui une sorte d’aura blanche, comme si les Dieux lui disaient : il est là pour toi.

De jour, la forêt semblait moins menaçante. La lumière filtrée par le feuillage des arbres lui donnait un air de bois de contes pour enfants, les murmures du vent dans la verdure semblaient venir des fées et tout semblait calme et merveilleux.

Le centaure galopait gracieusement, et tentait d’éviter à sa passagère tout heurt avec les branches basses. Ils “chevauchèrent” longtemps, jusqu’à ce que la nuit tombe, et que les ombres reviennent. Ils ne parlaient pas. Ils n’en avaient pas besoin. Le vent emmêlait leurs cheveux. Le temps passait doucement, et pas un instant, Isadora ne se plaignit de l’inconfort du voyage. Elle qui n’avait jamais monté, se retrouvait à dos de centaure pour une chevauchée indéterminée.

Carlo mena Isadora à l’orée du bois. Là, il la déposa sur le sol et lui ébouriffa tendrement ses cheveux en bataille. Comme le ferait un frère.

En quelque heures, ce centaure inconnu venait de combler trois jours d’affection mutée en haine. Carlo venait, en quelque instant, de devenir l’ami d’Isadora.

Elle savait, au plus profond d’elle, qu’elle ne devrait pas avoir un tel sentiment de sécurité, mais l’aura autour du centaure la poussait à lui faire confiance, à l’aimer, à l’admirer et à le respecter.

一 Continue vers le nord, d’ici une dizaine de jours, tu atteindras le port. Personne ne te reconnaîtra, tu as bien fait de te couper les cheveux.

一 Comment… ? articula le petite, déconcertée.

一 Nous, les centaures, nous avons des dons de divination, nous pouvons voir l’avenir, expliqua sobrement la créature.

Puis, Carlo se retourna et s’enfonça dans les bois, laissant Isadora seule, à la lisière de la forêt, perdue.

一 Merci ! lui cria cependant la jeune fille.

Les centaures avaient donc naturellement des pouvoirs… Ils ne pouvaient ainsi être des Élus, puisque ceux-ci doivent être des personnes avec des talents exceptionnels.

 Sur ces pensées, Isadora commença à marcher en direction du nord.

Mais au bout de quelques instants, elle dû s’arrêter, prise de vertiges. Elle n’avait rien mangé depuis près de trois jours et son corps avait fait trop d’efforts en peu de temps pour pouvoir continuer. Elle était exténuée, mais, se trouvant au beau milieu d’un champ, rien ne pouvait la nourrir : il lui fallait avancer. Au moins jusqu’à la prochaine auberge. Elle ne devait pas être bien loin…

| Chapitre 4

La marche devenait de plus en plus pénible. Ses forces l’abandonnaient, ses muscles tendus la faisaient souffrir et les blessures se rouvraient. Le sol était encore boueux de l’averse de la veille, ce qui ralentissait considérablement sa vitesse de marche.

Elle qui avait l’habitude de courir avec ses amis de longues distances, se retrouvait contrainte à ramper tant ses jambes ne pouvaient supporter son poids.

Haletante, elle s’écroula finalement au beau milieu du champ, à bout de forces et à bout de souffle. Isadora ferma les yeux. Tout ça pour finir ainsi, si vite, sans avoir rien fait… Elle tenta de se relever. Une fois. Deux fois. Trois, quatre, cinq. Six fois même, dix fois, vingt fois… Jamais, elle ne réussit à tenir debout.

Épuisée et en sang, elle s’évanouit dans la terre boueuse au beau milieu des épis.C’était le trou noir, le néant, l’infini… C’était comme si son esprit était devenu plume et s’envolait au gré du vent…

Pourtant, des voix venaient parfois troubler ce calme rassurant

一 Qui es-tu, toi ?

一 Il dort ?

一 Tu as vu son état ?

一 Appelez papa !

一 Et le médecin !

一 A votre avis, qu’est-ce qu’il fait là ?

一 Il a de nombreux hématomes…

一 Il va mourir ?

一 Je ne pense pas…

一 Docteur !

一 Il a bougé !

一 Je pense qu’il a repris connaissance.

一 Pourquoi il n’ouvre pas les yeux, alors ?

一 Il dort.

一 Qu’est-ce qu’il dit ?

一 J’ai rien compris aussi tu sais !

一 Personne n’a compris…

一 Il bouge !

一 Euh… Il est réveillé…

Isadora ouvrit péniblement les yeux. La lumière l’aveugla un instant, elle cligna des yeux avant de remarquer qu’elle se retrouvait face à un groupe de garçons de ferme agglutinés autour d’elle. Pire encore, au lieu d’être dans le champ, elle se trouvait dans une chambre qui lui était totalement inconnue. Affolée, sa respiration s’emballa alors que ses mains se mettaient à trembler.

一 Heu…

一 Moi c’est Luis, déclara un grand maigre.

一 Moi, c’est Louis, se présenta à son tour un petit brun.

一 Moi, c’est Léo, continua un roux aux yeux bleus rieurs.

一 Moi, je suis Léon, ajouta un petit garçon maigre aux cheveux noirs corbeau.

一 Moi, je suis Léonard, continua un blondinet aux joues bien roses

一 Moi, je suis Léopold, murmura un brun musclé.

一 Je suis Lionel, déclara un rouquin au visage couvert de taches de rousseur.

一 Je suis Lissandro, se présenta un petit garçon tout rond.

一 Je suis Lysandre, continua un jeune homme aux cheveux noirs.

一 Je suis Lucas, ajouta le plus grand de tous, qui, pourtant, semblait aussi le plus fragile, un géant brun aux yeux bleus humides.

Sous cette avalanche de présentation, Isadora les regarda comme s’ils avaient deux têtes. Elle n’allait jamais retenir tout ça !

La jeune Élue avait reconnu les voix qu’elle avait entendues dans son sommeil… Ils l’avaient sans doute récupéré et soigné.

Toujours tremblotante, elle se releva maladroitement avant de se laisser retomber lourdement.

A côté d’eux, se trouvait une jeune fille, elle avait de longs cheveux bruns tressés, un visage souriant et un regard chaleureux.

一 Et toi ?

Isadora s’attendait à un nouveau prénom en L impossible à retenir…

一 MaÏ. Et toi ?

La fille lui tendit un bol de soupe chaude et lui sourit doucement. La petite lui sourit en remerciement.

一 Je m’appelle Is… Isidore. balbutia la pauvre enfant.

C’était étrange pour elle d’être désormais un garçon. De ne plus avoir les cheveux devant les yeux, de ne plus avoir le même prénom… Et les vêtements ! Elle allait devoir porter des habits masculins !

Soudain, une pensée traversa son esprit : si l’on avait soigné toutes ses blessures… Ils savaient qu’elle était une fille !

Paniquée, elle voulut se relever et partir, avant qu’ils ne le prennent l’idée de la livrer… Sa tête était certainement mise à prix, à l’heure qu’il était.

Mais elle était encore trop faible. La petite fille tituba, chancela et s’écroula sur le lit. MaÏ ordonna aux dix garçons de sortir et s’approcha d’Isadora :

一 Tu ne devrais pas te lever comme ça, tu es encore fragile, il faut que tu te ménage. Puis, voyant son regard paniqué, elle ajouta :

一 C’est moi qui t’ai soigné… Je sais que tu es une fille, mais ne t’en fais pas, je n’ai rien dit à personne, je suppose qu’il faut garder ça secret…

Toute pâle, Isadora acquiesça, incapable de proférer un son.

MaÏ la recoucha et la borda avec douceur, puis elle lui donna des petits gâteaux aux fruits confits. Tout cela était bien délicieux, mais Isadora ne comprenait toujours pas pourquoi cette femme s’occupait ainsi d’elle…

MaÏ, elle semblait perdue dans ses pensées… Comme si elle cherchait un souvenir oublié. Elle marmonna quelque chose mais le seul mot que la petit comprit était “hypermnésique” … ce qui, pour elle, n’avait aucun sens !

一 Quel âge as-tu ? demanda-t-elle soudain.

Prise au dépourvus, la jeune Élue, balbutia :

一 Euh… Je… Ben… Huit ans…

Une sorte de surprise passa sur le visage de MaÏ. Elle semblait stupéfaite et… Fatiguée. Comme si un poids très lourd venait de lui tomber sur les épaules.

一 Si jeune ? s’exclama-t-elle, surprise.

Ne comprenant pas ce qu’elle disait, Isadora se contenta d’enfourner un gâteau dans sa bouche en se demandant quand elle pourrait partir.

Une fois qu’Isadora eut fini de manger, MaÏ retira les bandages de sa patiente : la majorité des plaies avaient cicatrisées.

一 Tu vas rester ici encore un jour ou deux, le temps que tout soit complètement guéri.

一 Je vais devoir rester au lit ? se plaignit la malheureuse enfant.

MaÏ sourit avec douceur.

一 Non, bien sûr.

Puis elle sortit.

La brunette sortit immédiatement du lit et fit le tour de la pièce dans laquelle elle se trouvait. C’était un mobilier plutôt simple en bois, le lit était des plus sommaire avec simplement un matelas posé sur des planches. Les murs étaient en terre et peints en blanc, le soil, lui, tait en pierre, froid. On lui avait sans doute attribué une des plus belles pièces.

Un fenêtre donnait sur le champ, en s’approchant, Isadora aperçut les garçons y travailler. La jeune fille venait d’une famille marchande, elle ne connaissait rien au travail de la terre, mais quelque chose lui disait qu’il faudrait qu’elle se renseigne sur tous les domaines afin d’accomplir sa tâche.

| Chapitre 5

Le lendemain, lorsqu’elle se réveilla, la petite trouva au pied de son lit, sur une chaise, une tunique verte, des chaussures lacées, idéales pour la marche et une ceinture de cuir. Sans doute un présent de MaÏ. Après un solide petit-déjeuner et une petite auscultation de ses blessures, Isadora put enfin sortir de sa chambre. 

Dehors, il faisait beau, mais madame Louise, la fermière, lui interdit fermement de quitter la maison. La petite était déçue, mais se consola bien vite lorsque la bonne femme lui apprit comment faire les gâteaux aux fruits. Une occupation qui lui rappelait les moments passés avec sa mère… 

Isadora renifla, elle ne devait plus penser à cette dernière, c’était auto-destructeur.

Madame Louise était une petite femme ronde avec de soyeux cheveux blonds ondulés, coiffés en chignon. Toujours souriante et de bonne humeur d’après ce que la jeune fille avait pu voir. Elle avait de beaux yeux bleus qui pétillaient de joie de vivre. Un véritable rayon de soleil pour le cœur de la petite, désormais orpheline.

Pourtant, son moral retomba rapidement lorsqu’elle vit les garçons rire et s’amuser en travaillant. Aussi, dès que madame Louise eut le dos tourné, elle se précipita à l’extérieur, bien décidée à passer un bon moment.

Dès qu’elle apparut dans leur champ de vision, les garçon la saluèrent à grand renforts de cris de joie et de rires joyeux.

一 Tu viens te joindre à nous ? l’accueillit Luis, souriant.

一 Quand la mère va savoir ça, elle va tous nous punir ! s’exclama Lissandro, sans pouvoir masquer son hilarité, probablement due à une vanne lancée avant qu’elle n’arrive.

一 Alors, le grand blessé est de retour dans le monde des vivants ? se moqua gentiment Léopold.

一 Je parie qu’elle a voulu te faire cuisiner ! plaisanta Léon, en jetant un regard noir à la fenêtre de la cuisine.

一 Tu préfères les champs ou les animaux ? s’enquit Lionel, comme pressé de la faire participer.

Et ainsi de suite, tous allant de son commentaire.

一 J’aime bien les animaux, sourit la petite, aux anges.

Lionel l’accompagna jusqu’à la vaste grange où se trouvait un autre garçon, qu’elle n’avait jamais vu. Il était grand, les cheveux noirs, les yeux bridés, le regard intelligent. Il ne souriait pas. Non, il semblait au contraire morose et triste. Ronchon aussi. Mais Isadora ne put s’empêcher de le trouver beau.

一 C’est Yong, présenta le rouquin, il n’est pas là depuis très longtemps. Tu peux donner du foin aux vaches, si tu veux. Avec l’hiver, elles ne sortent pas souvent, il faut les garder au chaud.

Puis il parti, laissant les deux enfants ensemble.

La grange était attenante à l’étable, facilitant le déplacement du foin. C’était un endroit chaleureux en bois avec un sol de terre battue. Du sol au plafond, on pouvait voir du foin et de la paille, ainsi que des sacs pleins. On y trouvait aussi six brouettes, probablement utilisées pour déplacer tous ces éléments.

La brunette commença immédiatement à nourrir les bêtes, riant lorsque les vaches lui léchaient les mains par inadvertance. Elle trouva immédiatement ce travail amusant. Le contact avec les animaux, voilà quelque chose de nouveau et de très plaisant.

一 Donc toi, c’est Isidore ? fit une voix froide dans son dos.

Elle sursauta. Portée par la joie, elle en avait oublié le garçon ! Il fallait avouer qu’il était étrangement silencieux.

一 Oui, c’est ça.

一 T’es bizarre… lâcha-t-il, méfiant.

La première pensée qui traversa l’esprit d’Isadora fut : Il sait.

一 Je sais quoi ? s’enquit le brun en penchant légèrement la tête sur le côté.

Surprise, Isadora se laissa tomber dans la paille.

一 Tu peux lire dans les pensées ? balbutia-t-elle, sous le choc.

Il peut tout savoir. Je vais tout rater avant même d’avoir commencé. Le monde va être détruit. Par tous les Dieux c’est-

一 Rater quoi ? demanda Yong, curieux et un brin menaçant.

一 Euh… Je…

Et si c’était un Elu ? Et ce serait son Don ?…

Soudain, elle sentit comme si un vent froid, glacial se glissait dans son esprit pour lui emprisonner les sens.

…A moins que ce ne soit un Dieu Maléfique ?

一 Qu’est-ce que tu fais ? gémit-elle. 

一 Je vais à la pêche aux informations, puisque tu ne veux pas me répondre… grogna son vis-à-vis

一 Arrête !

Ses supplications demeurèrent vaines. Le froid s’intensifia. Bientôt, elle eut beau tenter instinctivement de repousser mentalement cette invasion glaciale en essayant d’imaginer un feu faisant fondre cette glace, elle ne put plus réfléchir à quoi que ce soit, l’esprit comme amorphe.

Puis, le froid cessa son emprise et ne sembla plus vouloir la givrer.

一 Donc, tu es une fille… Et un peu dérangée à ce que je vois… Les Dieux ne reviendrons pas. Ils ne reviendront jamais ! hurla-t-il, hors de lui, les yeux exorbités.

L’emprise sur son mental se desserra un peu et les mots du jeune homme prirent sens. Ses yeux étaient devenus entièrement noirs, aucun reflet de lumière ne paraissait, comme si les orbes étaient vides de vie.

一 Pas si je suis là ! vociféra Isadora de sa voix fluette d’enfant.

一 Tu te crois puissante à ce point là ? ricana-t-il.

Brusquement, elle le trouva beaucoup moins beau.

一 Ils te manipulent ! Seuls les Grands Dieux ont leur place ici !

Ce fut au tour de la petite de ricaner.

一 Les Grand Dieux ? Il n’y a pas de Grands Dieux ! Ce sont des Esprits Maléfiques qui se sont divinisés ! Ils n’ont pas leur place ici !

Les deux enfants se tenaient face à face, furieux. Puis, il y eut comme un mouvement dans l’air. Comme si ce dernier devenait plus léger… Yong et Isadora se regardaient toujours. Stupéfaits, cette fois.

一 Que s’est-il passé ?

Ils avaient conscience des derniers événements, pourtant… quelque chose clochait. C’était bien trop flou pour que ça se soit passé à l’instant.

一 Je ne sais pas…

Stupéfaits, ils s’assirent sur le sol en terre battue.

一 Je suis désolé, je ne suis pas comme ça d’habitude…

Isadora lui sourit un peu, toujours sous le choc. Il s’était passé quelque chose qui les dépassait. Mais quoi ? Et, surtout, qui est Yong ? Et…

一 C’est bizarre… marmonna le brun.

一 Quoi donc… ? chuchota Isadora, de peur que les garçons à l’extérieur ne les entendent.

一 Je me souviens de tout ce que j’ai vu dans ta tête… Et j’ai l’impression que tu es dangereuse… Pourtant, tu as l’air inoffensive, et gentille.

Stupéfaite, la brunette le regarda dans les yeux, cherchant ses mots.

一 Toi aussi, tu as l’air dangereux.

一 Je ne le suis pas ! Je te jure que ce que j’ai fait ne me ressemble pas !

Isadora haussa les épaules. Que se soit intentionnel ou non, il était désormais au courant de tout… Et visiblement, les Dieux Maléfiques aussi…. Elle était une bien piètre Élue.

| Chapitre 6

Ils se regardaient toujours, perdus dans leurs pensées, lorsque Lionel entra dans la grange.

一 Vous n’avez pas fini de nourrir les vaches ?

一 Euh… non, bafouilla la brunette en se levant précipitamment pour s’atteler à la tâche.

Lionel les regarda, curieux.

一 Yong… Qu’est-ce qui c’est passé ? demanda-t-il, en voyant qu’Isadora ne souriait pas.

L’adolescent se contenta de hausser les épaules. Lui non plus, ne comprenait pas tout. Haussant les épaules, le garçon de ferme tourna les talons, en hurlant un : “Léo ! On ne joue pas avec la fourche !” sonore.

Yong et Isadora continuaient de nourrir les bêtes, dans un silence de mort. L’adolescent jetait de fréquents coups d’œils à la fillette, qui l’évitait comme elle le pouvait.

C’était un curieux ballet que de les voir se rapprocher et s’éloigner, s’observer, puis fuir le regard de l’autre… Ils étaient terrorisés par ce qui venait de se passer et ne savaient pas comment l’expliquer. Ni comment aborder le sujet.

一 MaÏ a dit que tu as huit ans.

一 Oui. répondit sèchement la jeune Élue, toujours froide.

一 Tu n’agis pas comme une gamine.

一 JE NE-, commença-t-elle, avant de se reprendre, je ne suis pas une gamine.

一 Tu as huit ans et tu agis comme une adulte, riposta le brun, ce n’est pas normal !

Isadora baissa les yeux. Elle a toujours été plus mâture que la moyenne. Mais les derniers événements l’avaient transformée. Elle savait qu’elle n’agissait pas vraiment comme d’habitude… Mais elle ne voulait pas non plus redevenir comme avant.

一 J’ai toujours été comme ça.

Le garçon fronça les sourcils.

一 Tu sais que je lis toujours dans tes pensées ? Paniquée, la jeune fille se retourna vivement vers lui.

一 Pardon ? Arrête tout de suite ! Un léger sourire franchit les lèvres de Yong.

一 Je plaisantais. Mais cela prouve que tu as des choses à cacher…

Rouge comme un coquelicot, la pauvre enfant recula de stupeur devant la justesse de ces mots. Et tomba dans la paille. Ricanant, Yong la prit par la main et l’aida à se relever. À cet instant, les dix garçons de ferme entrèrent en même temps en criant :

一 A table ! Puis tous se dirigèrent, tel un troupeau de moutons, vers la cuisine qui embaume.A l’intérieur, Madame Louise et MaÏ mettaient la table. Cette dernière ne cessait de jeter de fréquents regards à Yong et Isadora.

Bien que le repas fut excellent, ni elle, ni les deux enfants ne mangèrent beaucoup. Finalement, la femme médecin se leva et quitta la pièce en disant :

一 Isidore, je veux examiner tes blessures ce soir.

Soir qui arriva bien vite après avoir passé la journée au soleil dans les champs.Pourtant, une fois dans sa chambre, ce ne fut pas des instruments de médecine que la petite fille trouva sur son lit, mais des habits de voyage. Assise sur le sol, entourée de flacons étranges, MaÏ chantonnait en mélangeant les mixtures. Figée sur le pas de la porte, Isadora contemplait le spectacle. Brusquement, il y eut une détonation, et de la fumée s’échappa de la fiole que tenait la doctoresse qui se mit à tousser.

一 Bon sang, j’avais oublié à quel point c’est puissant ! Ah ! Isadora ! Approche !

Elle versa le contenu le la fiole dans un petit réceptacle de cristal bouché de résine, lui-même attaché comme pendentif à un collier de cuir.

一 Dans cette fiole se trouve une sorte d’antidote. Ne l’utilise qu’en cas d’urgence, car je ne peux le fabriquer qu’une fois tous les cinquante ans… La fiole est indestructible et le cordon ne se brisera jamais, ne t’inquiète pas. Puis elle lui emballa ses affaires dans un sac de toile et le lui donna.

一 Je veux que tu quittes cet endroit, et que tu n’y reviennes pas. Que tu tu n’y revienne jamais. Continue vers le nord, tu pourras embarquer comme mousse. Ce sont des habits de marin que je t’ai donnés. Tu as aussi une bourse. Fais en bon usage.

Surprise, Isadora la regarda dans les yeux, sans comprendre. Puis la lumière se fit et elle tourna les talons en courant. Elle passa par la cuisine, où elle fouilla un peu avant de trouver de quoi manger pour quelques jours. Et elle partit, se fondant dans la nuit, les étoiles pour seuls guides… Si seulement elle avait su les interpréter !

La nuit était fraîche et sombre. Elle trébuchait, parfois, entendait les bruits de la nuit, si effrayants… Dix fois, vingt fois, elle fut tentée de faire demi-tour, de rentrer à la ferme ! Mais elle était déjà trop loin.

Fatiguée, elle finit par s’allonger sur le sac, et regarda les étoiles, attendant le sommeil.

Les étoiles formaient de belles arabesques dans le ciel. La petite imagina que les Dieux l’observaient, delà haut, et qu’ils réfléchissaient à un autre moyen de se délivrer. La terre était chaude et sèche sous elle… comme l’endroit où elle jouait avec Brutus… Brutus…Lorsqu’elle deviendrait puissante, elle lui ferait subir le même sort… Discrimination… Lapidation… Poursuite… Fatigue… Peur…

Elle laissa échapper un long bâillement. Ses rêves de vengeance attendrons certainement encore longtemps. Très longtemps…Elle bâilla de nouveau. Il fallait qu’elle dorme… Dormir… 

Quelque chose d’humide lui toucha la joue. Elle se releva brusquement.

一 Oh. Ce n’est qu’un cheval. Rien de grave. Cette fois, je vais réussir à m’endormir j’espère… murmura-t-elle pour elle-même, la voix tout endormie.

Elle ferma les yeux et se cala contre son sac, lui servant de coussin de fortune. Pourtant, l’animal ne cessait de venir la renifler. Bah ! Ce n’est qu’un cheval, se dit-elle, trop épuisée pour réfléchir au poids d’un cheval, si ce dernier se mettait en tête de l’écraser.

Un cheval… Un cheval… Un chev- UN CHEVAL !

La lumière s’était faite brusquement. Et pas uniquement dans sa tête. 

Les cheveux étaient des animaux rares dans les campagnes, c’était plutôt des animaux de ville. A moins de se trouver au milieu d’un élevage de vaches… Il n’y avait aucune raison qu’un animal vienne s’intéresser à elle !

Mais, surtout, il y avait un élément bien plus inquiétant.

Quelqu’un venait d’allumer un feu.

Pas quelqu’un. Un centaure.

Qui dormait à côté d’elle.

Et qui, depuis le début, bavait dans son sommeil.

Carlo.

| Chapitre 7

Au petit matin, ce fut des claquements de sabots qui la réveillèrent.

Carlo, pensif, faisait les cent pas sur le sol sec et gelé. Il marmonnait ce qui ressemblait à des menaces. Son grand corps puissant lorsque la créature faisait rouler ses muscles. Son regard n’avait plus rien de doux ni d’agréable, au contraire, il était devenu plus froid. À-demi réveillée, Isadora remarqua de nombreuses cicatrices dans son dos. 

Il ne les avait pas il y a quelques jours… songea la petite, inquiète pour son sauveur.

Isadora s’assit, grimaçant en sentant ses muscles se délier. La petite observa longuement le manège du centaure, se demandant ce qu’il se passait et comment il l’avait retrouvée, d’où venaient les cicatrices, puisque la forêt se trouvait beaucoup plus loin au sud. Ici, sur le bord d’un chemin de pierres grises et tristes, les seuls éléments se rapportant à la forêt étaient les quelques arbres bordant les champs… Et ce cerf décarcassé à côté des restes du feu. La pauvre bête avait dû servir de dîner au gigantesque être mi-homme mi-cheval. L’odeur de la chair en décomposition agressa ses narines. Peu habituée à l’odeur des animaux morts, elle tenta de calmer les protestations de son corps face à cette vue répugnante. Le bord du chemin était teinté de rouge et la bête, ouverte sur le flanc, donnait un jolie vue des entrailles plus ou moins présentes du pauvre cervidé. Le pire était certainement les yeux de la pauvre créature, encore si expressifs… N’en pouvant plus, Isadora se détourna et vomi dans l’herbe. Le centaure se retourna vers elle et la regarda un instant, le regard vide.

一 Ah, tu es réveillée ! lâcha-t-il. Isadora continua à l’observer, avec des yeux ronds.

一 MaÏ est venue me chercher… Nous autres centaures sommes très habiles au maniement des armes. Aussi, elle veut que je t’apprenne à te défendre.

Sans attendre sa réponse, il lui tendit un bol de terre cuite rempli d’un bouillon de plantes.

一 C’est infâme, mais ça donne beaucoup d’énergie, explique-t-il, avant de se tourner vers un des arbres sur le bord du chemin et de dessiner une cible sur le tronc.

La mixture était effectivement imbuvable, mais elle se força à tout boire, par politesse et surtout car elle avait bien compris que s’abstenir de nourriture était mauvais pour la santé. Tout en mangeant, elle se demanda si ce n’était pas la doctoresse qui l’avait ainsi blessé. Une fois qu’elle eût fini, Carlo lui tendit un petit arc et des flèches.

一 Le tir à l’arc est un art souvent méprisé dans les combats, car il oblige une certaine distance avec l’ennemi. On l’appelle parfois “l’arme des lâches” à cause de cela. S’il ne te servira peut-être pas, je vais tout de même t’apprendre l’art de son utilisation, afin de développer ta précision.

L’arme à la main, la brunette fixa la marque blanche sur le tronc avant de regarder le centaure.

一 Je ne sais pas comment le tenir, murmura-t-elle. 

Soupirant, l’être mi-homme mi-cheval se pencha vers elle et plaça l’arc et la flèche dans les mains de la fillette, déplaçant doucement ses doigts et ses bras pour qu’elle soit en bonne position.

一 Maintenant, tu respires calmement et tu tires.

Mais la flèche tomba au sol. S’ensuivent alors des dizaines – des centaines – d’essais, tous soldés par des échecs. La nuit tombait doucement lorsqu’une flèche éteignit la cible. En plein centre. Galvanisée, Isadora recommença, encore et encore. Atteignant sa cible presque à chaque fois. L’arbre fut bientôt pourvu d’une nouvelle branche composée de flèches imbriquées les unes aux autres tandis que certaines se retrouvaient éparpillées sur le sol boueux, tout autour. A cours de flèches et les bras douloureux, elle se retourna alors pour voir que le centaure avait disparu. Il n’y avait plus personne. C’était le calme plat.

一 Carlo ? appela-t-elle ? Monsieur le Centaure ?

Elle attendit un peu, mais la présence d’un arc et d’un carquois à se taille, ainsi que de plusieurs dagues lui indiqua qu’il ne reviendrait pas. Il lui avait donné les bases, désormais, elle devrait se débrouiller seule.

Ramassant en grommelant les vestiges du “campement”, elle décida de continuer sa marche. Avec un peu de chance, elle trouverait une auberge, un petit travail, puis pourrait s’acheter un cheval ou un âne pour aller plus vite. Ensuite, elle rejoindrait le port, vendrait l’âne et embarquerait comme mousse. Elle soupira tout en marchant. Tout cela prendrait du temps, et, en plus, elle avait les Dieux Maléfiques aux trousses.

Comme s’ils étaient derrière elle, la petite se mit à courir, jusqu’à l’épuisement. Puis elle fit une pause, pendant laquelle elle continua à s’entraîner au tir à l’arc. Puis elle reprit sa marche en chantonnant un air que son père entonnait lorsqu’il travaillait, avant de continuer sur une chanson que sa mère sifflotait en cuisinant, enchaînant sur les comptines pour enfant et les pamphlets populaires entonnés par les ouvriers.

Elle continua ainsi, dansant, chantant, sifflotant, se parlant à elle-même, courant, sautillant… Elle mettait un point d’honneur à rester de bonne humeur et à garder une bonne forme. Qui sait ce qui l’attendra ? Plus elle marchait, moins elle souffrait de mal de pieds, plus elle chantait, moins elle oubliait sa ville… Sa ville qui l’avait rejetée, et qu’elle ne reverrait sans doute pas. Sans doute même jamais… Devant elle, se trouvait l’horizon, et elle l’atteindrait s’il le fallait pour sauver les Dieux. Et pour devenir puissante à son tour.

一 Monstre, monstre, monstre… chantonnait-elle, ricanant, bientôt, ce sera toi que l’on traitera de monstre… Brutus, Brutus… Tu ne seras jamais Empereur ! Nous, on a besoin de quelqu’un d’intelligent ! Mais, perdue dans ses rêves de gloire, de puissance et de vengeance, elle ne vit pas le tronc d’arbre barrant la route. Elle trébucha, tomba et…

CRAC !

Les larmes lui vinrent aux yeux. Sa cheville lui faisait si mal qu’elle fut tentée, un instant, de se laisser aller aux pleurs. Mais il fallait avancer. Ce qu’elle fit, boitillant, sans plus sourire, sa cheville craquant parfois sous ses pas, elle continua à marcher sur la voie pavée de pierres grises et tristes. Mais au bout de quelques instants, il lui parut évident qu’il fallait faire une pause. Assise dans l’herbe, au bord du chemin, elle sortit quelques-unes de ses provisions volées dans la cuisine de la ferme et croqua à pleines dents dans un fromage.

| Chapitre 8

Sa cheville la faisait souffrir, mais elle ne s’en inquiéta pas sur l’instant, après tout, avec tout ce qu’elle venait de vivre, ce n’est pas cela qui allait l’arrêter. Son repas fut frugal, afin d’économiser ses provisions, aussi se contenta-t-elle de tartiner du miel sur quelques tranches de pain et de manger quelques tranches de fromage.

Malgré ce qu’elle venait de traverser, elle gardait une joie de vivre surprenante. Après cette petite pause, elle continua à avancer, non sans avoir tenté de se masser un peu la cheville – ne réussissant qu’à se faire mal – alors elle avait simplement décidé d’ignorer la douleur.

Dans le fond, ce n’était qu’une longue promenade en solitaire. Sous ses pieds, les dalles étaient grises, sans joie et parsemées de mauvaises herbes. Ce n’était pas une route très fréquentée. Tout en marchant, Isadora songea aux autres Élus. Ils étaient douze… Cela faisait beaucoup de monde. Et s’ils ne la croyaient pas ? Et s’ ils ne s’entendaient pas ? Que se passerait-il ? Et puis, combien de temps mettra-t-elle à les retrouver ? Puis à les sauver ? Elle ne savait rien sur eux ! Ils pourraient aussi bien être Princesse que bandits !

Elle grimaça en pensant qu’étant désormais exilée et en fuite, elle ne pourrait pas critiquer un bandit de grands chemins. Pourtant, une autre idée germait dans son esprit… Elle était la première à avoir reçu le message des Dieux… Pourquoi ne dirigerait-elle pas leur troupe ?

Le temps s’écoulait doucement, la température se rafraîchissait avec l’arrivée de la nuit, mais Isadora restait ferme dans son idée d’avancer le plus possible, quitte à marcher de nuit, à l’aveuglette. Mais, bientôt, ses paupières se ferment d’elles-même et la petite finit par s’allonger en plein milieu de la route et s’assoupir dès que ses yeux se fermèrent.

Ce furent les cahots de la route qui la réveillèrent.Les cahots de la route… L’esprit embrumé de sommeil, elle se releva péniblement du tas de paille à l’arrière de la charrette où elle se trouvait.

Du…

Quelque chose ne tournait pas rond.Escaladant le végétal, elle observa l’arrière du crâne brun qui se trouvait face à elle.

一 Qui êtes-vous ? balbutia-t-elle, encore comateuse de sommeil. L’homme se retourna vers elle. La petite Élue reconnut immédiatement Léopold, l’un des garçons de ferme.

一 C’est mon lot de te retrouver à moitié mort, à ce que je vois, se moqua-t-il…

一 Mais…

一 Tu pourrais p’têtre t’excuser ? On a eu une peur bleue quand t’as fugué !

一 Excusez-moi…

一 C’est rien, poulet ! Pour répondre à la question que tu vas poser, une fois par mois, on va apporter du foin et de la paille au port, c’est une idée de l’empereur de nous faire contribuer. Quand je t’ai vu endormi, je me suis dit que ce ne serait pas une mauvaise idée de t’emmener avec moi.

C’est le moins que l’on puisse dire, songea-t-elle,

一 C’est là que je veux aller !

一 Pourquoi un gamin comme toi voudrait aller au port ? C’est pas un endroit pour les gosses !

Laissant parler son imagination, elle raconta :

一 Mes parents sont morts, mon père était un grand marin à la retraite parce qu’il s’est prit un boulet de canon dans la jambe… Alors je veux devenir mousse pour suivre ses pas. Et un jour, je serai reconnu dans tout l’empire !

Léopold rit un peu avant de l’attirer sur le banc.

一 En attendant, je vais t’apprendre à diriger des bœufs ! s’exclama-t-il en lui tendant les rênes.

À moitié couverte de paille, les cheveux en bataille et le rire dans les yeux, Isadora ou Isidore s’attela à la tâche avec bonheur. Elle adorait tout ce qui était diriger les autres, les animaux et découvrait le plaisir de diriger la charrette. Elle avait l’impression d’être puissante, et ça la comblait. C’était un sentiment merveilleux pour elle d’avoir du pouvoir, de l’importance, d’être admirée, de réussir… D’être la meilleure. En tout. Un besoin de reconnaissance et d’admiration qu’elle avait refoulée par égard envers l’ego du prince Brutus.

一 Tu te débrouilles bien ! la félicitait Léopold.

Léopold était grand et musclé, mais contrairement à ce que pouvait laisser penser son physique bourru, il avait un tempérament pédagogue. Rapidement, il entreprit d’instruire l’enfant sur tous les sujets possibles et imaginables de l’art de faire un bon ragoût de mouton à la reproduction des chevaux. Ce dernier sujet intéressait beaucoup la petite exilée.

一 Est-ce qu’un homme et un cheval peuvent avoir des enfants ?

一 Bien sûr que non ! s’horrifia le brun. Qu’est-ce qui te fait penser une chose pareille ?

一 A côté de la capitale, il y a une forêt, et on dit qu’il y a plein de centaures dedans. Et c’est à moitié homme, à moitié cheval, non ?

Le jeune homme pouffa de rire.

一 Bon sang, Isidore ! Les centaure, ils existent uniquement dans les contes racontés aux enfants pour les effrayer ! Les centaures, ça n’existe pas !

Vexée, la petite donna un coup sec sur les rênes.

一 Moi, j’en ai vu un ! protesta-t-elle.

一 C’était certainement un très beau rêve, mais, vraiment, ça n’existe pas.

Agacée, elle souffla par le nez, manifestant son mécontentement.

一 C’est la vérité ! Il était très grand ! Il mesurait au moins trois mètres ! Et il avait de longs cheveux bruns !

Un léger sourire traversa le regard de Léopold.

一 C’est comme ça qu’ils sont décrits dans la plupart des livres pour enfants, non ?

Il avait raison, bien sûr. Mais ils existaient, n’est-ce pas ? Sinon, elle n’aurait pas l’arc et le carquois…

一 Mais…

一 Tu es peut-être encore un peu fiévreux, Isidore, c’est tout. Tu as fait un rêve un peu étrange que tu as pris pour la réalité. C’est aussi simple que ça.

Isadora secoua la tête et décida de ne pas répondre. Visiblement, Léopold ne croyait pas en la magie. Croyait-il seulement aux Dieux ? Et si c’était ça la solution ? De nombreux partisans au culte ? Non ! C’est trop simple… Bien trop simple…Perdue dans ses pensées, elle laissa les rênes au fermier et se plongea dans ses réflexions.

| Chapitre 9

Dès leur arrivée au port, Léopold se dirigea vers le grenier portuaire. Devant le bâtiment, il laissa Isadora partir de son côté avant de s’y engouffrer, courbé sous le poids des bottes paille, de foin ainsi que les sacs de grains. Les impôts étaient lourds, cette année, car le froid avait été bien violent durant l’hiver.

La petite déambula sur le quai, humant les odeurs du port. Il y avait les senteurs âcres du sel et de la sueur, celles lourdes de la nourriture et de l’alcool, et celle agréable des épices étrangères…. Il y en avait aussi une autre, métallique, qui lui rappelait le cerf sur le bord de la route… Elle baissa les yeux et recula avec horreur : des têtes de poisson s’entassaient à ses pieds sur les pavés.

Réprimant un haut le cœur, elle continua d’avancer jusqu’à trouver un navire qui lui semblait être le plus beau des bateaux. Fascinée par sa magnifique silhouette, elle monta sur le pont, caressant la coque du navire du plat de la main.

一 Que fais-tu là, toi ? tonna une voix froide et sèche dans son dos.

La petite se retourna et regarda effrontément l’homme face à elle, vraisemblablement le capitaine :

一 Je cherche une place de mousse. Un jour, je serais un grand marin ! dit-elle en prenant le ton le plus assuré possible.

Un étrange sourire étira les lèvres du capitaine, un homme aussi grand que large, rougeaud, qui possédait au moins trois mentons.

一 T’es pas à la hauteur, gamin.

一 Vous vous trompez. fit une voix douce.

Un jeune homme, blond comme les blés avec des yeux bleu océan, venait de couper court au débat. Visiblement, la capitaine avait tendance à s’emporter facilement car le nouveau venu avait adopté une attitude défensive.

一 Vous devriez l’emmener avec nous, continua le blond, notre voyage durera plusieurs années, un peu de sang frais ne ferait pas de mal à l’équipage, n’est-ce pas ?

Le gros homme sembla hésiter, puis il acquiesça, avant d’ajouter, de mauvaise humeur :

一 Mais il sera à ta charge, le moindre pas de travers et je l’envoie à la cale avec les esclaves. Nous n’avons pas besoin d’une bouche de plus à nourrir.

Isadora le remercia et retourna sur le terre ferme, non sans s’être informée de la date et l’heure du départ – hors de question qu’ils partent sans elle ! – et et du chemin à prendre jusqu’à l’espace de repos des mousses, un endroit petit et nauséabond.

Dès qu’elle retrouva le plancher des vaches, elle trouva un coin tranquille et sortit de son sac la bourse que la femme-médecin lui avait donné : vingt-cinq Dung d’émeraude… juste de quoi s’acheter à manger et pouvoir s’offrir une place pour dormir dans une étable ou une écurie.Elle se leva et se dirigea vers l’auberge “Au Sans-Arêtes”. A l’intérieur, la pièce empestait le poisson avarié et l’alcool fort. Dans un coin, deux colosses se battaient, dans un autre, des femmes dénudées entouraient des hommes à l’allure douteuse. L’endroit pullulait sans aucun doute de pirates et de bandits clandestins.

La petite commanda un filet de bar et accepta de dormir avec les chevaux. La nourriture se trouva être immangeable, et le patron déclara n’avoir que du vin et du rhum… Aussi, malgré les protestations de son estomac, elle décida de se diriger sans manger vers les écuries. Et il se trouva qu’elles étaient déjà occupées par une dizaine de personnes. Et aucun n’avait l’air sympathique.

La plupart étaient armés de coutelas et de pistolets, les autres ronflaient, une bouteille à leur côté.

Nerveuse et répugnée par le spectacle qui s’offrait à elle, la petite s’installa dans un coin et, incapable de s’endormir, observa les gens autour d’elle.

Les cicatrices étaient omniprésentes, certains étaient amputés d’un ou plusieurs membres, d’autres n’avaient qu’un seul œil. Tous puaient la sueur et l’alcool. Certains grognaient étrangement, mais ceux-ci étant de dos, elle ne pouvait savoir s’ils souffraient, cauchemardaient si simplement ils souhaitaient déclencher une bagarre.

Elle remarqua bien vite que la paille était infestée de rats, que les hommes dormaient sur les excréments des animaux et que les vêtements étaient couverts de puces.

Elle était seule, vêtue en garçon, entourée d’hommes probablement ivres et violents. Elle comprenait maintenant pourquoi Brutus prenait le monde de haut… Mais elle se jura que lorsqu’elle serait impératrice de l’Empire du Nord, elle tenterait de faire changer les choses. De tels endroits ne devraient pas exister !

一 Hé, les gars ! Y a un p’tiot d’la capitale ! hurla soudain un grand gaillard échevelé et éméché.

一 Hein… ? répondit de manière intelligente Isadora en voyant toutes les têtes se tourner vers elle.

一 Approche, gamin, on va pas te manger, ria un autre.

Surprise, elle les regarda, les yeux écarquillés.

一 On est p’têtre affreux, mais on est pas méchants, renchérit un blondinet endormi.

一 Je… ben…

Tout sourires devant ses balbutiements, les hommes se rapprochèrent d’elle.

一 Dis moi, gamin, t’es ici pour la même raison que nous, n’est-ce pas ?

Perdue, elle cligna des yeux.

一 Pourquoi vous êtes ici, vous ?

一 Parce qu’on préfère les hommes aux femmes, gamin, et que ça, c’est très mal vu.

一 Ben, pourquoi ?

Son innocence et sa naïveté les rendirent heureux. Pour une fois que l’on les écoutait ! Pour une fois, on les acceptait !

一 Y en a qui disent que c’est contre nature, d’autres disent même que les Dieux n’auraient pas voulu de ça en créant le monde… C’est idiot ! Animal et Pierre Solide s’aiment, et personne ne les rabaisse pour cela !

Stupéfaite, l’enfant les écouta. Ils s’aiment, pourquoi en vouloir à des gens d’être amoureux ? se demanda-t-elle intérieurement. Un nouvelle promesse se forma dans son cœur : arrêter les discriminations dans tout l’Empire.

En elle bouillonnait la colère face à l’injustice. Alors elle les consola, leur parla de ses rêves de mousse, et leur proposa, que si l’Empire était si fermé, pourquoi ne pas fuir à l’étranger ? Ils parlèrent de tout et de rien, rirent aussi… Pour la première fois depuis des jours, elle vivait une journée calme et douce.Le lendemain, elle quitterait le pays, et pourrait commencer à réellement chercher les autres Élus.

| Chapitre 10

Isadora n’avait pas embarqué depuis plus de dix minutes et elle était déjà occupée à récurer les canons. Le vent balayait ses cheveux et le froid la mordait jusqu’aux os. Ses bras et son dos la faisaient souffrir, tant sa position était mauvaise. Le capitaine avait annoncé un voyage de quatre ans… C’était bien trop long ! Mais elle avait déjà prévu de s’échapper dès qu’elle en aurait l’occasion. Dès la première escale si possible. Mais en attendant, elle était coincée là, pliée en deux, à nettoyer les armes qui n’avaient sans doute pas vu de torchon depuis des lustres.

Derrière elle, nombreux étaient ceux occupés à laver, récurer, recoudre… mais c’était à elle que l’on avait offert la tâche la plus ingrate. La poudre encore présente lui collait à la peau.

Des ricanements se firent entendre dans son dos… Loin de se démonter, la petite se tourna, prit un chiffon et le lança sur le capitaine qui se moquait d’elle.

一 Aidez-moi, ça ira plus vite !

Approximativement trente seconde plus tard, elle se trouvait suspendue au dessus de l’eau, la main du gros bonhomme se resserrant autour de sa gorge.Elle tenta faiblement de se débattre alors que l’air se raréfiait et que l’étreinte se resserrait autour de sa gorge. Un cercle se formait autour d’eux, tous se demandaient pourquoi le capitaine ne se contentait pas des punitions habituelles.

Adossé à l’un des mâts, le blond observait. Calme. Il attendait. Isadora le voyait, lui et ses yeux bleu océan, elle avait l’étrange impression de la connaître… Et qu’il allait l’aider. Elle voulait qu’il l’aide, après tout, sans lui elle n’aurait pas été acceptée…

Elle le regarda dans les yeux, alors que ceux-ci se remplissaient de larmes dues au manque d’oxygène.

一 C’est bon, Jo, tu t’es bien amusé, lâche-le maintenant, finit par dire le blond, toujours nonchalamment adossé au mât. 

A ces mots, l’étreinte se resserra autour de sa gorge. Isadora ferma les yeux. Elle ne voyait plus rien ainsi. Elle pourrait mourir tranquille. Pourtant, si l’étau se desserrait, la poigne semblait moins forte, comme si le bras faiblissait. Elle ouvrit les yeux et vit avec effroi que le capitaine avait sorti son pistolet et qu’il le braquait sur le blond, un air méchant sur le visage. L’homme, lui, semblait toujours détendu.

一 Tu m’as dit qu’il était à ma charge. Il l’est. Tu m’as dit qu’au moindre pas de travers, il ira dans la cale. Pourquoi tente-tu de le tuer ? 

Le capitaine appuya légèrement sur la détente. Son visage rouge était devenu cramoisi. Isadora peinait à rester consciente, le blond était calme et des protestations commençaient à se faire entendre. Puis, brusquement, la main qui l’étranglait se relâcha et elle tomba à l’eau.

Privée d’oxygène depuis trop longtemps, affaiblie et le cou douloureux, la petite se laissa couler. Sous la surface, tout était calme. Les sons lui semblaient lointains, les problèmes imaginaires… Tout était flou, brun et vert, elle qui avait toujours tout imaginé bleu. Doucement, elle remonta à la surface. Sur le bateau, elle voyait uniquement le dos du capitaine et les silhouettes des autres marins.

Elle prit une grande bouffée d’air, sentant avec délectation l’oxygène passer dans ses poumons, puis cligna des yeux en regardant le ciel. Son coeur et sa respiration enfin calmés, les poumons douloureux, une question s’imposa sans son esprit :

Comment remonter à bord ?

Les voix du blond et du gros rougeau lui parvinrent.

一 Tu te trompes de voix, Jo, notre but n’est pas de tuer des enfants innocents.

一 Innocents, ma parole ! Ils sont vicieux !

一 Il faisait de l’humour.

一 Ce gosse n’a rien d’un marin, qu’il reste au fond de la mer !

Ne se retenant plus d’exploser, la brunette hurla :

一 Eh ben il est pas loins votre fond ! Aussitôt, tout l’équipage s’ameuta sur le bord du navire sous les cris de rage de leur chef. On lança une corde et Isadora put revenir sur le plancher…

Pour se retrouver sous la menace du couteau du gros capitaine. Elle était bien tentée de le mordre, mais elle trouvait que cela faisait trop “fille” et qu’elle se ferait démasquer.

一 Je peux aller dans la cale si vous voulez, se contenta-t-elle de dire, fatiguée par le destin qui s’acharnait sur elle.

D’abord les Dieux, puis Brutus, puis la capitale tout entière, puis les rochers dans la forêt, puis le tronc d’arbre en plein milieu de la route, et maintenant ça !

Non, vraiment, le destin était cruel avec elle.

Le blond sourit.

一 Tu vois, Jo, il est d’accord.

Grognant en voyant que tous se ralliaient à son adjoint, Jo attrapa la brunette par la peau du cou et la poussa dans les entrailles du navire.L’endroit qu’elle découvrit était sombre, sentait les excréments et grouillait de… d’enfants nus.

Où était-elle donc tombée ?

一 Voici ta nouvelle demeure jusqu’à nouvel ordre, essaie seulement de t’échapper et tu mourras…Il allait partit lorsqu’il se retourna vers elle et déclara :

一 Fais comme tout le monde et enlève tes vêtements.

La rage qui habitait à cet instant Isadora était phénoménale. Elle se sentit bouillir d’une telle haine qu’elle se jeta sur Jo et commença à le marteler de petits coups de poings en hurlant. Elle le griffa et tenta de déchirer ses habits pour atteindre la peau. Elle rêvait de la voir souffrir, tout en sachant qu’elle n’avait pas la force suffisante pour y parvenir.

Si ses gesticulations n’eurent d’autre effet que de faire rire le cruel homme, elle alerta l’adjoint blond qui descendit à son tour.

一 Jo ! On avait dit, “bien traités” ! Il décolla Isadora du capitaine et remonta en criant : 

一 Je veux que chaque matelot m’emmène une de leur tenues, maintenant !

Quelques minutes plus tard, chaque enfant était habillé et avait mangé. Isadora fut réquisitionnée comme mousse du second, qui se révéla s’appeler Wylliam. Son travail ? Laver, récurer, faire le lit, plier le linge… Et lui tenir compagnie lorsque la mer se ferait moins douce. Ce n’était pas une place amusante, mais Wylliam lui promis qu’il la laisserait passer du temps avec le couturier, qui réparait les voiles. Rien de mieux que de faire de la couture lorsque l’on veut se faire passer pour un garçon, n’est-ce pas ?

Mais là, au moins, Jo ne l’embêtait pas.

|| Chapitre 1

Les journées étaient mornes à bord. Le matin, Isadora s’occupait de la cabine de Wylliam, l’après-midi, elle aidait à recoudre les voiles et les habits des autres marins, et le soir, Will lui donnait des cours particuliers d’astronomie et de géographie.

Elle découvrit alors les points cardinaux et les différents pays. Ainsi, elle apprit que le Capitaine était à la recherche d’îles où vivraient les Dieux… Et qu’il comptait leur offrir les enfants en sacrifice.

A cet instant, les rouages de son cerveau se mirent en marche et la déduction qu’elle fit lui donna la nausée : c’était le lieu de résidence des Dieux Maléfiques…La décision qu’elle prit ce jour-là fut des plus difficiles…

Elle s’était attachée, au fil des ans, au bateau. Les escales ne lui avaient jamais offert d’échappatoire. En trois ans de navigation, elle était désormais celle sur qui on comptait. Même le gros Jo la considérait comme un bon marin. Ironique, pensait-elle souvent en se massant la gorge. S’il n’y avait pas une trace de strangulation, le souvenir de l’affreux moment était bien vivace dans son esprit.

Elle avait appris à nager, à ne pas se plaindre, à se taire, à écouter, à organiser, à se battre, à se faire respecter. Elle était capable de se priver de nourriture durant plusieurs semaines lors des pénuries, elle arrivait à remonter le moral des troupes lorsqu’il était au plus bas. Les esclaves lui faisaient confiance, car elle leur avait promis la liberté dès la fin du voyage.

Et trois ans, ses muscles s’étaient développés, elle était également devenue une excellente combattante, et si elle s’exerçait toujours au tir à l’arc, elle connaissait maintenant le maniement des dagues, épées, pistolets, fusils et canons.

Grâce à l’enseignement de Wylliam, elle était désormais capable de se guider à l’aide des étoiles.

Wylliam.

Il était beau, Wylliam.

Du haut de ses onze ans, elle le voyait comme l’homme idéal, celui qu’elle voudrait comme compagnon : grand, beau, fort, protecteur, loyal, gentil, intelligent…

Et un peu trop âgé pour elle.

Et puis, elle était un garçon, désormais. Les amours, c’est impensable. Le travail et le bateau d’abord. Elle avait aussi découvert l’autre aspect des marins… Certes, il étaient buveurs, débauchés, violents, fainéants… Mais ils avaient une qualité, une seule notable pour tous : ils étaient obéissants.

Et ça, elle l’avait bien noté, remarqué, analysé. Et en avait déduit une chose : lorsqu’elle serait Impératrice, elle irait d’abord chercher les marins.

Car elle n’avait pas abandonné ses rêves de puissance.

Non.

Mais la priorité était aux Dieux.

一 Isidore, tu rêvasses encore. Concentre-toi sur la leçon, soupira une voix bien connue.

一 Dites-moi, sir Wylliam, pourquoi faites-vous parti de cette expédition, si vous ne croyez pas en les Îles dont parle Jo ?

一 Le capitaine Joséphan.

一 Le Gros Jo, oui… Alors, pourquoi ?

Il y eu un temps d’hésitation, puis, le blond lâcha :

一 Pour impressionner. Mon père refuse que je sois marin. Si j’arrive à survivre aussi longtemps en mer, et que, en plus, nous trouvons les Dieux… Peut-être me couchera-t-il sur son testament ? Il refuse de reconnaître que je suis son fils depuis que je n’ai démontré aucun talent et aucune passion pour les meurtres et aux horreurs…

一 Ton père est un espion ?

一 Non. C’est l’Empereur.

一 L’Em…

Wylliam haussa les épaules, désabusé.

一 Oui.

Et il reprit la leçon.

C’était étrange… L’Empereur Balaman, Isadora l’avait déjà vu, il était comme Brutus : grand, brun, les yeux noirs et le visage large.

Wylliam, lui, était blond, les yeux bleus et avait le visage fin.

Rien en lui ne lui rappelait la famille impériale.

L’Impératrice non plus, ne lui ressemblait pas. Elle était petite, ronde et avait les cheveux noirs et gras.

Non, vraiment.

L’évidence était là : ou l’homme mentait, ou il n’était pas légitime.

Isadora espérait fortement la première solution, car, pour obtenir le pouvoir, il ne lui faudrait aucun prétendant au trône. L’autre solution étant d’épouser cette personne… Or, lorsque l’enfant aurait atteint l’âge minimum pour prétendre au mariage, Wylliam, lui, serait marié depuis longtemps. Il lui faudrait le tuer, ou renoncer. Bien que l’idée la répugne, elle ne voyait pas d’autre option que d’avoir son sang sur les mains… Quoique, un accident est si vite arrivé… Elle secoua la tête pour se sortir de ces pensées morbides. L’heure n’était pas à la fermentation de meurtre.

Non.

Il fallait trouver les autres Élus et sauver les Dieux… Puis trouver ces îles où se cachaient lâchement leurs geôliers.

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée :

一 Des pirates ! hurla le mousse.

La petite se rua alors à l’extérieur et vola la longue-vue du capitaine.

一 Ils sont à cent mètres au sud. Nous ne pourrons pas les semer. Ils ont sept-cent canon, et nous trois-cent cinquante. Il va falloir doubler la vitesse du bateau et celle du tir. Je veux quatre boulets à la minute.

一 Nous ne tiendrons pas le rythme ! protestèrent la plupart des marins. Les autres, eux, regardaient le petit mousse avec surprise : il avait prit le rôle du capitaine si facilement !

一 Nous devons tenter le coup ! répliqua fermement la jeune fille.

Aussitôt, tout le navire se mit en état de guerre, la moitié des effectifs dirigeant les voiles, doublant ainsi la vitesse du bateau. L’autre moitié chargeait les canons de manière à augmenter le nombre de tirs.

Isadora, elle, dirigeait les opérations avec autorité, comme si elle l’avait toujours fait.Dès les premiers tirs de l’ennemi -qui tombèrent dans les flots- la petite comprit que les pirates n’en étaient pas… du moins pas des plus expérimentés…

Enfonçant presque la longue-vue dans son œil, elle observa les mouvements du navire adverse.

一 C’est un navire commercial…

Son cerveau analysa la situation avec rapidité.

一 Modifiez l’angle ! Ne le faites pas couler !

S’ils ramenaient ce bateau plein au pays le plus proche, elle monterait peut-être en grade et pourrait quitter l’univers de la navigation.

Elle avait beau rêver de puissance, la violence, ce n’était qu’une solution de défense, pas d’attaque. Pour ça, il y avait la négociation, et cette étape semblait grillée.

|| Chapitre 2

L’eau s’agitait sous la pluie de boulets. Rapidement, le navire adverse se rapprocha de leur bateau. Il était évident que les canons n’appartenaient pas au navire, il avait été aménagé pour servir d’arme de mer. A elle toute seule, la nef aurait pu anéantir dix fois leur bâtiment. Ils n’avaient certainement aucune chance. Mais Isadora restait persuadée qu’ils pouvaient prendre le dessus. Ce dont l’équipage doutait, visiblement.

C’était un bateau deux fois plus grand et plus gros que le leur, ils avaient le double de leurs canons et le triple de leurs effectifs d’armes et de vies humaines… s’ils ne comptaient pas les enfants dans la cale… Ils avaient six mâts et sept-cent canons, ainsi qu’un nombre impressionnant de matelots. Même si leur navire survivait aux attaques des canons, ils ne tiendraient pas face à un abordage. 

Les deux navires se rapprochaient dangereusement l’un de l’autre. L’abordage était imminent. L’équipage s’agitait, nombreux étaient ceux qui protestaient, qui criaient sur l’enfant qui les dirigeait à la mort. Isadora semblait deviner la suite, à chaque mouvement de l’adversaire, elle ordonnait les mouvements des canons et des voiles de manière à prendre facilement la fuite, si le combat tournait mal. Car avec un tel monstre face à eux, il lui était impossible d’imaginer la moindre victoire.

Le premier tir atteignit la coque adverse… Et rebondit vers eux.

Isadora pâlit.

Les tirs suivants eurent le même effet.

En quelques mouvements la petite fille fit signe à l’équipage d’amorcer la fuite. Mais le mouvement tourna court lorsqu’une planche joignit les deux bords.

Blanche comme un linge, elle observa l’équipage adverse envahir peu à peur leur navire, guidés par une femme qui semblait faite de granite autour d’elle, l’eau s’élevait, formant une sorte d’arcade.

Une Déesse Maléfique.

Alors que la plupart des marins reculaient d’effroi, Isadora s’approcha d’elle.

一 Isadora… fit la femme d’une voix doucereuse. 

一 Isidore. claqua l’enfant, la mâchoire serrée.

一 Qu’importe. Tu crois réellement pouvoir nous vaincre ? Crois-tu sincèrement avoir la moindre chance ?

Un air de défi se peignit sur le visage de la fillette.

一 Non, je ne crois pas. Je sais.

Et dégaina son épée et fonça sur la Déesse.

Celle-ci ne bougea pas d’un pouce. Son corps entier devenant pierre, chaque coup de l’enfant se heurtèrent au granite, et ne laissaient aucune marque, au contraire, l’arme rebondissait sur l’enfant.

Isadora finit par reculer, en nage.

一 Battez-vous ! Lâches !

La statue reprit vie et la Déesse leva lentement les bras : l’eau s’éleva, plus haut encore et s’abattit sur le navire.

L’eau ne brisa pas la nef, mais jeta la plupart de ses occupants à la mer.

Transportée par la vague, la petite s’était retrouvée contre le mât, agrippée au bois uniquement par la force de ses bras. Son poids pesait sur ses bras et sa force diminuait. Dans le camp adverse, la Déesse riait, démente.

一 Cela t’apprendra à défier Eilinie !

一 Eilinie ?

一 Tu ne me connais pas ? Je suis la puissante Maîtresse des Combats !

Prise d’un accès de rage, Isadora dégaina son épée et… avait oublié qu’elle se trouvait suspendue à plus de quatre mètres de hauteur.

La chute fut des plus brutales. Le sol trempé et la poudre à canon renversée un peu partout lui collait à la peau.

Ses habits étaient devenus transparents, ses cheveux, qui avaient repoussés et qu’elle cachait sous son bonnet, retombant dans dos, épars.

一 Je vais vous détruire, grogna-t-elle.

Son visage ensanglanté et son air déterminé effrayèrent tous les survivants.

La petite se releva péniblement et traversa le ponton menant au navire adverse.

Elle remarqua que celui-ci n’était pas soumis à la houle, et que ce qu’elle croyait être du bois, était un métal inconnu. C’était pour cette raison que ce navire était aussi puissant, le métal repoussait les boulets et le rendait léger et rapide.

Quel qu’en soit le constructeur, c’était un génie.

Arrivée face à la Déesse, elle se planta sur les pieds avant de clamer :

一 Tu n’as pas ta place ici. Retourne d’où tu viens et répare les dégâts. Maintenant.

La Déesse, sans que cela ne la surprenne vraiment, éclata de rire. Un rire démoniaque, froid, rocailleux. Inhumain.

Dans les deux camps, tous retenaient leur souffle : la gamine n’avait aucune chance ! Pourtant, Isadora avait compté les mâts. Le camp adverse en avait six. Le sien aussi.

“Tu as le Don de nous contacter, mais seulement avec ces paroles : “viens à moi!”, dites trois fois. Et avec une circonstance similaire à celle-ci avec douze élément identiques déposés en cercles par Nuit.”

Ce n’était pas un véritable cercle, mais la forme n’en était pas loin…

Isadora leva les bras. Elle n’avait plus rien à perdre, désormais. Certes, il lui était interdit de révéler sa nature mais la fin justifie les moyens.

一 Viens à moi ! Viens à moi ! Viens à moi !

Les mâts se mirent à trembler, puis à s’élever doucement… Ils tourbillonnèrent sur eux-mêmes et se métamorphosèrent en les douze Dieux Entravés. Eilinie recula brusquement. Elle fit monter une énorme vague qui engloutit et brisa les deux navires et leurs équipages.

一 Entravés vous resterez à jamais ! clama-t-elle avant de disparaître doucement dans un nuage de poussière.

Isadora coula avec les autres, tout en voyant les Dieux lui sourire. Nuit avait bien placé ces mâts. Épuisée, elle ferma les yeux et se laissa porter par le courant, sans lutter. Il lui suffisait de garder les bras et les jambes écartés, dans la position de l’étoile de mer, comme disait Wyll… Wyll… Au moins, il n’y avait plus personne pour la dénoncer et personne d’autre pour l’empêcher d’accéder au trône…

Elle laissa le vent la porter. Elle savait que la terre n’était pas très loin, le Royaume de l’Est était un endroit accueillant, selon Williams, elle n’aurait probablement pas trop de mal à se faire accepter…

一 Capitaine ! Il y a une fille qui flotte !

Sortie de sa rêverie par l’exclamation, elle leva, au prix d’un effort considérable, la tête : un voilier avançait non loin d’elle…

一 Qu’est-ce qu’on fait, capitaine ?

|| Chapitre 3

Une fois repêchée et séchée, Isadora fut conduite devant le capitaine. Si tous les marins connaissaient le Nordique – la langue commune des marins car l’Empire du Nord était la plus grande puissance navale de Silisisma – ils avaient le fort accent des Ouestae… Or, elle était persuadée de se diriger vers le Sud ! Où était-elle donc ? 

Si elle se trouvait à l’ouest… Cela voudrait dire qu’elle n’avait pas bougé depuis plus d’un an… Pourtant, le second du gos Jo était doué en cartographie… Perdue dans ses pensées elle manqua la marche menant au pont supérieur et s’étale sur le sol. 

Grimaçant sous la douleur, elle saisit la main qui se tendait vers elle. 

一 Alors, l’accueillit joyeusement le capitaine, on joue à la sirène ?

La petite lui offrit un petit sourire las en guise de réponse.

Le capitaine était un homme immense qui dépassait de deux têtes les plus grands des matelots. Brun, il possédait un œil bleu et un œil noir… mais cela ne l’enlaidissait pas, au contraire. Il était pourvu d’une certaine aura charismatique qui poussa la noyée à lui faire confiance.

一 Nous avons coulé à la suite d’ une attaque de pirates… je me suis laissée porter par le courant. 

Le sourire chaleureux du capitaine était contagieux. Il l’emmena dans sa cabine richement décorée et lui demanda ce qu’une pauvre enfant comme elle faisait sur un navire.

一 Mon père était un grand marin, et je souhaitait devenir comme lui… Comme ils n’engagent que les garçons, je me suis déguisée… Avec le temps, mes cheveux ont repoussé et voilà…

Isadora aimait raconter cette histoire, elle aimait ce père qui n’existait pas, ce bon marin courageux et loyal. Elle aimait aussi la petite fille courageuse qu’elle devenait, la fille simple qui donnait tout pour ressembler à son père… Cela lui permettait d’oublier son véritable passé, celui de la petite fille qui était passée de l’amie du Prince au monstre, celle qui avait été abandonnée, celle qui avait failli mourir trop souvent, la petite fille brisée qui rêvait de vengeance tout en sachant que cela ne réparerait pas le passé… Oui, elle aimait cette double identité.

一 Je vois… Eh bien, je ne vais pas pouvoir te laisser te travestir de nouveau, puisque tout l’équipage t’as vue ainsi… Mais une fois que nous arriverons à destination, rien ne t’empêchera de reprendre la mer.

Isadora leva ses yeux pleins d’espoir vers le capitaine.

一 Où débarquez-vous ?

一 Dans le Pays du Sud.

Elle l’observa, surprise et dubitative.

一 Pourtant, Ouestae et Sudae sont ennemis depuis toujours, non ?

一 Certes, mais une alliance vient d’être conclue : notre présidente, Lillyah, va épouser leur roi, Shu. Aussi, nous l’escortons.

Avant que l’enfant puisse lui poser une seule question concernant l’illogique de cette alliance entre une démocratie et une monarchie et ses remarques politiques, il l’attrapa par les épaules et l’accompagna sur le pont.

Un fois l’équipage au grand complet, formant un cercle autour d’eux, il déclara :

一 Cette demoiselle aura besoin d’un cabine, je demande donc à tous ceux en possédant une de faire chambre commune avec d’autres afin de lui libérer une place et un chambre décente.Puis il se tourna vers elle :

一 Il y a une majorité d’hommes, ici, les femmes sont sur une frégate qui a un jour de retard par rapport à nous.

Puis il partit, la laissant seule.

La petite s’approcha de l’océan, observant dans l’eau claire les animaux marins. Dans la mer, l’eau était plus sombre, plus brune. Laide, triste. ici, cela grouillait de vie, de joie de vivre, aussi bien sous l’eau qu’à bord du navire : pas d’ivrogne ici, non, elle voyait des gens de bonne humeur, qui chantaient en travaillant, des amis de longue date qui travaillaient tout en s’amusant, des matelots rieurs, des mousses bien traités.

Elle s’approcha des canons, sa spécialité… Ils étaient propres et la poudre d’excellente qualité.Le sol était lavé et aucun coquillage ou algue n’ornait la coque.

Du coin de l’œil, elle repéra les trappes menant aux sous-sols.

Elle savait désormais que les plus beau navires pouvaient cacher des occupations bien plus sombres.

Doucement, silencieuse, elle souleva l’une d’entre elle. Odeur de poisson et de légumes vieillit. Il s’agissait des cuisines. Une voix rauque lui criant que ” C’est pas l’heure !” lui confirma l’hypothèse.

Un autre se révéla être la réserve d’eau douce, une troisième les dortoirs des mousses, un quatrième les reserves des armes.

La cinquième était forcément celle qui attesterait de l’honnêteté du capitaine… Ou du contraire.Il s’avéra que l’endroit était remplis de caisses. Elle s’approcha doucement et reconnu un bois de son pays : l’ébène.

Doucement, elle souleva le couvercle de l’une d’entre elle à l’aide de son canif… Parchemin. Puis une autre. Parchemin.

La totalité des trois-cent-treize caisses étaient remplies de parchemin.

一 Tu es bien curieuse…

Le capitaine l’avait visiblement observée dans tout son excursion…

一 Et bien soigneuse, aussi. Que cherchais-tu ?

一 Le navire dans lequel j’ai été engagée transportait des esclaves, bien que la plupart d’entre-nous l’ignoraient. Je suis devenue quelque peu méfiante.

一 Je vois ça ! pouffa le capitaine…

Elle était réellement stupéfaite par la bonhomie de ce capitaine.

一 A vrai dire, je souhaitais te demander ton prénom, puis je t’ai vue fouiner…

一 Oh… Isadora, répondit-elle simplement, ne cherchant pas à mentir sur ce point.

一 Enchanté, moi c’est Herbert, ou Cap, Cap’taine, Capitaine ou Chéri – mais ça, c’est réservé à mon épouse –

Éclatant franchement de rire, la petite se rendit alors compte qu’elle n’avait pas ri. Pas une seule fois. Même avec Will. Trois années sans rire. Elle n’avait même pas pensé que ce sont ressortirait un jour de sa gorge… Elle n’avait jamais pensé à ce son tout court, d’ailleurs.

C’était une sensation étrange, à onze ans, que de redécouvrir le rire.

Herbert, lui, était complètement ailleurs, il la regardait différemment.

一 C’est amusant, dit-il, lorsque tu souris, tu ressemble beaucoup à ma fille…

一 Votre fille ?

一 Oui… Elle s’est enfuie l’année de ses quinze ans avec un idiot de Nordae…

Un Nordae ? Idiot ?

一 Hé ! Nous ne sommes pas idiots ! 

一 Toi, peut-être pas, mais lui… Une cruche ! Vide et avec des trous !

|| Chapitre 4

Le ciel bleu et sans nuages remontait le moral de l’enfant au fil des secondes passées au soleil. Isadora avait mal aux pieds d’avoir dansé avec l’équipage. Le capitaine en personne lui avait demandé de dîner avec les officiers ! Elle savait bien qu’il lui fallait se préparer pour ce repas, tenter de retirer tout le sel de ses cheveux et de tenter de mettre autre chose que ces habits dans lesquels elle venait de se dépenser… Mais elle voulait profiter de ces derniers instants de liberté.

Au loin, elle voyait le soleil se coucher sur l’océan… Combien de temps était-elle restée à contempler le ciel, sans penser ? Elle l’ignorait, et ne voulait pas le savoir, car, pour la première fois depuis trois ans, elle espérait pouvoir accomplir la mission qui lui avait été confiée. Elle se dirigea vers sa cabine, attacha ses cheveux et se changea, n’ayant aucun vêtement féminin, elle se contenta d’habits de mousse propre et repassés.

La cabine du capitaine était pleine, il fallait avouer qu’elle n’était pas très grande, car le capitaine touchait le plafond de la pointe de ses cheveux. Il y avait trois sous-officiers, quatre officiers et le second… Ainsi qu’une autre personne. Un enfant. Plus âgé qu’elle… Pas vraiment très grand, le visage carré, les cheveux noirs et plutôt gras…

一 Brutus. souffla-t-elle.

Il y avait tant de haine dans ce simple mot que toutes les têtes se tournèrent vers elle.

一 Et toi, tu es… ? répliqua l’autre, plein de dédain.

Le sang de la brunette ne fit qu’un tour. Comment osait-il ?

一 Isadora, ça ne te dis rien ?

Les adultes observaient en silence l’affrontement. N’osant intervenir, sachant pertinemment quel était le titre de l’enfant.

L’adolescent pâlit. Légèrement, maîtrisant ses émotions. Mais elle, elle le vit.

一 Tu me croyais morte, peut-être ? ricana la brune, cynique.

一 Non, bien sûr…

一 Brutus !

Le silence s’était fait. Isadora, le regard noir, les mains sur les hanches, prête à sortir sa dague, attendait que son ancien meilleur ami s’explique…

一 Nous étions des enfants, tu ne vas m’en vouloir pour quelque chose qui date de… dix ans ?

一 Trois.

一 Si tu veux.

一 Ah, mais je ne voulais pas ! C’est toi qui t’es amusé à raconter n’importe quoi ! Tu sais ce qu’ils mon fait, tes merveilleux petits sujets ? Ils m’ont lapidée, pourchassée, jusqu’à épuisement… Tout ça parce que tu as vu quelque chose que tu ne comprenais pas.

一 Tu n’es pas normale !

一 Personne ne l’est.

一 Et-

一 Et certainement pas toi, alors tu vas te taire, t’asseoir, ranger ton épée, je sais que tu l’as dégainé, et m’écouter bien attentivement.

Le prince obéit, surpris. Il ne l’avait jamais vue ainsi. Et il devait admettre que l’autorité lui allait très bien.

一 Nous étions les meilleurs amis du monde.

一 Nous étions des enfants…

一 Je t’ai dis de te taire !

Le voyant baisser la tête, elle eut un léger sourire. C’était trop facile.

一 Brutus… Un jour, tu seras amené, je ne l’espère pas, à devenir Empereur. Un bon Empereur ne doit pas juger les personnes qu’il voit à partir de stupides préjugés.

一 Je-

一 Ais-je été assez claire ?

一 Oui, bien sûr, ce qui ne veut pas dire que je vais t’obéir au doigt et à l’œil, je ne suis pas un chien. Tu remarqueras aussi, que mon père est déjà mort, et que je suis donc déjà Empereur, je me rends au mariage de ma cousine… Sache que je suis très aimé de mes sujets et pas aussi idiot que j’en ai l’air.

一 Ah oui ?

一 Parfaitement.

一 Dis moi, Brutus, toi qui est si parfait, sais-tu ce que vivent ceux qui sont traqués ? Ou ceux que l’on condamne parce qu’ils aiment ? Ou encore, les petites filles qui aident leurs amis ?

一 Tu es fatigante.

一 Je suis réaliste. Je l’ai vu, moi, le monde extérieur. Et je sais que L’Empire est loin d’être à tes pieds.

一 Qu’est-ce que tu insinue ? On traque ceux qui le méritent ! Tu m’as pas aidé, tu as tenté de me tuer ! Et on n’a jamais condamné quelqu’un parce qu’il aime ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Tu es devenue complètement folle !

Les hommes autour d’eux suivaient l’échange sans réellement comprendre.

一 Et les relations entre personne du même sexe ?

一 C’est illogique ! L’Homme est fait pour se reproduire !

一 Il est fait pour aimer. Tu ne peux pas contraindre la nature de quelqu’un.

Il la regarda un instant.

一 Tu en sais quelque chose, toi, n’est-ce pas, sur la nature des personnes. Démon !

一 Je n’ai jamais tenté de te tuer ! Jamais ! Tu le sais ! Je t’aurais servie jusqu’à la mort ! Tu le sais !

 Son regard glissa sur le sol.

一 Oui, je le sais…

Elle s’approcha de lui. Doucement.

Elle ne s’en rendait compte que maintenant, mais son cœur battait douloureusement vite dans sa poitrine.

一 Brutus… C’est ta dernière chance. Change les lois. Rends les Nordistae heureux.

一 Et sinon ?

一 Je te tuerais.

一 Tu vois que tu veux ma mort ! souffla-t-il avec un sourire moqueur qui laissa Isadora de marbre, à son grand désespoir.

一 Seulement depuis que tu veux la mienne.

Son regard sur elle avait changé, il était à la fois méfiant et admiratif.

Leurs regards s’étaient accrochés. Des informations fuientaient de ses yeux, l’adolescent le savait. Il savait aussi qu’Isadora était parfaitement capable de les interpréter… 

Et Isadora comprenait. Elle comprenait très bien ce qu’il se passait dans la tête de son ancien ami. Et elle avait presque pitié de ce grand gamin qui disait tout le contraire de sa pensée. Il avait été tellement formaté qu’il s’était oublié.

Le silence quelque peu lourd qui pesait dans la petite pièce fut interrompu par un éclat de rire venant du prince.

一 Comme l’as-tu su ?

Comme lorsqu’ils étaient enfants, elle avait directement compris de quoi il parlait.

一 Je l’ai toujours su.

Le repas fut servi, et, malgré la tension encore évidente de la part d’Isadora envers son ancien ami, aucun événement notable apparut… Du moins, avant le dessert…

一 Dites moi, mademoiselle, qu’avez-vous donc bien pu faire pour mériter un tel châtiment de la part de l’Empereur ?

Les deux concernés se regardèrent un instant et optèrent immédiatement pour leur tactique favorite : le mensonge.

一 Nous jouions dans les bois et elle me poursuivait. Je suis tombé dans un trou, qui était un piège de chasseur. L’intérieur était tapissé de pièges à fermoirs à dents… Un véritable piège meurtrier. Comme son père pratique occasionnellement la chasse, je les ai soupçonnés. C’est tout.

La brunette acquiesça doucement. Puis, les deux enfants se remirent à manger tranquillement, sans répondre aux autres questions. Il valait mieux enfouir le passé.

|| Chapitre 5

Il faisait nuit. Les étoiles se reflétaient sur l’eau claire, offrant à la jeune fille un spectacle fabuleux. Avant, elle n’avait jamais pu contempler ainsi les lumières la nuit. Elle n’avait jamais pu écouter le clapotis de l’eau, constellée de petits points blancs. Elle n’avait jamais pris le temps de compter les poissons revenant à la surface.

一 Tu as beaucoup changé.

Elle ricana en entendant autant de douceur dans la voix de Brutus.

一 Toi aussi. Ils ne se regardaient pas. Il y avait trop de douleur dans leur passé. De regrets aussi.

一 Je suis désolé.

一 C’est trop facile. Tu détruirais le monde, ce sera toujours “désolé” !

Il eut un petit rire.

一 C’est vrai. Mais j’ai changé. Toi-même, tu l’as admis.

一 Brutus, tu as changé, certes, mais tu n’admettras jamais tes erreurs.

Le nouvel Empereur soupira.

一 Et si tu m’expliquait plutôt qui tu es réellement ? Ou plutôt “quoi”…

Le silence accueillit sa demande.

Un silence qui s’éternisait.

Elle ne voulait pas répondre. Il n’avait pas le droit de savoir. Il y avait trop d’enjeux… Et trop d’antécédents. 

Elle ferma les yeux. Derrière ses paupières dansaient les souvenirs d’Eilinie l’écrasant de son pouvoir, du gros Jo l’enfermant avec les futur sacrifices…

Les Dieux ont raison, pensa-t-elle, je ne peux faire confiance à personne. Personne.

一 Je comprends. je ne suis pas digne de ta confiance.

一 Non.

C’était une réponse sèche, claire et concise. Il avait bien saisi son inflexibilité.

Cherchant ses mots, elle murmura :

一 C’est compliqué… Mais sache que je ne suis pas mauvaise.

一 Donc tu n’est pas envoyée par les Dieux Maléfiques ?

La brunette se retourna brusquement, appliquant sa dague contre la gorge de celui avec qui elle avait joué, enfant, trois ans plus tôt.

一 Comment sais-tu qu’ils ont pris le pouvoir ?

Aussitôt, elle regretta sa phrase. Elle venait d’admettre qu’elle connaissait leur existence. Elle se gifla mentalement. 

一 Je suis empereur. J’ai, entre autres, le pouvoir d’avoir accès à tous les documents de l’Empire. Et leur existence m’a été révélée.

一 J’en ai assez vu pour ne pas te croire… Que disent ces documents ?

Son ancien ami prit une grande inspiration et commença son récit…

一 Mon père est mort assassiné. Le soir même, j’étais couronné Empereur. Le ciel était gris et triste. Il pleuvait. Il m’a fallu constituer mon gouvernement dès le lendemain. Je t’ai dit que je suis désolé, c’est la vérité. J’ai nommé ton père ministre des affaires étrangères, car il connaît bien les us et coutumes des autres pays… Le troisième soir, le Grand Chambellan est venu me voir pour me dire qu’il était temps pour moi de prendre connaissance des grandes traces érudites de mon territoire. Ce que j’ai fait. J’ai passé de nombreuses nuits à déchiffrer tous ces documents… L’un d’eux, très ancien, relatait une légende selon laquelle nos Dieux auraient perdu un combat contre d’autres, dits “Maléfiques” car ils auraient des adages différents : la mort, la discorde, les crimes, les Plaines de Souffrance… Et ces entités auraient pris le contrôle. A cet instant, je me suis dit que tu étais l’une d’entre elles… Alors j’ai rassemblé un grand nombre de parchemin, de légendes, et je suis en train de démêler le vrai du faux, et je suis désormais persuadé qu’il y a quelque chose d’anormal. C’est comme si le passé et le futur se confondaient. Certains récits sont au passé, d’autres au présent et d’autres au futur… Certains même sont au conditionnel, comme si on tentait de prédire ce qui va se passer… Et cela se passe ! J’ai vérifié ! Dans tous les livres d’histoire ! Il y a des choses qui concordent et d’autres non… Et pourtant… C’est comme si nos historiens tentaient de masquer leurs connaissances ou leurs manques de connaissance, je ne sais pas… Je crois que nous sommes en train de changer. Tous.

Les révélations de Brutus ébranlèrent bien plus Isadora qu’elle ne le montra. A vrai dire, elle se contenta de hausser un sourcil.

一 Il faudra me montrer tout ça.

一 Avec plaisir, mais…

一 Mais ?

Une lueur fourbe dansa dans les yeux de Brutus. La brune sourit. Cette lueur, elle la connaissait : il avait une idée qui n’allait pas lui plaire.

一 Je voudrais bien quelque chose en échange.

一 Je t’écoute.

Il se pencha vers elle, tel un conspirateur.

一 Vois-tu, si pour l’instant nous n’avons que onze et quatorze ans, il va falloir que je me marrie…

一 Et tu veux que ce soit moi ?

一 Oui.

La jeune Élue se mit alors à hurler de rire, écroulée contre la rambarde, à moitié sur le point de tomber par-dessus bord, elle peinait à reprendre son souffle, tant elle avait mal aux côtes.

一 Moi… Et… Toi… Mariés…

 Elle tenta de se ressaisir péniblement avant d’essuyer quelques larmes de rire.

一 J’accepte… Mais c’est bien parce que je n’ai pas le choix !

Evidemment, elle pensait déjà à l’instant où elle prendrait le pouvoir.

Brutus, lui, la regardait étrangement.

一 Je ne m’attendais pas à ce que tu acceptes si vite…

一 J’ai besoin de ces informations.

Elle se retourna et continua à contempler les étoiles. Elles étaient si belles… Est-ce que Nuit les regardait aussi ?

 一 Isadora…

一 Oui ?

一 Quelque chose m’intrigue.

一 Vraiment ?

Elle se moquait ouvertement de lui. Après tout, il ne savait pas encore ce qui l’attendait.

一 Je suis certain que tu souhaites me détruire. Tu as toujours eu un esprit de vengeance très… affûté. Pourtant, tu agis comme si nous étions les meilleurs amis du monde.

一 Je ne peux pas oublier ce que j’ai vécu par ta faute. J’ai mes propres ambitions et une mission d’ordre secrète. Si j’ai bien l’intention de prendre ma revanche, je le ferai plus tard. Utilise ce temps comme une seconde chance… Tu risques d’en avoir besoin.

L’Empereur hocha la tête avant de lui souhaiter bonne nuit. La jeune fille, elle, resta là, à regarder les étoiles. Nuit lui avait offert un moyen incroyable pour s’échapper… Comment avait-elle su ce qui allait se passer ? Avait-elle participé à la conception du navire adverse ? Comment avait-elle survécu ? Était-ce elle qui avait laissé des traces écrites pour le futur ?

Mais surtout, une question à laquelle elle n’avait jamais encore accordé d’importance jusque là : Pourquoi elle ?

|| Chapitre 6

Le temps passait lentement sur le bateau, entre dîners chez le capitaine ou les officiers et soirées à la belle étoile avec Brutus.

Après tout, ils étaient désormais fiancés.

Fiancés ! Cette idée la faisait bien rire, car son ancien ami ne faisait pas beaucoup d’efforts pour masquer son mauvais caractère.

La nuit, elle dormait très peu. La jeune fille avait emprunté des cartes à Herbert. Du matin au soir, du soir au matin, de jour comme de nuit, elle lisait et apprenait chacune des cartes…

Et aucune ne mentionnait les îles Perdues.

Remarquons une certaine logique, avait-elle pensé, ces îles sont justement perdues. Si je les avais trouvées aussi facilement, je me serais inquiétée…

Les îles Perdues. C’était son obsession depuis qu’elle avait appris leur existence.

De nombreux mythes circulaient dessus dans son ancien navire. Certains y voyaient des îles d’or, d’argent et de diamant, d’autres la résidence des Dieux… Certains imaginaient un lieu de transition entre la vie et la mort, les uns disaient que c’était la fin du monde et les autres un endroit où l’on pouvait obtenir la vie éternelle. Tous s’accordaient à dire que cet endroit était introuvable… Et beaucoup le cherchaient.

Isadora, elle, était persuadée que les Dieux Maléfiques s’y cachaient… Qu’ils les attendaient, et qu’il y dirigeaient la vie des hommes à leur guise. Comme des petites marionnettes.

Elle savait déjà que dès qu’elle aurait retrouvé tous ses homologues, elle et eux, iraient chercher cet endroit. Il existait forcément, puisque tous avaient connaissance de son existence… sans vraiment pouvoir la prouver.

Les cartes mentionnaient tout ce que la jeune fille connaissait déjà, de part ses leçons avec Wyll et par celles de Brutus et de son précepteur qu’elle avait espionné bien plus tôt.

Cela la surprenait toujours, l’idée d’être fiancée à Brutus… Elle savait déjà que ce dernier serait incapable d’être un bon mari. Elle savait aussi qu’il cherchait à se débarrasser d’elle d’une manière ou d’une autre… après s’être fait pardonné.

Cet esprit d’analyse, elle l’avait rencontré au palais. Là-bas, elle avait vite compris que si on ne complotait pas ou si on ne courbait pas l’échine, on était exécutés. Alors elle avait commencé à surveiller tout le monde…

Cette presque paranoïa l’avait rendue très susceptible et atrocement intelligente pour le pauvre prince qui peinait à additionner deux et deux… Aussi, elle faisait bien souvent ses devoirs. Elle le faisait car elle aimait l’idée que son ami soit dépendant d’elle. Isadora avait toujours aimé le pouvoir.

Mais là, dans ce bateau, au milieu de l’Océan Bleu, elle avait peur. Peur de ne pas réussir. Peur de devenir mauvaise. Maléfique.

Alors elle bridait son caractère. elle le modelait… Sans vraiment arriver au résultat escompté.Souvent, son tempérament de meneuse prenait le dessus… Et elle et Brutus se mettaient à se crier dessus.

Mais comme il disait, “au bout de trois ans, il ne fallait pas s’attendre à moins” et, pour une fois, elle était bien d’accord.

Mais ce qui impressionnait le plus dans ces nouvelles relations, ce n’était pas les disputes avec l’Empereur, non.

C’était Herbert.

Il était d’une gentillesse et d’une prévenance rare.

Il avait fait décorer sa cabine et teintures rouges et bleues, et avait demandé au couturier de lui coudre des robes dans certaines étoffes, qui étaient censées être pour les dames du Pays de l’Ouest…

Herbert semblait tout faire pour qu’elle se sente bien, en confiance.

Isadora lui en était reconnaissante, car elle n’avait pas été choyée depuis bien trop longtemps. Elle le soupçonnait de faire cela à cause de sa grande ressemblance avec le fille du capitaine, mais ne lui en tenait pas rigueur. Qui aurait pu ?

Parfois, le voilier tanguait, la nuit. A son habitude, elle restait éveillée, mais ne pas être en état d’alerte constant lui offrit quelques surprises… Il est parfois désagréable de tomber de son lit aux alentours de trois heures du matin.

C’était d’ailleurs une autre chose que l’enfant avait découvert : le décalage horaire… En effet, un regard plus affûté avec le temps lui avait permis de constater que son précédent voyage… n’avait été que de tourner en rond dans la Mer Brune, alors qu’ici, ils avançaient.

Ils avançaient très vite. Si vite qu’ils réussirent à semer quelques pirates et les autres frégates les accompagnant. Mais cela ne dérangeait point le capitaine qui continuait sa route.

Mais ce soir là, il avait fait un temps venteux toute la journée et la nuit, alors que seuls deux matelots se relayaient, un grand bruit fit sortir tous les passagers sur le pont : le mât venait de se briser sous les assauts des vents contraires.

Le bateau tanguait. Des vagues hautes comme des montagnes s’élevaient et se rapprochaient. Isadora, elle, n’avait pas réfléchi.

Courant de chaque côté du navire, elle donnait des ordres, comme si aucune autorité n’était présente.

Elle hurlait contre la tempête, raccrochant elle-même les voiles déchirées.

Quelques minutes plus tard, malgré toutes ses précautions et son œil enfoncé dans la longue-vue, ils heurtaient un rocher…

La panique s’emparait du navire : ils allaient tous mourir !

Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, Isadora regardait ce qu’avait heurté le navire. Ce n’était pas un rocher.

一 C’est une baleine !

La grande dame des cétacés nageait dans les eaux agitées comme dans de la soie, le navire ne lui posant aucun souci apparent…

La jeune fille était au bord du désespoir : accroché à l’animal géant, le bateau suivait chacun de ses mouvements et des voies d’eau s’ouvraient dans les cales.

一 Nuit ! Nuit ! Aidez-moi ! Je vous en supplie !

Mais aucune réponse ne lui parvint, si ce n’est un début d’orage peu rassurant. Impuissants, l’équipage entier tentait d’endiguer la catastrophe, de limiter les dégâts… mais, déjà, la coque se scindait en deux…

一 Nuit !

Les cris d’Isadora déchiraient le ciel d’encre. Elle était désespérée face au chaos et aux ténèbres qui l’entouraient. Désespérée, elle se jeta dans l’océan, comme s’il allait lui apporter le moindre réconfort.

|| Chapitre 7

Sous l’eau, elle n’entendait plus rien. Elle se sentait toute cotonneuse, comme ce jour où elle avait bu le rhum de Will… déconnectée de la réalité.

Doucement, elle ouvrit les yeux. Isadora n’aimait pas ouvrir les yeux ainsi, sous l’eau, car le sel lui piquait, ou plutôt, lui brûlait les yeux. Mais les mouvements étranges autour d’elle l’y obligeaient.

Devant elle se trouvait un œil immense, violet, pailleté d’or. A l’intérieur se reflétaient toutes les Sagesses du Monde… Ainsi qu’une forme de tristesse nostalgique qui résonna dans le cœur de l’enfant : elle possédait ce même regard, parfois.

La Reine des Cétacés leva doucement le regard vers le bateau accroché à son dos. Isadora se laissa remonter jusqu’à être au niveau des planches, sous la coque : le bois était encastré dans la chair de la pauvre bête.

Poussant de toutes ses forces, elle tenta de retirer les planches… sans succès. La poussée aquatique alliée au poids considérable du navire et à celui de la baleine rendaient les choses horriblement impossibles à l’enfant. Sans force et n’ayant plus une once d’air dans ses poumons, elle remonta à la surface.

 A l’air libre, l’eau était des plus agitées et le froid mordant. Un instant, la petite se demanda s’il allait neiger ici, en pleine mer.

一 Venez m’aider ! hurla-t-elle, attirant ainsi l’attention des occupants du bateau vers elle.

Un silence glacial lui répondit. Le vent couvrait sa voix. 

Claquant des dents, elle hurla : 

一 Aidez-moi ! 

Cette fois, presque tous répondirent à son appel, lui tendant une échelle de cordes. Un fois à bord, avec force de gestes et de cris, elle convainquit nombreux d’entre eux de la suivre dans les profondeurs aquatiques.

Un à un, ils plongèrent dans l’océan. La coque était béante, les réparations seraient lourdes et longues à mettre en œuvre, une fois l’animal et le bateau dégagés l’un de l’autre.

Remontant régulièrement à la surface, montant et descendant des outils, la petite équipe rapidement constituée des meilleurs nageurs et bricoleurs, tenta d’abord de dégager les planches de la bête…

Mais la tâche n’était pas aisée, car l’eau entravait leurs mouvements.

Parfois, ils enfonçaient, par inadvertance, un peu plus les planches dans la chair de l’animal. La pauvre bête bougeait alors, déplaçant de nouveau le navire et aggravant ses blessures.

Les heures s’égrenaient, entre outils tombant dans les abysses, manque d’air, vagues monumentales, baleine effrayée et blessures involontaires…

Si, au bout d’un très long moment, la baleine finit par être dégagée, le trou dans la coque restait béant et le bateau s’enfonçait doucement mais sûrement dans les profondeurs océaniques.

L’équipage se relaya alors pour prolonger et réparer l’énorme trou dans la coque. Isadora, elle, avait reçu ordre d’Herbert de rester à bord et de ne pas replonger sauf en cas d’extrême urgence.

Or, pour la petite, c’était un cas d’extrême urgence. Obligée d’observer du pont les allées et venues des “bricoleurs volontaires”, elle restait penchée en avant, prête à plonger à la moindre alerte.

La surprotection du capitaine l’exaspérait, même si cela la touchait au plus profond d’elle, la seule chose qui lui faisait envie à cet instant, c’était de retirer la couverture qui lui couvrait les épaules et de rejoindre l’équipe de réparation.

Isadora voyait le ciel noir de geai et l’eau, si bleue quelques heures plutôt, agitée et noire comme l’encre. Plus personne ne savait s’il faisait jour ou nuit, le ciel ne livrant aucun indice quant au temps qui s’était écoulé. Les lanternes étaient allumées et les marins tentaient de percer les profondeurs marines insondables devant eux.

A la surface flottaient planches et clous, une main ou plusieurs mains apparaissant parfois, dans le but de récupérer un élément, les rassurant : il étaient en vie.

Enveloppée de sa couverture, Isadora, penchée en avant, comme sur le point de passer par-dessus bord, guettait chacun de ces signes de vie, s’attendant à chaque instant à voir un corps remonter à la surface et flotter, inerte… Livide, elle attendait la fin des réparations, terrorisée à l’idée d’avoir peut-être mené des hommes à la mort.

Souvent, ils remontaient respirer, parfois, certains revenaient à bord, épuisés et se reposaient tandis qu’un autre prenait sa place. Et cela durait, étrange ballet d’eau et d’homme… Dans le noir.

Isadora n’avait qu’une seule et unique envie : les rejoindre.

Alors, sous les protestations de tous, elle replongea dans l’eau glacée de l’Océan Bleu, devenu noir.

Cette fois, même à de nombreux mètres sous l’eau, les mouvements des vagues étaient bien perceptibles.

Devant elle se trouvaient les marins qui s’activaient. La brunette nagea comme elle pu à contre-courant pour les rejoindre.

Dès qu’ils l’aperçurent, tous lui firent signe de remonter à la surface. Ce qu’elle ne fit bien évidemment pas, obnubilée par l’ouverture.

Elle savait comment, à la surface, ils sentaient le navire couler.

Isadora prit donc marteau et clous de la main de son voisin et tenta maladroitement de replacer les planches et d’obstruer la cavité. Elle voyait, du coin de l’œil, les regards effarés des autres alors qu’elle mettait tout son cœur à l’ouvrage.

Isadora se refusait de se faire à l’idée qu’elle allait vivre un second naufrage seulement à cause d’un cétacé… Si seulement il s’était agi que d’une simple tempête !

Ses gestes étaient lents et sa force diminuée par les mouvements de l’eau et, malgré le poids divisé des outils, les abysses l’entraînaient vers le fond, l’empêchant d’enfoncer son clou là où elle le voulait.

Isadora dénigrait complètement la possibilité qu’elle puisse échouer ou se fourvoyer. Ils n’étaient qu’une dizaine, certains étaient remontés à la surface afin de se reposer un peu… Il fallait attendre la relève et ne pas perdre espoir, tout en gardant un rythme soutenu afin de finir ce cauchemar aquatique le plus vite possible.

Elle cherchait à finir vite et bien alors que ses coéquipiers tentaient, eux, de faire une réparation parfaite, solide et nette. Plus le temps passait, plus la tempête se calmait… Bientôt, ils purent finir les réparations dans un océan d’huile, de nouveau turquoise. Épuisés mais soulagés de la fin de ce qui aurait pu être la fin de tout.

|| Chapitre 8

Le soleil était revenu.

La bonne humeur aussi.

Bien sûr, il fallait réparer les voiles, reconstruire le mât et soigner les blessures, mais le moral était de retour.

Aucun d’entre eux n’avait jamais vu ou tenté une telle opération de réparation.

Sur le navire, tous louaient Isadora qui leur avait évité la noyade.

La brunette, elle, était coincée dans la cabine du capitaine :

一 Tu es complètement irresponsable ! tonna Herbert.

一 J’ai sauvé le navire ! répliqua effrontément la jeune fille.

一 Et risqué inutilement ta vie ! fit une voix mécontente derrière elle.

La brunette et le capitaine se tournèrent vers l’intervenant.

一 Brutus.

一 Majesté, salua le capitaine.

Les bras croisés, le regard noir et froid, l’adolescent fixait méchamment sa “fiancée”.

一 Inutilement ? répéta celle-ci.

一 Parfaitement. On a besoin de toi pour autre chose, je me trompe ? Ou alors, ta mission consiste à mourir le plus vite et le plus stupidement possible, ce dont je doute fortement ? Tu as agi comme une gamine écervelée. Tu veux jouer les héroïnes, mais tu frôle la Mort et entraîne les autres avec toi !

Mort… Ce mot était interdit. Mort était un mot maudit. Interdit. Tabou. L’évoquer était la dernière chose que l’on faisait dans sa vie…

一 Ne dites pas cela, Sire, la petite s’est plutôt bien déb- tenta Herbert.

一 Eh bien sans la gamine écervelée, tu serais au fond de l’Océan, riposta au même instant la brunette. Tu n’as pas à me dicter ce que je dois faire ou ne pas faire ! J’ai fait ce qu’il me semblait juste. J’ai agi en conséquence ! J’ai suivi mon instinct !

J’ai protégé mes futurs sujets…

一 Tu ne comprends pas ! essaya le Capitaine. 

Mais il était devenu invisible aux yeux des deux adolescents en colère.

一 Une Impératrice n’agit pas ainsi… N’est-ce pas ? persifla Brutus.

Le capitaine eut un instant de blocage puis…

一 Une QUOI ?

一 Impératrice, Herbert, Impératrice. Car elle le sera un jour, à mes côtés.

 La jeune Élue étudia un instant les différentes émotions qui traversaient le visage du capitaine : surprise, incompréhension, douleur, colère…

一 Pardon ?

一 Vous avez très bien compris.

Isadora soupira intérieurement : Et voilà, il a repris son ton suffisant et hypocrite… Nuage de Cendre, qu’est-ce qu’il m’agace !

一 Ce n’est qu’une enfant ! protesta le capitaine, toujours sous le choc.

一 Peut-on dire d’une personne ayant été ma meilleure amie, ayant survécu à la lapidation, ayant été rejetée par un pays entier, ayant traversé seule ce même pays que se trouve être un empire immense, ayant vécu sur un navire douteux, ayant survécu à une attaque pirate, ayant tenté dégager une baleine d’un bateau puis aidé à réparer ce dernier qu’elle est une enfant ? répliqua calmement Brutus.

一 Mais, vous-même n’avez seulement quatorze ans !

一 Il marque un point, ricana Isadora.

Si elle avait apprécié le petit discours de son ancien ami, bien qu’il soit un peu trop… forcé. Elle savait bien que Brutus l’avait insultée de gamine seulement quelques secondes plus tôt. Alors les arguments du capitaine étaient les bienvenus.

Pendant que les deux hommes défendaient chacun leur idée, Isadora s’assit au bureau du capitaine et prit quelques cartes au hasard.

L’une d’entre elles n’était pas maritime, bien au contraire… Il s’agissait d’une carte des souterrains de la Capitale du Pays de l’Ouest, Junkin.

Très vite, elle s’enferma dans une bulle où, ni les disputes entre deux idiots et un mousse adorable mais en sang ne pouvait déloger, tant elle était occupée à l’étudier.

Un mousse adorable mais en sa-

一 Mais qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? hurla presque la seule femme du bateau.

一 Je suis tombé de la vigie, renifla l’enfant, qui ne devait pas avoir plus de huit ans.

Immédiatement, Isadora le prit dans ses bras et l’emmena à l’infirmerie… Laquelle était pleine des blessés de la nuit précédente.

Alors elle le transporta dans sa cabine où elles sortit toutes ses affaires de soin.

L’enfant pleurait beaucoup, la main agrippée à son poignet en se balançant d’avant en arrière. Il se l’était certainement cassé en tombant…

Maternellement, pleine de douceur et de compassion, la jeune fille appliqua compresses et baumes contre la peau rouge du petit mousse.

一 Comment t’appelles-tu ?

一 Lao.

一 Tu est Ouestae ?

一 Ma mère l’est…

Tout en massant doucement le poignet de son patient, elle l’écoutait raconter son histoire.

一 Ma maman a quitté mon papa. Elle a dit un gros gros mot sur mon papa. Moi, je crois que c’est elle qui devrait recevoir des gros mots comme ça. Mon papa, il est un peu bizarre, parce qu’il a pas de copine, il a que des copains… Mais moi je m’en moque parce qu’il est gentil, pas comme maman. Parce que maman, elle boit beaucoup d’un truc bizarre et après elle est très méchante avec moi…

Isadora était fascinée par le langage enfantin du petit mousse. Elle n’avait aucun souvenir de cette période bien trop vite abrégée… Elle n’avait, d’ailleurs, pas la sensation d’avoir un jour parlé ainsi.

一 Ton papa est ici ?

Le petit blessé acquiesça timidement.

一 Qui est-ce ?

一 C’est le cuisinier.

La jeune fille lui fit alors signe de ne pas bouger et se dirigea vers la “cuisine”.

Elle n’y descendait que rarement à cause de l’odeur de la nourriture qui la répugnait. C’était une petite pièce aménagée de manière à servir à la fois de cuisine et de réserve.

一 Maître Koq ?

一 C’est pas l’heure ! fit la voix bourrue du chef cuistot.

Maître Koq était connu pour ses manières un peu rudes qui cachaient un cœur d’or.

– Vous êtes bien le père de Lao ?

Un bruit de pas précipité suivit du visage rouge et inquiet du cuisinier confirma les dire de l’enfant.

一 Que lui est-il arrivé ? Il est si maladroit !

一 Il est tombé de la vigie.

L’homme se précipita à l’extérieur.

Rapidement, il récupéra le pauvre gamin et remercia la jeune fille.

一Dis-moi, tu voudrais quelque chose ?

一 Pour ?

一 Te remercier ! Tout le monde se moque du fait que mon fils n’a que huit ans…

Ravalant une remarque sur sa propre enfance, Isadora sourit légèrement.

一 Vous qui connaissez les propriétés des aliments… Si vous pouviez en faire baver à Brutus… Rien de bien méchant, mais ça me ferait extrêmement plaisir !

|| Chapitre 9

Le lendemain matin, on pouvait voir l’Empereur penché au-dessus de l’océan, le teint verdâtre, les mains posées au niveau de l’estomac, pliée en deux…

一 Sire ?

Brutus ne répondit pas au capitaine, trop occupé à vider ses entrailles. Pour la troisième fois. Assise sur le sol, le nez dans ses cartes, Isadora faisait mine de les apprendre même si, avec un bonheur jubilatoire, elle observait avec un plaisir non dissimulé l’œuvre de maître Koq.

La jeune fille n’avait pas choisi cette vengeance par hasard… Elle voulait simplement éloigner Brutus d’elle. Depuis leur première discussion nocturne, ce dernier venait la voir tous les soirs pour essayer de lui tirer les vers du nez et savoir en quoi consistait sa mission.

Brutus malade, Isadora pouvait apprendre ses cartes tranquillement, sans ses habituelles interventions ayant pour but de “lui donner une attitude noble et de faire d’elle une bonne future impératrice.

Elle passait son temps à recopier cartes, rapports de voyage, plans et autres documents. Elle voulait en savoir le plus possible sur le pays de L’Ouest.

Elle savait que ce n’était pas en restant sur un bateau qu’elle allait trouver les autres Élus… Et le Pays de l’Ouest serait le premier à subir son inspection… Plus elle en saurait sur les Ouestae, plus elle trouvera facilement ceux ou celui qui y serait…

La tempête avait considérablement fait ralentir leur rythme et les autres navires de la flotte les avaient rejoints. Parfois, les capitaines discutaient entre eux à l’aide de porte-voix, dans ces moments là, tous les matelots de la flotte se mettaient à chanter ensemble, rejoins par Isadora qui adorait leurs chansons et ce moment amusant et convivial, bien que les paroles ne soient pas toujours très sages, elles abordaient des sujets réels et contaient la vraie vie… Et étaient bien souvent improvisées. Cela la fascinait.

En écoutant un échange entre deux officiers, elle apprit que le voyage toucherait sa fin d’ici le dernier jour de la semaine.

Rien de tel pour la pousser à voir plus loin dans ses recherches.

Dès qu’elle eut entendu la nouvelle, elle mena une campagne de recherche auprès de tous ceux ayant déjà mis le pied au Pays de l’Ouest : rumeurs, mœurs, habitudes, réputations, habitudes… tout y était passé.

Isadora notait chaque information dans un long rouleau de parchemin reliés qui comprenait ses remarques, son histoire, les cartes et plans recopiés et tout ce qu’elle savait depuis toujours. Elle possédait également un petit contrat de fiançailles signé en secret avec Brutus un nuit. Elle se préparait déjà à partir en douce à leur débarquement afin d’éviter le plus possible la moindre invitation de la part de Brutus de l’accompagner au mariage…

Encore quelque chose d’incompréhensible pour elle… Pourquoi une présidente irait-elle épouser un roi ? Pourquoi deux pays ennemis depuis la nuit des temps feraient-ils brusquement la paix ? Il y avait forcément quelque chose d’anormal dans cette histoire !

Isadora avait comprit en écoutant parler les hommes à table que les deux pays avaient besoin de cet accord car les futurs mariés s’aimaient et qu’ils voulaient simplement éviter un incident diplomatique s’il n’y avait aucune alliance.

La brunette doutait fortement que ce soit là la véritable raison…

Du pont, elle avait vu le visage de la présidente. La “cousine” de Brutus : une grande perche blonde et trop maquillée.

Une asperge.

Elle n’avait strictement rien en commun avec Brutus… En revanche, Will était blond… Le lien s’était rapidement fait : Butus et Lillyah complotaient contre Shu. Et Wyll, le fils de Lillyah et de Ballaman, le père de Brutus, devait les rejoindre…

Tout concordait… Et Brutus qui la surveillait étroitement. Il devait être aussi assoiffé de pouvoir qu’elle pour vouloir l’épouser.

La jeune fille leva les yeux vers le jeune homme qui vidait son estomac par-dessus bord. Dès qu’elle serait à terre elle préviendrait de roi. La suite viendrait plus tard. Son devoir était de garder en vie des dirigeants des pays qu’elle dirigerait… et de les garder sous sa coupe.

Désormais, plus aucune seconde chance pour son “fiancé” elle était en guerre… Il était hors de question que ce petit prétentieux lui vole le pouvoir qu’elle n’avait pas encore ! Épuisée par ses vomissements, elle s’approcha de lui et lui tendit sa gourde :

一 Bois, ça va passer.

Alors que l’adolescent amorçait un mouvement de négation, la petite l’attrapa par la nuque et le força à boire tout le contenu.

Le nouvel empereur déglutit difficilement avant de hocher la tête en guise de remerciement.

一 Bon, maintenant que tu as fini de recracher tes tripes, tu vas venir avec moi, il faut qu’on parle.

Elle n’attendit pas la réponse et le tira derrière elle par le poignet avant de le faire descendre jusqu’à la petite pièce qui contenant tous les parchemins.

一 Qu’est-ce que tu veux ?

Son ton dur et froid lui rappela que la douceur était parfois une bonne idée…

一 Brutus, commença-t-elle avec un léger sourire doux, j’ai réfléchi toute à l’heure et il m’est venu une pensée étrange…

一 Je t’écoute, grogna son interlocuteur.

一 Tu ne ressemble pas du tout à Lillyah… Et puis, elle est une présidente, comment pourrait-elle être ta cousine ?

一 Tu me fatigue !

一 Tu dis toujours ça lorsque je vois juste !

一 Isadora !

一 Brutus !

Face à face, l’œil noir noir, ils se regardaient dans le blanc des yeux, chacun déterminé.

一 Je ne te dirais rien.

一 Tu as donc des choses à cacher.

一 Mêle toi de tes affaires !

一 Si c’est là le rôle d’Impératrice, je préfère me pendre !

一 Est-ce que tu ne peux pas, cinq minutes, arrêter de réfléchir comme si tu étais mon premier ministre ? siffla l’Empereur entre ses dents.

La brune ricana.

一 Non.

一 Pourquoi ? râla ouvertement son “fiancé”.

一 Si j’avais ne serait-ce qu’une fois arrêté de réfléchir, je serais morte.

一 Et ça n’aurait pas été plus mal ! clama Brutus avant de remonter sur le pont en grognant comme un ours. Laissant là une Isadora estomaquée mais assurée que son intuition était la bonne.

|| Chapitre 10

Isadora ruminait.

Elle avait la preuve selon elle, qu’elle avait vu juste… Sans réelle preuve, justement ! Et Brutus qui, malgré ses espoirs, n’était, effectivement, qu’un imbécile sans cœur ni âme… Alors comme ça il aurait préféré la voir morte ? Il s’en mordra vite les doigts, elle s’en était fait le serment ! Du haut de la vigie où la petite était discrètement grimpée pour éviter les foudre du capitaine, elle guettait la moindre parcelle de terre en vue.

Le vent fouettait ses cheveux, l’air marin emplissait ses poumons… Elle adorait grimper en haut de la vigie. Elle avait le sentiment d’être libre.

一 Isadora, tu descends, immédiatement !

Repérée par le capitaine hyperprotecteur, le jeune fille lui sourit à pleine dents avant de lui tirer la langue et riant. Puis elle reprit son activité de recherche…

L’océan était d’huile, bleu et clair… Pas un nuage en vue. Le temps idéal pour trouver un port Ouestae.

Alors que son regard se perdait dans la contemplation des reflets du soleil dans l’eau, elle aperçut une longue forme sombre…

一 Terre en vue ! hurla-t-elle.

Nombreux furent ceux qui sautèrent de joie.

Acclamée par tous les navires, elle se retrouva bientôt face au capitaine papa-poule, comme elle le surnommait dorénavant.

一 Tu aurais pu tomber !

一 Comme si ça m’effrayait, rit-elle avant de lui flanquer un bisou sur la joue. Le silence se fit sur le bateau.

一 Que…

Elle riait encore, grisée.

一 Tu est vraiment fatigant à t’inquiéter comme ça !

Brutus, lui fronçait les sourcils…

一 Tu as bu ?

J’ai onze ans, idiot ! grogna-t-elle en son fort intérieur.

一 Non ! Je suis libre !

Isadora était ivre de bonheur, pour la première fois depuis trois ans, elle allait retrouver la terre ferme !

Elle attrapa la main de Brutus et commença à danser.

La joie qui transparaissait dans ses traits était irréelle.

La jeune fille était transportée.

Elle allait pouvoir marcher sur la terre. Revoir les arbres. Courir dans les ruisseaux. Jouer avec les autres enfants. Respirer un air sans sel. Rencontrer des personnes nouvelles. Trouver les autres Élus. Voyager. Prévenir le roi Shu. Détruire le Complot. Éloigner Brutus… Tant de rêves qu’elle allait pouvoir réaliser !

La terre n’était pas loin, d’ici de lendemain, ils seraient tous au port…

Les Ouestaes étaient un peuple connu pour son vin et ses fêtes, et cela la faisait rêver, elle qui avait vécu dans un pays fermé et triste.

Brutus tentait de s’échapper de son étreinte et de sa ronde endiablée. Les autres marins avaient suivi le mouvement… Plus l’Empereur se débattait, plus elle resserra l’emprise sur lui pour le forcer à danser.

一 Qu’est-ce qui te prend ?

一 Cela s’appelle être heureuse, Brutus, laisse moi en profiter.

Mais il continuait à se débattre.

Finalement, elle le relâcha, pour former une ronde avec les matelots. Durant des heures, elle dansa. Avec les marins, les matelots, les officiers et le capitaine. Elle dansa avec toute sa force, toute sa bonne humeur.

Pour une fois, rien qu’une fois, elle décida d’agir de manière enfantine. De mettre de côté la quête des Élus, le mariage avec Brutus, le complot et sa ressemblance avec le capitaine. Elle voulait avoir une vie insouciante durant ne serait-ce que quelques heures.

La sensation de légèreté qui accompagnait son attitude infantile la rendait euphorique. Elle avait l’impression de pouvoir tout faire, tout réussir…

Elle attrapa l’harmonica d’un mousse et commença à jouer. D’abord hésitante, puis, voyant qu’elle n’avait rien perdu de ce qu’elle avait appris lors de son premier voyage, elle commença à accompagner le fêtard en tapant la mesure du pied devant du Brutus médusé.

一 Mais… Qu’est-ce qui t’arrive ?

Elle cessa de jouer un instant pour lui répondre en criant :

一 T’es bouché ou quoi ? J’ai dit je je suis heureuse ! Laisse-moi profiter, bon sang ! Vas ronchonner ailleurs !

Elle le poussa sur le côté et continua à jouer, le sourire aux lèvres, savourant ce bonheur simple qu’était rendre les autres heureux. 

Elle avait sauvé le bateau, elle allait sauver un roi, elle allait sauver le monde…

Dans ce nouveau pays, elle serait, certes, étrangère, mais plus le monstre, la fille bizarre… Et elle pourrait facilement fuir avec toutes les cartes qu’elle avait apprises par cœur.

Par la première fois depuis très longtemps, elle ne se sentait pas fatiguée, au contraire : elle rayonnait de vitalité !

Les rayons de soleil tombaient sur sa peau hâlée avec le temps et son avenir semblait sans nuages… Rien de tel pour une bonne fête en plein milieu d’un Océan !

Elle ne pensait à rien, toute sa concentration étant tournée vers l’harmonica et les marins qui dansaient autour d’elle.

Du coin de l’œil, elle voyait le capitaine papa-poule se détendre et rire, tout en la surveillant plus ou moins discrètement…

Isadora avait réfléchi et pensait être la petite-fille du capitaine… Mais ça, elle le gardait pour elle, sa vie était déjà assez compliquée comme ça !

Surtout qu’une simple enfant de marin ne pourrait jamais accéder au pouvoir…

一 A quoi pense-tu ? lui demanda maître Koq.

一 Au bonheur de revenir enfin sur la terre ferme…

一 Tu n’as pas l’âme marine ?

Elle s’esclaffa :

一 Pas du tout ! Je suis terrienne, moi !

一 Pourtant, tu as l’air d’aimer la vie en mer…

一 Pas vraiment… Mais je m’y suis fait. je pensais être faite pour ça, mais je me suis trompée… Et puis, en mer, c’est un peu la routine ! Moi j’aime m’attendre à tout !

一 La routine ? En mer ? On a pas la même perception de la routine, alors !

Isadora éclata de rire.

Coupant court à la conversation, Isadora remonta dans la vigie. Elle avait décidé d’y passer les derniers jours, afin de ne rien manquer de leur rapprochement du Pays de l’Ouest…

En quelques heures, elle avait monté en haut du mât coussins et couvertures ainsi que quelques vêtements. Libre.

||| Chapitre 1

Plus les heures s’égrenaient, plus la terre se rapprochait, plus Isadora s’impatientait. L’euphorie était à son comble, chacun attendait le moment où le navire entrerait dans le port. Du haut de la vigie, elle observait tous les faits et gestes de chacun et toute la progression du bateau vers le port.

Le soleil se couchait, teintant l’eau d’or, alors que la flotte entrait au port sous les acclamations enthousiastes de la foule Ouesae.

L’Empereur et sa “cousine” furent accueillis chaleureusement et Isadora aperçut du haut de son mât, accompagné d’un immense cortège de gardes, musiciens, soldats, danseurs et courtisans, le roi Shu.

Shu était un homme petit. Très petit. Bedonnant et souriant. Il se dégageait de lui un charisme incroyable et une joie de vivre monumentale.

Le petit roi s’approcha alors de la présidente pour la saluer d’une gracieuse courbette… légèrement ironique et grandiloquente…. Et le regard froid.

Ce regard confirma les doutes d’Isadora : il n’y avait aucun amour entre ces deux-là, au contraire. La brunette descendit de la vigie pour se mêler à la foule le plus discrètement possible.

一 Isadora !

La jeune fille s’immobilisa pendant que la foule s’écartait pour laisser passer un Brutus hors de lui.

一 Mon cher oncle, dit-il au roi, voici ma fiancée, Isadora… Bien sûr, notre mariage attendra l’âge légal de cette… petite sauvage. Espérons qu’elle se sera assagie.

 一Je te déteste, grogna-t-elle à son oreille.

一 Je sais, répliqua-t-il, fière de lui.

S’il pensait ainsi la surveiller, il se trompait car quelques instants plus tard, elle discutait politique avec le souverain de l’Ouest. Ils étaient du même avis sur l’évolution de la société : la brutalité était de plus en plus présente.

L’homme et la jeune fille s’entendaient si bien que, délaissés, Lillyah et Brutus commencèrent à chuchoter dans leur coin de manière suspecte.

Les ayants repérés, Isadora souffla au roi :

一 Sire, je soupçonne Brutus et Lillyah de comploter contre vous, murmura-t-elle précipitamment.

一 Je m’en doutais…

Le cortège traversait les villes mais, contrairement aux Nordestae qui se déplaçaient à cheval, les Ouestae préféraient la marche.

Isadora se rappela alors des longues distance qu’elle avait traversée, enfant. Par la faute de Brutus… Ce dernier eût d’ailleurs la maladresse de se plaindre plus ou moins discrètement et le brunette lui répliqua vertement qu’il n’avait pas eu à subir un exil forcé précédé d’une lapidation, lui.

Le silence se fit lorsqu’ils entrèrent dans la cours du palais royal. La famille royale les regardait, le regard noir, l’air dégoûtés.

一 Ce n’est qu’une enfant ! lâcha une petite femme qui ressemblait beaucoup à Shu.

Tous se regardèrent, perplexes. Puis Lillyah s’avança :

一 C’est moi, la fiancée de Shu…

Isadora se tourna vers l’Empereur qui, voyant le coup venir, recula vivement, alors qu’Isadora ne masquait pas son déplaisir :

一 Et moi celle de… Brutus.

Tournant légèrement la tête, elle évalua la richesse du lieu.

Elle se souvenait légèrement du palais impérial, bien que la plupart de ces souvenirs soient affectés par ceux des bons moments passés avec le prince avant qu’il ne la repousse… La brunette se souvenait d’un immense bâtiment d’or blanc, d’or blanc, de marbre blanc, de calcaire blanc, de granite blanc et d’argent blanchit… Et de l’odeur forte de la peinture blanche qui régnait dans les couloirs.

Ici, les murs étaient de couleur pastel, dégradés de l’orange au bleu en une magnifique palette de couleurs. Les toits étaient bleus, se confondant avec le ciel… Tout semblait doux et cotonneux. Un tapis rouge pastel menait à la grande porte, jaune pastel. Tout avait un côté enfantin.

Dès qu’ils entrèrent dans la grand hall, elle découvrit un intérieur remplis de coussins, de tapis, de rideau… Un endroit chaleureux, doux et calme.

Isadora, pour la première fois depuis très longtemps se sentit chez elle. Elle souriait en parcourant la pièce du regard.

一 Prenez vos aises, sourit le souverain et se laissant tomber dans un canapé.Brutus s’assit à son tour, avec beaucoup plus de délicatesse te de grâce mais nettement moins d’enthousiasme. Lillyah, elle, choisit un fauteuil ayant un dossier le plus haut possible afin de supporter son dos.

Isadora, elle, continuait à parcourir la pièce, folle de joie : cet endroit était une sorte de paradis pour elle.

一 Je peux regarder votre bibliothèque ? supplia-t-elle son hôte.

一 Bien sûr !

La jeune fille se rua vers le meuble de bois gris clair et observa avec attentions tous les livres de géographie – sa nouvelle passion – tentant de retenir le plus de choses possibles tout en écoutant ce qui se racontait quelques mètres plus loin.

一 Il faut signer cette alliance au plus vite !

一 Oui, et seul votre mariage convaincra le peuple.

一 Je n’ai guère envie de vous laisser envahir les autres pays !

一 Ne vous inquiétez pas… Le votre ne risquerait rien… Et vous serez le premier à rejoindre notre alliance.

一 Plus j’y pense et plus je trouve cette idée ridicule !

一 Pourtant, vous n’avez pas le choix !

Le ton montait entre les trois dirigeants qui tentaient chacun de se faire entendre des deux autres.

一 Dites !

Toutes les têtes se tournèrent vers Isadora qui se dirigea en courant vers Brutus et le menaça de sa dague.

Les termes qu’il avait employés l’avaient révoltée. Il n’avait pas le droit de revendiquer tous les trônes de Silisisma ! Il n’avait pas le droit de menacer un autre dirigeant ! Il n’avait pas le droit d’agir ainsi ! Acheter le silence d’un homme contre la paix ! Et puis quoi encore ?

Du sang perlait sur sa gorge mais elle s’en moquait. Il était allé trop loin cette fois ! Elle-même se refusait d’aller jusque là pour conquérir le pouvoir…

一 Tu as une minute pour revenir sur tes propos !

一 Et sinon ?

一 Je te tue.

Le sourire moqueur de son ancien ami lui fit rapidement perdre son sang froid. Elle en avait assez. Il l’avait trop fait souffrir. Même ce qui avait ressemblé à de la connivence sur le bateau n’avait été qu’une mascarade.

La dague s’enfonça jusqu’à la garde dans la gorge du – trop jeune – Empereur. Son corps s’écroula face contre terre.

Isadora se tourna vers la présidente et le roi.

一 Veuillez m’excuser, sire… Et vous, madame, vous devriez changer vos projets.

Puis elle sortit et traversa la cour au pas de course.Après avoir été accusée à tord et contrainte de fuir, elle se trouvait à tuer de son plein gré et à partir comme une voleuse…

||| Chapitre 2

Isadora courait dans les rues.

Devant elle, un voile rouge et noir venait de tomber.

Elle avait tué.

Sans cesse, elle revoyait la dague mordre la chair du cou du Brutus. Le sang couler. Sa grimace de douleur… Et le revoyait tomber sur le tapis rose pastel du roi…

Et elle n’éprouvait aucun remords.

C’était cela qui l’agaçait le plus.

Elle était dégoûtée par son geste, mais elle ne le regrettait pas. Pas le moins du monde, au contraire… elle avait l’impression d’avoir bien agit. Certes, ce n’était pas très propres, mais l’idée de tuer ne la répugnait plus, maintenant qu’elle l’avait déjà fait.

Il lui semblait être plus forte, plus courageuse. Elle se sentait libre… mais coupable. Coupable d’avoir du sang sur les mains…

Sortant de sa bulle, elle se concentra sur les noms des rues. la carte des souterrains de la capitale allait lui servir !

Rue de l’affrontement.

Elle s’enfonça dans la ruelle et s’approcha d’une dalle poussiéreuse sur laquelle on pouvait voir, gravé dans la pierre : Chance.

Puisant toutes la force qui lui restait, elle glissa ses doigts sous la pierre et la souleva avant de se glisser dans le souterrain.

Le lieu n’avait visiblement pas été utilisé depuis longtemps. Le couloir était froid et humide et il y régnait l’odeur âcre des égouts…

一 Bon, ce n’était peut-être pas le meilleur choix… grinça la brunette en se bouchant le nez.

Elle commença à avancer en tâtonnant dans le noir, agrippée au mur, ce qui ne l’empêchait pas de tomber parfois, s’écroulant dans des substances dont elle préférait ignorer la provenance.

Le temps lui paraissait long et elle sentait la crasse s’accumuler sur elle…

L’odeur, la fatigue et la peur finirent par l’obliger à s’arrêter. Doucement, la jeune fille se laissa glisser contre le mur et, se recroquevillant sur elle même, elle ferma les yeux en murmurant, comme un mantra rassurant :

一 Je suis une Élue, je suis forte, je suis courageuse, je suis…

Elle s’arrêta brusquement, à l’écoute… un bruit de pas… Elle en était certaine !

Brusquement, quelque chose lui frôla la jambe. Quelque chose d’effroyable, de poilu et de visqueux… la jeune Élue étouffa un cri d’horreur.

一 Qu’est- ce que c’était ? hurla-t-elle dans le noir.

一 Mon rat de compagnie, répondit une voix caverneuse.

La jeune fille s’écarta le plus possible de l’endroit où semblait provenir la voix inconnue. Un craquement lui indiqua que l’on allumait une torche… Pourtant, si la lumière s’alluma bien, aucune silhouette n’était visible.

一 Que… ?

一 Lève les yeux, gamine.

Obéissant, elle eu la surprise de se trouver face à un vieillard édenté suspendu à une bouche d’égout. L’homme se laissa souplement tomber et remonta du bout de ses doigts sales aux ongles longs et noirs, la mâchoire de l’enfant qui s’était ouverte sous la surprise.

一 Qu’est ce tu fais là ?

一 Rien, j’ai tué quelqu’un et je me cache, répondit-elle, tout naturellement, alors que sa respiration se calmait un peu. 

Il lui avait fait peur ce vieux fou ! Et que faisait-il dans les galeries des égouts de la capitale ?

一 Vraiment ? T’es pas un peu jeune pour en parler comme ça ? Pour tuer, j’dis pas… Mais d’habitude, vous les gamins vous êtes terrifiées par l’idée de tuer…

一 Pas moi !

Je n’ai pas peur, je suis dégoûtée, corrigea-t-elle mentalement, sans pour autant formuler sa pensée à voix haute.

Le vieillard sourit et l’attrapa par le bras.

一 Viens, j’vais t’montrer ma planque. Y a pleins de gens comme nous, tu verras.

Le trajet se fit en silence, la jeune fille étant trop occupée à mémoriser le chemin emprunté… Puis ils arrivèrent devant une grande porte de métal. L’homme frappa de manière irrégulière.Certainement un code, en déduit Isadora.

La porte s’ouvrit sur un homme, dans la trentaine, avec une immense, hideuse cicatrice sur le visage qui lui traverse l’œil droit pour passer sur ses lèvres jusqu’à la base du cou… et elle n’avait pas l’air d’avoir été nettoyée depuis un certain temps.

一 Tu ramène d’la compagnie, Alpha ?

一 On peut dire ça, Oméga… On peut dire ça…

一 Entrez.

C’était une pièce ronde, sale, sentant le tabac, l’urine, les excréments et d’autres fluides peu ragoûtants. Des matelas étaient disposés tout autour de la pièce, devant chacun se trouvait un coffre dans lequel on devinait vêtements et armes.

一 Alors, gamine, qui c’est qu’t’as tué ? interrogea le dénommé Alpha.

Immédiatement, toutes les têtes se tournèrent vers elle, attentives.

一 L’Empereur du Nord.

Il était inutile de mentir, certains d’entre eux avaient certainement fait pire…

一 Ah, vraiment ?

La pièce entière éclata de rire.

一 Oui. répliqua-t-elle avec dédain.

一 Prouve-le. la provoqua celui qui avait été nommé Oméga.

一 Facile, répliqua la seule fille présente, demain, ils annonceront son assassinat… Et les fiançailles rompues du roi, avec un peu de chance. Vous verrez bien si j’ai raison.

A cet instant, un bruit assourdissant retentit au-dessus d’eux.

一 Visiblement, c’est maintenant, ton “demain”, railla un truand.

Deux d’entre eux grimpèrent sur des échelles de bois et soulevèrent des petites trappes :

一 Annonce Royale ! L’Empereur du Nord a été assassiné chez le roi par sa fiancée, Isadora ! En conséquence, le mariage de sa Majesté et de la Présidente est suspendu !

一 Donc, tu t’appelles Isadora ?

Elle hocha doucement la tête.

一 Alors, dis-moi, Isadora… Pourquoi ?

La jeune fille eu un léger ricanement qui surprit tous les occupants de la petite pièce :

一 Je le déteste. C’est un monstre sans nom. Il mérite la mort…

一 Et le mobile exact ?

一 Il a tenté de me tuer une bonne dizaine de fois, j’ai été chassée de mon pays à cause de lui, j’ai dû survivre seul à huit ans… ALORS QUE JE N’AVAIS RIEN FAIT !

Elle reprit son souffle avant d’ajouter, plus calmement :

一 Il complotait contre votre roi. C’est pour ça que je l’ai tué. Mes raisons personnelles ne sont qu’un poids de plus dans la balance. Elle ne les laissa pas la questionner et s’assit contre un mur avant de fermer les yeux en murmurant un “merci de l’accueil” un peu endormis.

||| Chapitre 3

Ce furent des cliquetis d’armes qui réveillèrent Isadora. Doucement, elle entrouvrit les yeux pour observer ce qu’il se passait : tous les hommes s’entraînaient, se jetant les uns contre les autres sans se soucier s’ils blessaient leur adversaire ou non. Le sol n’étant pas le meilleur endroit pour dormir, elle souffrait de par tous les recoins de son corps et n’avait qu’une envie : délier ses muscles.

Isadora les regarda un long moment, analysant comme elle le pouvait leurs techniques de combat. Puis, elle se leva et saisit son glaive avant de se jeter dans la mêlée.

Sa jeunesse et sa souplesse l’avantageaient grandement, mais, malgré toutes les épreuves endurées, son inexpérience se faisait ressentir. Elle ne faisait que frapper là où elle le pouvait sans logique apparente… Créant de la surprise, mais aussi de l’amusement chez ses adversaires.

Mais dans sa tête, tout était calculé, analysé, prévu… Elle observait les moindres failles dans les mouvements autour d’elle et frappait. Ainsi, elle se trouva vite au milieu d’un cercle d’hommes étrangement admiratifs…

一 Comment fais-tu ?

Elle ne répondit pas, les yeux posés sur le sang sur la lame… Elle devrait s’arrêter avant de faire quelque chose qu’elle regretterait. La violence ne devait pas devenir une habitude… Pourtant, au fond d’elle, elle se sentait attirée par le sang et les armes. Elle réprima son désire meurtrier et répondit avec autant de calme que son état perturbé lui permettait :

一 Je ne sais pas. Je regarde. Et je devine. C’est tout.

一 C’est tout ? répétèrent ensemble les truands.

一 Oui, c’est tout…

La jeune fille laissa tomber le glaive sur le sol de pierre, les yeux toujours fixés sur le sang. Alpha s’approcha d’elle, rassurant :

一 Le premier sang coulé est souvent difficile à digérer… Mais ne t’en fait pas, tu vas t’en remettre.Il était si gentil lorsqu’il lui parlait… Isadora repensa aux mendiants si ivres du Sans-Arêtes. Ils étaient comme eux : laids avec un cœur en or. Pourquoi n’avait-elle pas insisté pour qu’ils viennent avec elle ? Qui sait ce qui leur était arrivé ?

一 Hé, gamine, ‘faut pas culpabiliser, hein ! La mort, ça fait partie de la vie ! dit-il avec sagesse.

La brunette renifla avant de demander :

一 Pourquoi vous vous cachez, vous ?

Ils se regardèrent un instant avant de hocher simultanément la tête.

一 Nous ne sommes pas qu’un simple gang de truands, fillette.

一 J’aurais dû m’en douter, il n’y a que sur moi que ça tombe ce genre d’aventure…. elle marqua une pause avant d’ajouter : Vous êtes quoi, alors ?

Ce n’était guère poli comme question, mais à cet instant, elle était atrocement vexée par son manque de chance récurrent.

一 Service Secret, gamine, Service Secret ! Au Service de Sa Majesté Shu, second du nom ! chantonna Alpha avec un clin d’oeil.

Stupéfaite, elle se laissa tomber sur un matelas – qui se révéla moins confortable que le sol – et fondit en larmes.

Autour d’elle, un grand brouhaha avait pris place, chacun demandant à l’autre comment réconforter une enfant en pleine crise de larmes.

一 Ma femme elle donne le sein à la petite… disait l’un.

一 Ta fille a six mois ! répliquait un autre.

一 ‘Faut p’têtre lui taper dans l’dos ? suggéra un grand blond.

一 Non ! Tu ne maîtrises pas ta force, tu vas la briser ! le réprimanda un petit roux.

一 Ah ces gamins ! soupira une personne dont le visage était caché par sa cape noire.

一 Euh, on fait quoi ? réinterrogea un grand brun à l’air stupide.

一 On dit : Comment-fait-on ? le repris un beau blond.

一 Excusez-moi, monsieur l’ex-aristocrate ! se fâcha le brun.

一 Alpha a eu dix enfants il sait comment s’y prendre, lui ! se rappela le petit roux.

一 Hey ! Ne me regardez pas comme ça ! J’les ai pas élevés, mes gosses ! se récria Alpha.

一 Mais pourquoi elle pleure ? se plaignit un géant à la peau sombre.

Isadora rêvait de ler hurler de se taire, mais un mal de crâne lui clouait la bouche. Elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Sa respiration s’emballait. Elle était si fatiguée. Elle avait fait couler du sang. Et ces types auraient pu le faire à sa place ! Et était si faible… Si fatiguée…

一 J’en sais rien ! s’énerva un autre, blanc comme un linge.

一 Dis, tu crois que c’est parce que c’est une fille ? demanda jeune homme à un autre.

一 P’t’être… répondit ce dernier.

一 On dit : C’est fort probable ! reprit le beau blond.

一 Dites-moi, monsieur l’ex-aristocrate, vous nous ferez le plaisir de vous taire et de cesser de critiquer et d’interrompre, s’il vous plaît ! s’agaça le le bun.

一 Là c’est dit correctement ! le félicita l’ex-aristocrate.

一 Il m’énerve ! hurla le pauvre homme.

一 Dites ! On ne s’entends plus penser ici ! s’exclama Alpha.

一 Je crois qu’on a un léger problème… marmonna un jeune roux.

一 Quoi ? interrogèrent sèchement tous les autres.

一 Elle s’est évanouie.

Effectivement, la migraine due aux cris des hommes l’avait achevée et la jeune fille dormait sur le matelas inconfortable d’Alpha.

Elle rêvait…

Il y avait quelque chose dans cette pièce qui s’apaisait, qui l’aidait à trouver le sommeil, à oublier ses soucis… Tout s’était envolé lorsqu’elle l’avait réellement perçu… La veille, ça avait été quelque chose de ténu. Mais à cet instant, elle le sentait au plus profond d’elle-même…

Quelque chose ou quelqu’un lui était bénéfique.

Qui ? Quoi ? Elle n’en savait rien.

Elle était bien trop occupée à rêver.

Elle était reine. Elle avait sauvé le monde. Tout le monde l’aimait. Tout le monde avait oublié le sang versé. Wyll était en vie. Ils étaient mariés…

Oui, c’était un très beau rêve, avec de l’or, du pouvoir et de l’amour.

Ce que lui avait promis Brutus lorsqu’ils étaient enfants.

Ce dont elle avait rêvé depuis sa disgrâce.

Ce qu’elle craignait, parfois.

Ce qu’elle aimait.

Ce qu’elle désirait.

Un si beau rêve…

Elle sentait qu’on l’appelait.

Qu’on la secouait.

Mais elle ne voulait pas se réveiller.

Elle était si bien, détendue…

一 Hey, gamine ! ‘Faut se réveiller !

一 Non… Dormir… Wyll… Oh ! … Or… Elus…

一 Laissez la dormir, ce n’est qu’une enfant, fit la voix douce du roi.

Isadora se réveilla brusquement.

||| Chapitre 4

一 Sire ?

Sa respiration se précipita. Il allait la punir. Il allait l’enfermer. Elle allait mourir…

一 Calme-toi, bon sang ! la secoua le monarque.

Doucement, elle tenta de reprendre un rythme respiratoire normal, malgré la panique.Il était calme, et ne semblait pas du tout furieux contre elle.

一 Vous… Vous n’êtes pas fâché ? Vous n’aller pas m’arrêter ?

Shu souriait, amusé.

一 Non, je suis même très heureux. Je pense que tu mérites une récompense pour service rendu à la couronne.

Les yeux écarquillés de surprise, elle balbutia, sous le choc :

一 Que… ? Mais, je… J’ai… Mais… Mais… Enfin… Non !

一 Non ? s’écrièrent-ils tous en cœur.

一 Je… Non. Je ne peux pas accepter.

一 Pourquoi ?

一 C’est comme ça… Je… C’est trop !

Mais le monarque ne l’écoutait pas… Ou ne voulait pas l’écouter, la petite n’en savait rien. Il avait sorti une petite médaille de son pourpoint et, prenant la main de celle qui lui avait sauvé la vie dans la sienne, il y déposa le petit disque d’or sur la paume.

一 Je ne vous demande pas de le garder bien en vue sur votre habit, mais de l’accepter. J’ai une dette éternelle envers vous, désormais.

Le brusque passage au vouvoiement perturba la fillette plus qu’elle ne l’aurait voulu.

一 Je… Merci, mais… balbutia-t-elle, en refermant tout de même les doigts sur le petit objet précieux.

Le roi posa sa main gantée sur les lèvres de l’enfant.

一 Je ne veux rien savoir !

Puis il partit en sautillant non sans avoir salué tous les membres de la “société secrète”.

一 Où est Flamme, demanda soudain Alpha. Isadora se redressa, l’oreille attentive.

 Pourquoi cette personne ne portait-elle pas un nom de lettre ?

一 Son père le retient chez lui, répliqua un autre du nom de Thêta.

一 Qui est Flamme ?

一 Un de nos meilleurs éléments. Il rêve de devenir soldat au service du roi ou tout simplement utile à la société de manière plus active que simple menuisier comme son père. Ce dernier se débrouille toujours pour le garder près de lui… Parfois on se demande s’il n’est pas au courant des activités secrètes de son fils.

一 Pourquoi n’a-t-il pas un nom comme les vôtres ?

一 Parce qu’il a un talent secret.. Et comme c’est un secret, je n’en parlerais pas !

Isadora était déçue. elle avait le sentiment que ce “Flamme” était un Élu…

Elle était persuadée qu’il était quelqu’un de puissant.

Flamme… Quel serait donc son Don ? Cela avait certainement un rapport avec le feu.

Les rouages de son cerveau s’étaient mis en marche. Elle repassa en mémoire les derniers instants avant sa perte de connaissance… Tout était flou, confus…

Elle fronça les sourcils, tentant de se rappeler de ce qu’il s’était passé… Elle s’était évanouie et juste avant… Un regard vert.

Vert.

Élu.

C’était trop simple… Mais pourtant, aucun doute n’était possible.

Le vert était la couleur des Dieux.

Et des élus.

Ils le lui avaient dit.

Personne n’avait les yeux verts.

Sauf eux.

Il lui fallait désormais le trouver.

Sans s’en rendre compte, elle s’était précipitée vers la porte de fer. Tirant de toutes ses forces, elle parvint à entrouvrir le battant – qui devait peser à lui tout seul deux tonnes – et se glissa à l’extérieur de la pièce, s’enfuyant en criant à ceux qui l’avaient accueilli :

一 Merci !

Elle courait le plus vite possible, galvanisée par l’espoir, pataugeant dans les égouts nauséabonds, sans s’en formaliser.

Elle avait une piste.

Et elle était bien déterminée à la suivre.

La lumière filtrée par les bouches d’égouts lui éclairaient faiblement le chemin. Mais elle avait une bonne mémoire.

Le peu de lumière lui suffisait à retrouver le chemin emprunté la veille avec Alpha et son rat de compagnie.

Plus elle courait, plus elle avait l’impression d’avoir des ailles, de pouvoir tout réussir.

Elle continua jusqu’à trouver l’échelle qui la mènerait à la lumière éclatante du jour.

Elle gravit rapidement les échelons rouillés avant de soulever péniblement la trappe menant au monde extérieur.

Elle allait enfin pouvoir respirer de l’air frais.

Elle se promena d’abord dans les rues bondées sans se soucier du regard dégoûté des passants. Elle était certainement affreuse, mais elle n’en avait rien à faire. La beauté était bien le cadet de ses soucis.

Seul Flamme comptait.

Mais il fallait le trouver…

Fils de menuisier ? C’était bien maigre comme piste, la capitale étant immense. Il voulait devenir soldat ? Beaucoup en rêvaient…

Alors sa seule solution était d’écouter les rumeurs.

Ecouter aux portes n’était pas son fort… Déjà enfant, elle se faisait surprendre, alors…

一 C’est complètement impossible, marmonna-t-elle pour elle-même.

Elle commença alors par mémoriser chaque dédale de la ville.

Si apprendre les cartes par cœur l’avait bien aidée, visiter le terrain la renseignait beaucoup. Elle mémorisa chaque nom de rue, chaque maison, chaque auberge… Elle observa ainsi les lieux les plus fréquentés et ceux vides de vie.

Elle observa aussi les soldats, vêtus de rouge.

Ils n’étaient guère discrets et Isadora se demanda pourquoi ils ne s’habillaient pas en civile pour se fondre dans la masse, mais décida de garder ses commentaires pour elle. Ce n’était pas le moment de se faire remarquer.

Le reste de la journée se passa ainsi, en flânant, mine de rie, dans les rues de la capitale.Capitale qui se révéla être un véritable labyrinthe…

Rapidement, elle comprit qu’il allait falloir être ingénieuse pour éviter les cul-de-sac et les coupes-gorge…

Mais son inexpérience se fit vite ressentir, aussi, elle évita, par prudence, toutes les ruelles sombres.

A la nuit tombée, fatiguée et affamée, elle dépensa le reste de l’argent que MaÏ lui avait donné pour manger du pain et un pomme.

Ce n’était pas grand chose, mais elle avait appris à oublier son enfance d’enfant aisée, pour une fille de marchand, et à se contenter de peu. Mais maintenant que sa bourse était vide, il lui faudrait ou se trouver un travail ou mendier dans une ville qui n’était pas la sienne…

Rapidement, elle découvrit autre chose : Les nuits étaient étouffantes !

||| Chapitre 5

Ainsi, elle marchait toute la journée, volant sur les étals des marchés, puis dormait sous les porches.

Le matin, le propriétaire de la maison la poussait dans la rue et le schéma recommençait.

Marcher. Voler. Marcher. Dormir. Être rejetée.

Plus d’une fois, elle avait songé à vendre sa médaille… Mais une telle distinction ne pouvait être montrée sans que l’on l’accuse de vol.

Et il n’en était pas question. Un meutre, une petite centaine de vol, trois années passées en habits d’homme et une fuite étaient déjà suffisants, elle n’avait guère envie d’ajouter une fausse condamnation à la liste.

En y réfléchissant, pensait-elle, j’aurais pu finir pendue une bonne dizaine de fois…

Chaque jour était accompagné d’un festival de s’insultes et de coups… Mais elle ne s’en faisait pas.

Elle avait tué.

Elle le méritait.

Avec le temps, elle avait découvert que la vie du peuple était parfois bien plus heureuse et qu’ils semblaient avoir moins de soucis que la noblesse. Elle se rappelait alors de la petite fille qu’elle avait été… Son père et sa mère, commerçants aisés…

Oui, elle n’avait pas un seul souci à cette époque.

Époque révolue depuis plus de trois ans.

Mais sa mission était plus importante que son passé.

Les marchés étaient de véritables machines à rumeurs. On entendait beaucoup de choses…

Le roi coucherait avec son jardinier;

La poissonnière aurait tué le boucher;

Le prix du pain avait encore augmenté;

Le lait du fromager serait infect.

Et tant d’autres…

Isadora passait son temps près des menuisiers. C’était son seul indice.

Elle connaissait désormais les adresses de tous les menuisiers… Sauf celle de celui qui fournissait le roi.

Et elle avait l’étrange impression que tous les Élus auraient un rapport plus ou moins flagrant avec les dirigeants de leur pays.

Flamme était forcément le fils de celui qui fournissait Shu.

Mais autre chose inquiétait la jeune fille. Elle avait appris la construction de douze obélisques sur le point traversant le Grand Canyon reliant la capitale et le Palais d’été du roi…

Douze…Ce chiffre n’était pas anodin.

Elle était persuadée que Nuit lui faisait signe… Qu’elle lui indiquait qu’elle était si la bonne voie.Son plan se mit rapidement en place. Dès la construction terminée, elle irait voir si il était bien possible de communiquer avec les Dieux.

Pour elle, aucun doute possible, c’était un signe divin.

Mais un doute planait.

Et si c’était un piège ?

Elle avait déjà subi l’attaque d’une Déesse Maléfique et ne tenait pas à renouveler l’expérience. Elle en gardait une immense cicatrice blanche le long du côté droit, du cou à l’orteil.

Piège ou pas, les travaux seraient finis dans la semaine… Et il lui faudra alors vérifier si le nombre est un hasard ou pas.

一 Et le plus tôt sera le mieux… marmonna-t-elle pour elle-même en se promenant sur une place bondée de marchands ambulants.

Elle ne regardait pas vraiment où elle allait, désormais capable de se repérer sans réfléchir…Brusquement, elle se heurta à un mur… plutôt bien rembourré.

一 Eh bien, on ne regarde pas où on va ? fit une voix amusée qu’elle aurait reconnue entre mille malgré un an de solitude.

一 Sire ?

Elle leva les yeux pour rencontrer ceux, souriants, du souverain.

Le monarque déposa un doigt sur ses lèvres en signe de silence.

一 Tu ne me connais pas. D’accord ?

Isadora eu un sourire tordu. Elle l’attrapa par le poignet et le tira dans une ruelle peu fréquentée. Là, elle sorti de sa poche la Médaille de Service Rendu à la Couronne.

一 Avec ça sur moi, j’en doute, majesté.

一 Je voulais dire que tu dois faire comme si on ne se connaissait pas ! Evidemment que je t’ai reconnue !

一 Où alliez-vous ? demanda-t-elle sans s’occuper de son erreur.

Shu rougit brusquement.

一 C’est qui ? s’exclama aussitôt la jeune fille, qui, avec le temps, était devenue aussi commère que la poissonnière.

一 Quelqu’un.

一 Qui ? insista-t-telle.

一 Un ami.

Le sourire amusé de la brunette lui fit comprendre qu’elle n’était pas dupe.

一 Tu ne vas pas me lâcher, n’est-ce pas ?

一 Pas du tout !

一 Le Jardinier de la Cour d’Été.

Isadora éclata de rire en se remémorant les nombreuses rumeurs qui couraient sur la vie privée du roi.

一 Sire, vous devriez surveiller votre intimité, tout le peuple sait que vous aimez le jardinier… Comment s’appelle-t-il ? On ne connaît que son nom…

一 Tim… Mais… Cela ne dérange personne, que… ?

Il avait l’air si inquiet de l’avis de son peuple qu’Isadora ne put s’empêcher de lui offrir un sourire rassurant.

一 Il y aura bien des imbéciles qui râleront… Mais le peuple vous aime, si vous êtes heureux, il est heureux.

一 Tu parles comme un ministre… Et ils sont bien souvent loin de la réalité.

一 Vous oubliez que je vis et j’ai toujours vécu avec le peuple. C’est de là que je tiens ma débrouillardise.

一 J’ai eu vent de ton histoire, oui… Brutus tenait un carnet dans lequel j’ai tout appris.

一 Du moment que vous ne me faites pas subir ce que j’ai subit à cause de lui…

Ils marchèrent côte à côte jusqu’au pont au-dessus de Grand Canyon. De l’autre côté se trouvait le palis d’Été, qui, contrairement à ce qu’elle avait imaginé, était construit avec des pierres grises et sombres et ressemblait à un forteresse plutôt qu’à un palais.

Le roi et ses bizarreries… pensa-t-elle, amusée.

一 Pourquoi ces obélisques ?

一 Oh ! Figure-toi qu’une excellente amie à moi me l’a suggéré, elle trouvait que ce pont ressemblait trop à une pauvre petite passerelle… Et que personne n’y avait encore pensé.

一 Et comme vous aimez ce qui sort de l’ordinaire, vous avez trouvé l’idée géniale ! compléta la brunette, hilare.

– Entre autres, oui… Il faut avouer que chez nous, l’économie fonctionne tellement bien qu’on a de l’argent en trop… Alors je me suis dit : pourquoi pas ?

Le pont de pierre était pourtant impressionnant, mais en comparaison avec les autres présents dans le pays, il était plus que banal.

Le Jardin d’Été était un chef d’œuvre. On y trouvait un nombre incalculable de bosquets et bois miniatures où trouver de l’ombre sans compter les étangs, mares et fontaine où chantaient grenouilles et cigales ainsi que nageaient des poissons multicolores….

一 Monsieur Olda ! Comment avance cette cabane ? s’enquit le roi à un homme penché sur des planches.

一 Bientôt finie, sire !

一 Qui est-ce ?s’enquit la jeune fille, qui n’imaginait pas le jardinier ainsi.

一 Mon menuisier attitré.

||| Chapitre 6

La révélation invoqua un flot d’interrogations dans la tête d’Isadora.

Avait-il un fils ? Où vivait-il ? Comment l’aborder ? S’il avait un fils, voulait-il devenir soldat ? Et avait-il un quelconque talent particulier ? En rapport avec le feu, par exemple ? Quel âge avait-il ? Alors qu’elle dressait mentalement la liste des questions à poser et celle à garder pour elle, Isadora remarqua qu’elle était seule.

Le roi se tenait un peu plus loin dans les bras d’un grand blond aux vêtements couverts de terre. Elle ne se voyait pas interroger le menuisier comme si de rien était alors qu’il était en plein travail.

一 Mais je ne veux pas devenir menuisier !

Alors qu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, l’exclamation la retiens.

一 Tu feras ce que je te demanderais de faire !

一 Mais…

一 Pas de discussions !

Elle aurait bien voulu s’approcher et faire comprendre à cet homme que parler ainsi à quelqu’un ne fait que renforcer la rébellion, mais elle s’abstint de tout mouvement. Elle ne voulait pas s’approcher avant d’être persuadée qu’il s’agissait bien de Flamme.

Après tout, il pouvait bien avoir plusieurs enfants…

Mais l’attitude du menuisier lui déplaisait fortement.

Le pire, c’était l’attitude soumise de son fils.

C’était… Pitoyable.

La jeune fille se détourna un instant avant d’aviser le chantier. Puis la lumière du soleil. Le temps qu’elle retourne à sa cache, il ferait nuit et les pires malfrats sortiraient… Même si elle n’avait jamais eu affaire à eux, elle en savait suffisamment pour ne pas vouloir se promener de nuit. Discrètement, elle se cacha derrière un obélisque et attendit.

Le soleil se coucha doucement sur la ville, offrant un spectacle de rouge, d’orange et de violet… L’ombre des bâtiments se devinant sur la toile colorée du coucher de soleil.

Au loin, elle entendait la charrette du menuisier partir. Elle entendait encore les rires de Shu et du jardinier mais ils s’éloignaient.

Le chantier était désert.

C’en était presque effrayant.

Mais les ombres ne devaient pas l’effrayer.

Du moins, pas celles des obélisques.

Ni celle de l’individu qui marchait silencieusement, si…

Réprimant un cri d’horreur, Isadora se plaqua contre la pierre froide de la colonne, tentant désespérément de retrouver un rythme cardiaque normal, malgré ses poumons sur le point d’imploser.

Qui était-ce ?

Un jardinier ? Certainement pas à cette heure !

Un Dieu Maléfique ? Il l’aurait déjà repérée !

Nuit ? Elle ne serait certainement pas aussi effrayante !

Flamme ? Il était partit avec son père !

Le roi ? Il était dans le château !

Alors qui ?

一 Isadora ?

La jeune fille plaqua une main sur sa bouche pour étouffer le son de surprise qui allait lui échapper.

Non…

Pas lui !

一 Je sais que tu es là…

Non… Non… Non… Non !

一 Allez, sors de ta cachette…

Ce n’était pas possible ! Un cauchemar… Elle allait se réveiller, elle allait se réveiller…

一 Isadora ! Dépêche-toi !

Respirer… Lentement… Doucement… Ce n’était qu’un mauvais rêve… Allez, à trois elle ouvrirait les yeux et tout ira bien… Un… Deux…

一 Ah ! Tu te cachais ici ! Ce n’est pas très malin ! Un obélisque, c’est facile à contourner !

Trois.

Ce n’est pas un rêve.

一 Tu es vivant.

Brutus sourit et caresse doucement la cicatrice noire sur sa gorge.

一 Non. Je suis mort. Cela fait un an que je suis mort…

一 Tu ne peux pas être mort… Sinon, je ne te verrais pas…

Livide, tremblante, elle était plaquée à la pierre comme si elle voulait s’y incruster.

一 Si, je suis mort… Mais ne t’en fais pas, je repartirai. Je voulais juste te voir. Je ne sais pas pourquoi… J’étais avec mes ancêtres lorsque j’ai été appelé, comme aspiré. Puis je suis arrivé ici et j’ai été persuadé que c’est toi qui m’a appelé.

一 Eh bien tu t’es trompé.

一 Oui.

Il la regardait, patient, attendant qu’elle se calme.

Dans la tête de la brune, tout un tas de pensées s’entrechoquaient. Elle était face à un mort – qu’elle avait elle-même tué – , collée derrière un obélisque de pierre. 

Et Brutus… Brutus lui souriait, Brutus avait admit s’être trompé, Brutus… Brutus était différent.

一 Tu as changé.

一 Oui.

一 Tu… Tu voulais me dire quelque chose ? murmura-t-elle, hésitante.

一 Hum…

Il semblait hésiter.

一 Oui ?

Silence…

一 Tu sais au point où on en est, je pense que tu peux tout me dire.

Il eut un léger sourire.

一 Merci.

一 Merci ?

Pourquoi la remerciait-il donc ?

一 Merci de m’avoir ôté la vie.

La bile monta en flèche en la petite qui maîtrisa sa nausée comme elle le pouvait. Il n’avait pas dit ça ! Si ?

Elle se refusait à ouvrir la bouche, de peur de vider ses entrailles.

Il sembla comprendre mais continua.

一 Dans la mort, j’ai appris beaucoup de choses… J’ai compris tout ce que tu m’as dit, sur le bateau… Tu avais raison : il faut accepter ses erreurs… Et je suis bien plus heureux mort que vivant.

La nausée s’intensifia.

Elle ne voulait pas qu’il la remercie. Il n’avait pas le droit !

一 Et puis, je le méritais… J’espère que tu m’as pardonné pour toutes les horreurs que j’ai commises…

C’en était trop. Pliée en deux, Isadora vomi aux pieds de l’apparition.

一 Va-t-en… marmonna-t-elle.

Obéissante, la silhouette du prince s’évapora alors qu’Isadora s’adossait au pilier de pierre, en larmes.

Pourquoi était-il apparu ? Comment ?

Doucement, elle se releva et marcha en titubant, toujours tremblante comme une feuille, vers les arbres du Jardin d’Été.

Elle pourrait dormir sous l’un d’entre eux…

De loin, elle avisa un peuplier attrayant.

L’arbre lui sembla parfait.

Elle s’allongea à son pied et ferma les yeux sans pour autant s’endormir.

Une journée qui avait si bien commencé… Une si belle découverte… Et ces retrouvailles ! 

Pourquoi fallait-il que l’on lui rappelle si soudainement le seul véritable crime qu’elle n’ai jamais commis ? Et pourquoi de manière aussi violente ? Était-ce un message des Dieux Maléfiques ? Une manifestation de son pouvoir ? Un signe ?

La brunette s’endormit, épuisée.

||| Chapitre 7

La chaleur des rayons de soleil sur son visage réveillèrent Isadora se son sommeil protecteur.

Alors qu’elle ouvrait doucement les yeux, les événements le la nuit lui revinrent sans délicatesse à l’esprit. Elle grogna en se frottant ses bras.

Un mort… Elle avait discuté avec un mort !

La Mort était un sujet tabou… Et elle était bien contente d’être toujours en vie. Parler de la Mort et de l’Après menait tout droit aux Plaines de Souffrance…

Peut-être son statut d’Élue l’avait-il sauvée ?

Mais lui ?

Peut-être y était-il déjà avant de la revoir… 

Elle soupira. Elle aurait dû lui poser des questions sur les fameux documents dont il lui avait parlé sur le bateau ! 

Le peuplier au-dessus d’elle perdait ses feuilles qui s’éparpillaient autour d’elle et dans ses cheveux qui étaient repoussés de manière quelque peu anarchique.

Elle soupira en se levant. Elle avait sans doute trop dormi : le soleil était déjà haut dans le ciel. Plus loin, Shu et le jardinier riaient en arrachant des mauvaises herbes. Isadora doutait qu’il s’agisse là de l’activité principale du jardinier en Chef, mais se dit que l’activité devait être amusante en couple… Ou alors ils avaient un sujet de conversation hilarant.

Se désintéressant du couple de désherbant, elle se tourna vers la cabane en bois encore inachevée. La charrette et les ânes du menuisier étaient juste à côté… Sans que leur propriétaire ne soit visible.

Où était-il donc ?

Il n’y avait pas trente-six-mille solutions ! Il fallait ratisser tout le domaine du Palais d’Été dans l’espoir de le retrouver, de le suivre, de trouver son fils, de le suivre, de vérifier s’il avait bien le Don, de l’aborder, de… Stop !

C’était trop simple.

Aucun être humain normalement constitué ne la croirait. Surtout si elle le suivait comme une folle sortie de l’asile !

Elle regarda autour d’elle tout en cherchant discrètement le père de celui qui serait probablement son futur compagnon d’aventure…

Les obélisques ! Ils étaient là pour servir de preuve !

Si tout concordait, il lui fallait encore trouver ce “Flamme” dont elle ignorait toujours le véritable prénom.

Mais avant, il fallait le trouver. Elle partit donc à sa recherche en grommelant contre les gargouillements de son ventre affamé.

一 Bon sang, mais qu’est-ce qu’il ne faut pas faire… On se le demande, grogna-t-elle lorsqu’elle se retrouva embourbée dans la boue de la ferme.

Le roi avait tout de même de drôles d’idées… Un porcherie en plein milieu d’un bosquet entre deux fontaines en or…

一 Totalement logique…

Elle tenta tant bien que mal de sortir de bourbier, pataugeant dans la boue, réussissant plus à se salir qu’à avancer.

一 Problème ? fit une voix aimable.

Elle leva les yeux vers un visage blond et souriant. Magnétique.

一 Tu as un problème ? répéta l’homme, avec un sourire amusé. 

Elle commençait à comprendre le roi.

Entre Lillyah et le jardinier, elle aurait choisi le jardinier.

一 Vous pouvez m’aider ?

一 Naturellement !

Il lui tendit la main et la tira sans effort vers l’herbe, au sec.

一 Hum… Il vous faudra de nouveaux habits… Ce n’est pas un problème. Un ami à moi saura où trouver ce qu’il vous faut…

一 Merci monsieur, marmonna-t-elle, terriblement mortifiée à l’idée que le roi la trouve dans cet état.

Soudain, le regard du son sauveur s’attarda quelque part dans la mare brune.

一 Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en montrant de la main un éclat doré.

La médaille ! Elle avait dû tomber !

L’homme se pencha et attrapa la petite pièce d’or.

一 Service Rendu à la Couronne… lu-t-il.

Son regard s’assombrit brusquement.

一 Je n’aime pas les voleuses.

一 Pardon ? Je ne l’ai pas volée ! Shu ma l’as offerte !

一 Mais bien sûr… Et tu ose l’appeler par son prénom ?

Il l’attrapa sans ménagement par le poignet et la tira à sa suite jusqu’à un fontaine à côté de laquelle le roi lisait.

一 Shu !

一 Oui ? s’enquit-il sans lever les yeux de son manuscrit.

一 J’ai-

Mais le monarque avait levé les yeux vers le duo.

一 Isadora ? Mais que… ? Tim, lâche-là, s’il te plaît.

一 Mais…

一 S’il te plaît.

La pression sur son poignet se desserra.

一 Que s’est-il passé ?

一 Oh, rien, je visitais vos magnifiques jardins, lorsque je me suis trouvé dans la boue jusqu’à la taille dans la ferme… D’ailleurs, c’est un drôle d’emplacement pour une ferme ! Votre “ami” le jardinier m’a aidée, puis il a remarqué la médaille que vous m’aviez offerte et qui était tombée, et m’a traité de voleuse, c’est tout ! ironisa-t-il.

一 Il ne faut pas lui en vouloir, des vols, il y en a plein ici… Mais tu te promenais vraiment ici ou… ? 

La jeune fille sourit.

一 Non. Je cherchais quelqu’un.

– Je vais te faire donner des vêtements propres, et t’aiderait à chercher, je te le promet, qui cherches-tu ? Y aurait-il un autre complot ?

一 Pas vraiment… C’est bien plus compliqué que cela. marmonna Isadora, incapable de mentir à cet homme qui la soutenait encore malgré le meurtre de son homologue du Nord.

一 Je vois… Cela fait partie de la raison pour laquelle tu m’as accompagné hier ?

Isadora sourit. Cet homme était si pétillant de vie que l’on en oubliait parfois sa grande intelligence.

一 En quelque sorte.

一 Mais de quoi parlez-vous ? demanda finalement Tim, qui n’appréciait pas trop être mis à l’écart.

一 Isadora nous a sauvés, moi et le pays, d’un complot. Je l’ai remerciée de cette médaille.

La jeune fille pouffa de rire :

一 C’est un peu concis, mais en gros c’est ça…

一 Donc… Vous n’aviez pas volé cette médaille.

一 Exactement.

一 Et vous êtes une amie du roi.

一 Tutoyez-moi… C’est vraiment trop étrange ! grimaça-t-elle.

一 Mes excuses !

Le roi attrapa Tim par la main et l’assis sur ses genoux en lui souriant tendrement.

一 Personne ne t’en veux. N’est-ce pas ? Et puis, tes soupçons auraient pu être fondés… Je ne la connaissais que peu en dehors de cette affaire et de la rencontre avec Lillyah. En tous les cas, ce n’est qu’une petite méprise…

Isadora les regardait et se sentait fondre. Ils étaient si mignons… Comme ces deux lapins qu’elle avait retrouvé enlacés quelques heures plus tôt dans un bosquet… Adorable !

一 Alors, qui cherches-tu ?

一 Vous avez l’adresse de votre menuisier ?

||| Chapitre 8

Isadora courait. Encore. Cela faisait trois jours qu’elle courait…

Enfin, “boitait” aurait été plus adéquat. La veille, elle était tombée en se prenant les pieds dans un dalle mal placée et, depuis, sa jambe droite refusait de plier.

Qu’à cela ne tienne !

Le roi Shu avait été clair : Monsieur Olda déménagerait à Kum dès le chantier des obélisques terminé.

Or… Il l’était presque !

Isadora avait bien vu et entendu ce qu’il se passait… Et il ne restait plus que deux colonnes à dresser avant l’inauguration !

Les Olda vivaient en périphérie de la capitale ce qui, en plus de lui rallonger le trajet, l’emmenait en territoire inconnu, les cartes du Capitaine Herbert – Ou était-ce Hubert ? Elle ne savait plus… – étaient déjà loin dans sa mémoire surchargée.

3 rue du Petit Bois…

Il en existait plein des rues du Petit Bois ! Elle savait bien qu’il n’existait pas de cartes de voyage. Le seul moyen de trouver un endroit était de rencontrer quelqu’un le connaissant.

Malgré ses pauses régulières, la douleur dans sa jambe la fatiguait plus qu’elle ne l’aurait souhaité.

Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas couru aussi longtemps, ni subi une blessure aussi importante, ni aussi peu mangé… En réalité, elle était épuisée, mais refusait de l’admettre. Après tout, tant qu’elle était en vie, tout allait bien !

Lors d’une pause, elle s’assit au bord de la route, se remémorant tout ce qui l’avait conduite ici… Les douleurs, la fatigue, la faim endurée…

Elle se souvenait de ce qu’elle avait été, une petite fille brisée qui s’était reconstruite trop vite et qui avait perdu des pièces en chemin.

Elle avait abandonné ses rêves de pouvoir en tuant Brutus.

Ce n’était pas drôle, de tuer.

Et pour gagner, il faut tuer.

Mais, surtout, elle avait compris qu’elle n’était pas surhumaine, et que tout ce qu’elle s’était imposé, elle aurait pu le faire différemment. Mais le passé était si présent dans son esprit qu’il était déjà en train d’empiéter sur son avenir… Un avenir qui ne la faisait pas rêver. 

Souvent, elle se demandait quel âge elle avait.

Surtout sur les places de marché, lorsque cela finissait en bataille de nourriture. Et qu’elle ne faisait qu’en profiter pour grappiller quelques fruits gratuitement…

Elle avait douze ans.

Elle était déjà fatiguée de vivre.

Isadora secoua la tête afin de chasser son passé de sa tête. Il surgissait toujours lorsqu’elle n’en avait pas besoin !

Lâchant un soupir torturé, elle se releva et recommença à marcher.

Courir ne servait à rien, sauf si elle souhaitait se briser l’autre jambe, ce qui n’était pas dans ses projets immédiats.

Les routes étaient encombrées de chariots et de soldats à cheval. Elle s’était toujours demandée pourquoi ces derniers continuaient à patrouiller. Même les pires racailles de la ville étaient presque inoffensives… De simples voleurs et prostituées qui tentaient de survivre. Il n’y avait aucun mal à tenter de vivre, tant qu’il n’y a pas de mauvaises intentions derrière les “crimes” commis.

Elle le savait bien, elle, que le travail n’était pas offert à tout le monde.

Plus elle s’éloignait de la capitale, plus les maisons perdaient leurs couleurs et plus les rues étaient grises, mornes et sans attirance.

Qui était donc l’imbécile qui avait laissé le plus beau profil de la ville tourné vers la mer ? Il aurait dû être partout !

Isadora continua sa “promenade” jusqu’à ce qu’elle aperçut une enseigne au-dessus d’une porte…

Homaï, Chirurgien-barbier

Sans plus réfléchir, la douleur prenant le dessus sur la raison, elle entra dans la maison.

一 Bon sang, mais qu’est-ce qui t’es arrivé ? clama la dame derrière le bureau miteux qui occupait tout un pan de mur.

一 Oh, un acci-

Mais elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, la femme l’avait poussée dans un fauteuil moisi et inspectait sa jambe.

一 Je n’ai rien vu de tel… Et tu continue de marcher ?

一 Ben… Oui ?

一 Bon sang, bon sang, bon sang, marmonna-t-elle avant de poser solidement ses mains sur la jambe et de serrer fort.

Un Crac ! se fit entendre et les larmes montèrent aux yeux d’Isadora.

一 Mais vous êtes folle ! C’est douloureux !

一 C’est mon métier. Et puis, si tu ne fais pas trop d’effort, ta blessure sera complètement guérie d’ici deux jours.

一 Deux Jours ! Et puis, c’est le travail du docteur Homaï, non ?

La femme eu un rire.

一 Je suis le docteur Homaï… Mais il faut un nom d’homme pour exercer un tel métier.

一 Je comprends…

Tout devenait bien plus logique… Elle l’avait jugée bien vite !

Avec un sourire amical, bien que légèrement édenté, la femme la poussa à l’extérieur en lui servant un monceau de recommandations comme : “ne pas courir, ne pas y toucher, ne pas tenter de faire la même chose qu’elle, ne pas sauter…”

Mais il lui restait tant de chemin à faire !

Conseils de prudence ou non, elle reprit sa route.

Elle savait qu’elle était proche du but, au loin, elle voyait l’arche qui séparait la capitale de la ville sa plus proche… Qui y était tout simplement accrochée comme une moule à son rocher.

3 rue du Petit bois…

一 Continuez tout droit puis tournez à gauche, fit un gros barbu non loin.

一 Euh… Merci.

Sa solitude devait être réellement grande pour qu’elle se mette à penser à haute voix.Les Dieux eux-même ne savaient pas à quel point elle avait hâte de trouver cet Élu, d’être persuadée que “Flamme” était bien le fils Olda.

Ne plus être seule.

Discuter.

Rire.

S’entendre.

Être écoutée.

Être aimée.

Avoir un ami.

Avoir un allié.

Elle avait passé son temps avec Brutus.

Elle avait discuté avec Carlo.

Elle avait ri avec les garçons de ferme.

Elle s’était entendue avec Maï.

Elle avait été écoutée par les marins dans le port.

Elle avait été aimée par Will.

Herbert avait été son ami.

Shu était son allié.

Était-il possible que quelqu’un puisse être tout cela à la fois ? Les Élus se complétaient-ils parfaitement ? Quel était le caractère de ce “Flamme” ? Et des autres ? Serait-elle, pour une fois, acceptée sans condition ?

||| Chapitre 9

C’était une maison aux murs de pierre, le rez-de-chaussée était utilisé comme boutique, arrière-boutique et atelier et l’étage servait de logement aux Olda. C’était aussi la plus grande de la rue du Petit Bois, avec un accès aux égouts, des pierres, bien que grises et tristes, propres et placées de manière esthétique. Elle possédait un jardin et les Olda semblaient apprécier les chiens car leurs aboiements étaient audibles de loin.

Ils semblaient aisés et nombreux étaient ceux qui se pressaient pour commander qui une statue, qui une table, qui une cabane…

Isadora s’était renseignée et avait appris que l’aîné ne prénommait Waldo et qu’il était connu pour être un adolescent calme, protecteur et généreux, bien qu’il ai été accusé deux fois d’avoir déclenché un incendie… 

Le commerce fonctionnait bien et il était censé se marier dans deux ans à la fille d’un autre menuisier afin d’hériter de la seconde maison à la mort du beau-père, ce qui ne l’enchantait guère. Elle avait également appris que l’inimitié entre le père et le fils était très récente et que personne n’en connaissait la réelle raison.

Souvent, des exclamations lui parvenaient, franchissant la pierre : père et fils ne s’entendaient pas le moins du monde.

一 Tu seras menuisier !

一 Jamais !

一 Je me moque de ce que tu penses !

一 Tu penses que cela va m’arrêter ?

一 Cesse de crier !

一 Je ne crie pas, c’est toi qui hurle !

Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une voix féminine couvre les leurs :

一 Taisez-vous ! Vous faites fuir les clients !

Soudain, le jeune homme sortit en trombe.

Isadora l’observa attentivement : roux, le teint hâlé, il semblait fou de rage, les poings serrés et la mâchoire crispée.

Il portait un tablier de cuir et était recouvert de copeaux de bois, indiquant qu’il sortait de l’atelier.

Le rouquin marmonnait en donnant des coups de pieds dans les pauvres cailloux qui avaient le malheur de croiser son chemin.

Isadora se rappelait de ce que lui avaient dit les Dieux lors de leur première rencontre : tous les Élus avaient les yeux verts.

Il était bien dommage qu’il lui tourne le dos !

Elle se souvenait aussi des yeux de Flamme, ou de ceux qu’elle pensait être Flamme : verts comme les mousses des forêts.

Le seul moyen de vérifier s’il était bien celui qu’elle pensait qu’il était, Flamme ou pas, était donc de regarder la couleur de ses iris.

La brunette le suivit le plus discrètement possible.

Il se dirigeait vers la capitale.

La jeune fille soupira en continuant de le filer. A peine arrivée, il lui fallait repartir dans l’autre sens. Certes, retrouver la ville de pastel n’était pas pour lui déplaire dans cet endroit gris, mais elle avait tout de même marché trois jour pour repartir !

Le jeune homme semblait vouloir surveiller ses arrières.

Brusquement, il s’enfonça dans une ruelle et, après avoir ouvert une bouche d’égout, s’enfonça dans les souterrains de la ville.

“Ne pas sauter”.

Oubliés, les conseils de la femme-médecin !

La jeune fille se jeta à sa suite.

L’odeur nauséabonde qui l’assaillit lui rappela qu’elles étaient les activités secrètes de Flamme. Il fallait qu’ils choisissent de se cacher ici ! se plaignit-elle intérieurement.

Avant de se demander si c’était pas là qu’elle s’était enfuie autrefois. Si c’était le cas, elle avait parcouru en une journée ce qu’elle avait fait en trois jours.

Ironiquement, elle se demanda si elle ne commençait pas à vieillir un peu.

Un léger craquement résonna dans les tunnels.

De la lumière éclaira les souterrains.

Cachée dans une des embouchures, Isadora observa le jeune homme avec effarement.

Sa main !

Il…

Le feu…

Dans…

Comment était-ce possible ?

Un flamme courait le long de son bras droit, prenant sa source dans sa paume.

Flamme.

Feu.

Don.

Élu.

Tout concordait.

Elle l’observa jouer avec la flamme, attendant que la couleur de ses yeux se révèle. Aucun risque inutile ne devait être pris.

Vert. Comme les mousses des forêts.

C’était bien lui.

Isadora remonta à la surface comme si elle avait le feu aux fesses.

Elle avait son information.

Perturbée et fascinée par ce qu’elle venait de voir, elle courue vers la première auberge qu’elle aperçu, vola un cheval à un client et galopa comme elle pouvait jusqu’au bord du Grand Canyon.Elle avait galopé si vite que l’animal en était tout transpirant et semblait maladif… Mais à cet instant, rien d’autre n’avait compté que d’annoncer la nouvelle aux Dieux.

Malgré le rythme soutenu qu’elle avait imposé à sa monture, la nuit était presque tombée et d’énormes nuages se massaient au-dessus du palais gris.

Les obélisques étaient tous dressés sur le pont.

Lentement, elle mit pied à terre et s’avança jusqu’au milieu de la passerelle, le corps pris de soubresauts, souffrant de sa chevauchée plus qu’elle ne l’avait souhaité.

Elle aurait tant aimé que l’équitation soit innée chez elle !

Tremblante, elle leva les mains et hurla, un air suppliant et désespéré sur le visage :

– Viens à moi ! Viens à moi ! Viens à moi !

Doucement, les colonnes de pierre s’élevèrent et tournoyèrent dans l’air lourd et orageux.Les douze Dieux Entravés apparurent. Ils semblaient plus affaiblis. Peut-être que chaque apparition les affaiblissaient ? Ou les Dieux Maléfiques tentaient-ils de les détruire définitivement ?

Sans leur laisser le temps de parler, elle leur cri, folle de joie et de soulagement :

一 Je l’ai trouvé ! C’est le feu ! La flamme ! Je l’ai vu ! Demain, j’irai lui parler ! Vous serez bientôt libre ! Plus que dix !

Les obélisques retombèrent lourdement sur le sol, à peine eut-elle terminé sa phrase.

Isadora gisait sur le sol, au milieu de ce pont lugubre, entourée des colonnes de pierres, les cheveux épars autour de son visage livide, les yeux cernés, la jambe tordue en un angle étrange, les bras en croix, sa tunique verte en lambeaux, sa cicatrice visible de son épaule à sa cheville, légèrement masquée par ce qu’il restait de sa tunique.

Elle s’était évanouie.

||| Chapitre 10

Une sensation de froideur et d’humidité sur sa tempe réveilla la jeune fille. Ou, du moins, la fit reprendre conscience. Elle ne voulait pas ouvrir les yeux. Elle était bien. Ne pensait à rien.

一 Je sais que tu es réveillée… fit une voix amusée… qu’elle connaissait bien.

一 Mais laissez-moi ! marmonna-t-elle en se retournant comme si elle se trouvait dans un lit. Le roi pouffa.

一 Je me demande bien ce qui te plaît tant dans ce pont tout gris…

一 Hummf, grogna Isadora pour toute réponse, ne voulant qu’une chose : qu’il parte !

一 J’ai soigné ton cheval et nettoyé ta plaie… Enfin, disons que j’ai surtout demandé à Tim de le faire, je n’y connaît rien à la médecine ! continua-t-il avec entrain.

一 Merfchi…

一 Dis-moi… Tu t’es reconvertie en marmotte ou… ?

一 Nion…

Shu riait si fort qu’elle fini par ouvrir les yeux, avant de les refermer brusquement.

一 Pourquoi vous êtes entièrement couvert d’or ? C’est horrible à regarder !

Le roi se pencha vers elle avec un air conspirateur…

一 Tu veux que je te dises ?

一 Je commence à regretter ma question…

一 C’est pour que Tim ai envie de me déshabiller…

一 C’est dégoûtant !

一 Mais non… Tu verras quand tu seras plus âgée ! Et si tu te levais ? Je sais que la pierre est confortable mais tout de même…

Riant légèrement, elle se leva et saisit la main que lui tendait le roi.

一 Viens, tu vas pouvoir te reposer comme il se doit à l’intérieur.

La jeune fille jeta un œil au palais gris.

一 Pourquoi n’est-il pas aussi accueillant que celui de la capitale ? Et pourquoi ressemble-t-il autant à une forteresse ? demanda-t-elle enfin, lâchant ces mots qui la brûlaient.

一 C’est bien simple, il est censé protéger la capitale… Mais avec le temps, c’est devenu inutile, alors j’ai embellit les jardin et j’y vient l’été car il y fait frais.

L’intérieur était tout aussi chaleureux que celui du palais de la capitale, tout en tissus pastel, tapisseries, coussins, canapés, fauteuils… Le roi savait rendre les intérieurs à la fois accueillants et excentriques. A son image.

Et cela impressionnait beaucoup la jeune fille.

Mais elle ne pouvait pas s’attarder. Il lui fallait repartir.

一 Je sais que tu veux t’en aller de nouveau… Mais mange donc d’abord avec nous.

一 Nous ?

一 Tim et moi.

Effectivement, le jardinier les retrouva rapidement et ils s’assirent autour d’une table basse et les plats furent servis.

Ils mangèrent avec les doigts en riant et plaisantant.

Puis ils la libérèrent.

Elle fut conduite aux écuries où elle retrouva le cheval qu’elle avait “emprunté”.

La route du retour se fit sans réel encombre… Jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle n’avait aucune envie et aucun droit d’amener l’autre Élu sur le pont pour lui prouver la véracité de ses dires.

Surtout que certains l’avaient repérée… Et semblaient vouloir la dénoncer comme espionne ou voleuse, elle ne savait pas trop…

Alors elle abandonna le cheval pour s’enfoncer dans les ruelles grises de la ville. Il y avait bien un endroit susceptible d’être adéquat pour invoquer le Dieux…

Mais aucune place, aucune rue, ne contenait douze éléments identiques.

Aucun.

Alors qu’elle flânait mine de rien, elle aperçut au loin l’orée d’une forêt.

Parfait. Douze arbres identiques, cela ne sera pas compliqué à trouver !

Sans plus se poser de question, elle fonça vers le bois.

A peine à l’intérieur, elle remarqua qu’il n’existait aucun chemin défini, mais qu’il était très fréquenté.

Ondulant comme elle le pouvait pour éviter les ronces, elle tenta de trouver les arbres qu’elle cherchait… sans succès.

一 Mais pourquoi est-ce qu’il n’y en a pas deux pareils ! grogna-t-elle, vexée. Ah ! Des menhirs, des mâts de navires, des obélisques, des copies, il y en a plein ! Mais des arbres, certainement pas ! hurla-t-telle en colère contre cette forêt qui n’avait rien demandé.

Elle accéléra le pas, essayant de contenir sa frustration…

Et tomba sur une clairière.

Un cercle parfait.

Entouré de douze menhirs.

Et en son centre, un dolmen.

Lentement, elle fit le tour de la clairière, caressant la pierre du bout des doigts.

Il se faisait tard, la nuit tombait et elle n’avait aucune envie de refaire le chemin dans le sens inverse, alors elle se coucha sous la table de pierre et ferma les yeux.

Le sommeil tarda à venir mais elle n’y prêta pas attention, les yeux rivés vers les étoiles… Nuit veillait certainement sur tous les Élus depuis le ciel.

一 Et un jour, je serai là-haut, moi aussi… Peut-être même à cause des Dieux Maléfiques… murmura-t-elle pour elle-même.

C’était étrange de dormir sous une pierre géante, entourée d’arbres et de mousse.Cela lui rappelait sa première nuit à la belle étoile, lorsqu’elle avait été bannie… Elle se souvenait du réveil horrible et du centaure…

Y avait-il des centaures au Pays de l’Ouest ?

La jeune fille ne pouvait s’empêcher de se demander d’où venait sa facilité à parler ouestae… Un talent caché dû à sa qualité d’Élue ? Ou un simple don d’adaptation ?

Elle n’en savait rien et ne tenait pas à comprendre.

Sans la barrière de la langue, il lui serait bien plus simple de communiquer avec les autres.Les autres… Dix autres personnes à rencontrer, convaincre… C’était long. Elle avait mis quatre ans à trouver ne serait-ce qu’un de ses homologues.

Alors dix !

Qui sait ce qui allait se passer…

Et si les Dieux Maléfiques détruisaient les Dieux Fondateurs ? Et s’ils n’y arrivaient pas ?Isadora referma les yeux, chassant ces idées noires de son esprit et se concentra sur le lendemain.

Elle allait enfin pouvoir le rencontrer.

Et il allait devoir accepter son destin.

Epilogue

一 Vous allez subir le pire des supplices ! ricana-t-il.

一 Vraiment ? répondit Nuage de Cendre, sans départir de son calme légendaire.

一 Oh oui… Vous allez nous observer détruire ce monde que vous aimez tant… Et qui est si inutile.

Bonus

Isadora

Prénoms : Isadora Clio Thalie
Nom : Zulikamatislimorijopina
 Âge : 12 ans
Cheveux : noirs
Yeux : Verts
Peau : pâle
Signe distinctif : possède une longue cicatrice de l’épaule droite à la cheville.
Caractère : déterminée, orgueilleuse, intelligente, sociable, susceptible, protectrice, cynique.
Fonction : Élue


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