Le Corps – Partie 10

4 mins

Le Corps – Partie 10 

Acte 2 – Bloc 4 – Beat 10 Le protagoniste prend la mesure de son nouveau monde

959 mots

     La rencontre du Conseil céleste ne donna rien. On me fit des éloges pour avoir pris des vacances au premier jour de mon mandat. « Voilà qui en impose, » avait ajouté un ange sénateur. Pour ce qui est des rallyes de l’Ange noir, il ne fallait pas s’en faire, me dit le Président du Conseil céleste, ça n’était pas la première fois que ça se produisait. Un vieil ange bossu proposa une alliance avec l’enfer. « Seul moyen d’établir une paix durable, » lança-t-il en se méritant une salve d’applaudissements. On y alla même jusqu’à considérer offrir le Grand Canyon comme gage de bonne volonté avant d’engager des pourparlers de paix.

     Devant mes bienveillantes objections, on me rappela par superposition des consciences que les prérogatives du Sylvanium se limitaient à gérer les affaires courantes du bas ciel dans le cadre stricte des lois votées par le Conseil. La capture du Corps par l’Ange noir fut reconnue comme une question embêtante, mais non urgente. Les Archanges sénatoriaux dérivèrent sur l’importante question des excès de vitesse à la hausse chez les anges incarnés. Lorsqu’on objecta que lors d’une attaque de griffons un ange avait parfaitement le droit de dépasser les limites prescrites, on renvoya l’affaire à la prochaine décade, comme tout le reste d’ailleurs. 

    Le cocktail fut décrété. Nous sortîmes de l’hémicycle recouvert d’un dôme à la couleur du ciel pour nous rendre dans la Grande Maison. L’endroit aurait fait pâlir le Vatican par la splendeur de ses œuvres d’art. Le marbre imposant des planchers, les colonnades et les plafonds en voûtes, tout ici donnait une impression de grandeur, voire de confiance imposante. 

    Assemblés en cercles, les sénateurs et les représentants échantillonnaient les p’tits fours tout en s’inquiétant de l’admission croissante dans le Haut-Ciel du nombre d’anges en provenance du Bas-Ciel ciel pour motif d’agression sur la fibre de leur être par des entités du mal. Cette nouvelle forme de refuge témoignait du laxisme des anges incarnés à contrôler le mal et d’une recherche de la facilité, disait-on. On me chargea de remonter le moral des troupes. 

     Je sortis de la Maison céleste entouré de mon équipe Sylvanoriale. Un attaché de presse fort compétent du nom de JimPaskiel répondait à toutes mes interrogations. Mon Conseiller senior, l’ange Élariel et mon Secrétaire à la défense contre les forces du mal, l’Archange général Gabriel lui-même, agissaient comme garde rapprochée. Une nuée d’anges rapporteurs se jeta sur nous, si bien qu’il fallut l’intervention de quelques cerbères pour ouvrir un chemin jusqu’aux jardins bleus, célèbre pour les couleurs de sa flore.

    Il faisait bon marcher dans un pagne romain, chaussé de sandales sur les pelouses verdoyantes de l’Ailysée. Toute cette campagne de la région de Boston était maintenue dans une bulle temporelle, hors de la portée des humains, m’apprit-on. L’hydromel aidant, la conversation se fit plus légère. « Les sorcières sont des êtres de chair capable d’enjôler les forces du mal afin de les contraindre à faire des menus travaux, pas toujours légaux, » ajouta un jeune premier, le verre de cocktail à la main. « Des fauteuses de troubles » avait-on répété, ce qui créa une salve de fou-rire. C’est sur ce ton léger que la conversation dériva sur une créature unique. Cette humaine non angélique, non-sorcière, non-tout, en fait, n’avait pour don que la capacité à voir les anges. Certains ajoutèrent que son véritable talent consistait à reculer les limites de l’acceptable au championnat des casse-pieds. Aucune autre habileté particulière ne lui était connue, si ce n’est d’avoir une fascination pour le bricolage d’objets capables de traquer des insignifiances en vadrouilles. Un diable ici, des griffons par là. Son esprit complotiste était apparemment obsessif et sans limites. Enfin, il fallait excuser sa légèreté, s’exclama un archange sénateur dont la remarque créa une formidable explosion de rire. 

   Je fis quelques pas pour m’ébrouer. L’hydromel concentré commençait à faire effet. Comme d’habitude, chaque fois que je soufflais, l’image des derniers moments du Corps venait m’écorcher le cœur. C’est à ce moment que je remarquai une petite troupe à l’extérieur des jardins Sylvanoriaux.

    Mary Grimmins marchait les bras chargés dans un sentier accompagnée de son ange gardien. Sa chevelure était emmêlée, rien à voir avec la femme bien mise que j’avais rencontré dans la chapelle. Mais c’est la présence de Vector à ses côtés qui m’intrigua. L’appel de mon Conseiller senior dans sa direction le força à poser le boulet toujours accroché au cou de l’éminente professeure. La femme fut forcée de s’accroupir à cause de la longueur insuffisante de la chaîne. 

    Je pouffai de rire. À travers la clôture, Elariel informa le chef de la bande de Salem de la convocation de son groupe… « Pour…? laissa-t-il flotter à mon intention.

— Une opération spéciale, répondis-je, secret absolu. 

— Boss, ajouta Vector à travers la grille, au sujet de la griffonne… C’est qu’elle nous les casse. Le soir, on est forcé de la mettre au lit à cause des escaliers. Skylar insiste pour qu’on soit aux p’tits soins, c’est soir et matin, ça n’arrête plus. Faut comprendre, on a des matchs, des occupations.

— Mais vous plaisantez ! Ce collier a été acheté chez Magic-Toys ! Une scientifique de son niveau…

— Ben p’têtre que la livreuse a ajouté une malice de son cru, allez savoir. Les sorcières ne sont que des fauteuses…

— …de troubles, je sais. Nous verrons cela plus tard. Soyez à l’heure, mon horaire est chargé. 

    Les anges avaient peut-être raison au sujet de cette femme. J’avais pensé la prendre comme conseillère, mais elle m’apparaissait aujourd’hui comme une personnalité atypique, à jamais incapable d’un quelconque accomplissement. Je décidai de ne pas la convoquer. S’il y avait une chose que je tenais pour certaine, c’est qu’il est préférable d’aller en enfer avec des gens de confiance.

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2 Commentaires
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P. Maryse
2 années il y a

Encore un monde d hommes qui ne voient que leur Nombril 🙂
Ma pauvre Grimmins…même le Sylvarium la rejette maintenant…

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