Je garai la coccinelle dans le parking de l’église où allait se tenir le Conseil extraordinaire. J’hésitai à descendre. Je souhaitais plus que tout assister à cette rencontre, mais les conditions qu’on m’imposait étaient humiliantes. Les sorcières m’avaient vêtue comme une miséreuse, avec des lambeaux de tissu puants. J’avais cette fois la certitude de n’être qu’une vieille serpillère…
Ma chevelure n’était plus simplement décoiffée, elle était devenue une crinière sauvage, celle d’une enragée sortie tout droit des égoûts ! Ça me grattait, ça grouillait sous mon cuir chevelu, qu’est-ce que ces sorcières avaient bien pu me refiler comme cochonnerie ? Et si ce n’était pas assez, il y avait ce boulet enchaîné à un collier de fer autour de mon cou. Je me demandais si je n’étais pas déjà en enfer… Mais qu’avais-je fait au bon Dieu pour mériter ça ? …J’étais née, voilà, c’est ça, on me punissait d’avoir eu l’audace de naître !
“Mary ressaisis-toi ! Ressaisis-toi ! Que te dirais le père Ronce s’il était là ?…”
Il me dirait:
“L’habit ne fait pas le moine, tu le sais bien. Alors oublie cette humiliation et concentre-toi sur l’essentiel !
“L’essentiel, oui, c’est ça…”
Je tentai de respirer une fois, deux fois.
“Concentre-toi sur le plus important, ta condition passe après,” me répétais-je.
Et alors j’entendis sa voix bienveillante :
“Il nous faut une pierre rouge, une pierre des enfers, seul objet capable de donner sa puissance à l’ALS 3000. Ce générateur d’incantation sera notre seule chance lorsque viendra la grande invasion des troupes maléfiques de l’Ange Noir !”
Oui, je devais être à la hauteur de ses attentes. Il me restait encore un peu de temps avant le début des festivités dont je serais la bouffonne assurément. Mais qu’à cela ne tienne ! S’ils croyaient que j’allais m’aplatir devant eux, ils se trompaient. Tout ceci était provisoire, n’est-ce pas ?
Mes guenilles finiraient par disparaître. L’urgence n’était pas de redorer mon blason… Il fallait empêcher l’Ange Noir de mettre en oeuvre son plan pour saper le travail des anges gardiens et attirer ainsi à lui toujours plus d’âmes égarées. Toutes ces huiles qui gouvernaient le Haut Ciel semblaient ne rien voir venir. Ce n’était pas cet empâté de Sylvanium qui allait y changer grand chose, il a beau avoir sauvé Skylar, il n’a rien compris et ne pense qu’à retrouver le Corps de son ange gardien pour en faire sa poupée de luxe !!!
Soudain, ce fut comme un arrêt sur image. Je ne bougeais plus, je n’entendais plus rien, je me sentis aussi légère qu’un oiseau et mes pensées se téléportèrent dans un autre temps, un ailleurs que je ne reconnaissais pas. Une brume épaisse et inquiétante recouvrait un lac au milieu duquel brillait une lumière douce. Il y régnait un silence morbide, interrompu par des cris terrifiants qui émanaient d’une forêt profonde. Des corbeaux croassèrent et vinrent se percher sur un arbre mort. Le ciel était rempli de vautours aux becs crochus qui tournoyaient dans une danse macabre. Et puis, j’aperçus des anges regroupés en un cercle de défense. Leurs lances paraissaient bien futiles face aux maléfices qui les cernaient de toutes parts. J’eus le sentiment qu’ils étaient les seuls survivants de leur espèce…
Ma vision se déplaça sur ma propre image. J’étais attachée presque nue à un poteau de bois, le regard vide, le teint affreusement pâle au milieu d’un bûcher. À mes pieds le père Ronce gisait immobile, couvert d’araignées qui tissaient un cocon oppressant autour de son corps. Il essayait de me dire quelque chose mais aucun son ne sortait de sa bouche…Les images défilaient à toute allure, mes yeux s’agitaient sous mes paupières à une vitesse vertigineuse. Puis plus rien. Je tombai au sol, épuisée par ce voyage tridimensionnel. Je crois bien que je perdis connaissance.
Oh ! Ça c’est une vision !
de la Forge ferait mieux de se bouger et de cesser de mépriser cette Mary Grimmins qui ne souhaite que le bien !
O. si tu ne te dépêches pas, quelqu’un d’autre va saisir ce cœur pur ! Tu vas manquer ta chance mon bonhomme !