Lioster.
A l’origine, une simple forêt profonde empreinte de légendes tenant à distance les curieux et les prospecteurs. Isolée de la civilisation, ceinte en partie d’une muraille rocheuse escarpée, la maintenant quasi continuellement dans une pénombre renforcée par les feuillages denses des arbres sans âge.
Elle n’avait alors même pas de nom.
Jonathan Lioster, las d’une vie toute tracée et de ses congénères humains, décida de tout plaquer pour la vie d’ermite. Pour être sûr d’avoir la paix, il se bâtit une cabane au cœur de ces bois secrets.
Les premiers mois, les marchands des villes les moins éloignées purent le voir faire du troc. Il venait échanger des plantes, du bois, du gibier. Il ne parlait presque jamais, et ne s’éternisait pas. Personne ne put obtenir de lui des informations sur la forêt.
De fait, il attisa de plus en plus la curiosité.
Au fil du temps, son apparence changea, témoignant de la difficulté d’une vie dans ces bois. Il maigrit dangereusement, son regard se durcit et devint inquiétant. Certains voulurent le convaincre de quitter la forêt, quand d’autres se mirent à l’éviter. La méfiance des parents se transmettant à leurs enfants, il devint rapidement une légende, un croque-mitaine dans leurs jeux et leurs comptines.
Puis il disparut.
Plus personne ne le vit. Et personne ne s’en soucia. Certains pensèrent, avec soulagement, qu’il avait trouvé une autre ville où troquer ses produits, d’autres qu’il était tout simplement mort.
Cela dura vingt-cinq ans.
C’est une petite fille qui l’aperçut en premier. Elle ne l’avait jamais connu, mais le reconnut aussitôt grâce aux chants qui avaient perduré malgré sa disparition. Elle se rua dans les jambes de son père, hurlant que l’ogre était là. Quand le père sortit, il redevint l’enfant jouant à se faire peur en espionnant l’ermite. Mais cette fois, la peur n’avait plus rien d’un jeu.
Le vieil homme, une longue chevelure grise, sale et hirsute, semblant avoir été taillée tant bien que mal à l’aide de pierres ou de lames très émoussées, n’avait conservé que son regard d’acier. Sa peau dessinait son squelette à travers les trous béants de ses vêtements déchirés. Il semblait sur le point de s’effondrer à chacun de ses pas.
Très vite, la population sortit pour observer le revenant, mais personne ne s’approcha.
Un autre vieil homme fit son apparition sur la place, et se dirigea lentement vers lui :
– Jonathan… Tu es encore en vie ? C’est moi, Lionel, tu me reconnais ? Tu m’échangeais tes peaux dans le temps…
Pour toute réponse, le vieil ermite saisit la main qu’on lui tendait, avec une force inattendue pour son état, et plongea son regard dans celui de son vis-à-vis. Il le dévisagea un moment puis, se retourna, et repartit comme il était venu.
Quand le vieux marchand ouvrit la main, il trembla et tomba à genoux. D’autres accoururent pour le soutenir, et une fois relevé, il leur montra le contenu de sa main.
Ce qu’ils virent fut l’objet de longues discussions houleuses, dans cette ville, et dans d’autres, la rumeur ayant été propagée par des marchands de passages ayant assistés à la scène. Les familles, en désaccords, se déchirèrent, la méfiance entre voisins s’accentua, on se scrutait : “partira, partira pas ?”
Finalement, de nombreuses personnes n’attendirent pas de décision officielle et quittèrent tout pour se diriger vers la forêt.
Le paisible lieu fut bientôt envahi. Après une réticence inquiète, les premiers s’engouffrèrent dans les bois. Ils trouvèrent vite la cabane du vieil ermite, qui tenait plus du chalet forestier que de la masure branlante. Ils le trouvèrent lui, étendu sur une couche de feuillage, mort. Dans la cabane, qu’ils pillèrent sans aucun respect du mort, ils trouvèrent surtout de quoi justifier leur venue.
Très vite, le fracas des arbres abattus troubla la quiétude de la forêt, le petit groupe s’étoffa, devenant une communauté, attirant à elle des marchands qui s’installèrent à leur tour.
Certains, gagnés par le remord de leur arrivée brutale, décidèrent que la demeure du vieil ermite ne devrait jamais être démolie, et toute une ville naquit lentement autour d’elle. En ultime hommage, elle prit son nom, Lioster, et continua de prospérer durant des années.
Plus personne alors ne pensait à ce que le vieux marchand, mort sans jamais avoir voulu mettre un pied dans ces bois, avait montré dans sa main :
Une pépite d’or, un diamant, mais aussi un œil.
( à suivre…)
Captivant. J attends de lire la suite avec impatience.
Prenant ! Vite la suite ^^
Nous sommes mystifiés ! Encore !