Les Crapules de la Cabane – Chapitre 2

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                                        Chapitre 2 : La Cabane

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— Hé oh, Harlem !

Un claquement de doigts sous mon nez me sortit brutalement de mes pensées. Je relevai le museau de ma pinte de bière et posai mon regard hagard sur Walter, le barman de mon pub favori.

— Ton ardoise, elle va pas se régler toute seule, putain de merde !

Je plissai le nez dans une grimace désolée, redoutant le montant de la note qui s’était accrue méchamment ces derniers jours. Comme toutes les semaines, d’ailleurs.

— Ouais ouais, je sais, excuse-moi, j’avais zappé.

— Ben moi j’ai pas zappé ! Soixante-douze livres c’est pas rien, putain ! insista l’éternel grincheux à moustache.

Je soupirai en farfouillant dans mes poches, espérant y trouver un peu de cash. J’avais quinze balles à tout casser, et quelques pence. Je déposai le billet et la caillasse sur le comptoir, dans un tintement tristement maigre. Le vieux tavernier fixa mon misérable tribut jusqu’à ce que le dernier penny ne cesse de tourbillonner sur lui-même pour finalement s’écraser lui aussi sur le bar dans un silence brusquement gênant. Je déglutis bruyamment, embarrassé, quand Walter posa son regard dépité et fatigué sur moi.

— Finis ton godet et casse-toi ! J’te servirai plus avant que t’aies réglé la totalité ! grogna l’ancêtre en encaissant ma première échéance. Pas être fichu de régler ses dettes à quarante piges, c’est vraiment minable, Harlem !

— Quarante piges ? m’offusquai-je en haussant un sourcil. Trente-sept ! J’ai trente-sept ans, espèce de fossile décrépit !

— C’est l’insulte la plus débile que tu m’aies jamais sorti, abruti ! Un fossile c’est forcément décrépit, vu que c’est un foutu fossile de merde ! Tu sais même pas ce que c’est ou quoi ?! Un fossile bordel, c’est de la caillasse ! Et c’est devenu de la caillasse parce que c’est super vieux, alors forcément décrépit, triple buse !

— Oh, mais ferme-la ! J’sais ce que c’est un putain de fossile de merde, j’suis pas débile, enfoiré !

— Tire-toi espèce de pseudo anarchiste de mes deux ! T’es qu’un parasite qui vit au crochet de la société !

Je ne répondis rien, las de ses jugements à deux balles. Je me contentai de grogner en agitant la main vers lui pour qu’il la ferme et je m’envoyai une dernière lampée de bière pour finir mon verre. En le reposant, je le fis claquer sur le comptoir avant de tourner les talons pendant que l’aubergiste aux cheveux gris continuait de pester dans mon dos.

— Hé Harlem ! T’as pas vingt balles à me dépanner ? J’te les rends demain, promis !

Fermant les yeux, je soufflai profondément, fatigué de ce loustic dégénéré du bocal qui me harponnait à chaque fois que je sortais de la Cabane. J’avais à peine passé la porte, putain ! C’était le nom du pub, la Cabane. Il nous servait de QG d’une certaine façon, à mes potes et moi. C’est d’ailleurs ce qui nous avait valu un surnom dans le coin, les Crapules de la Cabane. Même les flics nous appelaient comme ça. Ça sonnait comme un nom de garage band, comme si on était un groupe de péquenauds bourrins qui gueulaient des chansons punk et faisaient grincer de la gratte dans un hangar abandonné le dimanche. C’était presque ça, sauf qu’on n’était pas des musicos, juste des péquenauds.

— Allez, sois pas vache, t’as bien un billet qui traine ? persista le jeune.

— Non mais t’as vu ma gueule, Ed ? J’ai l’air d’avoir du flouze sur moi, franchement ?

Je le fixais de mon air blasé, excédé de devoir le rembarrer jour après jour, et sortis les poches vides de mon vieux futal crade et troué pour bien lui faire comprendre le message.

— Tu vois ? Que tchi, coco !

Dieu merci ce zonard de bas étage encore plus minable que moi, finit par s’en aller. Je roulai des yeux et portai une clope à mes lèvres faisant cliqueter mon briquet. L’extrémité du bâton de nicotine s’embrasa et je pris une première inspiration bien profonde pour encrasser mes poumons comme s’il y avait une chance pour que ça m’apporte une forme d’apaisement. Ça me filerait surtout le cancer, tôt ou tard, mais pour le soulagement on repasserait.

C’était vraiment la dèche en ce moment. Et on subissait les conséquences d’une énième crise économique. Enfin je crois. J’avais entendu ça à la télé sur une chaîne d’infos, la veille, en zappant pour tuer l’ennui. Mais moi, j’avais l’impression que c’était toujours la crise. Simplement, il y avait des moments où les journalistes l’évoquaient à la télévision, et d’autres fois où ils prétendaient que tout allait bien dans le portefeuille des citoyens britanniques. Au final, il y avait les gens pour qui ça allait toujours bien, même quand c’était la crise, et ceux pour qui ça allait toujours mal, même quand ce n’était pas la crise. Et sans boulot, je vous laisse imaginer le défi ! Parce que même les aides sociales, l’Etat ne les crachait pas comme ça. Ça n’arrangeait pas beaucoup les branleurs dans mon genre.

J’avais déjà deux mois de loyer en retard et plus les semaines passaient, plus je m’enfonçais tout au fond du trou que les capitalistes avaient creusé spécialement pour les clampins comme moi. Ok, j’avoue, elle ne vient pas de moi cette phrase, je l’ai piquée à Mohan. C’est lui le véritable anarchiste de la bande ! Parce que Mohan, il peut se révéler particulièrement cultivé en ce qui concerne le fonctionnement du système, et il a toujours plein d’idées pour lutter contre « l’absurdité d’une société esclavagiste qui tente par tous les moyens d’asservir la population en entretenant un paradigme sociétal destiné à nous diviser au profit des nantis ». Un truc comme ça… Quoi qu’il en soit, je me retrouvais au fond du trou. Il fallait que je me trouve une putain de grande échelle ! Non, pas une échelle en vrai, c’est une image, hein ! Comment il dit Angus, déjà ? Ah oui ! Une métaphore.

J’en avais des idées pour faire du blé ! Mais la plupart du temps, mes plans présentaient quelques défaillances, menant à un résultat foireux. Pourtant, à chaque nouvelle ampoule qui s’allumait dans mon crâne, je me persuadais que cette fois c’était la bonne ! Et je merdais. Encore et encore. Et je recommençais, reproduisant éternellement le même schéma, convaincu que ma chance finirait tourner. Si je m’en sortais tout de même avec quelques billets, je m’en estimais déjà bien heureux. Une chance pour moi, je n’étais pas tout seul, à avoir des idées. J’avais mes potes. Même si nous n’étions pas des flèches, à nous quatre on trouvait toujours une solution pour voir venir, pendant un temps au moins. Et quand on était à court d’inspiration, on avait toujours les magouilles habituelles, qui ne rapportaient pas beaucoup, mais ça mettait quand même du beurre dans les haricots. Non… Les épinards ?

La plus facile, une manœuvre franchement malhonnête consistant à récolter des prétendus dons pour des ONG. On jouait aux bénévoles, abusant sans scrupules de la générosité de nos concitoyens. Oui, je sais, c’est moche. Mais ça fonctionnait, easy peasy. J’avais chouravé des t-shirts Greenpeace dans leurs bureaux locaux, il y a de ça trois ans. Et avec toute la bande, on allait jusqu’à Manchester dans la bagnole pourrie de Taz, parce que dans notre bled, tout le monde se connaissait. Pigeonner les gens dans une grande ville se révélait d’une facilité déconcertante. Nous passions la journée à ramasser de l’oseille en assurant aux badauds qu’ils investissaient dans un avenir meilleur et la préservation de la planète. Ça ne voulait rien dire du tout, mais ça marchait. Je ne suis même pas sûr de savoir ce qu’ils foutaient d’ailleurs, les militants de Greenpeace

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