Chapitre 3 : Olivia
Olivia était là, au coin de la rue. Elle passait par là tous les jours pour aller bosser à l’épicerie du coin. C’est aussi pour ça que tous les jours à cette heure-ci, j’allais me taper une mousse à la Cabane, parce que je savais que je la croiserais. Et ça me donnait une excuse supplémentaire pour aller me rincer le gosier une fois de plus dans la journée. Elle était belle, Olivia. Élancée, brune, avec quelques tâches de rousseur sur le nez. Une beauté époustouflante sans artifice, et peu de maquillage sur son doux visage. A chaque fois que je captais son regard c’était comme si les Violent Femmes se mettaient tout à coup à jouer « Good Feeling » dans ma tête. Cette fille, c’était mon crush du collège, et je n’avais jamais été attiré par une autre comme je l’avais été par elle. Je ne sais pas trop à quoi ça tenait au fond. Pas juste à son corps de déesse en tous cas, je le sentais au fond de moi qu’il y avait plus que ça. Olivia, elle était différente des autres. J’étais convaincu que les mecs qui l’avaient pécho jusque là, c’était rien que pour son cul ! Mais moi, je voulais plus d’elle, tellement plus. Ça lui arrivait de passer des soirées avec nous, au pub. Et quand elle nous accompagnait, j’essayais de ne pas débiter les conneries habituelles. Pas trop du moins. Mais même quand je buvais le verre de trop et que le naturel revenait comme un foutu boomerang, elle riait quand même à mes blagues débiles. Une fois -plusieurs en réalité- elle m’avait raccompagné jusqu’à chez moi, parce que je ne tenais plus très droit sur mes guiboles. Et il lui était arrivé de rester, jusque tard dans la nuit, avant de disparaître et de creuser un trou béant dans mon petit cœur pourri. C’était une amie, à défaut de plus, une véritable amie.
Les années passaient, mais pas mon amour pour elle. Je ne sais même pas si elle avait déjà remarqué que je la kiffais comme ça. En tous cas, je ne lui avais jamais dit. Et je n’avais jamais rien tenté non plus, parce que cette meuf, elle était trop bien pour moi. Toutes les meufs étaient trop bien pour moi, mais Olivia, plus encore. Au collège déjà, elle ne sortait qu’avec des mecs cool. Des gars qui avaient la classe jusqu’au bout des cheveux, style voyous, mais qui finiraient quand même par réussir dans la vie parce qu’ils avaient l’aplomb, l’assurance et l’esbroufe qu’il fallait pour ça. Pas comme moi. Déjà au lycée, je faisais clodo. Ça se voyait sur ma gueule que j’étais destiné à finir pilier de bar. Si Olivia et moi on n’avait pas fait toute notre scolarité dans le même bahut, je suis sûr qu’elle n’aurait jamais adressé la parole à un type comme moi.
— Salut, me lança-t-elle en m’offrant un sourire qui me fit presque tressaillir.
— Hey.
J’aimais sa façon de me regarder, toujours sympathique, bienveillante, comme si ça lui faisait plaisir de me voir. Ça changeait du regard que la plupart des gens posent sur moi. Avec ma barbe de trois jours, mes cheveux jamais coiffés et les poches qui ont élu domicile sous mes yeux il y a vingt ans déjà, je comprends qu’il soit difficile de me regarder autrement qu’avec du mépris. Visuellement, je n’ai rien du type bien sous tous rapports. Même mes fringues relèvent d’un cruel manque d’élégance. En matière de mode, mes goûts sont assez… éclectiques. C’est un mot que j’entends souvent quand les gens décrivent mon allure. Une façon pas trop méchante de me dire que je suis mal sapé. Un peu comme quand un couple révèle à leurs amis le prénom de leur rejeton fraîchement pondu, et que les gens répondent « Ah… C’est original ». Juste pour ne pas dire qu’en réalité c’est moche et ridicule. Comme Abner. Je connais un mioche qui s’appelle comme ça. Je ne peux pas l’affirmer, mais je suis quasiment certain qu’il se fait jeter des cailloux à la récré !
— Joli t-shirt.
Je baissai les yeux sur mes fringues, comme si j’avais oublié ce que j’avais enfilé ce matin et haussai les épaules en souriant.
— Te moque pas ! Il est collector ce truc-là ! Je l’ai trouvé dans une friperie, affirmai-je en tirant sur ma clope.
Conneries. Je ne savais même pas d’où sortait ce t-shirt rose pâle délavé par le temps et les machines, avec une grosse tête de chat imprimée en plein sur le devant. Je l’avais jute trouvé sur le sol de ma piaule, qui trainait là parmi d’autres fringues. Vestige d’une soirée arrosée chez moi qu’un pote légèrement zinzin sur les bords, avait probablement oublié. Ou volontairement abandonné. Ça détonnait vachement avec ma gueule et ma peau recouverte de tatouages. Mais je m’en cognais. Olivia leva les yeux au ciel en éclatant de rire. J’aimais son rire. Ses yeux, ses cheveux aussi. Et son petit cul parfait. J’aimais tout chez elle.
— Je veux bien te croire. Je suis sûre qu’il est… unique ce t-shirt. Je l’espère en tous cas.
Je me méprenais probablement, mais je trouvais qu’il y avait quelque chose de pétillant dans le regard d’Olivia quand il se posait sur moi. Et son sourire aussi, et ses cheveux qui dansaient dans une douce brise matinale… Enfin pas vraiment matinale, il était déjà onze heures tout de même. Putain, j’étais raide dingue de cette nana ! Mon palpitant s’emballait, comme à chaque fois que j’échangeais quelques mots avec elle.
— Bon j’y vais, je suis déjà en retard. A plus, Harlem.
Un clin d’œil juste pour moi et elle poursuivit son chemin. Je me tournai pour la regarder partir avec des yeux de merlan frit, laissant échapper de mes lèvres un profond soupir.
— Quand est-ce que tu lui dis ?
Je sursautai, sorti de mes douces pensées par un intrus.