Vindicta : Chapitre VII

7 mins

Alphonse, remué par le spectacle, laissa Nathyon avec le maire pour attendre l’arrivée de la dénommée Krystal Norgue, ou Belperone, il n’avait pas bien compris pourquoi le maire s’était repris. Lui, retourna à l’auberge, prétextant mettre ses premières notes au propre.

De retour dans sa chambre, il s’assit sur le lit, pensif. Il sursauta en apercevant un résidu sur ses habits, lui rappelant une graine. Paniqué, il mit de longues minutes à retrouver cette chose qu’il venait de balayer d’un revers de main comme s’il s’agissait d’un insecte. Il s’imagina un temps Nathyon revenir et le trouver empêtré dans cette toile d’araignée végétale, le vidant lentement de son sang. Il chassa cette pensée, et après une hésitation, décida de détruire par le feu l’objet de ses craintes, sans être sûr de sa nature.

Il se lava ensuite les mains dans la salle de bain, et se regarda longuement dans le miroir.

Que faisait-il ici ? Il n’était pas du tout taillé pour ce genre de chose !

Il soupira, et dénoua son foulard, s’observa de nouveau longuement et passa les doigts sur la marque barrant sa gorge… Que faisait-il ici ?

***

Alphonse rêvait d’être écrivain. Pas forcément renommé, la célébrité ne l’intéressait pas. Mais, si son talent pour l’écriture était reconnu, il n’en était pas de même pour son imagination. On avait toujours trouvé ses écrits trop plats, pas assez flamboyants, vus et revus…

Il avait donc fini par renoncer.

Il était finalement devenu biographe au sein d’une agence de seconde zone, ne traitant qu’avec des gens en manque de notoriété désirant faire connaître leurs vies aux autres. Petit-à-petit, sa propre vie s’effaça derrière les voyages et les péripéties de celles qu’il relatait. N’ayant plus de famille depuis déjà un certain temps, les ponts avec ses rares amis s’érodèrent lentement jusqu’à disparaître, et il se retrouva seul, piégé dans les vies des autres.

Quand il le réalisa, ce monde onirique s’écroula. Rapidement, il se conforta dans l’idée d’une seule issue possible à son mal-être grandissant.

Cette journée fut grandiose, il dépensa autant que possible, se permettant les meilleurs restaurants, les plus luxueux vêtements. Il se paya même un foulard hors de prix, lui qui n’en mettait jamais.

Le soir venu, après un ultime repas délicieux, il jugea l’heure adéquate. Le soleil couchant visible depuis sa fenêtre lui offrirait une dernière belle image du monde. Il passa la corde autour de la poutre. Positionna la chaise, grimpa, ajusta la hauteur de la corde, glissa avec appréhension sa tête dans le nœud coulant. Il était temps. Il ferma les yeux.

Il hésita. Se mit en déséquilibre. Son cœur s’emballa comme conscient de sa propre fin imminente. Allez. C’est le moment.

— Suspends ton geste, Alphonse.

Le biographe, surpris par la voix dut se battre pour retrouver son équilibre. Il ouvrit les yeux, balaya la pièce, et tomba sur un homme posté dans l’ombre, appuyé sur une canne.

— Qui.. Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré !

Sa voix oscillait entre la colère d’être surpris dans un moment aussi intime, et l’incompréhension de cette présence. L’homme s’avança calmement, sans un mot, faisant claquer sa canne sur le parquet à chaque pas.

— Toi qui étais sur le point de renoncer à la vie, tu serais encore curieux ?

— De quoi ? Mais vous… Que voulez-vous ? 

Alphonse ne savait plus quoi penser, ni comment réagir, il se sentait simplement stupide, juché sur sa chaise, une corde autour du cou face à cet intrus dont il ne voyait pas le visage. Et cette canne représentant une femme se cachant le visage, ne faisait que renforcer son sentiment de honte.

— Cette vie que tu ne veux plus, cède-la-moi.

— Pardon ?

Un fou. Aux portes de la mort, un fou était entré chez lui.

— Je te propose de découvrir un monde au-delà de tout ce que tu pourrais imaginer. Je te propose de l’arpenter, de le raconter, de l’écrire.

— L’écrire ? Vous… Vous voulez que j’écrive pour vous ?

— Pas pour moi. Pour la vérité.

— La vérité ? Je ne connais même pas votre nom !

— Quelle importance ? Si tu acceptes, tu le connaîtras bien assez tôt. Sinon, à quoi te servirait-il dans la mort ?

Les pensées d’Alphonse se bousculèrent, il avait renoncé à la vie, c’était un fait. Et voilà qu’un inconnu total, venait de réveiller la flamme de la curiosité, le désir de continuer encore un peu, au moins pour savoir qui était ce personnage ! C’était tellement étrange. Il n’avait aucune idée de qui était cet homme, ni de ce qu’il comptait faire de lui. Mais que pouvait-il risquer de pire que le futur qu’il avait prévu ? Il commença à retirer la corde sans même s’en rendre compte, comme un insecte attiré par la lumière. Serait-elle salvatrice ou lui aussi se brûlerait-il les ailes ?

— Que fais-tu ? l’interrompit l’homme, avant de poursuivre face à la stupeur croissante d’Alphonse. Tu ne m’as pas compris. Je t’ai dit de suspendre ton geste, pas de l’arrêter.

— Vous voulez… que… je meure ?

— Il me faut être sûr de ta volonté. Là où nous allons, ton âme même sera ébranlée. Si tu ne vois dans ma proposition qu’une échappatoire à ton suicide, la folie te déchirera. Vois dans ton acte un baptême à ton nouveau destin, et non une conclusion à ta vie perdue.

Alphonse ne comprenait rien, mais l’homme avait indubitablement attisé le brasier d’une soif de découvertes qu’il pensait disparue depuis trop longtemps. Que voulait-il ? Un test ? Le rattraperait-il à temps ? Pourquoi ? Et si ce n’était pas le cas ? Voulait-il vraiment agoniser sous les yeux d’un parfait inconnu ?

Trop de questions. Un simple pas pourrait y mettre fin. Dans un sens ou dans l’autre.

Un simple pas…

Le lendemain soir, il se trouvait face à une immense demeure. Lorsqu’il s’était réveillé quelques heures plus tôt, l’homme était à ses côtés. Il s’était présenté en un simple mot qu’Alphonse n’avait dans un premier temps pas interprété comme un nom. Il n’avait aucune idée de là où il était. Rien ne ressemblait à son quartier, ni même a aucune ville qu’il avait visitée.

Nathyon lui avait signifié de ne pas prononcer un mot à l’intérieur. Le fait de ne pas parler l’arrangeait : il avait un mal de gorge terrible. Il s’était vu dans le reflet d’une fenêtre, la marque sur son cou était terrifiante. Combien de temps Nathyon l’avait-il laissé se balancer au bout de sa corde ?

Quand ils entrèrent, Alphonse fut soufflé par la majesté des lieux. Des tableaux immenses et splendides aux murs, du mobilier luxueux qu’il n’aurait jamais pu s’offrir après une vie entière de travail, de l’or, de l’argent… Et des gens.

C’était une véritable soirée de gala qui se déroulait ici. Le biographe ne se sentit pas du tout à sa place, surtout avec la marque sur son cou. Personne n’y prêta pourtant attention. Une armée de domestiques passait d’un convive à l’autre, leur proposant toasts ou boissons. Les gens riaient, parlaient, dansaient… Ils passaient d’une pièce à l’autre. 

Alors qu’il suivait docilement Nathyon à travers la foule, il marqua soudain une pause en réalisant ce qu’étaient ces pièces. Celle qui s’ouvrait à sa gauche, contenait plusieurs personnes, entourant une jeune femme allongée dans un lit, tenant un nourrisson dans ses bras. Son air fatigué, mais ravi, témoignait de la récente naissance.

Dans la salle lui faisant face, un mariage était en cours, le couple affichait un air gêné sous les félicitations et applaudissements de leur entourage.

Enfin, dans celle à sa droite, un attroupement se tenait silencieusement, tranchant avec la fête ambiante. Ils formaient un cercle autour d’un cercueil. Une femme y était allongée.

Le plus marquant pour Alphonse, mal à l’aise, était de voir ces gens passer d’une pièce à l’autre, d’une naissance au deuil, de la joie à la tristesse, des larmes de diverses natures…

Il rattrapa Nathyon, l’attendant près d’un escalier descendant, regrettant pour le coup de ne pas pouvoir parler pour demander des explications.

Ils descendirent longtemps. La liesse de la fête laissa place au silence d’un long couloir. Il déboucha sur une porte gardée par un domestique. Lorsqu’il aperçut Nathyon, il l’ouvrit. Alphonse s’étonna de l’architecture de la pièce se dévoilant : le plafond était extrêmement bas, il devait baisser la tête pour pouvoir y progresser. Nathyon, plus grand, devait presque marcher en s’inclinant. 

Il fut également surpris d’y voir tant d’enfants, qui eux, évoluaient naturellement dans cette pièce. Un chemin de bougies menait à un canapé pourpre, sur lequel une femme était allongée. Lorsqu’il put la discerner Alphonse la trouva magnifique, la jeune femme brune, les longs cheveux ondulés coulant sur sa poitrine voilée d’un fin tissu blanc… ses longues jambes nues à la peau ambrée… 

Au pas suivant, elle lui parut soudainement beaucoup plus vieille, il devinait presque ses rides.

Encore un pas, et il rougit en pensant déceler l’aréole d’un sein ferme, à travers le tissu  habillant la femme à nouveau jeune.

Nathyon s’arrêta. Alphonse fit de même, et il comprit. La femme rajeunissait à chacune de ses inspirations, et vieillissait à chaque expiration. Comme si la vie l’emplissait et la quittait… Ou plutôt, comme si elle aspirait la vie…

Impossible. C’était forcément un effet d’optique. Ou alors, les bougies diffusaient une drogue.

La femme le regarda longuement, puis porta son attention sur Nathyon. Elle prononça un mot, qu’il ne comprit pas à l’époque, le faisant traîner sur une expiration, passant d’un ton doux de jeune femme à celui éraillé d’une voix usée par le temps :

— Liooooster…

Un enfant vint donner un dossier à Nathyon avant de repartir jouer, un autre fit de même envers Alphonse, lui tendant un livre à la couverture noire, ornée d’un grand N doré. Les pages étaient vierges. Nathyon s’inclina un peu plus, et fit demi-tour. Alphonse, perdu, le suivit.

Plus tard, lorsqu’Alphonse put suffisamment parler sans douleur, il le questionna sur l’ouvrage, le lieu, et la femme. Il ne répondit qu’évasivement. Sur le livre, il lui signifia que c’était ce qui accueillerait son récit. Sur l’architecture de la pièce, il se contenta de dire que tous devaient baisser la tête face à la femme rencontrée. Quant à l’identité de cette dernière justement :

— Elle est qui elle semble être. Ne te préoccupe pas de ça, tu la reverras forcément un jour. Nous la voyons tous. Mais rare sont ceux qui peuvent se vanter de plusieurs rencontres…

C’est sur ces mots que l’association entre eux débuta, et qu’ils se mirent en route pour Lioster. Alphonse avait beaucoup de questions, il espérait alors avoir des réponses avec le temps…

***

Toujours devant le miroir, Alphonse eut un petit rire en songeant à cette époque. Il n’avait eu aucune réponse, et plus le temps avançait, plus il doutait de les avoir toutes un jour.

Néanmoins, Nathyon n’avait pas menti. Il découvrait à ses côtés un monde qu’il n’aurait jamais pu imaginer…

Il s’installa à son bureau, ouvrit le livre à la couverture noire, passa quelques pages déjà manuscrites, et inscrivit en en-tête : L’horreur et la plante vampire.

Et il se mit à écrire.

Unique moyen d’exorciser les démons jouant dans son esprit depuis leur rencontre.

( à suivre…)

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Smits Annick
2 années il y a

Rassure-moi, tu n’as pas du te pendre aussi pour pouvoir écrire cela … parce que question angoisse on y est en plein … 😉

DeJavel O.
2 années il y a

Ainsi nous connaissons maintenant l’étrange histoire d’Alphonse Azar, de son vivant biographe de ratés et désormais assistant de Nation, Na… Nathyon ?

Alphonse écrira l’Histoire de la plante vampire. Souhaitons le meilleur destin à ce sympathique Roland OdeJeanne, cet homme fulminant comme un volcan bouché, souhaitons également que la lumière soit faite sur le destin de Vincent et Véronica, qui, on le sait, ont quelque chose à voir dans ce terrible tissus de mystère.

Je me demande si la femme sur la canne est la même que celle qui inspire et expire sa jeunesse. Mais je fais toujours trop de liens… je reste au poste, quelque soit l’horreur à venir, dussé-je me faire absorber par le végétal…
(Pas de tronçonneuse pour moi, si jamais…)

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