Cette méchante sorcière dont le pâle sourire aurait effrayé la plupart des gens, n’effraya pourtant pas le jeune prince Da. N’écoutant que son courage et sa bravoure, il la suivit bien docilement dans son carrosse blanc qu’elle mania d’une main ogre jusqu’à une grande bâtisse. Le jeune Prince Da crut un instant qu’elle n’était faite que de chocolat. Mais il vit vite que cela n’était pas le cas car l’odeur ne ressemblait pas à celle du chocolat…euh…vous comprendre Da ? Non ?! Tu m’étonnes !…Putain ! Faut tout vous dire !
Les jours passèrent et passèrent. Le jeune Da, car ici il n’était plus ni prince ni futur Roi, seulement Da, un gars, un pauvre gars, se rendit vite compte que la vie sans mère, que la vie sans père et que la vie sans frère, sans sœur, sans oncle ou tante, sans que quelqu’un ne sache que vous existiez, respiriez…bande de cons regardez-moi je suis là, j’existe aussi putain !…euh…j’en parlerai à mon psy rassurez-vous…Sans quelqu’un pour vous aimer sans quelqu’un à aimer était impossible…c’est trop triste ça on dirait du Walt Disney…par ici la monnaie !
Mais cette maison au caca chocolat lui trouva vite un foyer à aimer. Un foyer où il recevrait beaucoup d’amour, où l’on s’occuperait bien de lui tous les jours. Où on l’aimerait tellement fort que parfois cela lui ferait mal, où on l’éduquerait pour qu’il comprenne que ce monde n’était pas tendre, où on lui montrerait comment utiliser ses poings, ses pieds, comment se soigner et où on lui donnerait toutes les chances d’avoir un avenir comme tous les autres petits princes et petites princesses bien nés.
Et la chance de Da…et l’incompétence d’un agent de l’Etat qui n’était que là par un pur hasard…enfin…non pas par hasard. Son papa et sa maman y travaillent aussi donc ils l’ont fait entrer surtout qu’il ne branlait rien à l’école…enfin…si…mais c’est pas le problème…il était, seulement, en avance pour son âge c’est tout, ok !…euh…c’est une autre histoire. Je vous promets, je vais me taire promis !…Mais moi aussi j’ai droit à la parole !…bref…
La chance de Da disais-je et ce con de fonctionnaire…le fit arriver dans un foyer aimant, câlin, d’une affection sans limite, reconnu par tous pour ses méthodes d’éducation qui avaient, jadis, fait leur preuve.
C’est là qu’il fit la connaissance de la princesse Sahyra. Jamais il n’avait cru possible de rencontrer quelqu’un comme elle. Elle était tellement gentille avec lui. Tous les jours, elle lui apporter un nouvel espoir, chaque jour elle lui disait que ça irait…les jeux de mots c’est pas votre truc à vous hein ?! Bon je me tais maintenant à vous de comprendre…
Chaque jour, elle lui faisait croire que demain serait différent, plus beau, plus tendre. Chaque jour, elle lui disait que demain il partirait loin, qu’il verrait d’autres royaumes, d’autres mondes, d’autres gens. Et il attendait ce demain avec impatience. Car chaque nuit, il devait affronter ce dragon à la corne affûtée, dure comme le fer. Et chaque jour, il croisait le regard de cette gargouille immonde aux chicots pourris et baignant dans sa graisse. Parfois, elle bondissait de son siège pour l’attraper et l’emmener dans un monde qui n’était que souffrance au moindre de ses mots.
Alors le jeune prince Da apprit à vivre de cette façon, étreignant en lui le moindre rayon de soleil, la moindre parcelle de douceur. Jamais il ne se plaignit. Jamais il n’ouvrit la bouche pour dire autre chose que « merci ». Mais en son cœur grandissait un démon qui en vint à se nommer Destruction.
Au fil du temps, il donna naissance à deux enfants, deux filles, aussi sombre l’une que l’autre Vengeance et Souffrance, toutes deux liées par la rage.
Un soir, longtemps après avoir oublié le visage de la Reine, après avoir oublié le son de sa douce voix, après qu’elle-même ait oublié qu’elle eut un jour un fils, le jeune prince Da qui avait bien grandi s’apprêtait à affronter les démons de cette nuit. Encore. Comme toutes les nuits. Mais ce soir, il le sentait, était différent des autres. Lui était différent. Son royaume était désormais bien différent. Quelque chose avait changé, avait disparu peut-être, s’était effacé, peut-être, comme ça, d’un coup. Peut-être même que quelque chose en lui était né.
Etait-ce le sort d’un quelconque mage ou d’une belle enchanteresse, il n’aurait pu le dire. Mais il savait que, ce soir, ce dragon viendrait encore et toujours. Et cette fois, il ne subirait plus ses violents assauts. Il le combattrait car il était prince, bientôt roi. Il devait défendre ce royaume qu’il avait vu et qui, d’un coup, l’avait bouleversé.
Alors tapi dans les ténèbres, il attendit que le dragon vienne à lui. Il guetta son ombre, son souffle putride. Lorsqu’il arriva à sa portée, pour la première fois Da l’étreignit. Le dragon en fut alors surpris. Il ne sut comment réagir à cet instant. Tout à coup, il sentit entrer en lui une chose froide, tellement froide que tout son corps se mit à trembler.
Aussitôt, ce dragon essaya de s’enfuir et de crier. Mais sa gorge était nouée comme elle ne l’avait jamais été. Aucun son ne sortit de sa bouche. Il se tourna alors vers ce jeune prince qui se tenait debout face à lui. Là, il vit alors son propre sang couler de cette lame qui, d’un coup, le frappa et le frappa et le frappa encore. Le dragon tenta de supplier le jeune prince qui aurait pu lui accorder clémence ou même pardon. Mais il avait succombé à la noirceur et les ténèbres, qui émanaient de la vicieuse créature, l’avaient envahi. Il le frappa tant de fois que ce dragon n’eut plus de visage.
Le prince sentit, alors, ce doux nectar couler dans ses veines. Cette délicieuse sensation le parcourut. Vengeance était satisfaite. Mais Souffrance réclamait, elle aussi, son dû. Alors il se dirigea vers cette gargouille qui ne quittait plus son siège pour que s’asseoir sur le trône. Lentement, doucement, il s’approcha d’elle dévorant et déchiquetant les entrailles d’une volaille des quelques chicots qui lui restaient encore. Doucement, il se pencha. Lentement, il s’approcha de son oreille pour lui murmurer ces mots qu’il avait tant de fois entendus :
– « Tais-toi mon enfant, ne dis mots. Car les mots sont traîtres. Ils peuvent faire souffrir, ils peuvent déchirer, ils peuvent écraser, ils peuvent soumettre n’importe quelle volonté. Alors tais-toi, mon enfant, si tu ne veux pas en être déchiré…tu sais quoi, sale monstre, les mots libèrent. Ils hurlent la vérité, la souffrance. Ils font comprendre et ils font apprendre. C’est sûr qu’ils font mal. Mais c’est un mal nécessaire…Alors jamais plus je ne me tairai. Et je ferai en sorte que ses mots puissent s’envoler. Pas les tiens ».
Et le jeune prince leva son glaive encore dégoulinant du sang de l’autre créature des ténèbres et en frappa cette immonde gargouille dont la graisse et les entrailles se répandirent sur le sol.
Ce fut alors que le jeune prince Da se sentit soulager car enfin il avait trouvé le courage de faire ce qui était nécessaire. Peut-être injuste. Peut-être inconcevable. Peut-être impardonnable pour tant et tant de biens pensants. Mais, lui, il savait qu’il avait bien agi car ce n’était pas lui qu’il avait protégé. Il était bien trop tard pour lui.
La sorcière, quelques heures plus tôt, était venue apportée aux démons, une autre victime à torturer. Et le jeune prince Da, lorsqu’il croisa le regard de cette petite fille qui devait encore croire aux contes de fées, sut qu’il ne pourrait laisser faire, laisser les démons agir à leur guise sans intervenir. Il ne vaudrait alors pas mieux qu’eux et il serait alors aussi coupable qu’eux.
Et, dans cette histoire, il n’était pas le coupable.
Alors il devint le chevalier que d’autres auraient dû être pour lui, et décida alors de faire ce que personne n’avait jamais fait pour lui : protéger. Protéger ce qui doit l’être. Protéger l’innocence. Protéger les rêves et les songes.
Dans tout le royaume, durant des semaines et des mois, on chercha le prince pour le mener sur l’échafaud, faisant d’un innocent un coupable, tronquant la réalité pour ne pas être accusés. Personne ne le trouva jamais. Et personne ne sut jamais ce qu’il advint de lui et de la petite fille qu’il avait emmenée avec lui.
Certains dirent qu’ils étaient probablement morts quelque part et qu’on finirait par les retrouver dévorés par d’autres démons. D’autres, au contraire, dirent que le prince se trouvait dans un royaume où jamais personne n’aurait l’idée de le chercher.
Peut-être même qu’il est à vos côtés et que jamais vous ne le connaîtrez ni le reconnaîtrez…si ne vous tendez pas l’oreille pour l’écouter.
L’invisible n’est jamais inaudible. L’incroyable n’est jamais impensable.
La peur n’est jamais courage quand on choisit de ne pas voir, quand on choisit de ne pas croire, quand on choisit de laisser faire et de se taire.
La moralité ? Sérieux ?! Vous en trouvez une ici ?…Euh… je vous conseille d’aller vous faire soigner !