Mon corps entier hurlait de douleur. Mon sang n’était plus que lave, une lave sortit tout droit du vide qui dévorait mon cœur.
Agenouillée dans le sable soufré, j’appelai d’une voix étranglée : « O., aide moi ! Je t’en supplie ! »
Je ne pus prononcer un mot de plus, voilà maintenant que des dards me transperçaient le crâne de l’intérieur.
Je me touchai la tête, voilà maintenant que je portais le diadème du néant, la marque de L’Ange Noir ! Plus personne ne pouvait me secourir. C’était trop tard.
Derrière le brouillard jaunâtre, je perçus la voix de Skylar. Comment avais-je pu accepter qu’elle nous suive ici ? J’avais tout essayé pour qu’elle échappe à son destin infernal. Je ne pouvais la laisser s’accuser encore de mes propres torts. Si elle était là, c’était par ma faute.
Il fallait qu’O. fuit avec elle loin de moi. Je tirai sur le boulet toujours enchaîné à mon corps métamorphosé. Je n’eus pas le temps d’arriver vers lui que Vector se mit à le frapper. Le souffle maudit de cet endroit échauffait les esprits. J’étais trop loin pour entendre ce qui se disait. Je ne percevais que le mouvement des corps qui s’entremêlaient dans la lutte avec Skylar prise en son centre. Je compris.
« Arrêtez ! Skylar avait été jetée aux enfers. Je jure que je me suis librement présentée aux portes de ce chaudron. Tout ce qui vous arrive est de ma faute ! J’ignorais que mon geste aurait de telles conséquences. »
Skylar était bel et bien une damnée. Mon sacrifice devait la sauver. Au lieu de ça, nous étions toutes deux captives. Je ne me rappelais pas qui elle était pour moi auparavant, mais tous mes sens vibraient d’un amour inconditionnel pour elle.
Vector ne voulait pas croire que sa protégée était coupable d’un quelconque crime. Il dut bien s’y résoudre. Quant à O., il était submergé par un sentiment de trahison mêlé d’une colère d’incompréhension. Ils cessèrent de se battre. O. s’exclama :
« Mais seule une mère est capable d’un tel geste ! »
Skylar était-elle ma fille dans une vie passée ? Il me manquait des pans de mémoire. Sky, ma fille, notre fille. O. avait peut-être raison. Mon vide intérieur me perforait de flammes invisibles. Avant, oui, avant il n’existait pas. J’ai été entière. Seul un drame a pu m’arracher cette partie de moi. Ce que notre angelot révéla alors, les yeux emplis de larmes, me le confirma. Quatre des membres Sylvanoriaux comptaient pour elle, quatre anges aux traits si semblables aux siens dont Skylar s’accusait de la mort ! Ma vision. Cinq cercueils !
Des cris de Harpies me sortirent de mes pensées tétanisantes. Aux côtés de griffons assoiffés, elles nous survolaient. Les anges prirent les armes mais le brouillard jauni par le soufre brûlant compliquait leur tâche, irritant les yeux et asséchant les gorges. C’est alors que des souvenirs anciens remontèrent à la surface des âmes de ces solides soldats, des souvenirs de guerre. O. fut le premier à reconnaître en Vector, le sergent Victor Riker de la quatorzième brigade, du bataillon des Zéphyrains.
Ce dernier se rappela aussi. Il était mort au combat avec ses compagnons par la faute de ce colonel trop fier qui était venu se pavaner sur le terrain, attirant par la même occasion le feu sur eux. Suivi des autres hommes de son platoon, il percuta à nouveau le sylvanium, ce militaire inconscient qui répétait encore les mêmes erreurs en les jetant tous dans un piège sinistre ! Le lynchage fut interrompu par la réalité du terrain.
Nous étions au cœur d’une fourmilière grouillante de créatures démoniaques attirées par notre intrusion sur leur territoire. Avides de sang frais, elles se rapprochaient dangereusement. Les anges prirent les armes mais, malgré les rafales de balles explosives et les grenades qui les touchaient, elles nous cernèrent. Leur nombre était impressionnant, et cette masse était loin d’être désorganisée. C’était une armée. L’armée de l’Ange Noir. Un Albörg en tenue de général les dirigeait depuis une tour de bois tirée par des Kusarikkus, des êtres mi homme, mi taureau. Le Minotaure n’était qu’un monstre dérisoire en comparaison de ces tas de muscles puants. Des griffons au regard aussi noir que le néant commençaient à gravir la dune derrière laquelle nous avions trouvé refuge.
Lorsque j’entendis O. hurler mon nom, je relevai la tête. Skylar m’aida à le rejoindre au sommet de la dune, et là je ne pus que constater l’horreur de la situation, la même que dans mes visions. Mes souvenirs de cet enfer jaillissaient en moi : ce lieu maudit et tous ces êtres malfaisants hantaient mes cauchemars depuis mon enfance !
C’est à ce moment-là qu’il apparut, noir comme l’ébène au milieu des nuées couleur de feu. Sa silhouette d’acier dominait ce territoire hostile où la Géhenne et ses méandres de lave serpentait telle une vipère prête à lâcher son venin sur qui s’en approcherait de trop près. Mon doigt pointé en sa direction, je m’écriai :
« Regardez ! C’est la demeure de l’Ange noir ! »
J expliquai à O. que j’avais pu m’en échapper un temps, mon époux m’ayant accordé de rejoindre le Bas Ciel pour que je puisse vérifier par moi-même que Skylar était en sécurité désormais. Du moins c’est ce que je croyais. J’aurais dû me douter que cet être perverti n’agissait que dans son propre intérêt. Il se moquait bien de ma volonté. Je n’étais rien d’autre qu’un objet qu’il utilisait pour atteindre ses buts personnels. Qu’importe. Je n’étais pas qu’un simple mulet, j’étais Reine des enfers et c’était à mon tour d’en faire un atout pour sauver mes amis.
Skylar avait lâché l’encombrant boulet qui continuait à me peser. Je ne portais plus aucune attention à l’échange entre O. et notre angelot. Je devais trouver la meilleure solution pour sortir de ce bourbier brûlant.
Ouf ! Cette Mary Grimmins nous en apprend des choses ! Quel drame ! Ainsi, elle se serait sacrifiée pour son enfant ? En acceptant d’aller aux enfers à la place de sa plus jeune ? Aie-Je bien lu ?
Qu’est-il arrivé à Mary Grimmins pour qu’elle fasse un tel geste ? Et à Skylar ? Et pourquoi O. a-t-il sauté si vite aux conclusions ? C’est ce que nous apprendrons certainement sous la plume de Mary Grimmoire dans les autres parties de ce corps d’histoire de l’Ange noir.
Au fait, où est-il celui-là ? Il me semble qu’il se fasse attendre.