Conte 4 : La Vieille Dame et la Grochicha – 7ème partie

6 mins

D’un coup, comme si des milliers d’aiguilles étaient venues lui piquer la tête, il sursauta, se réveilla. Il ne savait pas où il était, plus vraiment ce qui s’était passé. Les lumières blanches étaient tellement aveuglantes. Il n’entendait qu’un bip qui sonnait, sonnait et sonnait encore de plus en plus rapide. Tout était d’un flou éclatant. Sa respiration était tellement rapide, tellement forte que sa poitrine semblait en être déformée.

– « AMANDA ! ».

Alors tous accoururent dans cette chambre d’hôpital. Le Père Paul, une infirmière, des gendarmes.

– « Ma fille ! Ma fille ?! Où est ma fille ?!…Que…quelle heure il est ?!  leur demanda-t-il, affolé

Elle va bien…probablement…  lui répondit une jeune gendarme, il n’est que trois heures un quart ».

Il se laissa retomber en arrière se tenant la tête.

– « Elle…elle est encore à l’école…[il soupira. D’un coup, il se redressa]…je peux téléphoner ? Je peux avoir mon portable ? Mon…mon portable ? Je…je voudrais prévenir un…un copain pour qu’il va la chercher. S’il vous plaît. Je voudrais la voir, s’il vous plaît, s’il vous plaît… ».

La jeune gendarme aux cheveux blonds et courts s’approcha de sa table de nuit, y prit son portable dont l’écran était brisé et le garda dans sa main.

– « Vous pouvez nous expliquer ce qui s’est passé, si vous vous en sentez capable » lui demanda-t-elle. Il acquiesça.

– « Euh…je, j’étais dans la cuisine…en bas…je crois, elle a voulu un café…la fille…non, non c’est pas ça… [son moniteur cardiaque bipa]…elle m’a dit qu’elle voulait me parler…si…euh…avec un café…ouais…elle voulait me parler…et puis c’est parti en vrille…elle a commencé à me frapper…la fille, je veux dire…puis…je…ouais…c’est là qu’elle m’a frappé…non…[le monteur cardiaque bipa de nouveau, plus vite]…non…la mère elle était dans le jardin, je l’avais mise au soleil, je l’avais mise au soleil…il y a eu le café puis les escaliers…elle m’a traîné, je suis tombé…je…après…je…je sais plus…à un moment j’étais en haut dans un bureau…mais…je sais plus si c’est avant ou d’abord…non, non c’est avant on est monté en haut…[les bips se firent plus rapide et rapprochés, l’infirmière s’approcha du moniteur]…là elle a commencé à se tripoter…je crois…ouais comme une folle…elle gueulait je crois…je sais plus quoi…puis…oui, ouais, j’étais dans les escaliers… » tenta-t-il de leur expliquer bredouillant, confus.

Plus il parlait, plus des images lui revenait en tête. Mais elles n’avaient aucun sens, aucun ordre, aucune logique. Et plus il parlait, plus elles lui revenaient, comme des flashs qui lui transperçaient la tête et plus son rythme cardiaque s’emballait.

Cent pulsations à la minute, aussitôt l’infirmière demanda à ce qu’ils arrêtent pour le laisser se reposer et reprennent plus tard.

Damian sembla ne pas se rendre compte que les gendarmes s’en allaient. Il continua de parler, continua de bredouiller ces mêmes phrases, confus, le regard hagard, perdu.

– « Votre portable… » l’arrêta, alors, la jeune gendarme en le lui tendant compatissante « ne vous inquiétez pas de trop, vu l’état de fureur dans laquelle on a retrouvé cette grosse femme et l’état dans lequel elle a mis sa mère, vous n’avez pas de soucis à vous faire, ce ne sont que des formalités. En attendant, appelez pour qu’on aille chercher votre fille et reposez-vous. On repassera plus tard. Ça se passera bien, vous verrez ».

Alors les gendarmes s’en allèrent. Le Père Paul resta, là, encore quelques secondes à le regarder, regarder son visage difforme, bleui et gonflé, le sang qui tachait encore les pansements recouvrant ses arcades sourcilières.

– « Je suis tellement désolé de ce qu’elle vous a fait et je suis tellement désolé d’avoir cru que…[il se secoua la tête s’en voulant, encore davantage et surtout maintenant d’avoir pensé qu’il était le coupable]…si vous voyez dans quel état elle l’a mise. Elle n’a même plus de visage…comment peut-on faire ça à sa propre mère ?! Comment peut-on en venir à tuer sa propre mère ?! » lui demanda-t-il avant de fondre en larmes et de fuir de ce box des urgences.

– « T’inquiètes pas !… lui sourit alors l’infirmière. Il la regarda « vu l’état de la mère, t’as pas à t’inquiéter…pour personne. Si t’as besoin appuies sur le bouton tu sais comment ça marche ». Elle lui caressa la joue avant de s’en aller.

Merci…Nadya . Elle sourit de nouveau.

Fais ce que tu as à faire…comme toujours ».

Damian resta assis dans ce lit tandis qu’elle le laissait. Instantanément, son rythme cardiaque repassa sous les cinquante-cinq battements par minute. Alors, il prit son portable et appela l’un de ses sept contacts.

– « Ouais, c’est moi… ».

La nuit avait envahi le village. Sous les projecteurs à la lumière blanche et le bruit des groupes électrogènes, la brigade scientifique de la gendarmerie avait investi le manoir, une nouvelle fois devenu scène de crime.

Les hommes et les femmes en combinaison blanche s’apprêtaient à faire les premiers relevés destinés à confirmer ou à infirmer les versions des différents protagonistes.

D’autres gendarmes discutaient, eux, laissant la lumière bleue des gyrophares de leur véhicule caresser la façade du manoir baignée dans la froideur de cette nuit sombre.

Là, au loin, une frêle silhouette entièrement vêtue de noir, le visage dissimulé et une oreillette grésillant visée dans l’oreille les observait. Tel un fantôme, une ombre, elle se faufila entre les véhicules de gendarmerie sans le moindre bruit. Furtive, elle passa entre les soldats sans jamais éveiller leur attention. Féline, elle se glissa dans le parc, dans l’ombre des lumières blanches et bleues laissant d’autres yeux que les siens guetter les déplacements des gendarmes.

Ils la guidèrent jusqu’au bureau du premier étage, là où la Grochicha avait emmené Damian.

La fine ombre s’y évapora à peine quelques minutes avant que les enquêteurs de la brigade scientifique n’investissent ces lieux à leur tour.

Là, les gendarmes prirent des échantillons, des photos de la pièce, des objets cassés, du papier peint arraché, des meubles retournés, du coffre ne refermant que de la poussière, du buste en plâtre, du sang séché sur le sol, du bureau recouvert de pages de livres, de gravas et de poussière, de plâtre…

Et quelques heures plus tard, le manoir fut mis sous scellées…

Damian sortit de l’hôpital moins de vingt-quatre heures après y être entré. Il était en bonne santé, jeune et ses blessures superficielles, il n’y avait aucun motif pour le garder plus longtemps.

Lui et le Père Paul durent se rendre à la Gendarmerie où ils déposèrent. La brigade scientifique valida la version de Damian. Elle était totalement cohérente et en conformité avec les relevés sur les lieux. Il ne fut donc pas inquiété la moindre seconde comme l’en avait assuré la jeune gendarme aux cheveux courts qui l’accompagna tout au long de la procédure.

Le Père Paul, lui, ne put apporter que quelques éléments concernant la relation entre la mère et la fille. Il ne connaissait que peu leur façon de vivre. Comme la personnalité de la fille. Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu de contact avec elles.

Cette grosse femme, la grochicha, elle, fut placée en hôpital psychiatrique et n’en sortirait probablement jamais compte tenu de son état, selon les gendarmes.

Une chose cependant, avait intrigué le Père Paul : l’argent, les titres au porteur, les lingots. Personne n’en avait parlé. Elles devaient pourtant bien en avoir.

Avant, à la belle époque, lorsque ce manoir était encore LE manoir, le Baron lui avait montré ce que le coffre contenait. Il devait forcément encore en avoir quelque part. Mais pour les gendarmes, leurs comptes en banque, autant ceux de la mère que ceux de la fille étaient déjà bien approvisionnés et leur auraient largement permis de vivre très confortablement encore plusieurs dizaines d’années. Mais ils n’avaient pas trouvé de liquides ou d’autres titres. Mais des dizaines et des dizaines, des centaines de figurines et de bibelots en tout genre, des tas sex-toys, d’ordinateurs, de portables, des distributeurs de confiseries…achetés par la fille peut-être qu’une partie de l’argent avait servi à ça. En tout cas, rien n’indiquait qu’elles avaient eu de l’argent liquide sur place, des titres quels qu’ils soient ou des lingots d’or. Peut-être que le Père Paul ne les connaissait pas autant qu’il le croyait. Peut-être même que leurs habitudes avaient changé à la mort du Baron. Trente-cinq ans c’était long. Peut-être même que le coffre ne contenait plus rien d’autre que de la poussière depuis cette époque.

Mais le Père Paul sembla dubitatif sur ce point et insista encore et encore. Jusqu’à faire le tour de la question, plusieurs fois car, il devait bien voir quelque chose dans ce coffre. Au moins quelque chose pour lui. Non ? Qu’elles ne lui aient laissé que de la poussière, le Père Paul ne voulait pas y croire. Il avait fait tant pour elles, deux. Il avait tant espéré. Encore les derniers temps, elles lui avaient promis. Alors, aujourd’hui, il ne pouvait pas croire qu’elles ne lui aient rien laissé. C’était impossible.

Le Père Paul dut se rendre à l’évidence : parfois on sert le bon Dieu pour rien, même s’il vous fait croire le contraire.

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3 Commentaires
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Flo Flo
2 années il y a

Ouf, il n’est pas mort ! 😀 😀 :))))

Flo Flo
2 années il y a

Roooh…. 🙁

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