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La Porte Jaune
À papa, à maman
À ceux qui, comme moi, aiment rêver
Et il n’y a pas de rêve qui soit totalement un rêve
Léon
« Dream, dream, dream »
C’est encore cette chanson qui passe à la radio, c’est la quatrième fois aujourd’hui. Bon ce n’est pas tout mais je dois me lever. Me voilà, marchant sur cette ruelle peu éclairée. Il est dix-huit heures et nous sommes en plein mois de Décembre. Le froid est insupportable à cette période ci. De plus, je n’ai qu’un pull, un pantalon et des vieilles baskets. Ce n’est pas une tenue adaptée c’est vrai, mais voilà je vis dans la rue depuis mes huit ans.
On m’appelle Léon Dinare, j’ai quatorze ans. Je suis originaire de Silly, dans le Hainaut. Nous y vivions avec ma mère et ma jeune sœur. A mes huit ans, elles sont mortes dans un accident d’hélicoptère. En effet, elles étaient en vacance dans le sud de la France, à Marseille, et c’est au retour d’une escapade en hélicoptère que l’engin s’est craché tuant tous ses passagers. Suite à leur décès, j’ai été mis à la porte par le propriétaire car je ne pouvais pas payer le loyer et les factures. Et malheureusement pour moi, nous n’avions plus aucune famille exceptée celle de mon oncle maternel, mais ils vivent en Australie, lui et sa femme. C’est pourquoi je me retrouvais seul, livré à la rue et ses difficultés.
Le premier jour fût terrible. J’étais effrayé et perdu, je ne savais pas à quoi m’attendre. Je voyais des sans-abris à la télévision, dans des reportages, j’en ai aussi déjà croisé dans la ville. J’ai toujours été attristé par eux. A chaque fois que j’en voyais, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir une immense peine. J’ai toujours eu une pensée pour eux dans mes prières.
Notre maison se trouvait dans le centre-ville, non loin de la gare. Et ce fût tout logiquement dans cette gare que je me suis rendu une fois mis dehors. Il était midi et demie, les guichets de la gare étaient ouverts, je pus donc me réfugier à l’intérieur de la gare. Il y faisait chaud et avec le ventre vide, j’avais du mal avec ce froid.
J’étais donc là, assis sur ce banc en bois, mon sac à dos posé sur mes cuisses, observant les vas et viens des navetteurs. J’avais tellement soif que mes lèvres étaient blanches et asséchées. Par chance une dame remarqua mon mal être. Elle devait avoir la cinquantaine. Hyper soignée, elle sentait très bon. Elle s’approcha de moi, un grand sourire aux lèvres et me demanda ce qui n’allait pas. Je luis répondis que je voulais rentrer chez moi et que j’avais si faim, si soif mais que désormais j’étais à la rue. Elle proposa de m’offrir une assiette de viandes et des frittes au snack en face de la gare. Après avoir mangé, elle me donna un billet de vingt euros en me souhaitant bonne chance et du courage. Mais malheureusement, ce billet me fût arraché des mains le soir même par une bande de jeunes. Ils étaient alcoolisés. Quatre costauds aux cheveux roux avec un accent anglais. L’un d’eux m’avait dit que j’étais leur septième victime et qu’il n’hésiterait pas à me tabasser si je refusais d’obéir.
La nuit était tombée, la gare était fermée depuis quelques heures. Les rues de Silly étaient désertes. Le brouillard commençait à se dissiper. Un peu plus loin j’aperçu le vieux château De La Fratrie. C’est un notable qui le construit il y a deux siècles. C’était un adulte avec des rêves d’enfant. Il rêvait de princes et de princesses, alors il fit construire ce château dans lequel il envisageait vivre avec sa femme. Malheureusement, le très riche De La Fratrie mourut brusquement, emporté par une violente crise cardiaque.
Le château fût délaissé jusqu’à ce que la ville de Silly décida de le convertir en hôpital psychiatrique. C’était il y a 83 ans. Et 50 ans après le château se retrouva abandonné. Les frais d’entretien jugés trop couteux.
Je décidais donc d’y passer la nuit. Il faisait froid, le sol grinçait, le vent sifflait, mais j’étais à l’abri et c’était l’essentiel pour moi.
Encore un petit coup de peigne et c’est bon…
Je m’étais fait tout beau. Une chemise bleue à manches longues sous mon pull rayé. Une écharpe beige enroulée autour du cou, je me mirais. Je me trouvais toujours aussi séduisant. Mes longs cheveux bruns crollés me donnaient cet air méditerranéen et mes épais sourcils me donnaient cet air mexicain. J’étais grand, d’ailleurs j’ai toujours été grand pour mon âge. À mes 5 ans, j’avais la taille d’un adolescent de 16 ans, et là je mesurais 1m88 pour mes 12 ans.
Oui, cela faisait 4 années que j’étais dans la rue. Les années sont passées si vite. Et elles étaient toujours autant dures. J’étais toujours dans le château, j’y résidais seul. Je n’ai jamais croisé un sans-abri ou quiconque ici. On pourrait croire que les gens ont peur. Les châteaux abandonnés font toujours peur. En visitant la bâtisse, j’avais trouvé des sacs de vêtements propres et neufs ainsi que des chaussures neuves. La salle de bain était, certes, sale, mais il y avait des nombreux produits corporels non utilisés. C’était comme si des personnes avaient quitté ce lieu à la hâte. Il y avait 5 chambres dont une seule était pénétrable, et c’est justement celle dans laquelle je dormais. Les quatre autres étaient remplies de meubles, des meubles entassés de la porte aux fenêtres. La cuisine était spacieuse mais peu éclairée. Il n’y avait aucune fenêtre et elle était si sale et répugnante. Des tonnes d’assiettes et de casseroles sales étaient à même le sol. La salle de séjour restait la plus sale du château. Il y avait des cadavres de rats à chaque coin de la pièce. Les murs étaient défoncés, avec des écrits dessus. Il était écrit « Réveillez-vous » «989019 » « Jaune » « Everly ». Une forte odeur d’urine se dégageait des rideaux. Les autres pièces étaient identiques. La saleté et le désordre régnaient dans le château.
Les vêtements trouvés me plaisaient, surtout ceux que je portais. J’étais prêt à partir, j’avais un rendez-vous à la commune pour un logement.
Je marchais la tête haute plein d’espoir. Je longeais ma rue prenant soin d’éviter les flaques d’eau laissées par la forte pluie d’hier. Le froid n’avait pas réussi à enfermer tous ces gosses qui jouaient dans les rues. Les vas et viens des voitures, les bistrots et leurs musiques nostalgiques, les sirènes des ambulances, c’était le quotidien à Silly. Toutes les journées se ressemblaient.
Je sonnais à la porte. C’était une petite maison avec un jardin qui faisait office de commune. C’était temporaire, le temps de rétablir l’ancien bureau qui s’était écroulé suite aux nombreuses intempéries, il y a de cela 3 années. On m’ouvrit la porte par une vieille dame avec des gros yeux tristes qui s’éclipsa après m’avoir proposé de patienter dans la petite salle d’attente.
« Vous écoutez Dream FM, la radio éveil. Tout de suite les infos : au Maroc les affrontements entre la police et des milices continuent. Cela va faire 8 mois que le peuple s’est rebellé suite aux meurtres de 33 jeunes civils. À Londres, la police enquête sur une série de… »
– Monsieur Dinare, vous pouvez venir
– Bonjour madame… Alors je suis venu pour ma demande de logement. La dernière fois, vous m’aviez dit que vous aurez une réponse pour moi.
– Exactement. Mais malheureusement il n’y a aucune offre actuellement. Nous sommes dépassés. Les demandes sont nombreuses. Nous faisons de notre mieux.
Je la fixais. Elle était si maigre. Elle avait beau porter ses grosses lunettes, je pouvais voir ses cernes. Ses petites lèvres étaient sèches, de temps en temps elle se les léchait pour les humidifier. C’était une petite femme qui semblait fragile et souffrante. Elle devait avoir dans la cinquantaine en tout cas.
– Je vous remercie madame, au revoir
Je quittais les lieux, triste et abattu. Je me rendis au centre commercial pour faire la manche comme chaque jour. Je pris ma place habituelle à l’entrée de la pizzeria, la main tendue, souriant aux passants, je demandais des pièces ou à manger.
Lorsque le magasin eut fermé, je me mis à marcher, fouillant les quelques poubelles que je voyais en espérant trouver de quoi manger.
« Tu es un garçon digne, nous sommes une famille digne, ne l’oublies jamais ! tu ne dois jamais te comporter comme un moins que rien mon fils »
C’est ma mère qui me le répétait à chaque fois que je faisais une bêtise. Je me demande ce qu’elle dirait si elle me voyait fouiller les ordures.
2 Avril 2016. Les pompiers venaient de finir l’évacuation des meubles. Le château serait détruit dans les jours suivants. La veille, des gamins s’étaient amusés à lancer des bouteilles enflammées à travers les fenêtres du château. Un incendie s’était vite déclaré et j’ai dû quitter ma demeure. Muni d’un sac rempli de vêtements, j’assistais, impuissant, à l’incendie. Je devais accepter les faits, le château faisait partie de mon passé, j’étais à nouveau dans la rue, sans toit.
On était en début de printemps, les chants des oiseaux m’accompagnaient dans ma quête quotidienne d’aumône. Dans cinq jours, ce serait mon anniversaire et après cinq années passées dans le château, j’allais vivre mes 13 ans dehors.
J’avais gagné 30 euros pour mon anniversaire. Un gentil homme me les a offerts alors que j’étais endormi dans la gare. Il m’a réveillé et voyant que j’avais le visage marqué par la fatigue et la faim, il m’a tendrement caressé les cheveux après m’avoir tendu les billets. Heureusement que j’ai croisé
des personnes avec un grand cœur qui m’ont apporté leur soutien. Grâce à eux, j’ai pu embellir quelques-unes de mes journées. Je décidais de me rendre à Bruxelles. J’avais largement fait le tour de Silly et j’avais espoir d’un meilleur quotidien dans la capitale. J’ai pris mon ticket de train au guichet et me suis rendu aux toilettes où je me débarbouillai le visage. Ensuite, je partis attendre le train sur le quai.
Bruxelles vie
La gare de Bruxelles est tellement grande. Il y avait des magasins, des sandwicheries, des bureaux. Il y avait beaucoup plus de guichet qu’à Silly, il y en avait même qui étaient automatisés. Je n’en avais jamais vus auparavant. Mais surtout, il y avait beaucoup de monde. Certains étaient assis, patientant, il y en avait qui lisaient et d’autres étaient collés à l’écran de leurs téléphones. D’autres étaient débout, valise à la main, faisant les quatre cent pas. On annonçait l’arrivée d’un train international en provenance d’Amsterdam vers Paris. De temps à autre, j’apercevais des soldats lourdement armés faisant des rondes dans les couloirs. Sur les quais, il y avait des halles d’attentes, je décidais de m’y installer. Un groupe de jeune venait de prendre place en face de moi. Ils devaient avoir le même âge que moi. Sacs au dos, ils écoutaient de la musique. Ils ont de la chance me disais-je. L’un d’entre eux me demanda mon nom. Après lui avoir répondu, ils se mirent à rire, rire de moi. Je n’ai pas prêté attention à leurs moqueries. C’était l’une de mes forces et c’est toujours le cas aujourd’hui. La fierté. J’étais si fier de moi, je savais ce que je valais, que aucunes attaques verbales ne pouvaient m’atteindre.
Je regardais les quais, il n’y avait presque plus personne. Le soleil n’allait pas tarder à se coucher. Je descendis jusqu’au halle principal de la gare et m’assis sur l’une des chaises en bois installées au milieu de la gare. Le sommeil commençait à me gagner, quand, soudainement, un de ceux qui travaille dans la sécurité de la gare, apparut et nous pria de bien vouloir sortir de la gare.
De nombreux taxis étaient stationnés le long des trottoirs. Ils ne dorment jamais ces conducteurs à Bruxelles. Devant les bistrots étaient disposé des chaises. Quelques-unes d’entre elles étaient occupées par des vieillards et des ivrognes. C’était donc ça la vie dans les rues de la capitale. Et moi qui rêvais d’être astronaute, de côtoyer les étoiles, voilà que je côtoie les rejetés de la société. Cette société centrée sur le capitalisme. Chacun ne pensant qu’à se remplir les poches. De plus en plus, on retrouve des personnes livrées à elles même, de plus en plus, on trouve des nouveaux sans abris. Je me saisissais d’une des chaises, me posa dessus et j’attendais le sommeil. Il faisait extrêmement froid, je grelottais sans cesse.
Au matin, un groupe de femme nous apporta du café chaud et des croissants. C’est offert par la Croix Rouge qu’elles nous avaient dit. Je m’empressai de savourer mon petit déjeuner.
La gare était vide aujourd’hui, on était le dimanche et il était 13 heures. C’était la journée du cinéma et non loin de la gare, dans une ASBL, étaient projeté des films.
Cet ASBL s’occupait des personnes sans domiciles fixe et proposait des activités gratuites pour les sans-abris.
C’était Slasher, un film américain qui raconte l’histoire d’une bande d’étudiants traquée et tuée par un sadique masqué. J’ai toujours adoré le genre thriller, c’est beaucoup plus captivant et intéressant.
– Salut, je m’appelle Andréa. Je ne t’ai jamais vu ici, tu viens d’où comme ça ?
Elle était belle Andréa. Elle avait des magnifiques yeux verts. Ses longs cheveux bouclés me rappelaient ceux de ma mère. Nadia, ma défunte mère, était une grande brune très séduisante. Ses longs cheveux bouclés lui couvraient son œil gauche. Quand elle riait, on voyait ses jolies fossettes se dessiner. Elle prenait beaucoup soin de son corps. Elle courait chaque matin et soir. Elle ne buvait pas et ne fumait pas. C’était une femme avec un esprit sain dans un corps sain. Mon père avait eu de la chance, comme elle aimait dire. En effet, ma maman avait énormément de prétendants. Mais seul mon père fut l’élu. Il faut dire qu’il était un bel homme également. Papa était un ancien lutteur. Il a pratiqué ce sport jusque à ma naissance. C’était un grand blond, très bavard mais toujours correct. Et il était brave et courageux. C’est son courage qui lui sera fatal justement. Il fut abattu par un braqueur alors qu’il tentait de secourir un voisin. L’individu pénétra chez le doyen pour lui dérober son butin et il était minuit, mon père rentrait du travail lorsqu’il entendit Gérard, le voisin criait à l’aide. Mon père se précipita vers le domicile du vieillard et reçu deux balles dans le cœur à peine avait-il ouvert la porte. Il mourut sur le coup. On n’a jamais arrêté le coupable. J’avais trois ans quand cela s’est passé, ma sœur, elle n’était qu’âgée de neuf mois.
– Salut Andréa, moi c’est Léon. Je viens d’arriver, je viens de Silly, je ne sais pas si tu connais. C’est à une demie heure en train de Bruxelles.
Elle connaissait la ville. Elle connaissait beaucoup de chose à vrai dire. C’était une fille très cultivée. Originaire du Portugal, elle s’était installée à Bruxelles avec son père il y a dix ans. Son père était chirurgien au Portugal mais ne travaillait plus en Belgique. Il souffrait d’un cancer et manque de moyens financiers, il décéda quatre ans après leur arrivée. Livrée à elle-même, Andréa s’est vite retrouvée à la rue. De temps en temps, elle nettoyait les cafés et les bars. Ou alors elle faisait la manche. Mais elle avait horreur de faire la manche, du coup elle ne le faisait que la nuit quand il y avait peu de monde. On s’est plu immédiatement et on ne se quittait plus. Pour mes quatorze ans, Andréa m’offrit un smartphone. Il était magnifique. J’étais très ému mais également gêné car ce cadeau devait couter cher.
– Ma chérie, il est bien beau mon cadeau, lui avais-je dit. Il a dû te couter cher, non ?
– Ne te fais pas de soucis Léon. Je l’ai eu à bon prix. C’est une amie qui l’avait volé dans un entrepôt qui me l’a vendu.
– Ah, je me disais bien que ce n’était pas bien net, cette histoire.
Et nous éclatâmes de rire.
Nous vivons dans un foyer pour refugiés. Il fut construit il y a quelques mois suite aux nombreux migrants qui débarquaient à Bruxelles et un peu partout dans le pays. Les violentes guerres en Orient ont poussé des nombreuses familles en exil. Et vu que la ville de Bruxelles ne possédait pas de centre pour sans-abris, il a été décidé de loger les migrants et les personnes sans domicile dans la même enseigne.
Nous occupions une grande chambre avec une douche équipée. La cuisine et les toilettes étaient communes. C’était bien évidemment loin d’être la grande classe mais c’était cent fois plus propre que le château De La Fratrie. Nous sortions très rarement, il n’y avait plus d’activités extérieures. Quelques fois nous allions à la foire du midi, non loin de la gare ou alors nous nous promenions dans le parc botanique juste derrière où nous résidions. La majorité de notre temps, nous étions cloitrés devant cette petite télévision que l’ASBL nous avait offerte.
« Une augmentation du pourcentage des affaires criminelles… la population a peur, le peuple vit dans la terreur, les commerces ferment très tôt, les gosses n’ont plus le droit de s’amuser dehors… la police doit sécuriser la capitale, nous demandons à l’Etat de protéger les habitants »
Toujours le même discours. Et pourtant les morts et les disparitions ne cessaient de se multiplier. Des morts suspectes qui frappaient particulièrement les sans domiciles et les femmes. J’ignorais ce qui se tramait dehors, on avait l’impression de vivre une chasse aux sorcières, sauf que dans ce cas-ci, c’était nous les sorcières et le chasseur était lui, un inconnu.
Saidi Espane, c’est comme cela qu’il s’appelait. Il était la première victime connue. Le premier sans abris tué de cette longue série. Il fréquentait la gare, c’était un alcoolique connu de tous. Plus d’une fois la police fut appelée car il saccageait des magasins, hurlait dans la gare ou encore uriner sur les vitres des magasins. Quand il était ivre, Saidi n’avait aucune limite. Seule la police arrivait à le maitriser et à le raisonner. Il avait été retrouvé égorgé, son sexe dans son œil droit. C’était affreux à voir. La dame qui a découvert son cadavre sur le quai de la gare un matin en se rendant à son travail, fut transportée d’urgence à l’hôpital, victime d’une crise cardiaque. La vue du corps la choqua. Heureusement, la pauvre femme survécu. La dernière victime a quant à elle était tuée par balles. Elle a reçu quinze balles dans la tête. On ignorait son identité, la police ne l’avait pas divulguée.
Andréa était très affectée par ces crimes. Elle ne dormait plus. Son beau visage d’habitude joyeux et rayonnant était devenu sombre et triste. Je décidais de lui cuisiner un bon plat, son plat favori, des pommes de terre et des haricots au beurre. Nous dinions devant un film. Cette nuit-là, elle s’endormit vite, submergée par la fatigue. Je la regardais, me disant qu’elle était si belle. Je lui caressais les cheveux et m’endormis à mon tour.
– Je vous jure monsieur l’agent, elle ne s’est pas enfuie. Il a dû lui arriver quelque chose de grave. Ce n’est pas dans sa nature, ni dans ses habitudes de partir sans donner signe de vie. Pourquoi refusez-vous de prendre ma déposition au sérieux ?
Cela faisait une vingtaine de minute que j’essayais de convaincre le policier de la véracité de mes propos. J’étais au commissariat, venu signaler la disparition d’Andréa, ma copine. La veille elle avait été nettoyer le bistrot de la gare, comme elle avait l’habitude de faire, mais elle n’est jamais rentrée. Elle commençait à 23 heures pour finir à 1 heure trente. Et c’est aux environs de 1h50 qu’elle arrive au foyer. Mais elle n’était pas là. J’ai été voir à son lieu de travail, son patron m’a confirmé qu’elle avait bien été présente jusqu’à la fermeture. D’ailleurs, elle avait signé le carnet de présence.
– Votre amie a surement trouvé un bon plan ailleurs jeune homme, m’avait répondu le policier
– Et les morts non expliqués, et les disparus ? Vous ne pensez pas que, c’est lié ? on a très bien pu s’en prendre à elle également, lui avais-je alors rétorqué
– Non, les victimes étaient des adultes, vous, vous n’êtes que des jeunes adolescents et comme la plupart de jeunes de votre âge, votre amie a voulu s’émanciper. Peut-être reviendra-t-elle à vous, peut-être pas. Vous devriez la laisser vivre, expérimenter sa jeunesse. Pensez à vous, pensez à vous trouver un avenir…
Je m’en allais, lui coupant la parole. Je n’étais pas pris au sérieux. J’avais perdu la femme qui me donna la vie, j’avais perdu ma sœur et voilà que je perdais la femme que j’aimais…
Décembre 2017. Cela va faire 4 mois que Andréa a disparu. Je n’ai eu aucunes nouvelles d’elle depuis le jour de sa disparition. Une enquête de police fut lancée mais elle a été écourtée par manque d’éléments. Je ne me suis toujours pas remis de son départ. Son absence pèse toujours autant. Elle était la seule personne avec qui j’avais créé des liens affectifs. Andréa était mon seul contact avec le monde extérieur. Depuis le décès de ma mère et ma sœur, je m’étais renfermé sur moi, refusant tout contact par peur de ce monde, par peur de l’inconnu. Cet inconnu qui m’avait arraché les deux êtres chers à mon cœur. Mais lorsque j’avais rencontré Andréa, j’avais senti de l’amour dans ses yeux, dans ses gestes. Je pouvais ressentir ce besoin de sécurité en elle, ce même besoin que j’avais et qui a fait que nous nous étions tout de suite enfermés dans notre bulle d’amour dans laquelle personne ne pouvait pénétrer. Je m’étais promis de veiller sur elle mais je n’ai pas tenu ma promesse. Aujourd’hui je suis meurtri.
Cela va faire un mois que je suis retourné à Silly. Je ne supportais plus la vie dans Bruxelles. J’y ai tout perdu. J’avais ce besoin vital de me sentir en sécurité et à Silly je suis en sécurité. J’y ai grandi, je connais très bien la petite ville et ses rues. Ici je sais que, malgré que je sois à la rue, je ne risque rien. Je n’ai plus mon sac à dos. Je l’avais revendu à un commerçant pour m’acheter de quoi manger. Par contre depuis deux jours, j’ai cette jolie radio. Elle est toute minuscule et fonctionne avec des piles. Elle est de couleur bleue comme la radio en jouet que ma petite sœur, Mery, possédait. Elle me manque celle-là ! elle était toujours de bonne humeur. Elle courait partout et parlait énormément, elle ne se fatiguait jamais. On était fort proche. Mais j’ai trouvé tout de même qu’elle ne me ressemblait pas : elle était petite et blonde. Ses cheveux étaient courts mais d’un éclat sublime. Elle ressemblait au soleil, ma jeune sœur. Elle était notre rayon de soleil à la maison. Et je suis sûr que là où elle se trouve, elle continue de briller rien que par sa présence.
Je viens de quitter la gare, maintenant il faut que j’aille au coin dormir un peu. Le coin, c’est ainsi que j’appelle l’endroit où je dors. En effet, derrière la gare, il y a un parking et non loin de là il y a un ancien local où les vélos étaient jadis entreposés et c’est derrière ce local que se trouve le coin où je passe mes nuits. C’est à l’écart des regards, ainsi je préserve un peu d’intimité. Il y a un mur au-dessus qui fait office de toit. Je m’endors toujours la radio allumée, elle me tient compagnie.
« Dream, dream, dream, when i feel blue… »
– C’est la quatrième fois que cette chanson passe à la radio aujourd’hui.
Les Everly Brothers connaissent un succès immense ces jours-ci. Le légendaire duo et leur tube « All i have to do is dream » et pourtant cette chanson ne date pas d’aujourd’hui. Mais avec le film biographique sorti il y a un mois sur eux et la sortie en vinyle de leurs classiques, ils cartonnent.
– Je dois aller faire la manche, aujourd’hui je vais aller devant le centre commercial, il y aura beaucoup de monde. Avec les fêtes qui approchent, j’espère que les gens voudront bien m’aider. Dans une semaine, ce sera Noel. Cette année le père noël m’a encore oublié ! peut-être que notre père noël à nous les sans-abris, est un sans-abri lui aussi, ce qui expliquerait pourquoi nous n’avons jamais reçu des cadeaux. Voilà que je me remets à pleurer…
À chaque période de fête je craque, je fonds en larme.
– Merci monsieur, c’est gentil. Ce monsieur vient de me donner 50 euros. Mon visage retrouve le sourire. Je vais pouvoir manger chaud cette nuit et demain j’irai acheter une écharpe et une veste. Mais maintenant direction le snack.
C’est quand même beau Silly. En tout cas à noël c’est fabuleux. Cela fait rêver. Il y a des guirlandes sur presque toutes les portes et ce grand sapin installé sur la grande place est juste éblouissant.
– J’ai une envie pesante de me soulager. Je vais aller derrière la place. À cette heure-ci c’est calme par là. Il est déjà 22 heures, Silly commence petit à petit à s’endormir.
– Ahhh, aieeee, j’ai mal…
Qu’est ce qui m’est arrivé ? j’ai du sang qui coule sur mon visage, énormément de sang ! Et j’ai mal à la tête, si mal. Je suis couché le ventre au sol, j’ai du mal à bouger. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Je crie à l’aide mais j’ai l’impression qu’aucun son ne sort de ma bouche. J’ai le sentiment d’être observé, quelqu’un est là je le sens. J’arrive à lever ma tête, il y a quelqu’un devant moi. Cette personne est en face de moi je peux voir ses chaussures. Des bottines blanches tachées de sang, c’est surement le mien. Derrière elle, il y a une voiture, je peux voir des pneus. Je vais essayer de lever un peu plus la tête. Ça y est ! j’aperçois mieux la voiture, le bas de la voiture. La portière avant côté conducteur est jaune. Mais je ne vois plus la personne. Elle n’est plus en face. Où est-elle et pourquoi ne m’aide –t-elle pas ?
– Au secours, aidez-moi !
Un silence de mort régnait. La personne revient devant moi. Je dois voir qui c’est
– Monsieur, ne me faites pas de ma…
La voiture vient de démarrer. Il n’y a plus personne excepté ce corps qui gît dans une flaque de sang.
Ashhsa
– Ashhsa vas récupérer ces chaussures dehors, elles pourraient nous servir
– Mais papa, j’ai peur, et si les méchants me voyaient et me tuaient ?
Nous sommes au Maroc. La guerre continue malgré les nombreuses demandes de paix du peuple. Cette guerre dure maintenant depuis trois années. Au départ, une affaire d’injustice : 33 civils furent abattus par la police marocaine en pleine capitale. Ces civils manifestaient contre les crimes dont la population est victime depuis cinq années. En effet, au Maroc la population est confrontée à des actes de barbarie perpétrés par des milices. Ces groupes armés se revendiquant musulmans commettent ces atrocités afin de purger le pays disaient-ils. Et le peuple marocain a marre que la police ne réagisse pas. Aucune arrestation, aucune patrouille, aucune présence policière dans les rues. Même l’armée n’intervient pas et donc la population est livrée à elle-même. C’est dans ce contexte que 33 jeunes ont voulu marcher pacifiquement pour dénoncer l’inaction du gouvernement. Ils ont été fusillés par la police sans sommation. Depuis, le peuple a pris les armes pour se venger et se protéger surtout. Ces armes sont vendues pas cher dans les rues de la capitale. La plupart du temps, elles sont confisquées aux policiers qui ont le malheur de se faire capturés ou tués.
Ashhsa et sa famille sont marocains. Le jeune Ashhsa a 14 ans. Il habite avec son père Eloud, sa maman Amina et sa sœur Meisha. Son papa est dans l’armée, il est commandant. Sa maman était professeur de géographie, mais depuis la fermeture des écoles à cause des affrontements, elle reste à la maison avec ses enfants. Ma sœur Meisha a 4 ans, elle est muette de naissance.
Depuis la fermeture des écoles et l’intensification des affrontements, nous ne sortons plus dehors. Seul papa quitte la maison au matin pour le boulot et il revient le soir. À chaque fois qu’il quitte la maison, je prie pour qu’il ne lui arrive rien. Nous vivons dans la peur tous les jours. Et pourtant avant il faisait bon de vivre ici.
Notre maison se trouve dans la rue principale. Elle est immense. On pourrait croire que c’est un château. Nous avons chacun notre chambre, même mes parents avaient chacun leur chambre, en plus de celle qu’ils partagent. Néanmoins, moi, ma chambre était plus spacieuse que celle de ma sœur. « C’est par ce qu’il est le plus âgé » que mon père avait répondu à ma sœur quand cette dernière lui avait demandé pourquoi c’est moi et non elle qui avait le droit à la chambre au troisième étage. Nous avions un chien, Wolfy, mais il a été abattu par des gamins armés alors qu’il était devant la maison.
– Voilà papa. De toute façon ces chaussures sont bien trop grandes pour moi. Et en plus il y a du sang dessus.
– Il suffira de les nettoyer Ashhsa, dit papa
– Elles sont blanches papa, des bottines blanches tachées de sang. Cela ne va pas être facile à les nettoyer.
« Toc toc toc »
On frappe à la porte. Papa va ouvrir.
– Bonsoir monsieur. Vous êtes Eloud Euro ?
– Qui êtes-vous, demanda mon père
– Je suis envoyé par le général de l’armée. Vous devez me suivre monsieur. Si vous refusez nous opterons pour la force dit le monsieur pointant du doigt la patrouille de police devant la maison.
– Chéri, qu’est ce qui se passe ? demanda ma mère.
Elle venait de finir de donner son bain à ma sœur. Habillée d’une longue blouse rouge et des sandales beiges, elle se tenait debout juste derrière mon père, la main sur cœur.
– Rien de grave ma chère. Je dois accompagner ces messieurs. Je vais revenir, prends soin des enfants. Les enfants je vous aime, papa revient dit-il avant de disparaitre au côté de l’inconnu. Leur 4×4 venait de démarrer à vive allure.
– Dites-nous monsieur Euro, pourquoi avez-vous fait cela ? quelles furent vos motivations ?
– De quoi parle-t-on ? de quoi m’accusez-vous, General !
– Ne jouez pas à ce jeu avec nous, monsieur Euro. Vous avez intérêt à parler. Pensez à votre famille. Vous avez armé des civils. Des civils qui ont tué une dizaine de nos soldats. Vous avez trahi le pays et l’armée.
– Je n’ai jamais trahi personne General dit-il. Je n’ai fourni aucune arme. Je ne ferai jamais ça. Il y a erreur sur la personne. Cela fait des années que je sers mon pays fidèlement. Si aujourd’hui je suis commandant c’est par ce que je me suis toujours donné au maximum pour l’armée. Mais d’où vous viennent ces mensonges ?
– Taisez-vous ! si c’est pour ne pas assumer vos actes, taisez-vous. Vous pensez vraiment que je vais organiser tout ceci en me basant sur des mensonges ? vous pensez que je vais faire déplacer une patrouille à cette heure-ci jusque chez vous sans avoir vérifier mes sources ? officiers, mettez-le en cellule. Peut-être qu’une nuit au cachot vous rafraichirait les idées.
La cellule était minuscule. Il y avait juste un banc en bois et une couverture qui puait l’urine. D’habitude ce sont les criminels, les hors la loi qui séjournent dans ce genre de cachot.
– Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Quelqu’un veut prendre ma place, car je suis complètement étranger à cette histoire d’armement. J’espère que ma famille va bien, dit Eloud avant de soupirer.
Plus tard dans la nuit, Eloud est réveillé par un bruit de clé. Quelqu’un essaye d’ouvrir sa cellule.
Le lendemain matin, Ashfan, le gardien des cellules se précipite dans le bureau du General.
– Monsieur, vous devez venir, quelque chose de grave s’est produite. Le commandant, celui qui est arrivé hier, il est mort !
Aussitôt le General se dépêche sur le lieu, suivi de deux gardes. En effet, le commandant Eloud Euro est mort. Son corps gît au sol. Il a été éventré. Et on lui a retiré les yeux. C’est une vision insoutenable même pour les soldats.
– Comment cela a bien pu se produire, se demande le General. Les cellules sont restées fermées la nuit. Le gardien n’a entendu aucuns cris, aucun bruit. Ashfan, ramenez-moi les images de la caméra de surveillance dans mon bureau. Immédiatement !
– Voici les images General.
Les images étaient claires et nettes. On voyait le commandant être conduit vers sa cellule. Trois heures plus tard, on voyait une personne vêtue de noir, avec des gants en latex noir se diriger vers la cellule de Eloud. Cette personne portait une cagoule noire. Sur son dos était inscrit « 9890109 » en grand. Ensuite, on la voit ouvrir la porte de la cellule, la refermer et une minute plus tard elle en ressortait.
– On dirait que la personne prend le temps de fixer la camera General, dit Ashfan.
– Les enfants dressez la table s’il vous plait. Ashhsa aides ta petite sœur !
« Toc toc toc »
Le cœur qui bat à vive allure, madame Euro ouvre la porte. A sa grande surprise, ce sont des policiers.
– Bonjour madame, pouvons-nous rentrer un instant ?
– Dites-moi ce qui ne va pas. il est hors de question que je vous fasse entrer chez moi. Hier, c’est mon époux qui est parti sans aucune raison, et aujourd’hui vous débarquez devant chez moi. Que se passe-t-il, cria madame Euro
– C’est votre mari, madame. Il est mort. Il a été tué et…
Le policier n’eût pas le temps de finir sa phrase que ma mère claqua la porte.
– Que se passe-t-il maman ? demande Ashhsa. Papa est où ? et pourquoi tu es claqué la porte ainsi ?
Le visage de ma mère est décomposé. Elle s’est allongée sur le divan.
– Non, ce n’est pas possible. Eloud réveilles toi mon amour. C’est surement un rêve. Hier encore tu étais là…
Maman répétait ces mots en boucle. Je pense en avoir compris le sens.
– Maman, papa est mort ? Meisha vient près de moi. Je la sers fort dans mes bras. Maman pleure parce que papa est parti. Papa ne reviendra plus.
Je pleure aussi, des chaudes larmes. Je regarde ma sœur, elle est triste, je le vois sur son visage. Mais elle ne pleure pas. Sans doute, elle ne réalise pas encore.
Un 4×4 était venu nous chercher pour nous emmener au bureau de police, à l’endroit où mon père fût tué. Moi et ma sœur n’avions pas le droit de voir le lieu du crime alors nous attendons dans le bureau du General.
– C’est ici que les méchants sont conduits avant d’aller en prison, lançais-je à ma sœur.
Elle fit un oui de la tête.
– Papa était un gentil gars, il était le chef des gentils ici.
J’essayais de la rassurer avec mes mots.
– Donc voilà, nous ne savons toujours pas comment l’agresseur a pu entrer et sortir de notre bâtiment.
Le General venait d’entrer dans son bureau, suivi par ma mère. C’était un grand noir, le crâne rasé. Il avait une imposante moustache. Son regard était froid, on aurait dit une personne sans sentiment. Un peu tel un robot.
– Comment allez-vous les enfants ? nous demande –t-il.
– Ils vont bien, répond ma mère, m’ôtant ainsi les mots de la bouche. Ils vont bien, mais ils iront mieux lorsque le coupable sera arrêté. D’ailleurs pourquoi vous aviez convoqué Eloud hier soir ?
Mal à l’aise, le General semblait gêné.
– C’est-à-dire que nous pensions, je pensais qu’il était celui qui avait fourni des armes aux groupes rebelles. Mais ce matin on m’a informé que c’était faux. La personne qui avait transmis cette information s’était trompé de Eloud Euro. C’est le commandant Eloud Euro de l’armée de l’air dont il est question, votre mari était de l’armée de terre. Je suis vraiment désolé madame Euro. Les responsables ont été arrêtés et seront traduits en justice. L’armée marocaine vous présente ses sincères excuses et condoléances. Le commandant Euro était un brave et courageux défenseur de la patrie. C’est digne et franc qu’il nous a quitté. Il a lutté pour survivre, il avait du sang dans les ongles, sans doute a-t-il griffé son assassin. Mais un scénario me vient en tête, rajoute le General : je me demande si on n’a pas tendu un guet-apens à votre époux. Et si le but était de le conduire jusqu’ici en inventant cette histoire d’armement et de l’isoler pour ensuite l’achever ? De toute les façons, une enquête va être ouverte. Je m’engage à poursuivre le coupable jusqu’au bout du monde s’il le faut.
C’est sur ces mots que nous partons.
Novembre 2017. Cela fait trois jours que mon père a été tué. Aujourd’hui avait lieu son enterrement. Il y avait beaucoup de monde. Ses amis, ses collègues, sa famille, tous étaient réunis pour lui dire au revoir. Il y avait également une chorale, celle de l’armée. Mon père a eu une cérémonie digne d’un roi. Il avait un grand cœur et était respecté et cela s’est vu aujourd’hui. Le General nous avait prévenu qu’il y aurait une grande présence policière. Le meurtrier pourrait également se rendre à l’enterrement.
– Madame Euro bonjour. Mes condoléances pour votre époux. Bonjour les enfants. Je me présente, je suis l’inspecteur Krad, Viny Krad. C’est moi qui suis chargé de l’enquête.
– L’inspecteur Krad nous vient de la Belgique. Il connait très bien le Maroc et c’est le meilleur dans son domaine. Comme vous savez, nous sommes en collaboration avec la Belgique depuis des années. Nos amis, les belges, adorent le Maroc, et c’est réciproque évidement. Le gouvernement fut affecté par la mort du commandant Euro et en signe de soutien, ils nous ont proposé les services d’un de leurs meilleurs inspecteurs, monsieur Krad que voici, expliqua le General.
L’inspecteur Viny était un bel homme. Ses petits yeux étaient d’un bleu intense. Il était classe et soigné. Il s’exprimait avec un léger accent anglais. Il ne quittait jamais sa longue veste grise, ni son chapeau de paille posé sur sa tête. Seule une mèche rousse lui cachait son œil droit de temps en temps.
– Allons-nous asseoir juste là si vous voulez bien, dit l’inspecteur de sa voix douce.
Nous sommes dans la cafeteria du commissariat. Me mère est vêtue de son manteau en velours et des chaussures à talons rouges. Elle est tellement élégante. Moi et Meisha sommes vêtus de nos manteaux en fourrure noirs qui nous tiennent au chaud dans cette pièce non chauffée.
– Visiblement votre mari a été piégé. J’ai interrogé la source de cette histoire, et elle m’a avoué avoir été contacté par un inconnu se disant être un informateur pour l’armée. Sauf que c’est faux. L’armée ne possède aucun informateur. Elle a arrêté ces pratiques depuis que des terroristes torturaient les informateurs ou se faisaient passer pour eux. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai une piste solide. Bientôt j’aurai le nom de cet individu. Dans peu de temps, nous aurons l’identité de l’assassin de votre mari. Je ne peux pas vous fournir plus d’informations au sujet de l’enquête mais sachez que je ne chôme pas. Je vais personnellement résoudre ce mystère, ainsi vous pourrez vous réveiller de cet horrible rêve.
Il était fier et semblait confiant. Après nous avoir saluer, il sorti du commissariat sur un pas déterminé. Son véhicule était stationné en face du bureau de police, sur le trottoir. Drôle de personnage ce Krad, une personne si soigneuse, si méticuleuse, se baladant avec une voiture avec la porte avant jaune. Si son objectif est de se faire voir, c’est réussi.
Le lendemain midi, l’inspecteur téléphona à maman pour dire qu’il allait passer plus tard à la maison. Il avait du nouveau au sujet du coupable.
« Ne bougez surtout pas de chez vous, madame, ainsi que vos enfants. Ce que j’ai à vous annoncer vous concernent tous ! »
Il est onze heures du soir. L’inspecteur n’est toujours pas passé. Je commence à m’endormir.
– Avant de dormir, prends une douche Ashhsa. Tu ne t’es pas lavé depuis hier midi, me lança ma mère.
L’eau et moi, la relation a toujours été compliquée. J’ai toujours détesté me laver. En vérité, je suis un grand frileux. De plus, il ne fait pas très chaud actuellement, ce qui fait que j’essaie d’éviter la salle de bain.
– Bon, je vais allumer ce chauffage, voilà. J’ouvre ce robinet comme ça l’eau se réchauffe. Maintenant je peux me déshabiller.
« Toc toc toc »
On venait de frapper à la porte de la maison.
– Je suis sous la douche maman, tu peux ouvrir ?
Je ne sais pas si ma mère m’a entendu. Mais qui peut venir à cette heure-ci ? si c’est cet inspecteur, c’est un manque de respect. On ne débarque pas chez des gens à cette heure-ci, sans les prévenir en plus. J’entends ma mère qui parle, elle rigole. La porte de la maison vient d’être fermée. J’ai entendu le bruit de la clé dans la serrure. On ferme toujours la porte à clé, même lorsque nous sommes à l’intérieur. Depuis la mort de papa, par sécurité on se doit de garder cette porte fermée à clé.
– Ashhsa tu descends ?
C’est maman, elle m’appelle. À mon avis c’est quelqu’un qu’elle connait qui est là.
– J’ai un peu trainé mais j’avais besoin de passer quelques minutes sous l’eau. Je devais me purifier et j’avais un léger mal de tête qui s’est envolé sous la douche.
Je faisais un monologue. J’aime bien parler seul quand je sors de ma douche. Soit je parle, soit je chante. Je faisais toujours ma star à ces moment-là.
Un silence règne en bas. Je sens comme un courant d’air. La porte de la maison doit être ouverte…
C’est une scène macabre que je découvre. Ce n’est pas possible. Sous mes yeux, gît le corps de ma mère, elle a été décapitée. Sa tête est posée sur la table de la cuisine. Il y a un couteau enfoncé dans son cœur. Près de la télévision, ma sœur est étendue au sol. Elle a des plaies partout, son visage est en sang. Elle a aussi un couteau planté dans son cœur. Sur le téléviseur est posé une feuille, dessus est écrit : « continues de rêver mon garçon ». À côté de la feuille, un dictaphone avec l’inscription « Play » en rouge.
– Dois –je vraiment le faire ? J’hésite… mais finis par appuyer sur lecture.
« All i have to do is dream, dream, dream, dream, dream … »
– Réveillez-vous, et coupez-moi cette foutue radio !
Le patient 989019
Patient 989019, réveillez-vous je répète. Aujourd’hui vous êtes libre. Quelqu’un vous attend dehors.
– Enfin libre ! Une chose est sure, plus jamais je remets les pieds dans cet hôpital psychiatrique. Gardien, je peux avoir mes affaires ?
Cinq minutes plus tard,
– .. ma montre, mon portefeuille et mes chaussures. C’est bon j’ai tous mes affaires, il ne me manque rien. Ils auraient pu au moins nettoyer mes chaussures, ça ne va pas être facile à nettoyer.
– Ôter cette peinture rouge sur ces bottines blanches, ce n’est pas gagné monsieur Krad, lança la gardienne avant d’actionner l’ouverture des portes.
– C’est du sang madame, ce n’est pas de la peinture, c’est du sang.
Dehors il fait frais, les oiseaux chantent.
– Ah c’est toi qui est venu me chercher ! Attends, un instant, je dois inscrire quelque chose dans mon carnet : « Belgique 2 Avril 20016, sortie définitive de chez les fous »
C’est bon on peut y aller.
Je vois que tu as bien pris soin de ma bagnole, c’est bien.
Les portes de la voiture venaient de se refermer.
– Tu sais, rajoute-t-il, maintenant que j’y pense, rappelles moi de changer la couleur de cette portière, je n’aime plus le jaune.
Et la voiture s’éclipsa sur un lourd vrombissement.