Damian ne broncha pas. Comme un animal dont la proie ne l’intéressait plus, il se détourna de cet homme. Son corps sans vie glissa contre cette poutre et vint doucement s’affaler dans son propre sang et sa propre pisse. Damian s’en retourna auprès de l’ombre. Sans un mot, il la prit dans ses bras et s’en alla.
Les autres le suivirent à l’extérieur de cet entrepôt.
Quelques dizaines de minutes plus tard, ils étaient tous de retour chez lui, dans son petit appartement où les attendait Nadya. Dès qu’elle les vit elle sut. Elle accourut vers Damian, vers cette ombre qu’il portait. Elle hurla son nom.
– « AAAAAAAAAAH ! ».
Tout le reste de cette nuit, ils restèrent, tous, là. Tous ensemble. Même Carole. Ils attendirent longtemps pendant que Damian et Nadya soignaient leur chère ombre.
Une bonne heure plus tard, Nadya les mains recouvertes de sang sortit de la chambre de Damian, s’alluma une clope qui trembla dans sa main et se mit aussitôt à pleurer. Il en sortit à son tour s’essuyant les mains dans un bout de drap couvert de sang. Elle se retourna vers lui, le regarda. Elle le gifla une première fois, puis une seconde. Une troisième. Sa main claqua tellement fort contre sa joue que tous en détournèrent le regard. Jamais Damian ne broncha. Jamais il ne se rebiffa.
– « Comment t’as pu laisser faire ça ?! Hein ! Tu crois que tu es le seul à souffrir. Belinda c’était aussi notre amie, elle était comme notre sœur. Quand elle est partie on en a tous souffert. On l’a tous perdue. Je sais bien qu’elle pouvait pas vraiment m’encadrer. C’est pas grave on n’est pas louis d’or on ne plait pas à tout le monde. Mais on l’a tous perdue, elle faisait partie de notre famille et tu crois qu’elle aurait voulu que tu mettes l’un d’entre nous en danger pour elle, tu crois qu’elle t’aurait laissé faire !? Hein ? Dis-moi ?! Hein ! ».
Elle se remit à pleurer. Damian la prit dans ses bras, elle se serra contre lui. Carole les regarda, lui et Nadya, eux tous autour d’elle. A ce moment-là, elle sut, elle ne ferait jamais partie de leur famille car elle ne serait jamais comme eux. Elle ne le pouvait pas. Elle ne le voulait pas.
Alors que le matin se levait, enveloppée dans cette couverture pourrie, Carole marchait sur une route de campagne pour rentrer à la caserne. Elle savait ce qu’elle allait leur dire. Elle ne leur dirait pas la vérité. Elle leur dirait seulement ce qu’ils avaient besoin de savoir sur ce qui s’était passé là-bas dans cet entrepôt. Les hommes qu’ils surveillaient leur étaient tombés dessus. Les autres membres de l’USIGN avait été tués. Elle, elle avait pu s’échapper quand un autre groupe était venu s’en prendre à ceux de l’entrepôt. Elle avait pris une balle en se défendant contre l’un de ceux-là.
Elle fut hospitalisée quelques jours son état était bien moins grave que ce qu’il paraissait. Damian vint la voir plusieurs fois, resta parfois à ses côtés lui tenant la main tandis qu’elle dormait. Chaque lorsqu’elle s’éveillait, elle ôtait sa main de la sienne. Il savait que cela voulait dire. Mais aussi longtemps qu’elle fut hospitalisée, il vint la voir. Il ne la laissa pas seule. Il ne l’abandonna pas.
Le jour même de sa sortie, quelques heures après, elle se rendit chez lui, pour reprendre le peu d’affaires qu’elle y avait laissé, lui rendre ses clefs.
Alors qu’elle s’en allait, elle s’arrêta derrière lui, le regarda devant cette fenêtre fixant la ville au loin.
– « Je…je m’en vais, Damian.
– Ok
– Je…tu diras merci à…
– Je lui dirai
– Ok…je n’ai rien à…mais…je crois que tu devrais essayer de la retrouver, la fille dont tu as la photo dans ton portefeuille…elle te comprenait je crois, elle vous comprenait tous…certainement…parce qu’elle…devait comme vous…[il ne lui répondit pas, ne se tourna pas vers elle. Carole fit alors quelques pas vers sa porte d’entrée. Elle se retourna]…je ne veux plus entendre parler de toi ni des autres. Je sais que vous vous êtes tous mis en danger pour moi. Surtout…mais…je ne veux plus vous voir. Je ne veux plus vous parler. Je ne veux plus vous entendre. Je ne veux plus jamais rien savoir de vous. Je n’ai rien à voir avec vous.
– Tu ne nous verras plus.
– Je ne plaisante pas Damian. Je vous ai couvert, je n’ai rien dit à personne et je ne dirai jamais rien…mais…si je vous recroise je n’hésiterai pas. Je te jure que je vous pourrirai la vie jusqu’à ce que vous en rendiez l’âme. Je te le jure. Ce n’est pas une menace, Damian, je te préviens c’est tout. Je n’hésiterai pas et je ne regarderai pas. Que ce soit toi ou un autre ce sera la même chose, c’est clair ?
– C’est clair.
– Ok. Elle le regarda. Jamais il ne se retourna vers elle. Jamais il ne la regarda. Et quelque part elle le regretta. Elle fit encore quelques pas, s’arrêta. Tu…t’es quoi en fait ? Vous êtes quoi, tous ?
Il se retourna vers elle, enfin.
– Pour les gens comme toi : des monstres, des invisibles, des anormaux…mais pour moi, c’est ma famille et je l’ai mise en danger pour toi…et je n’aurai pas dû.
– Au moins, c’est clair entre nous…j’espère qu’on ne se recroisera plus jamais Damian.
– Moi aussi ».
Carole s’en alla laissant ses clefs sur son meuble d’entrée. Elle referma alors la porte derrière elle.
Damian resta là, seul. Encore. Pas vraiment. Elle était toujours là. Elle serait toujours là avec lui. Où qu’elle soit. Et peu importe avec qui. Ça avait été elle et ce serait toujours elle.
Quelques kilomètres plus loin et une bonne dizaine de jours plus tard, dans cette même zone industrielle qui avait fini par retrouver son calme, trois jeunes hommes faisaient une partie de pêche. Pour quiconque passant par-là, ils semblaient bien s’amuser. Sauf peut-être le troisième. Lui, il avait les yeux rivés sur son portable.
Il marcha quelques dizaines de mètres le long de la berge jusqu’à une vieille bouche d’évacuation des eaux usées. Il s’agenouilla alors, souleva la plaque métallique. Sous la grille, il y avait un rat qui s’enfuit aussi vite qu’une balle de fusil et sous le grillage des dizaines de sacs poubelles flottant dans les eaux grises. Il siffla. Les deux autres accoururent aussi vite.
– « Les mecs !…Papa Noël vient de livrer nos cadeaux !
– Et je peux récupérer mon portable maintenant ? ».
Les deux autres sourirent. Ils sortirent les sacs, en ouvrirent un. Parmi les dizaines de centaines de liasses de billets, ils récupèrent les portables tant désirés. Ils remplirent alors le coffre de chacune de leur voiture et durent faire plusieurs voyages pour tout emporter.
Durant ces jours-là, Damian sembla fermer. Amanda, comme les autres, sentait que son père avait quelque chose à leur dire. Mais il n’y arrivait pas, il n’osait pas. Alors il le fit à sa manière.
Il organisa un diner où ils furent tous conviés. Ils mangèrent, burent, rigolèrent, parlèrent s’amusèrent. Et au moment du dessert :
– « Je…on va s’en aller…leur dit-il, je ne peux pas rester ici Princesse… [il regarda Amanda. Elle se leva et vint lui faire un câlin]…c’est trop dur…j’ai…j’ai besoin de partir. Tout ici me rappelle Belinda, vous savez…elle…elle me manque chaque jour, c’est affreux…j’ai l’impression d’être dans un cauchemar pratiquement en permanence…et…j’étais, je suis toujours en colère et…et ça m’a poussé vous mettre en danger, ça m’a aveuglé. Je vous demande pardon. Surtout à toi…à toutes les deux. Maintenant qu’on a tous de l’argent, plus qu’on en a besoin, plus qu’on pourra en dépenser…vous êtes tous libre de faire tout ce que vous avez envie, vous pouvez faire tout ce que vous avez envie, vous pouvez aller là où vous voulez. Je n’ai pas à vous imposer mes décisions et surtout pas ma connerie et…surtout pas à vous faire prendre des risques. Alors…ouais…on va s’en aller.
– Où ? lui demanda l’un de ceux qui était là avec lui
– J’en sais rien…un endroit calme…où il y a des animaux [il regarda Amanda, lui donna une bise]…et pas trop de monde…surtout pas trop de monde.
– Ouais tu veux aller dans un trou paumé à la campagne, putain !
– Pourquoi pas !
– Et tu crois qu’on va te laisser y aller tout seul ?… lui dit alors Nadya, et puisqu’on a de l’argent enfin des tonnes de frics je veux dire…[certains se mirent à rire, d’autres à lever leur verre]…pourquoi on ne monterait ce cabinet dont t’arrêtes pas de parler depuis qu’on se connait…en campagne ce serait bien, y a des gens en ont besoin de toute façon autant que ça serve à quelque chose tout ce fric.
– Ouais un petit village loin de tout.
– Euh…pas trop non plus moi j’y vais pas si y a pas internet !
– Putain les mecs !…Je veux dire : les mecs qu’est-ce que qu’on attend ! ».
Oh putain, les mecs ! Que ce serait bien si c’était aussi simple que ça. Pas vrai ?…enfin quand on a du fric tout est toujours plus simple, non ? Qui sait, si vous achetez mon livre je pourrais vous le dire…comment ça fait. Et même s’ils en font un film. Oh putain ! Une série de films ! Des figurines, des posters, des chaussettes, des t-shirts et même des slips ! Je serai en photo sur votre cul, dites donc !…Oh, putain, je sens l’odeur du succès, là !….euh…non bien sûr, je fais ça pour l’art. Rien que pour l’art…euh…achetez mon livre s’il vous plait faut que je mange aussi ! Je peux pas me faire une cagnotte en ligne pour payer mes courses quand même ! Allez putain ! Faites pas vos crevards ! Donnez, donnez-moi ah-ah ! C’est du Haricot Alamasse ! C’est pas de la merde ! Merde !…euh…merci ! J’attends vos dons ! Vite j’ai la dalle !…euh…bougez-vous le cul, merde !
Merci très beaucoup !