Chapitre 32 : Starbucks
Jeudi 24 novembre
Allongée dans le lit d’Emil, j’observe le plafond, que je commence à bien connaître vu que je le fixe chaque soir et chaque matin dès que je suis chez lui.
Il s’est passé presque deux semaines depuis que nous sommes revenus de l’hôpital, comme d’habitude, je me suis enfuie chez mes pères le week-end juste après. Mais Emil n’a rien dit. Enfin pour cette fois. J’ai passé le week-end dans ma bulle avec mes parents à dessiner. C’est quand je suis revenu que j’ai retrouvé Natalie et Emil, qui sentait bien que quelque chose n’allait pas.
J’avais décidé de savoir malgré tellement d’inquiétude mais le monde, c’est foutu de moi. Je ne pouvais pas m’éloigner bien loin alors que mon copain et mon amie étaient toujours là. Mais je ne parle presque plus.
Je sens le regard de Natalie qui ne s’est pas quoi faire. Et quant à Emil, il me tend des perches depuis deux semaines pour que je lui parle, lui dire comment je me sens.
Veut-il savoir que je suis énervée contre moi-même d’avoir espéré. Énervée car je n’ai pas trouvé de réponse. Que j’ai maintenant de plus en plus peur. Une peur que je pensais avoir assez effacée pour qu’elle n’affecte pas mon couple. Mais elle est revenue. Enfin elle était toujours là, tapie au fond de mon crâne. Maintenant, elle m’occupe tout le temps. Je ne veux pas y penser ! Je veux vivre normalement avec Emil et ne plus craindre ce pouvoir mais je n’y arrive pas.
Alors je fixe ce foutu plafond quand je m’endors et me réveille près de lui. Pour me concentrer sur cette pensée que son plafond est blanc mais avec quelque tache noire de saleté.
Alors que je suis réveillé depuis presque une heure, je sens Emil bouge à côté de moi et finalement il se retourne vers moi.
Je le sens m’observer, puis suivre mon regard et souffler doucement alors qu’il voit que je suis toujours obsédée avec son toit.
– Nora, ça va ? Me demande-t-il comme chaque matin.
– Huumm… alors que je hoche la tête et me lève d’un coup. Je lui souris -comme tous les matins- et m’en vais vers la salle de bain pour me passer un coup d’eau sur le visage.
Quand je reviens, il est assis dans le lit, pas comme tous les matins où il serait déjà debout pour nous préparer un petit-déjeuner.
Je fais comme si de rien était et m’en vais dans la cuisine faire couler un café.
– Ça ne sert à rien, viens, je vais t’emmener quelque part, dit-il alors qu’il s’est rapproché sans bruit et coupe la cafetière.
Mon visage se tourne vers lui et l’observe les sourcils froncés, ne comprenant pas.
– Viens, tu vas voir, dit-il alors qu’il enfile un pantalon.
Alors que nous sommes habillés, il conduit ma voiture -récupéré avant devant l’internat- je le vois prendre la direction de Meldia.
– Tu vas où ?
– Tu vas voir, dit-il alors qu’il se tourne vers moi et me sourit tristement.
XX
– Alors ce n’est pas le Starbucks où nous avons fait notre décision de retourner à l’école mais bon… Dit-il en entrant dans le magasin qui se trouve dans ma ville natale.
Je ne comprends pas où il veut en venir mais il ne m’aide pas plus et nous commandons en silence.
Dehors il me dirige vers le petit parc, ou nous nous asseyions sur un banc. Le même parc, juste à côté de mon lycée, que je traversais tous les jours seule puis avec Alex.
Tout est silencieux, il fait froid alors il n’y a pas grand monde dans les rues ou dans le parc.
– J’ai rencontré Rosalyn en 1920, j’ai passé vingt ans en France avec elle quand je suis rentré en Amérique, j’ai rencontré George et notre trio c’est doucement créer.
– Où tu veux en venir Emil ? Dis-je alors que je resserre mes mains autour du verre de thé.
– Écoute, tu vas voir ça peut t’aider. Nous sommes immortels alors après de nombreuses années ensemble, nous nous séparions pour mieux nous retrouver. En juin 2020, cela faisait cinq ans qu’on ne s’était pas vue avec Rosalyn, j’étais sur la côte américaine ouest et elle était au Canada. Quant à George, cela faisait sept ans, il était en France. 2020 était une année importante, cent ans que je connaissais Rosa et quatre-vingt ans avec George.
Je le regarde ne sachant pas quoi dire, nous buvons en silence, puis il se tourne vers moi et ne lâche plus mes yeux pour le reste de son monologue.
– C’est durant notre road trip de retrouvailles, que nous nous sommes arrêtés dans un Starbucks et c’est là que nous avons décidé de repartir pour des études ensemble. Nous voulions être ensemble et avoir un projet à trois.
Il fait une pause, finit son thé et me prend les mains dans les siennes.
– Et c’est comme ça que nous nous sommes retrouvés dans un patelin de Philadelphie pour recommencer notre terminale, on voulait partir à l’université à trois après, revivre la vie étudiante ensemble. Un an plus tard, Rosalyn était morte, je me suis enfui. J’ai éteint mes émotions, enlevé mon bracelet et vivais dans un squat délabré à New York. C’était comme ça pendant quatre mois, je sortais seulement la nuit, j’avais repris un régime complètement de sang humain, directement à la source. J’ai tué des jeunes filles et hommes sans faire attention alors que je les vidais de leurs sangs.
Il fait une pause, il baisse les yeux et renifle. J’avale difficilement. Je savais que cette période était dure pour lui mais pas ça…
– C’est George qui m’a sortie de là-bas, il m’a sevré du sang humain. Et m’a obligé à le suivre dans un voyage. Au rythme de nos heures de routes, de nos destinations, j’ai commencé doucement à retrouver mon humanité.
Il souffle et regarde le paysage, les quelques millimètres de neige sur le sol, qui ne tiendront pas, les arbres et le petit chemin qui nous entoure.
– Ce que je veux dire, c’est que j’étais dans un mauvais moment et j’ai laissé entrer George petit à petit.
Il enlève ses mains et les range dans son manteau et je fais de même.
– J’aurais aimé que tu rencontres Rosalyn, elle t’aurait apprécié, dit-il après quelques minutes alors que je suis plongée dans mes pensées, réfléchissant à ses mots.
Que je comprends, mais le problème étant que si je fais entrer les gens, c’est là que la situation devient pire et non meilleure.
Pourtant je veux lui dire, le laisser entrer. Mais les mots sont coincés sur le bout de ma langue.