Le sommet pourpre

22 mins

 La jeune Tommie se réveilla doucement sur la banquette arrière du pick-up, Alvaro coupa le moteur.

La fillette s’étira et rejeta en arrière sa tignasse châtain, et murmura d’une voix pâteuse, en se

frottant les yeux : « ça y est, on est arrivé ? »

L’homme ne répondit pas immédiatement.

Tommie remarqua des perles de sueurs coulées le long du cou et de la nuque d’ Alvaro. C’était une

journée d’été particulièrement chaude, mais Tommie sentait qu’ Alvaro était angoissé, depuis le début de leur périple.

– On va s’arrêter ici, il ne nous reste plus qu’à atteindre le sommet de la falaise, et …on y sera, dit l’homme, en pointant du doigt la côte.

La jeune fille se pencha et passa la tête à travers la fenêtre, jetant un regard qui balayait l’horizon.

Le véhicule était garé près d’un vieux chêne majestueux, autour d’eux, tout était paisible. Le vent soufflait délicatement, en faisant onduler l’herbe fraîche et verte, le ciel était bleu sans nuage.

Tommie fronça les sourcils et concentra son attention sur le sommet de la falaise, cela semblait si haut.

La fillette fut tirée de sa rêverie, en entendant le claquement brutal de la porte côté conducteur se refermer. Elle ne dit rien et regarda Alvaro faire les cent pas, puis s’accroupir dans l’herbe en

marmonnant de manière inintelligible, comme si il récitait une sorte de prière pour se rassurer.

Tommie décida de le rejoindre, et avança à sa hauteur. Elle se sentait vraiment déstabilisée de voir Alvaro dans cet état d’agitation, cela ne lui ressemblait pas.

– Tu sais, on n’est pas obligé de lui rendre visite, dit la fillette avec une toute petite voix.

Alvaro lui lança un regard noir, puis se releva d’un coup en époussetant son jean, fuyant le regard de l’enfant.

– Qu’est-ce que tu racontes…Tout va bien, je t’assure.

– Je disais ça comme ça, balbutia Tommie en croisant les mains derrière le dos.

Alvaro lui tourna le dos brièvement, puis revint vers la jeune fille et se pencha en mettant ses mains sur ses épaules.

– Faut pas que tu t’inquiètes. Je te l’ai déjà dit Tom, il y a plus de dix ans que je ne l’ai pas vu, alors oui, je me sens un peu étrange…Mais, je tiens à te le présenter, dit Alvaro avec conviction, en braquant ses yeux bleus perçants dans ceux de la fillette.

– Tu vois Tom, j’aimerais vraiment réussir à m’entendre avec lui, et lui prouver que je m’occupe bien de toi. C’est vraiment important pour moi, qu’il comprenne.

Tommie trembla légèrement, mais acquiesça en faisant la moue. Ce n’est pas comme si elle avait le choix.

Alvaro était la seule personne qui se souciait de son sort, même si il était un voleur et qu’il mentait souvent aux gens, elle y compris.

Tommie était reconnaissante, mieux valait être en compagnie d’Alvaro, plutôt que dans un

orphelinat ou une autre institution peu scrupuleuse de son bien-être.

– Bon, on y va, allez haut les coeurs ! Tu vas voir, mon père c’est quelqu’un, tu ne vas pas en

revenir ! S’écria Alvaro avec un sourire forcé.

Tommie percevait toujours la contradiction dans le langage corporel de l’homme, mais décida de jouer son jeu.

– Tu ne m’as pas dit son nom, dit-elle d’un air distrait, en jouant avec l’une de ses mèches, entre ses doigts.

– Il s’appelle Colin, répondit Alvaro.

– Et qu’est-ce qu’il a de si particulier ? Tu ne m’as pratiquement rien raconté sur lui.

Alvaro émit un petit rire nerveux, en cherchant ses mots : « eh bien tu vois, c’est quelqu’un qui est vraiment à part et solitaire, tu vois ce que je veux dire ? Mais ce que tu dois savoir le concernant, c’est un artiste, unique en son genre. Il peint des tableaux…C’est difficile de mettre des mots justes sur ce qu’il produit, mais je suis certain que tu seras très impressionnée.

– Si tu le dis, marmonna la fillette en haussant les épaules.

Alvaro lui donna une petit coup de coude affectueux, puis se mit à courir sans prévenir en direction du sommet.

– Hé, c’est de la triche attends-moi ! cria la gamine, en se lançant à sa poursuite.

Lorsque Tommie rattrapa Alvaro au sommet, ce dernier était complètement essoufflé. L’homme était penché en avant, les mains sur les genoux pour reprendre son souffle. La fillette écarquilla les yeux et poussa un soupir admiratif. Une grande maison blanche, au toit rouge se dressait devant eux. Du sommet, on pouvait distinguer la mer de chaque côté de la falaise. Le lieu était insulaire et invitait au calme et à la tranquillité.

– Sacré baraque, n’est-ce pas ? dit Alvaro en lançant un clin d’oeil à Tommie.

– C’est beau. Tu as vraiment grandi ici ? répondit brusquement la fillette incrédule. La vue de cette belle maison au bord de la mer, ne correspondait pas vraiment à son quotidien nomade, en compagnie d’Alvaro.

Le visage de l’homme se crispa immédiatement, il se passa la main derrière la nuque en se raclant la gorge.

– Pas tout le temps…soupira t-il, en évitant de croiser son regard.

– Pourquoi ?

– Mon père n’était pas toujours facile à vivre, alors…je partais, puis je revenais, et ainsi de suite.

Enfin, c’est un endroit superbe, dit Alvaro en choisissant soigneusement ses mots.

Tommie l’observa avec insistance, mais ne répondit pas et se contenta de cette réponse.

– Bon…je crois qu’il ne reste plus qu’à y aller, reprit Alvaro.

Percevant l’inquiétude dans le son de sa voix, la fillette prit la main d’Alvaro dans la sienne et lui adressa un sourire timide mais réconfortant. Alvaro la remercia du regard, puis ils avancèrent doucement vers l’entrée de la maison.

Soudain, Tommie et Alvaro sursautèrent en entendant des sons graves, suivis de bruits de pas

rapides. Un gros chien noir semblable à un loup, jaillit de derrière la maison et se planta juste

devant la porte d’entrée. L’animal grognait sombrement, ses oreilles étaient redressées en pointe, et ses babines retroussées n’annonçaient rien de bon. Alvaro plaça Tommie derrière lui, dans un geste protecteur et lui fit signe de se taire de la main. Il ne fallait surtout pas énerver davantage le

molosse. La fillette sentit son coeur commencer à cogner dans sa poitrine, elle s’accrocha à la veste d’Alvaro, en fermant les yeux.

Alvaro tendit sa main avec précaution vers le chien, mais ce dernier se mit à grogner avec intensité, ses poils hérissés sur son dos, indiquant qu’il était prêt à bondir au moindre faux pas. Alvaro jeta un

bref regard à la fenêtre située à droite de la porte d’entrée. Il aperçut une silhouette familière et le mouvement furtif d’un rideau qu’on rabat. La porte d’entrée s’entrouvrit en émettant un petit grincement caractéristique, le chien se retourna brusquement et cessa de grogner.

– Qui êtes-vous ? Fit une voix rauque.

Alvaro leva les mains au ciel, et répondit en élevant la voix : « C’est moi, père, juste moi ! »

Tommie rouvrit les yeux et essaya de deviner les traits du visage de celui qui se tenait à moitié

caché derrière la porte.

C’était donc lui, Colin.

– Et ça ? Qui est-ce ? Répliqua sèchement l’homme en désignant Tommie, d’un air dédaigneux.

La jeune fille leva les yeux vers Alvaro, ce dernier resta sans voix un bref instant, puis il posa ses deux mains sur les épaules de la gamine en s’écriant : « Ma fille, Tommie ! »

Tommie ne releva pas le mensonge, elle était habituée, Alvaro avait ses raisons. Elle crut entendre l’homme plus âgé murmurer un « nom de Dieu…», avec un ton agacé. Le chien qui s’était tut jusque là, recommença à aboyer de plus belle. Le père d’Alvaro siffla et ordonna à l’animal de se tenir tranquille.

– Chut, ça suffit Dipsy. Bon et bien…Entrez, dit l’homme froidement, en rabattant complètement la porte, dévoilant une silhouette relativement imposante.

La jeune fille contempla le père d’ Alvaro, c’était un homme d’une soixantaine d’années environ.

A vrai dire, lui et son fils ne partageaient que peu de ressemblances physiques. Colin était un peu plus petit que son fils et avait davantage d’embonpoint, tandis qu’ Alvaro était athlétique. Ils n’avaient pas tout à fait la même couleur de peau non plus, Alvaro avait le teint hâlé, Colin était pâle. Ils avaient en commun, une petite fossette à l’extrémité droite du visage, et des cheveux souples et courts.

Tommie essaya d’imaginer un instant, à quoi ressemblait Alvaro à l’âge de douze ans à côté de cet homme. Puis elle jeta un coup d’oeil à Alvaro, ce dernier sourit timidement, la fillette ne savait pas si il était inquiet ou soulagé…Peut-être les deux ?

Quoiqu’il en soit, elle n’avait plus à avoir peur du chien noir, Dipsy craignait son maître, c’était

évident. L’animal resta couché dehors, la tête basse, les deux pattes avant, calées juste devant son museau.

Avant de franchir la porte, Tommie découvrit que le chien avait un regard très expressif, il s’en

dégageait une certaine douceur.

Colin remarqua son étonnement et chuchota en tapotant le dos de l’animal : « il est un peu

impressionnant, mais c’est un vrai gentil, celui-là. »

L’intérieur de la maison était très austère, le papier peint était dépassé depuis longtemps et se

décollait par endroits, les murs et les parois de la maison étaient constitués de différents types de bois dans les tons marrons foncés.

Colin accompagna ses invités à la cuisine, son visage exprimait la contrariété.

– Je dois avouer que je ne m’attendais pas à recevoir de la visite, encore moins de ta part. Je n’ai préparé qu’un couvert, dit l’homme en haussant les épaules, le regard dans le vide.

– Ce n’est pas un problème, nous pouvons t’aider, dit Alvaro avec empressement, son père fronça les sourcils et agita sa main en l’air, comme si son fils venait de dire quelque chose de stupide.

– Tu vas m’aider, mais laisse la petite en dehors de ça, elle n’a qu’à aller jouer avec Dipsy.

Alvaro acquiesça sans un mot, mais Tommie vit que son visage s’était contracté, toute son attitude évoquait un petit garçon qui venait d’être réprimandé, elle eut pitié de lui, mais une partie d’elle-même était soulagée, Colin la mettait mal à l’aise. Il avait l’air si dur et inaccessible.

Rejoindre le gros chien noir était l’opportunité parfaite, pour fuir cette situation oppressante, et

Tommie ne se fit pas prier longtemps pour quitter la pièce en courant.

Pendant un moment, la fillette resta assise dans l’herbe, à caresser tranquillement Dipsy. Comme l’avait dit Colin, le chien était au final d’une bonne nature. C’était un gardien fiable et son apparence physique impressionnait. La fillette aimait plonger ses doigts fins dans la fourrure douce et épaisse de l’animal, c’était satisfaisant comme si elle avait une peluche géante à disposition. Tommie se retourna discrètement et tenta d’apercevoir Alvaro et Colin à travers la fenêtre de la cuisine. La jeune fille distingua avec difficulté les silhouettes des deux hommes. Il ne semblait pas y avoir la moindre tension, chacun était affairé à sa tâche. Pour autant, Tommie demeurait pensive, elle se souvint d’un coup, qu’ Alvaro avait vanté les talents artistiques de son père. La fillette se demanda à quoi ressemblaient les oeuvres de cet homme froid et solitaire.

Dipsy se mit à japper doucement, elle avait cessé de lui caresser le front. La fillette se mit alors à le gratouiller affectueusement entre les oreilles et chuchota d’un air conspirateur : « et toi Dipsy ? Tu sais où elles se trouvent les oeuvres secrètes de ton papa ? Tu veux bien me montrer, dis ? »

Le chien lui lança un regard curieux puis se mit à bailler. Tommie se redressa sur ses jambes, et

longea la maison en laissant glisser sa main sur le mur d’un air distrait. Dipsy se mit à la suivre en trottinant à ses côtés.

– Ah ! Tu me rejoins finalement, tu as fait le bon choix, dit-elle en le toisant.

En faisant le tour de la maison, Tommie découvrit une partie annexe, qui était une sorte de

prolongement de la demeure, il n’y avait pas de porte mais la fenêtre était entrouverte, ce qui attira l’attention de la jeune fille.

Tommie se mit sur la pointe des pieds et s’accrocha au rebord pour se hisser du mieux possible sur la fenêtre. L’intérieur de la pièce était sombre, aussi austère et vide que le corridor à l’entrée de la maison. Mais elle distingua sur l’extrémité droite de la pièce une grande forme rectangulaire,

comme une toile.

Dipsy jappa de nouveau, Tommie lui fit signe de se taire. Elle réfléchit quelques instants, était-ce une bonne idée d’entrer dans cette pièce sans autorisation ? Probablement pas.

D’un autre côté, Alvaro lui enseignait depuis quelques temps, les tactiques courantes des

pickpocket. La règle d’or était : la discrétion. Tommie était très douée pour se fondre dans le décor,

les gens ne soupçonnaient jamais une gamine.

C’est l’occasion de mettre en pratique les leçons du maestro. La curiosité eut raison de Tommie, la fillette projeta son corps en avant pour pénétrer dans la pièce.

Elle émit un petit cri de douleur en atterrissant sur les genoux, le plancher craqua légèrement sous son poids. Heureusement, Dipsy ne faisait plus de bruit, et personne ne pouvait se douter qu’elle se trouvait à l’exacte opposée de la maison, présentement. Tommie se releva en époussetant les manches de sa chemise en tartan, un peu trop grande pour elle. Elle sortit de la poche de son jean un petit élastique, et noua ses cheveux en une queue de cheval, avec détermination.

Elle était fin prête pour explorer les lieux. La pièce était très poussiéreuse, cela sentait le renfermé, Tommie mit sa manche devant son nez en grimaçant. La fillette se dirigea vers la grande toile qu’elle avait aperçue.Cette dernière était recouverte d’un long tissu en jute bon marché. La jeune fille s’empara du tissu, et le tira délicatement pour dévoiler la toile. Elle sentit les battements de son coeur s’accélérer, c’était excitant de percer un secret à jour, hélas son enthousiasme redescendit aussi vite qu’il était monté. L’apparition de l’oeuvre l’a laissa dubitative. C’était une sorte d’amas

circulaires de couleurs sombres, plus précisément des teintes d’un rouge violacé profond, l’ensemble était très pâteux, comme si Colin s’était acharné à recouvrir sa toile de couches successives de peinture.

C’est vraiment moche, songea la fillette avec déception, et pensa une fois de plus qu’ Alvaro lui

avait clairement mentie, en vantant les talents artistiques de son père. Pourtant, il s’était montré tellement sincère, en lui parlant des peintures de Colin. Il faut reconnaître que l’obscurité naturelle de la pièce ne contribuait pas à mettre en valeur les couleurs déjà sombres du tableau. Tommie était vaguement intriguée par la texture épaisse des couleurs, elle approcha son doigt puis gratta doucement la surface. C’était bien sec, les croûtes de couleurs restaient bien accrochées à la surface de la toile.

La fillette recula de quelques pas et focalisa toute son attention sur l’oeuvre étrange. Plus elle la contemplait, plus elle percevait maintenant une silhouette plus claire, semblable à celle d’une femme se détacher de l’ensemble, comme si l’être féminin flottait au milieu du chaos sombre. Ce n’était pas une peinture qui correspondait aux goûts de Tommie, mais elle devait reconnaître,

qu’elle n’était pas si laide, ni inintéressante qu’elle ne l’avait cru au premier coup d’oeil. Soudain la jeune fille entendit des bruits, comme si quelqu’un grattait la surface des murs. Tommie se retourna et vit Dipsy atterrir dans la pièce. Ce chien était décidément d’une agilité redoutable. L’animal trottina doucement vers la fillette et la regarda avec attention. Tommie l’ignora, elle venait de remarquer quelque chose derrière la grande toile, et se plaça à l’extrémité droite de l’oeuvre et la tira légèrement à elle. Il y avait comme une sorte d’ombre derrière le mur, Dipsy se mit à grogner, mais

ce n’était pas agressif, son regard semblait inquiet. Tommie poussa la toile sur le côté avec

précaution, et découvrit à sa grande surprise, qu’il y avait un passage obscur, que la toile servait à couvrir.

La fillette recula, et se mit à sourire, elle se sentait comme une aventurière s’apprêtant à trouver un trésor mystérieux. Tommie fut tirée de sa rêverie en sentant la tête de Dipsy contre son ventre, le chien se frottait nerveusement en glapissant. La jeune fille caressa l’animal, et murmura : « ne sois pas si peureux, c’est toi qui est censé me protéger si l’on rencontre des monstres. Allons, chut, chut, tout va bien, bon chien. »

Malgré l’agitation de Dipsy, Tommy entreprit de traverser le corridor obscur. Elle ferma les yeux et marcha rapidement, quand elle les rouvrit, elle se rendit compte qu’elle se trouvait dans une pièce similaire à la première, à la différence, que cette fois-ci, il y avait des toiles absolument partout, et des formats différents.

Toutes ces toiles possédaient les même caractéristiques, une surabondance de couche de peinture, des couleurs pourpres et sombres, mais certaines étaient réhaussées de touches claires et éparses. Au premier coup d’oeil, on n’apercevait rien mis à part, le chaos et la matière : aucun sujet ne semblait visible.

Mais en prenant un peu de distance, Tommie voyait apparaître à travers le relief, des silhouettes plus ou moins masculines ou féminines, qui semblaient perdus dans des paysages abstraits. La fillette ramassa une petite toile et passa sa main dessus, pour sentir la croûte formée par la peinture épaisse, mais cette fois, la couleur pourpre tâcha sa main, la gamine surprise, lâcha brusquement la petite toile qui tomba par terre. C’est à ce moment-là que Dipsy se mit à grogner et montrer les crocs.

Quelque chose semblait fortement lui déplaire dans cette pièce.

– Dipsy, chut ! Tout va bien, s’agaça Tommie. Elle se pencha pour ramasser la petite toile, mais fut prise d’un vertige soudain. Son champ de vision se mit à rétrécir sous ses yeux, les peintures sombres et épaisses se mirent à onduler, et un son aigu lui vrilla le crâne. Le chien aboya de plus en plus fort, paniqué, avant de s’enfuir de la pièce. Tommie se boucha les oreilles en fermant les yeux, espérant atténuer son mal être, mais tout s’intensifiait autour d’elle, et bientôt elle sentit ses bras et ses jambes se mettre à trembler, contre sa volonté. La fillette se recroquevilla sur le sol et se maudit d’avoir été si curieuse.

Le son aigu et perçant qui ne cessait de passer en boucle dans sa tête s’arrêta, sans crier gare.

Tommie était méfiante, elle garda ses mains plaquées contre ses oreilles, et se redressa doucement, pour éviter une autre chute. Au bout de plusieurs minutes, la fillette capitula et retira ses mains en se figeant sur place. Tout était normal autour d’elle. Les peintures n’avaient pas bougé. Elle se demanda si elle n’avait pas tout imaginé, pourtant l’expérience avait été viscérale. La fillette n’entendait plus qu’un très léger bourdonnement dans l’oreille droite, sa queue de cheval s’était défaite, des mèches de cheveux pendaient en pagaille devant son visage. Tommie ramassa son élastique et commença à se coiffer, mais progressivement le bourdonnement sourd dans son oreille reprit de l’ampleur. La fillette jeta des regards inquiets, et se pétrifia sur place, devant la plus grande toile présente dans la pièce. C’était une toile qui mesurait environ deux fois la taille d’un homme adulte. La fillette recula prudemment, afin d’avoir un meilleur point de vue de l’oeuvre, elle retint un cri.

La peinture se mit à trembler, des morceaux de croûte tombèrent peu à peu sous ses yeux médusés, pour dévoiler une sorte de corps humain démembré. Le tronc et les bras étaient dissociés les uns des autres et tentaient de littéralement s’échapper de la toile, sans y parvenir, les différentes parties étaient secouées de convulsions frénétiques. Tommie fut prise d’une peur panique, en entendant maintenant comme un choeur de voix tremblantes la suppliant de les aider. D’autres peintures, plus petites se mirent à également à trembler. Sur certaines toiles, les couches pâteuses de peinture commençaient à dégouliner le long des murs et sur le sol poussiéreux, semblables à des larmes coulant le long d’un visage. Tommie en avait assez, tout ce qu’elle voyait ne pouvait pas être réel.

Elle se précipita hors de la pièce en rejoignant le corridor, et courut sans se retourner. Une fois

arrivée à l’extrémité de la première pièce, elle s’élança par la fenêtre, par laquelle elle était entrée.

Elle était saine et sauve à l’air libre, mais son corps entier l’élançait, assailli par des fourmillements.

Tommie croisa le regard de Dipsy, le chien la considéra avec intensité.

La jeune fille fut soulagée quand Alvaro l’appela pour les rejoindre à dîner. Tommie ne s’était pas complètement remise de sa frayeur, plus que jamais elle se dit qu’il valait mieux rester sur ses gardes et être attentive. Lorsqu’elle entra dans la cuisine, elle sentit le regard tranchant de Colin, il la jaugea un bref instant, mais la jeune fille en eut froid dans le dos.

La fillette prit place en face d’Alvaro, bien évidemment c’était Colin qui présidait la table, entre eux.

Tommie regarda autour d’elle, la cuisine était tout à fait simple, comme le reste de la maison, il n’y avait que le strict nécessaire. Derrière Colin, il y avait une fenêtre qui donnait une vue sur

l’extrémité de la falaise et la mer. Ce n’était pas grand-chose, mais cela réconforta Tommie.

Alvaro apporta le saladier, ainsi que la viande et des pommes de terres fumantes. Tommie sentit un poids sur sa cuisse, elle baissa la tête et vit Dipsy en train de frotter sa jambe et son pied avec sa truffe, l’animal était attiré par les odeurs appétissantes. La jeune fille lui sourit, et glissa discrètement un petit bout de pain dans la gueule du chien. Colin émit un petit raclement de gorge,

Tommie redressa soudainement la tête et croisa ses yeux gris, il l’avait vu malgré sa discrétion et visiblement il n’approuvait pas. Toutefois, l’homme ne fit aucun commentaire. La tension était palpable, bien que le silence régnait, c’est trop silencieux justement ! songea Tommie. La jeune

fille adressa un regard vaguement inquiet à Alvaro, ce dernier dit doucement : « tu veux d’autres pommes de terre ? »

– Oui, s’il te plaît, murmura la jeune fille. Pendant qu’Alvaro remplissait l’assiette de la fillette, il se mit à sourire timidement et dit en s’adressant à son père : « au fait, j’ai parlé à Tommie de tes peintures, tu peins toujours n’est-ce pas ? »

Pour la première fois, depuis leur arrivée, Tommie vit le visage de Colin s’éclairer légèrement, une lueur étrange se mit à briller dans son regard.

L’homme se redressa sur sa chaise et dit : « Bien sûr fils, je n’ai jamais cessé de peindre. »

– Je m’en doutais…Tu voudras bien en montrer quelques unes à Tommie ?

La jeune fille sourit timidement.

Colin jeta des regards suspicieux d’abord à son fils, puis à Tommie, il finit par acquiescer. Alvaro eut l’air satisfait de sa réponse, ses épaules se détendirent légèrement. Colin de son côté prit une profonde inspiration, puis planta fermement son couteau dans la viande et dit : « Tommie, tu veux

bien venir me voir, s’il te plaît ? »

Alvaro redressa brusquement la tête, son visage prit une expression inquiète. Tommie lâcha

soudainement ses couverts et baissa les yeux. Le silence était assourdissant dans la pièce, Alvaro fit signe de la tête à Tommie, pour qu’elle se déplace. La jeune fille quitta sa chaise à contre coeur et s’approcha craintivement de Colin. L’homme recula sa chaise, il considéra la fillette brièvement, puis prit son visage fin entre ses deux mains calleuses, ce qui fit sursauter Tommie. Alvaro observait la scène avec impuissance, le souffle coupé s’attendant au pire.

L’homme examinait le visage de la fillette avec curiosité comme s’il s’agissait d’un spécimen

étrange, en s’attardant sur ses pommettes et ses yeux.

La jeune fille était paniquée, elle n’osait pas croiser le regard de Colin, pourquoi était-il si bizarre ? s’agaça Tommie.

Puis Colin lâcha son visage d’un coup, Tommie recula de plusieurs pas, par réflexe.

L’homme émit un petit rire sec pour lui-même et lança à son fils en souriant d’un air mauvais:

« C’est drôle, elle ne te ressemble pas du tout, je ne vois absolument rien de toi, en elle ».

Même si cette constatation était juste, Tommie se sentit très en colère et humiliée, elle se retourna vers Alvaro, dont le visage était entrain de se décomposer. Colin souriait toujours, comme si il avait raconté une anecdote hilarante, Tommie le détestait, elle aurait aimé pouvoir le griffer, effacer ce sourire moqueur de sa mémoire et celle d’Alvaro. Elle resta droite devant Colin, jusqu’à ce que ce dernier la congédit.

– Trêve de plaisanterie. Dis-moi, où est la mère ? reprit Colin, son visage était de redevenu un

bloc impénétrable.

Tommie lança un regard de pitié à son compagnon d’infortune, Alvaro avait la tête basse, ses

épaules étaient courbées, il marmonna : « c’est ma fille. Je ne te mens pas. »

– Allons, allons. Ce n’est pas la vérité, je le sais bien, murmura Colin en le toisant.

La fillette ne réagit pas, préférant observer les réactions des deux adultes.

Colin but une gorgée de vin et se mit à rire doucement de nouveau.

Alvaro commença à s’énerver et dit d’une voix tremblante : « pourquoi est-ce que tu es comme ça ? Il faut toujours que tu ris, quand il n’y a rien de drôle. »

Colin leva brièvement les yeux au ciel et reprit tout son sérieux : « tu m’amuses Al, c’est aussi

simple que cela. Ne te mets pas dans un état pareil, c’est puéril. »

Alvaro ravala sa colère et se tut.

Colin les considéra un moment puis soupira en jetant ses couverts et se leva de table, sans dire un mot. Tommie et Alvaro se regardèrent sans comprendre, l’air hébété.

– Papa ? Se hasarda Alvaro, un tremblement dans la voix.

Colin ne répondit pas, puis réapparut au bout de quelques minutes, les bras chargés de toiles.

L’homme retira son assiette et ses couverts pour aménager un peu d’espace, et empila quatre toiles sur sa chaise.

– On…On n’est pas obligé de les regarder maintenant, on n’a pas encore fini de manger, dit Alvaro

d’un air gêné.

– Tu as pourtant dit que Tommie voulait les voir, non ? Répondit son père, sans le regarder.

Alvaro soupira et se tut.

– Bien, Tommie, qu’en penses-tu ? Dit Colin, en tenant entre ses mains une toile assez large.

La fillette écarquilla les yeux, son visage se décrispa légèrement. C’était une peinture tout à fait différente de ce qu’elle avait découvert dans la pièce austère à l’opposé de la maison. Elle

représentait le portrait d’un garçon, sans doute un peu plus âgé que Tommie. Il y avait quelque

chose de bouleversant dans le regard de l’enfant, un mélange subtil de résignation et d’espoir. Il y avait un soin tout particulier apporté, pour traduire les reliefs de la peau sur le visage de l’enfant,

Tommie reconnaissait là, la fameuse patte de Colin, et sa tendance à empâter ses peintures. A force de plonger dans le regard du garçon, Tommie réalisa qu’il s’agissait d’un portrait d’ Alvaro plus jeune. Colin lui adressa un clin d’oeil énigmatique. Alvaro qui observait la scène semblait plus éteint que jamais, son regard était fixe et vitreux.

– Tu l’as reconnu n’est-ce pas ? On le reconnaîtrait entre mille, dit fièrement Colin.

– C’est vrai, c’est très réussi, répondit prudemment la fillette. Sa réponse sembla satisfaire l’homme car il se mit sourire en claquant des dents. Il lui fit signe d’attendre, car il avait d’autres oeuvres à lui montrer. Cette fois-ci, Colin lui montra une toile un peu plus imposante, le sujet était toujours le même : Alvaro.

Tommie laissa parcourir son regard, l’ensemble était peint avec différentes nuances de vert, qui conféraient une atmosphère un peu angoissante. Alvaro pré-adolescent encore, était allongé dans son lit, sa tête était tournée sur le côté, son visage semblait crispé, comme si ressentait une douleur, ou était-ce un cauchemar, dont il ne parvenait pas à s’échapper. Tommie se sentait troublée, le portrait était très juste, aussi bien d’un point de vue réaliste, que de l’émotion qu’il souhaitait transmettre. La jeune fille avait le coeur serré, en imaginant la souffrance du jeune Alvaro.

Colin scruta le visage de l’enfant, et lorsqu’il sentit que son regard quittait la toile, il s’écria : « ce n’est pas fini ! »

Tommie sursauta en entendant la table se mettre à trembler, quand il posa brusquement deux autres toiles l’une à côté de l’autre.

Encore deux oeuvres représentant Alvaro arborant des expressions angoissées sur un fond noir, les couleurs étaient beaucoup plus sombres, un mélange de noir et de bordeaux, comme les peintures, que Tommie avait découvertes plus tôt dans l’après-midi. C’était toujours aussi bien exécuté, mais très dérangeant de voir des représentations d’Alvaro arborant de telles expressions, son mal-être était si évident.

– C’est vraiment très impressionnant, murmura la fillette en espérant que Colin cesse son petit

manège.

– J’ai eu le meilleur des modèles, répondit Colin en adressant un regard en coin à son fils.

– Et…vous avez fait d’autres peintures ? Des paysages, des animaux ? Reprit Tommie, se sentant un peu plus sûre d’elle.

– Oh oui, pas mal de paysages de la falaise, et la mer. Mais entre nous, ceux-ci sont mes préférés, répondit Colin tout sourire.

– Tu te trompes. Ils ne sont pas aussi convaincants que tes paysages, dit Alvaro entre ses dents.

Colin l’ ignora et déposa les toiles sur le buffet. Tommie sentit une boule douloureuse lui nouer la gorge. Dés le début, elle sut au fond d’elle, que rendre visite à cet homme était une très mauvaise idée, et puis il y avait ces maudites peintures…Elle entendit à voix basse des supplications caverneuses et familières, au creux de son oreille.

Toutefois, chacun reprit son repas, et tous les trois mangèrent en silence.

C’était le moment de se coucher, heureusement bien qu’il vivait seul, Colin disposait de deux

chambres voisines l’une de l’autre. Tommie occuperait la chambre d’enfant d’Alvaro, et Alvaro la chambre d’ami. Tommie avait mal au ventre, elle avait un mauvais pressentiment.

La pièce était simple et peu meublée, des souvenirs d’enfances d’Alvaro, il ne restait que deux

affiches de western punaisées au mur un attrape-rêve suspendu juste au-dessus du lit et un bureau en bois.

La fillette sortit et toqua doucement à la porte d’Alvaro. Il ouvrit la porte et la fit entrer.

Alvaro était exténué, son visage était fermé, Tommie murmura : « je crois qu’on ferait mieux de

partir demain. Je n’aime pas Colin. »

Alvaro soupira et prit la fillette dans ses bras.

– Je pensais vraiment que cette fois, c’était la bonne, que nous serions parvenus à une réconciliation.

Mais…je crois que je n’ai plus envie de faire cet effort. On aura essayé, n’est-ce pas ?

Une douce chaleur traversa Tommie, elle était rassurée qu’ Alvaro partage son avis. Ils partiraient demain et toute cette histoire serait derrière eux. Malgré tout, quelque chose la tracassait.

– Je voudrais te parler d’un truc…Mais j’ai peur que tu ne me crois pas.

Alvaro était intrigué, il invita Tommie à s’asseoir à côté de lui sur le lit.

– Explique-moi Tom.

– Eh bien, cet après-midi quand j’étais seule avec Dipsy. Je… J’ai trouvé une pièce, de l’autre côté de la maison, je me suis faufilée et j’ai découvert une grande toile. Elle était très sombre, un peu comme les derniers portraits, montrés par Colin.

Aussitôt, la jeune fille s’interrompit en remarquant qu’ Alvaro se raidissait, son regard était fixe mais sans expression.

– Continue Tom, s’il te plaît, murmura t-il.

– Eh bien…La grande toile abritait une sorte de passage secret. Je te jure que c’est vrai, je l’ai

traversé, et j’ai découvert tout un tas de toiles, de toutes les tailles et…

– Est-ce que ces toiles avaient des couleurs sombres, semblables à du sang ? Est-ce que tu as vu des espèces de silhouettes étranges ? Dit Alvaro en tremblant de tout son être, ses poings étaient blancs, tant il s’accrochait à la couverture.

– Ou…Oui chuchota Tommie, en sentant des larmes monter dans ses yeux.

Soudain, Alvaro se leva en se prenant la tête entre les mains puis donna un coup de poing dans le mur.

– Bon Dieu, ça recommence, ça recommence toujours…gémit Alvaro.

Tommie voulut s’approcher de lui, mais il s’éloigna en lui tournant le dos.

– Alvaro…qu’est-ce qui se passe ? Tu me fais peur, murmura la fillette d’une voix étranglée.

L’homme s’agenouilla à hauteur de l’enfant et la prit dans ses bras. Tommie lui caressa gentiment le

cuir chevelu, malgré la peur. Alvaro retenait ses larmes, mais elle l’entendait renifler par moment.

Ils restèrent ainsi durant plusieurs minutes, puis Alvaro murmura : « je suis désolé de t’avoir

entraîné là-dedans, que tu sois « tombée » sur ces peintures en particulier, et qu’il t’ai montré les portraits. Colin est maladivement morbide. »

– J’ai entendu des voix dans cette pièce aussi…répondit Tommie en chuchotant.

Elle sentit la pression des bras autour de sa taille augmenter, Alvaro se figea, son regard devint vitreux. Tommie eut l’impression que ses paroles eurent l’effet d’un coup de poignard.

– Alvaro ? Dis quelque chose…

Mais Alvaro ne répondit pas, il se releva avec difficulté et passa sa main doucement derrière la

nuque de la fillette.

– Tom, vas te coucher maintenant, d’accord ? Ne pense plus à tout ça, on part demain.

Tommie fit oui de la tête et sortit de la chambre sans se retourner. Alvaro lui cachait quelque chose, mais elle savait quelle n’obtiendrait pas plus d’information.

Tommie ne parvenait pas à trouver le sommeil, elle était assaillie par l’angoisse. Cette maison était empoisonnée par les non-dits, mais il y avait sans doute quelque chose de pire encore, et ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. La fillette se retourna sur le côté et tendit l’oreille, Alvaro venait de sortir de sa chambre, elle l’entendait descendre dans le vieil escalier en bois. La jeune fille décida d’en avoir le coeur net, elle sortit à son tour le plus discrètement possible de sa chambre et se dirigea à pas de loup vers l’escalier. De l’endroit où elle se trouvait, elle vit la lumière du salon encore allumée. La fillette descendit les escaliers sans un bruit, puis se cacha derrière le mur, et contempla le salon, semblable à une scène de théâtre.

Colin était confortablement assis dans son fauteuil, complètement absorbé par sa lecture, tandis qu’ Alvaro lui faisait face, sans rien dire.

Au bout d’un moment, Colin daigna lever les yeux et croisa le regard sombre de son fils.

– Je voulais te dire que nous partirons dés demain matin avec Tommie, dit fermement Alvaro.

– Bien, cela aura été bref, répliqua l’homme en haussant les épaules comme si de rien n’était, ce qui eut pour effet de crisper Alvaro.

– Ce n’est pas tout, reprit le jeune homme en croisant les bras. Je…J’ai compris le message toute à l’heure.Tu n’entendras plus jamais parler de moi, mais il y a une chose qu’il faut que je sache, parce que malgré tout, tu es mon père. As-tu recommencé…pendant mon absence ?

Colin s’enfonça dans son fauteuil, et émit un ricanement moqueur, en se frottant le crâne.

– Tu vois, une fois de plus tu ris, alors qu’il n’y a rien de drôle, dit Alvaro en grinçant des dents.

Le visage de Colin se referma aussitôt, la résistance d’ Alvaro l’agaçait au plus haut point. Le vieil

homme se leva pour faire face à son fils et lui lança un regard froid, plein de ressentiment.

– Mais pour qui est-ce que tu te prends ? Est-ce que j’ai été inconvenant ? Non seulement, tu me rends visite sans prévenir, avec une fillette que tu as ramassé je ne sais où, je vous offre le gîte et le couvert, et c’est comme cela que tu me remercies ? C’est absolument…tordant, murmura Colin avec un rictus sardonique, en approchant dangereusement son visage près de celui de son fils pour l’intimider.

– Tu n’as pas répondu à ma question, répondit fermement Alvaro en soutenant son regard.

Colin pesta et lui tourna le dos en s’installant de nouveau dans son fauteuil.

– Va t-en Alvaro, dit Colin d’un ton las.

Mais Alvaro n’abandonna pas, ses yeux luisaient, et tout son corps était secoué de petits spasmes, mais cette fois-ci, il ne lâcherait pas le morceau. Il s’agenouilla près de son père et dit avec difficulté : « avec les années, j’avais fini par accepter tes coups de sang, j’avais aussi accepté l’idée que tu t’étais servi de moi pour tes foutues peintures. En revanche, ce qui m’insupporte, c’est que tu ne reconnaisses pas ce que tu es.

Colin semblait fixer un point visible dans l’horizon, son visage était fermé, semblable à une

forteresse impénétrable.

– Je sais que tu as tué des gens, pour tes oeuvres, ce n’est pas la peine d’essayer de nier.

Colin dévisagea son fils et dit mollement : « et qu’est-ce que tu envisages alors ? »

Une larme se mit à couler le long de la joue d’ Alvaro, l’homme reprit son souffle et regarda son

père avec une intensité étrange.

– Je crois…Je crois que je vais devoir te tuer. Papa.

Les deux hommes se défièrent du regard sans un bruit.

Tommie mit la main devant sa bouche pour retenir un cri, elle fut saisi de vertiges, un voile pourpre et épais recouvrit sa vue, avant qu’elle n’ait eu le temps de s’évanouir.

Le lendemain matin, Tommie se réveilla en sentant une odeur de brûlé, elle se redressa violemment et se rendit compte qu’elle ne se trouvait pas dans le lit d’enfance d’Alvaro, mais dehors devant la maison, dans un des fauteuils de Colin. Elle jeta un regard à sa droite, et découvrit Alvaro avachi dans le fauteuil de son père, sa chemise était trempée de sang, mais il ne semblait pas s’en soucier, confortablement enfoncé dans le fauteuil de Colin.

La maison du vieil homme brûlait devant eux. C’était un spectacle bien étrange, le crépitement

régulier du feu, le toit rouge vif commençait à s’effondrer doucement, les flammes s’élevaient de plus en plus dans les airs, formant un nuage sombre et violacé. Tommie écarquilla les yeux et découvrit au pied de la maison, toutes les toiles de Colin, brûlant à l’unisson.

– Mais qu’est-ce qu’il se passe ? S’écria la fillette paniquée, en attrapant le cou de Dipsy qui était assis tout près d’elle.

Alvaro se tourna paresseusement vers elle, et lui adressa un sourire tranquille et serein.

– C’est mon chef-d’oeuvre, Tom.

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2 Commentaires
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Haldur d'Hystrial
1 année il y a

Assez bouleversant. Ça vaut bien un like !

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