Silisisma était une terre solitaire, infertile, inhabitée, vide de vie, d’air et d’eau. Seulement recouverte d’une terre noire, sèche, chaude et friable. Son sol était dur et craquelé, comme fissuré. La température ambiante de cette terre était douce malgré l’absence d’air qui rendait l’atmosphère lourde. Mais ce qui frappait le plus, c’était le silence. Pas un bruit. Un silence lourd. Très lourd, comme si ce dernier reprochait à Silisisma son absence de vie.
Seulement, un jour, Terre Noire -la Déesse-Mère- et Ciel -le Dieu-Père-, Dieux impalpables, invisibles, fondateurs, bien que présents depuis peu, bien que conscients du secret de cet univers, furent lassés de ce vide. Ils firent alors tournoyer les éléments. Un orage, sec, secoua cette terre inconnue de l’Univers. Un éclair éblouissant venant de Ciel frappa Terre Noire. Le sol trembla et apparut un être humanoïde à la peau pâle, les cheveux blonds et longs, les yeux verts, une tunique verte recouvrant son corps musclé.
Il s’appelait Nuage de Cendre et c’était le premier Dieu Physique de ce Monde. Le Dieu tenait à la main un bâton de bois, du peuplier, alors même que les arbres n’existaient pas encore…
Son visage était fin, ses joues étaient creuses et ses lèvres fines semblaient se retenir de trembler à cause du froid qui régnait. Malgré tout, il semblait extrêmement beau.
Il parcourut Silisisma en quête d’un endroit habitable. Ne trouvant rien, au bout d’un an de voyage, lassé de ce paysage morne et sans vie auquel il ne s’habituait pas, la colère le gagna. Il frappa le sol de son bâton. Aussitôt, un autre être, humanoïde également, sortit de terre. Sa peau était sombre, comme brunie par une trop longue exposition au soleil, ses cheveux étaient bruns également, presque noirs, longs et rassemblés en longues mèches compactes. Il portait, lui aussi, une tunique verte et tenait un bâton à la main. Il s’appelait Bois de Chêne.
一 Bonjour, murmura ce dernier d’une voix grave et profonde. Si profonde que Terre Noire en frissonna, secouant ses deux premiers habitants.
一 Bonjour, répondit Nuage de Cendre, aucunement surpris de cette apparition, comme si elle était ce qu’il y avait de plus naturel.
一 C’est, il marqua un instant de réflexion, très joli, ici, ajouta le nouveau venu.
Il mentait, évidemment. Il n’y avait rien de plus morne et de plus laid que cette terre craquelée à perte de vue.
S’ils avaient tendu l’oreille, ils auraient pu entendre Terre Noire répondre vivement à cette phrase pleine d’ironie. “Qu’y puis-je ?”
一 Si, par le plus grand des hasards, tu pouvais améliorer cet endroit, je t’en serais reconnaissant.
L’espoir qui pointait dans la voix du blond n’échappe pas à son interlocuteur.
一 Bien sûr que je peux ! Pourquoi crois-tu que je suis là ?
A ces mots, le second Dieu se mit à marcher. Sur ses pas poussaient des arbres de toutes sortes. Ils sortaient de Terre Noire et s’élevaient aussi haut qu’ils le pouvaient comme s’ils voulaient approcher Ciel.
Silisisma était désormais couverte d’arbres, de branchages et autres végétaux. De Terre s’élevait des bois vers Ciel.
Une fois sa tâche achevée, Bois de Chêne arracha une longue branche à un saule pleureur, qui, comme tous les autres arbres n’avaient aucun feuillage, et frappa le sol à son tour.
Une jeune fille sortit alors de terre, malgré son apparence humaine, sa peau, ses cheveux et ses yeux verts la rendaient surprenante et mystérieuse. Elle aussi, portait une tunique verte, comme ses confrères. Son prénom aurait fait rire tous ceux qui la voyaient : elle se nommait Feuille Rousse. Sans s’être concertée avec les deux autres Dieux, elle avait compris : le brun, ça commençait à peser un peu ! Alors, Feuille Rousse se mit à danser, une danse légère et douce, à chaque fois que ses membres frôlaient le bois, l’arbre se parait de feuilles, sous ses pas, de l’herbe poussait, ainsi que des pousses de plantes. Bientôt, Silisisma fut couverte de feuillages de toutes formes et de toutes tailles, chacun en harmonie avec sa plante. Elle arracha des lianes, qui, dans ses mains étaient devenues raides et solides, et frappa le sol.
Une seconde femme sortit de Terre Noire, elle paraissait très jeune, comme une enfant dans un corps d’adulte. Ses cheveux multicolores flottaient dans son dos, ses yeux aussi étaient verts, mais possédaient de nombreux reflets changeants. Dès son arrivée sur le sol, son regard, comme aimanté, se braqua sur Nuage de Cendre :
一 Je m’appelle Fleur, déclara-t-elle de sa voix enfantine mais ferme et douce.
Elle semblait vouloir rendre ce Monde heureux.
Elle courut alors, vite, si vite que l’on ne pouvait pas la voir. Seulement lorsqu’elle s’arrêta devant ses compagnons, il sembla qu’elle n’avait pas bougé, mais les fleurs qui étaient apparues sur les plantes et arbres démentaient cette impression. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les teintes, des transparentes et des opaques, avec des reflets ou mates… C’était un déluge de couleurs, de joie et de beauté. Tous les autres Dieux étaient conquis. La déesse cueillit un bouquet de fleurs dont les tiges étaient droites et solides et dont les pétales étaient aux couleurs de l’arc-en-ciel et frappa le sol à son tour. L’homme qui en sortit était bleu, sa tunique verte faisait ressortir la pâleur de sa peau. Visiblement, le voyage ne lui avait pas plu. Il trébucha et s’étala de tout son long sur le sol qui se creusa et se remplit d’eau. Soudainement dans son élément, le nouveau Dieu creusa de nouveaux fossés qui se remplirent d’eau également. C’est ainsi que l’eau douce apparut sur Silisisma. Une eau fraîche, pure, claire, limpide… douce.
Feuille Rousse se pencha vers lui pour l’aider à se relever :
一 Comment t’appelles-tu ?
一 Eau Douce.
Elle lâcha sa main et il s’écroula à nouveau. Sans prêter attention aux Dieux qui se précipitaient vers lui pour l’aider, il leva les mains devant l’eau. Celle-ci s’éleva dans le ciel, formant une fine colonne sur laquelle il s’appuya pour se relever, et il frappa le sol.
Une femme sortit de l’eau comme un poisson qui, curieux, voulait découvrir le Monde. Elle regarda Eau Douce avec surprise, comme si elle ne s’attendait pas à le voir, puis s’allongea à son tour. Le sol se creusa et la fosse se remplit d’eau, une eau agitée, pleine de remous, salée… loin d’être aussi calme que celle de son frère. Elle se présenta simplement :
一 Écume Blanche est mon nom.
Après s’être créée une colonne d’eau, elle prit la main d’Eau Douce et, ensemble, ils frappèrent le sol de leurs bâtons liquides.
Un homme immense, la peau grise, les cheveux poivre et sel, les yeux gris-vert glacier apparut alors. Le géant, de sa voix rocailleuse, déclara :
一 Je peux créer quelque chose d’éternel.
Cette phrase raviva l’intérêt de tous les autres personnages qui l’entouraient.
一 Quoi donc ? l’interrogèrent-ils en chœur.
一 La pierre.
Il se mit alors en boule et roula sur le côté créant les pierres, cailloux, grottes, falaises et autres roches.
一 Mon nom est Pierre Solide.
A l’aide d’un long rocher gris, à l’instar de sa peau, il frappa le sol.
Sa force et son calme le firent admirer par ses congénères.
L’homme qui apparut était transparent mais ses habits verts le trahissaient. Il s’envola en murmurant :
一 Je m’appelle Vent Éternel.
Il volait, d’est en ouest, du nord au sud, créant des perturbations dans l’air. Il venait de créer le vent. Tel un oiseau, son corps traçait des arabesques dans le Ciel. Ce dernier en était ravi car les précédents événements s’étaient déroulés sur Terre Noire. Une colonne d’air en mouvement à la main, l’Homme Invisible frappa le sol.
Un homme difforme apparut à son tour, son corps ne semblait pas appartenir à cet Univers, il était là mais semblait éloigné ou dans une mauvaise peau. Il se dégageait de lui une odeur sauvage qui évoquait la nature. Il s’appelait Animal.
Il se transforma alors avec une vitesse incroyable. Chaque être en lequel il se métamorphosait apparaissait sur la terre, donnant ainsi naissance à des milliards de créatures, de la petite fourmi au grand éléphant, de la majestueuse baleine au gracile poisson-lune, du coloré perroquet au vil corbeau.
Sa tâche accomplie, il arracha la corne d’une gazelle, l’orna de plumes, ajouta des écailles et frappa le sol.
Un Dieu et une Déesse sortirent de Terre Noire, main dans la main, unis, il était lumineux, elle était noire, le corps constellé de petites taches claires, comme si elle était atteinte de vitiligo, ses cheveux, eux, étaient striés de mèches blanches. Tous deux tenaient à la main un bâton, elle, noir tacheté, lui, de lumière. Ils étaient Jour et Nuit.
Ensemble, rassemblés en un cercle parfait, main dans la main, les treize premiers dieux prirent leurs bâtons et frappèrent. Les premiers êtres humains apparurent.
Jamais les treize Premiers Dieux n’avaient été aussi heureux.
A suivre…
Intriguant ! Poétique ! Je vais m’empresser de lire la suite.