Chapitre 4
-2
Jerem craque un autre feu de bengale. On avance plus rapidement à présent. Malgré l’ambiance pesante, on commence à s’y faire. Pourtant, je n’arrive pas à m’enlever de la tête cette sale impression. Celle d’être observé. Je ne suis pas fou. J’ai vraiment cru voir quelque chose tout à l’heure et la sueur ne quitte désormais plus mon front, qui perle à grosse goutte. La dernière marche de l’escalier passée, me fait dire : Bingo. C’était, à cet étage, bien un atelier. On propage chacun nos lampes torches respective dans toutes les directions, pour avoir une vue d’ensemble. Jerem, qui finit par arriver, balance le feu de bengale en plein milieu de l’atelier. Y’avait des machines, des plans de travail rangés de façon symétrique, des outils de ci et de là. Un vrai foutoir de chantier. Au fond de la pièce trônaient quatre énormes fours. Ils devaient surement assurer la fonte du métal, élément de base de la métallurgie. Y’avait des moules qui jonchaient le long des murs. Ils étaient destinés à recevoir le métal en fusion. Des bacs, également. Là pour contenir de l’eau et refroidir les différents alliages alors incandescents. Un énorme système d’engrenages et de poulies ornait la pièce d’un peu partout, des murs au plafond. Cette pièce était chargée d’histoires, de peines et de sueurs passées. On pouvait encore les ressentir. C’était palpable. On commence à fouiner. On cherche des outils, des trucs stylés. Mais tout semble rouillé. Axel ramasse quand même quelque chose.
« Putain les gars, visez-moi un peu ce marteau !
— Fais voir, je dis. » Il me passe l’objet. « C’est un maillet ducon. Et un beau en plus. On dirait que la masse est en bronze. Belle trouvaille ! » Je lui rends. C’est là que Yann, se ramène vers nous tout fier.
« Et vous pensez quoi de ça ? » Il tenait dans sa main un splendide masque de soudeur. Un masque vraiment très stylé.
« Wouah! La classe ce truc ! vas-y mets le !! » Lança Jerem.
BIM CLING CLUNK !! C’est à ce moment qu’on entendit un bruit semblable à une barre de fer tombant violemment sur le sol. Bien que le bruit semblât lointain, on sursauta. On se fixait, les yeux écarquillés et la face congestionné, sans dire un mot. Tous plus terrifiés les uns que les autres. A l’affut d’un possible autre son suspect. Deux minutes qui en paraissaient vingt s’écoulèrent, lorsqu’Axel brisa le silence.
« Putain les gars, c’était quoi ça ?
— Ça vient de l’étage du dessus, répondit Jerem, moins serein qu’il ne l’était tout à l’heure. »
Deux scénarios se bousculaient dans ma tête. Je les leur expose :
« Alors, soit c’est un truc qu’est tombé lorsqu’on a fouillé tout à l’heure, genre un truc en équilibre qui tombe tout seul. Soit, j’ai réellement vu un truc là-haut, en quel cas, on n’est pas seul dans cette putain d’usine.
— Putain la flippe… chuchota Yann. Vas-y Morgan, passes moi le flingue dans ton sac. »
Je m’exécute. Je lui sors et je lui passe. « Fais quand même gaffe avec ça, je lui dis. Vas pas nous plomber le cul sur un coup de stress.
— T’inquiètes, qu’il me dit. »
Axel demande : « Bon les gars, on fait quoi du coup ? On se tire ? On en a vu assez non ?!
— Non ! On ferme un peu nos gueules voir si quelque chose se pointe, lui répond son jumeau. »
Deux autres interminables minutes s’écoulèrent. Rien. Aucun bruit. Juste un silence de mort. Cette absence de bruit venait appuyer ma première théorie : un truc en équilibre venait de tomber. Si le bruit venait d’en bas, de là où l’on n’était pas encore allé, ça aurait été très bizarre. Mais là, on avait surement bazardé une étagère et un truc s’est cassé la gueule. Tout simplement. C’est ce qu’on s’est dit…
« Bon OK. Vas-y, mets ton putain de masque, qu’on rigole un peu, lança jerem à Yann, comme pour détendre l’atmosphère plus que tendu.
— Ah ouais, putain. J’avais oublié que j’avais encore ce truc dans la main. » Tout en gueulant « MODE IRON MAN ACTIVÉ ! » Yann se fout le masque sur la tronche.
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que se foutre sur la trogne, un masque qui trainait par terre depuis près de 50 ans, c’était clairement dégueulasse. Bonjour les champignons sur le visage. Le type allait nous inventer un nouveau genre d’herpès. Bref. On s’attendait tous à une énième bouffonnerie de la part du jumeau le plus massif. Mais rien. Il se taisait. Se tenant là, debout, devant nous et sans rien dire.
« Oh, Yann ! Bon arrête. T’es pas drôle. Allez viens, on continu à explorer, je luis dis. »
Mais rien. Il ne bouge pas. Il semble éteint.
Soudain, un coup de vent vint balayer la pièce. Là, c’était anormal. Du vent ? Au niveau -2 d’une usine ? Ça souffle fort. Tellement, que le feu de bengale s’éteint.
« Merde, c’est quoi ce bordel ! gueule Axel » On est dans le noir, y’a du vent et Yann continu sa vieille blague complètement naze. J’hurle :
« Jerem ! vite, rallume un autre feu !
— Yes ! qu’il me dit. »
Le feu s’allume de nouveau. Le vent s’arrête alors. Jerem le jette au pied de Yann espérant une réaction. Rien. Toujours rien. Le mec reste stoïque derrière son masque. Immobile. Silencieux. Mais putain, là, ce que je vois me provoque une réaction que je ne peux pas contrôler. Un pet bien gras, du genre foireux, qui a coup sur m’a laissé une sale trace dans le fond du caleçon. Derrière le corps massif de Yann, se dessine son ombre. Amplifié par le feu de bengale, elle nous montre un genre de mec cornu. D’immenses cornes, semblables à des bois de cerfs, sensé se trouver sur le crâne de Yann, mais qui n’y sont pas. Des putains d’oreilles aussi et des bras longs comme des branches. L’ombre de Yann ne correspondait pas du tout à sa morphologie. Je n’ai pas l’impression que les autres ont remarqué. Tout en commençant à lever mon bras pour indiquer du doigt ce que je venais de voir, je fais : « Heu… les gars… »
C’est là que Yann se met subitement à hurler, d’un crie suraiguë : « AAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHAAAAAAAAAAAA !!!!!!!!!!!!!! »
Deuxième pet foireux pour ma part. Surement la même chose pour les autres. Yann passe d’un état végétatif, à gesticuler subitement dans tous les sens. Se tenant la tête, tentant de retirer ce putain de masque. Il se gratte les bras à sang. Retire son T-shirt. Se roule par terre. Semble pris de convulsions. Et surtout, il continu de gueuler comme si on l’éviscérait. Le mec ne jouait clairement pas la comédie. Aucun comédien ne peut être aussi crédible qu’il l’était alors. Et nous, on assiste à ça. Tétanisés et nos frocs remplis de merde. On voulait se sentir vivant ? Lorsque tu sens la chaleur de ton étron collé à la peau de tes fesses, crois-moi, ça te rappelle à quel point t’es en vie.
Il se fige. Sur le sol. Comme mort. 15 secondes s’écoulent. Puis, lentement, il se relève. Et d’une voix, qui n’était pas celle de Yann, une voix de bariton venu tout droit de la chorale des enfers, il hurla :
« AAAA-LLLLLLLLAAAAAAAAAA-STOOOOOR ! » Puis, sans même nous calculer, il se met à courir à toute vitesse vers le fond de la pièce. Là où se trouvait l’escalier descendant au -3.
Mais qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? C’est quoi cette scène surréaliste ? Cette réflexion nous a tous traversé l’esprit. Je tombe au sol. Ne tenant plus sur mes jambes flageolantes. J’écrase et étale au passage davantage le contenu de mon caleçon. Mais je m’en branle. Je n’y songe même pas. Mon souffle est court. Mon cœur s’emballe tellement que je le sens prêt à s’arracher de ma cage thoracique. Mes yeux cherchent désespérément une accroche. Quelque chose à fixer. Je m’arrête alors sur la masse en bronze que tenait encore Axel. Il semblait la serrer de toutes ses forces. Pointant mon regard sur son visage, je distingue dans la pénombre des larmes sur sa joue. Il pleure. Il saigne également du nez et des oreilles. Est-ce la peur qui lui provoque ça, ou alors ressent-il la douleur que son frère venait d’éprouver ? Ce fameux lien entre jumeau existe-t-il vraiment ? Ce que l’un subit, l’autre l’endure-t-il aussi ? A le regarder, je pense que oui. Je mate mon frangin. Il est tétanisé. Comme bloqué. Les traits fermés, la face congestionnée. Il fixe le vide. Scrute le néant. Comme si son regard bleu perçant s’acharnait à chercher misérablement, à travers l’obscurité, une explication à ce qu’il venait de se passer. Sans en trouver. On est tous en état de choc. Je ne saurais dire combien de temps s’était écoulé. Le fait est que le feu de bengale s’était déjà éteint depuis un bon bout de temps et que l’on n’avait même pas remarqué le noir absolu qui nous entourait désormais. On était dans nos putain de pensées. Loin de cette usine, et faisant face à une drôle de réalité : Le paranormal existe. Vraiment. Et ça blague pas.
« Jerem. Feu, s’il te plait. » Je sors de ma léthargie. Je parle d’une voix rêche. J’ai la pâteuse et les cordes vocales sèches. Mais ça nous ramène quelque peu à la vie.
« Yes, qu’il me dit. Voilà. » Le feu nous ravive. Au sol, je remarque que Yann a lâché son flingue. Je le ramasse et le fous dans ma ceinture. J’ouvre le sac et fourre 2 chargeurs dans la poche gauche de ma veste, puis, deux autres dans la poche droite. Je saisis le couteau, qui est d’ailleurs plus proche en termes de taille, d’une machette que d’un couteau, et le donne à Jerem. Il le saisit, puis le fixe comme si c’était sa meuf. A croire qu’il venait d’en tomber amoureux. Axel, lui, avait son sublime maillet en bronze.
« Bon les gars, honnêtement je ne sais pas ce qu’il vient de se passer. C’était bizarre, mais là c’est la merde. Ça se barre grave en sucette. Faut rattraper ça. Faut retrouver Yann.
— Ouais… Dit axel tout tremblant.
— Allez venez, il est parti par là. »
Jerem ramasse le feu de bengale et le tient de sa main gauche. Celle qu’il lui restait de libre. D’un pas fébrile et frissonnant, on avance vers l’escalier. Axel, sans rien nous dire s’écarte et se met à gerber. On l’attend. Puis, on repart. Niveau -3 : Nous voilà.