Chapitre 5
-3 : La fournaise
Tandis qu’on descend les marches, Jerem demande :
« Il lui arrive quoi à Yann ? il vient de nous faire un bail chelou là…
— Ouais carrément chelou même, je réponds. J’ai l’impression qu’enfiler ce masque de soudeur l’a fait vriller. Allez savoir pourquoi.
— C’est quoi qu’il a dit après avoir hurlé ?
— Alastor, je crois bien.
— Ça veut dire quoi ?
— Aucune idée. » Je constate qu’Axel semble encore ailleurs. C’est comme s’il nous entendait à peine. Mon frère reprend :
« Sa voix était si bizarre. Terrifiante…
— C’est le cas de le dire ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ce n’est pas la seule chose de bizarre et terrifiante qu’il y avait. D’abord ce vent. Puis, son ombre. Vous avez vu son ombre ?
— J’ai pas fais gaffe. Qu’est-ce qu’elle avait ?
— C’était bizarre… Y’avait des cornes, des oreilles, des bras… Je ne saurais pas vraiment le détailler précisément mais son ombre ne lui correspondait pas.
— Putain, ça fout la flippe ton histoire d’ombre là !
— Après peut-être que je me fais un film… ou alors c’était un effet d’optique… va savoir…
— Et toi Axel ? T’as remarqué ? » un long silence s’écoule avant qu’Axel ne réponde. Il chuchota juste « Alastor… » Comme s’il cherchait une explication, à ce seul mot lâché par son jumeau depuis sa crise.
On arrive au -3. La pièce est vaste, recouverte d’une épaisse couche de poussière noire. Du charbon. Y’en a d’énormes tas. Ce charbon, c’était du combustible pour la machinerie de l’étage du dessus et pour les fours qui servaient à faire fondre le métal. Il n’y avait qu’un seul et même foyer pour ce feu. Un énorme feu qui alimentait, depuis cet étage, les différents fours au-dessus. Un titanesque système de soufflerie, là pour attiser le feu, et le rendre assez virulent pour qu’il atteigne la chaleur nécessaire à la fonte du métal, se trouvait dans le foyer. Les hommes qui travaillent à cet étage avaient surement le métier le plus physique de l’usine. Probablement aussi la plus courte espérance de vie. J’imagine aisément quel genre de scènes se tramaient ici. Du genre de celles que l’on voyait dans les bateaux comme le Titanic. Ces cales où les ouvriers suaient eau et sang pour faire tourner les moteurs en alimentant un feu ardent. La pièce parait être tout en longueur. Face à l’immense foyer, à l’autre bout de la pièce, se trouve l’ascenseur. C’est à cet étage qu’il était depuis le début.
Aucune trace de Yann. Il est pourtant passé par là. On a beau gueuler « YANN ! » « YANNN !!! », que dalle. On cherche, on fouille, on fouine. A l’affut du moindre indice. Jusqu’à tomber dans un coin de la pièce, sur une trappe. Ouverte. Une échelle en fer, oxydée et fixé au mur, s’y trouve. Elle descend bas. Bien bas. Il ne pouvait être passé que par là. Putain, fait chier. Je n’ai vraiment pas envie de descendre là-dedans. La simple idée de plonger dans les abimes de la terre commence à me faire flipper. Jusque-là, j’avais une vague idée du plan et de la façon dont était foutue cette usine. J’avais plus ou moins compris la logique de son fonctionnement. Mais cette satané trappe… Je n’ai aucune idée où elle amène. Puis, là, ça commence à descendre sévèrement. S’enfoncer de la sorte d’une quinzaine de mètres, voir plus… ça ne donne vraiment pas envie. N’importe qui frissonnerait en voyant cette trappe d’où l’on n’apercevait même pas le fond. La spéléologie, c’est pas mon truc. Sans me considérer comme claustro, j’ai mes limites. Je commençais à les atteindre.
En voyant ça, Jerem craque un autre de ses feux de bengale (il en avait un sacré stock) et le balance dans la trappe. Ça éclaire (enfin) le fond. Quand il tombe sur le sol, on a l’impression d’apercevoir des trucs bouger. Y’a comme des bruits. Des couinements ou peut être des bruits de pas… arrivé à ce stade de pression, on a du mal à faire la part des choses. A discerner le vrai, du faux. Notre psyché nous joue des tours.
« J’ai cru voir un truc bouger en bas ! » Balance Jerem. Pas de doutes possibles. Y’a bien quelque chose en bas. Probablement Yann. Ou pas. Même si je veux me barrer à toute vitesse de cette foutue usine, parce que je flippe comme jamais et que la merde qui me colle au cul empeste grave, on va descendre. On n’abandonne pas Yann. C’est inenvisageable. Cette connerie, c’est la nôtre. On ira au bout pour que tout rentre dans l’ordre.
Cette fois, c’est Axel qui prend les devants. Ici, c’est surement lui qui veut le plus retrouver Yann. Il descend. Jerem le suit. Puis je descends. En dernier. C’est bizarre, mais je me sens encore observé…