Il faisait nuit noire. Dans sa chambre, petite mais cosy, Marie avait du mal à trouver le sommeil. Demain, elle allait enfin pouvoir réaliser le rêve de sa vie. Cela faisait six ans maintenant qu’elle s’entraînait pour être la meilleure écrivaine de son école. Son ordinateur, en état de veille, vieil ami de longue date sur lequel elle avait enregistré tant d’histoires, illuminait la pièce de sa douce lueur bleutée. Enfin le concours des sélections pour le meilleur écrivain scolaire arrivait. L’événement tant attendu! Son récit était terminé depuis une semaine déjà, mais elle n’avait pas pu s’empêcher de le lire et le relire, scrutant chaque mot à la recherche de la moindre faute d’orthographe, du moindre mauvais accord de grammaire et fini par le trouver acceptable. Ho! bien sûr, elle avait toujours été douée pour écrire des histoires, et elle en avait publié quelques-unes dans le petit journal local de son lycée, mais rien de bien exceptionnel. C’est pourquoi elle attendait beaucoup de ce concours et espérait bien être remarquée par les représentants des maisons d’éditions de la région.
Amélie, sa meilleure amie, la seule d’ailleurs qui avait eu le privilège de lire ses écrits jusqu’à présent, l’avait rassurée à nombreuses reprises, lui assurant qu’elle avait un talent naturel pour captiver les lecteurs, les plonger dans ses histoires fantastiques, et lui avait assuré qu’elle allait certainement gagner haut la main le concours. Sur ces pensées rassurantes, elle finit par s’endormir et fit un rêve étrange. Dans ce rêve, une vieille dame lui conseillait de ne pas participer à ce concours et que si elle le faisait, une malédiction tomberait sur sa famille. Au moment où Marie allait lui demander ce qu’elle entendait par là, la sonnerie de son réveil lui annonça qu’il était temps de se lever.
Elle s’assit doucement sur son lit et chaussa ses pantoufles. Quel drôle de rêve… et cette étrange vieille femme… Au rez-de-chaussée, sa mère lui cria que le déjeuner était servi. Marie s’habilla rapidement et descendit les escaliers en courant, le concours occupant de nouveau son esprit, le rêve déjà oublié.
-“Tu as bien dormi ma chérie?”, lui demanda sa mère en lui servant une énorme assiette de crêpes fourrées à la myrtille, ses préférées. La bouche déjà remplie, Marie lui fit signe que oui. Son manuscrit, enfermé dans sa sacoche préférée, attendait sur le meuble d’entrée et Marie n’avait qu’une seule envie, s’en emparer et courir jusqu’à l’arrêt de bus où l’attendait Amélie. Sans finir son repas, elle salua ses parents, attrapa son sac et couru jusqu’à l’entrée, quand sa mère l’appela. Pressée, la main sur la poignée de la porte d’entrée, Marie l’entendit lui rappeler que son père et sa mère sortaient ce soir et que s’ils n’étaient pas encore rentrés quand elle reviendrait du collège, elle pouvait rester en compagnie d’Amélie. C’est vrai qu’en plus d’être meilleures amies depuis la maternelle, elles étaient aussi voisines, ce qui était très pratique pour les soirées pyjamas. Dehors, le soleil éclatant était annonceur d’une très belle journée. Marie se sentait bien et quand elle rejoignit son amie, elle avait un grand sourire aux lèvres et serrait son sac contre elle comme s’il contenait un trésor précieux.
– Je suppose que c’est ton chef-d’œuvre, lui dit Amélie en souriant. Devant le regard maussade que Marie lui jeta, Amélie s’empressa d’ajouter : – Je plaisante Marie, je sais que ce concours représente beaucoup pour toi! Tu verras, tout se passera bien.
Marie retrouva instantanément le sourire. Elle était excitée mais aussi très anxieuse. Le bus se faisait attendre. Marie se rappela soudain le rêve qu’elle avait fait cette nuit. Elle décida de le partager avec son amie et lui demanda ce que cela pouvait bien signifier. – Je ne sais pas trop, dit Amélie. Je suppose que ça doit être le stress du concours. En tout cas, c’est étrange comme rêve. A ce moment-là, le bus arriva et les filles s’installèrent à leurs places habituelles, tout au fond du véhicule. Là, elles pouvaient parler de tout sans se faire entendre de personne. Marie restait songeuse. Ce rêve était si bizarre et pourtant le visage de la vieille femme lui avait paru familier, alors qu’elle ne connaissait personne d’autres de sa famille que ses propres parents. En effet, les parents de la jeune fille lui avaient dit que leurs parents respectifs n’étaient plus de ce monde et ce bien avant sa naissance. Elle ne savait rien de plus sur leurs origines même si elle avait remarqué qu’avec ses cheveux noir ébène et sa peau mate, elle était un peu différente des filles de son école et de son quartier.
Le collège était en vue et Marie et Amélie sortirent du bus en saluant monsieur Vittorio, le gentil retraité qui assurait la sécurité du passage piéton pour les élèves de l’école. Marie le connaissait depuis la maternelle mais elle n’avait jamais réalisé à quel point monsieur Vittorio lui ressemblait. Il avait les mêmes cheveux sombres et le même teint mat qu’elle-même. S’arrêtant au milieu du passage piéton, elle s’approcha du retraité. Monsieur Vittorio, voyant la fillette s’approcher, leva son panneau “STOP” et l’entraina vers le trottoir. -Marie! Tu devrais être plus prudente, lui dit-il doucement. La route est dangereuse. Marie lui sourit timidement. -Monsieur Vittorio, puis-je vous poser une question ? Le vieil homme la regarda, étonné mais l’invita à s’exprimer. De quelle origine êtes-vous ? J’ai remarqué certaines similitudes entre nous et je me demandais si peut-être nous partagions des origines communes. Monsieur Vittorio lui sourit et lui répondit que oui, effectivement, ils se ressemblaient. Il lui apprit qu’il n’avait pas vraiment de nationalité car il était de descendance gitane, mais que sa famille venait d’Espagne. Marie allait lui demander ce qu’était un gitan quand la sonnerie du collège retentit. Amélie lui tira sur le bras et l’entraîna à l’intérieur du bâtiment. -Dépêche-toi Marie! Le concours commence dans dix minutes! Ce n’est pas le moment d’être en retard! Elles se rendirent en courant dans la salle de conférence du collège et arrivèrent au moment où le professeur du club d’écriture, Monsieur Basselier ouvrait les portes de la salle. – Bonjour les filles, dit-il. Alors Marie, prête pour le grand jour ? Marie, souriante, lui assura qu’elle était “boostée à bloc”, ce qui fit rire le professeur. La grande salle était vivement éclairée et Marie et Amélie remarquèrent que les représentants des maisons d’éditions étaient déjà installés à la place des jurys. Devant le regard effrayé de Marie, Amélie la rassura une nouvelle fois. – ça va aller Marie, ton histoire est parfaite. La meilleure que tu aies écrites jusqu’à présent. Alors, relax. Marie se détendit un peu et alla s’installer au premier rang, d’où elle pouvait voir le podium. La place idéale, personne pour lui boucher la vue. De là, elle pourrait entendre les résultats du concours sans le brouhaha habituel que faisaient la plupart des élèves de son école. Amélie s’installa à ses côtés et lui serra la main en signe de soutien. Les élèves et les professeurs affluèrent dans la salle et bientôt plus un siège ne fût libre. Le directeur de l’école, Monsieur Smith, monta sur l’estrade, régla le micro et entama son discours. -Bonjour messieurs du jury, mes chers professeurs et bonjour à vous tous, chers élèves du collège Notre Dame des Grâces! Bienvenue à notre grand concours des écrivains en herbes. Dans quelques instants, chaque participant pourra présenter son histoire au jury ainsi qu’à notre public et le grand gagnant se verra récompensé par l’édition de son histoire dans la maison d’édition de son choix. Bonne chance à tous!
Le public applaudit et le directeur commença l’appel. Marie était la dernière sur une liste de dix participants. Elle respira profondément. Au moins, elle ne passait pas la première. Un jeune garçon blond s’avança et commença son récit qui relatait d’une étude primaire sur la guerre de Sécessions et Marie se détendit en écoutant sa voix monotone, tandis qu’il débitait son histoire. Elle finit par s’endormir et refit le même rêve dans lequel la vieille dame la mettait en garde. Puis, au lointain, elle entendit quelqu’un crier son nom ; -Hein ? Elle sentit qu’on lui secouait le bras et elle ouvrit les yeux. C’était Amélie. – Marie! C’est ton tour. Marie, paniquée, se leva d’un bond et courut jusqu’au podium et failli même tomber sur la première marche. Elle se rattrapa de justesse et se rendit devant le micro. La public, attentif, attendait qu’elle raconte son histoire. Sur son siège Amélie leva les deux pouces en signe d’encouragements. Marie prit une profonde inspiration et commença donc son récit. Elle n’en était pas encore à la moitié qu’un étudiant s’effondra soudain dans la salle, prit de convulsions. Le directeur, ainsi que les professeurs se précipitèrent vers le jeune homme. Il était pris de spasmes et avait les yeux retournés. Il poussait des cris perçant de douleurs et du sang se mit à lui sortir des oreilles. – Appelez donc une ambulance! s’écria Monsieur Basselier qui soutenait la tête de l’élève pour éviter qu’il ne se blesse. Tous les élèves étaient rassemblés autour du jeune homme et les regards étaient inquiets. Les professeurs firent évacuer la salle et le directeur, ainsi que les membres du jury restèrent auprès de l’élève souffrant. Il avait arrêté de hurler mais sanglotait en se plaignant que ses oreilles le faisaient souffrir.
L’ambulance arriva dans l’allée du collège et le jeune homme fut emmené à l’hôpital, sous les regards médusés des autres élèves. Marie, tétanisée, était restée sur le podium, son manuscrit pendant au bout de la main. Que s’était-il passé ? Amélie rejoignit son amie et l’emmena dans la cour principale. -Pauvre garçon, dit cette dernière. Je n’ai jamais rien vu de si horrible. Et ces cris! Je pense que je vais en faire des cauchemars cette nuit. Marie ne répondit pas. Elle était toujours choquée par ce qu’il venait de se produire. Tout allait à merveille et au moment précis où la gloire était à sa portée, cette catastrophe était arrivée. Elle n’avait même pas eu le temps de lire son histoire jusqu’au bout. Bien sûr, elle était désolée pour son camarade de classe, mais elle était aussi déçue car à cause de cet imprévu, le concours allait certainement être annulé, sinon reporté. Décidément, la journée ne s’annonçait pas aussi belle qu’elle l’avait imaginé.