Elle distinguait une forme floue. La douleur lancinante à la tête lui brouillait la vue et lui provoquait des bourdonnement dans les oreilles. Une substance chaude et poisseuse lui imprégnait la joue gauche. Elle essaya de porter sa main à son front mais ses membres de répondaient pas. Au loin, elle percevait des sons indistincts, des voix, pensa-t-elle. Quelqu’un appelait son nom, elle fit un effort surhumain pour essayer de répondre.
Mathilde, en essayant de bouger ses lèvres sentit un goût de fer pénétrer dans sa bouche. Elle reconnut le sang et saisit ce qui poissait sa joue. La répulsion la fit revenir à la réalité bien plus sûrement que si elle avait reçu de l’eau froide sur le visage. Elle comprit alors que la forme qu’elle voyait était un visage. Un visage mort, blafard, les yeux grands ouverts, qui la fixaient. Elle poussa un cri silencieux qui s’évanouit sur ses lèvres.
Mais déjà des silhouettes s’agitaient autour de la tombe qu’elle partageait avec le cadavre. En regardant autour d’elle, elle vit d’autres squelettes, beaucoup plus anciens, qui les entouraient. C’était bien une tombe. On criait, on lui demandait comment elle se sentait, on lui disait de ne plus bouger. On voulait savoir ce qui s’était passé, mais elle avait du mal à remettre les événements dans l’ordre. Une échelle de corde fut lancée et deux secouristes descendirent, la placèrent dans une civière. Chaque mouvement semblait se répercuter douloureusement dans son crâne, mais dès qu’elle retrouva la terre ferme, le soulagement fut manifeste. Elle réalisait enfin qu’elle avait été agressée, et qu’elle s’en sortait plutôt bien. En dehors d’une migraine affreuse, elle semblait n’avoir aucune autre blessure.
Nicole se porta à ses côtés, tandis que des médecins lui prenaient sa tension et l’auscultaient. Elle était blême.
— C’est Tristan qui est là en bas. Que s’est-il passé? Tu as vu quelque chose?
— C’est un peu flou, laisse-moi reprendre mes esprits.
Un policier voulait également lui poser le même genre de questions, mais un des médecins s’interposa en soulignant qu’elle devait d’abord faire des examens. Elle partit dans l’ambulance, escortée d’une part par Nicole dans sa voiture et par une véhicule de police. Les pompiers continuaient de lui prendre sa tension, sa température, son pouls. Ils avaient l’air rassurants et elle-même ne ressentait rien qu’une grosse bosse à la base du crâne. Le sang dont elle était couverte n’était pas le sien. Elle avait peu de doute sur le sort du malheureux qui avait perdu tout ce sang, mais elle s’enquit auprès des pompiers de son état. Le plus jeune secoua la tête d’un air navré, il n’y avait plus rien à faire.
Comme son état ne demandait pas un suivi spécial, Mathilde put sortir rapidement de l’hôpital mais les policiers avaient des questions à lui poser et Nicole l’attendait au commissariat. Elles devaient leur fournir des informations.
C’est un vieux commandant qui les entendit, de la vieille école. Le commandant Griffon, 40 ans de maison, les observait tour à tour.
— Alors, c’est laquelle qui a fait le coup? La jeune, la vieille? Ou peut-être les deux? Complices, hein?
— Ecoutez-moi bien, commandant, répondit Nicole sans se démonter, je suis le professeur Nicole Bouvier, j’ai sans doute autant de bouteille dans mon domaine que vous dans le votre, mais j’utilise mon expérience à meilleur escient. Nous allons témoigner, puisque c’est notre devoir de citoyennes et que je veux savoir ce qui est arrivé à mon collaborateur Tristan Vernier. Mais je vous préviens que nous ne dirons plus un mot si vous ne vous adressez pas à nous plus poliment. Si vous nous inculpez nous ne diront plus rien jusqu’à l’arrivée de notre avocat.
— Tout doux ma petite dame, ne vous énervez pas. Moi je voulais juste boucler cette affaire avant le week-end et je vous rappelle que nous avons trouvé votre amie juste à côté du corps. Donc a priori, il n’y a guère de doute sur ce qui c’est passé. Ces deux-là ce sont retrouvé sur votre chantier à la nuit tombée pour un rendez-vous loin des regards indiscrets et puis madame a changé d’avis et a tué son amant sous le coup de ses …vapeurs, dirons-nous, pour rester poli, bien entendu. Vous pourrez plaidez le coup de folie au tribunal, mais je ne sais pas si ça prendra.
— Vous vous entendez parler? Vous ne voulez pas me pendre directement à un gibet non plus, ça irait plus vite? Si je peux en placer une, je vais vous expliquer ce qui s’est passé. Mais je veux que ce soit consigné par écrit, je n’ai pas l’intention de répéter vingt fois les faits à tous vos lieutenants.
Le commandant décida finalement de faire les choses à peu près dans les règles, fit entrer un de ses collaborateurs pour prendre leur déposition et pour enregistrer leur témoignage. Nicole expliqua comment elle avait engagé Mathilde et cette dernière tout ce qu’il s’était passé dans la soirée.
— Pensez-vous, que l’homme que vous avez suivi, selon vos dire, aurait eu le temps de revenir pour tuer Tristan Vernier?
— Je ne sais pas, ça me paraît compliqué mais pas impossible. Je ne connais pas bien la ville, il y a peut-être des trajets plus courts pour revenir au chantier. Et il se sentait suivi, il m’a peut-être semée pour retourner tuer Tristan.
— Bon, je ne crois pas qu’on puisse vérifier votre version des faits de toute façon.
— Ben si vous ne cherchez pas, vous ne risquez pas de trouver: je l’ai suivi jusqu’au centre-ville, il y a peut-être des témoins, des caméra de surveillance.
— Ne venez pas m’expliquer mon métier ma petite dame.
Mathilde croisa le regard de l’autre flic, qui leva une fraction de seconde les yeux au ciel, mais qui n’osa pas faire de remarche à son supérieur. Il continua l’interrogatoire.
— Et le mobile, une idée?
Mathilde regarda Nicole qui sembla hésiter mais qui parla, à regret.
— Tristan avait fait une découverte majeure sur le chantier de fouilles. Une tombe commune avec une douzaine de corps, et puis un bas-relief étrange. Cela pourrait changer toute l’histoire de la région. Nous sommes peut-être sur le site d’un temple d’une religion majeure mais encore inconnue ici.
— Et? Je ne vois pas de mobile là-dedans.
— Pas directement, moi non plus, mais je ne sais pas peut-être une jalousie…ou un désaccord.
— Ah oui, un autre archéologue qui aurait voulu s’attribuer son travail. Vous avez raison, je vais commencer par interroger votre équipe.
Sur ces mots, il se leva et commença a rameuter toute son équipe avec de grands cris et des ordres brefs. Nicole se retourna vers Mathilde, consternée.
— Mais si l’enquête est aux mains de ce type, on ne trouvera jamais le meurtrier de Tristan. Je croyais que ça n’existait plus les hommes comme lui, on dirait une caricature du flic macho et borné. Il faut absolument que tu enquêtes de ton côté.
— Ne t’inquiètes pas, il est hors de question que je lâche l’affaire. De toute façon, je crois que le meilleur moyen de prouver mon innocence, ou la tienne d’ailleurs c’est de trouver qui a fait ça. Au fait, tu sais comment j’ai été retrouvée?
— C’est moi qui vous ait trouvé tous les deux. Je n’arrivais pas à dormir, il faisait trop lourd, et dans le dortoir où on est logés, on étouffe. Alors, j’ai essayé de t’envoyer des messages mais tu ne répondais pas. Je suis venue pour vérifier que tu allais bien, je t’ai rappelée et j’ai entendu vibrer ton téléphone. J’ai eu la peur de ma vie. J’ai vomi de la bile en voyant Tristan comme ça et puis j’ai cru que toi aussi tu étais morte. Ensuite j’ai appelé la police et les secours.
— Et tu n’as rien vu de particulier en arrivant? Le meurtrier devait être parti depuis longtemps, remarque. A quelle heure es-tu arrivée?
— Il était bien trois heures. Et non je n’ai rien remarqué, mais je n’ai pas fait très attention, je te cherchais.
— Je crois que j’ai été assommée vers une heure et demie. Il n’aurait eu aucune raison de s’attarder.
— Tu crois qu’on peut s’en aller?
— En tous cas, on ferait bien de se manifester, sinon il va nous laisser moisir ici indéfiniment.
Le jeune policier qui avait pris leur déposition revint pour compléter les dires de Mathilde avec les informations de Nicole. Puis il les raccompagna à la porte du commissariat. Il voulut les rassurer.
— Vous savez c’est un genre qu’il se donne le commandant Griffon. Depuis MeToo il en rajoute dans le côté misogyne mais c’est plus dans le discours que les actes. Et puis, il fait bien son boulot, vous verrez. Il n’est pas là par hasard, et si vous l’avez baladé, vous allez le regretter.
Et il les planta là.