Le bateau vogue sur une mer calme. Planent au-dessus des vagues quelques exocets, le soleil fait briller leurs écailles. C’est une belle journée, comme les autres depuis le début du voyage.
– C’est encore loin ?
– Lorsque vous y serez, vous y serez.
– Oui. Mais c’est encore loin ? Je suis déjà en retard.
– Quand vous y serez, vous y serez.
– C’est dans longtemps que j’y serai ?
– Vous y êtes ?
– Non ?
– Vous n’y êtes pas.
L’impatience commence à me gagner, l’ennui me ronge. Nous voguons avec lenteur, le capitaine ne répond jamais clairement à cette question. Et ce n’est que lorsque je commence à perdre espoir de revoir un jour l’île, comme toutes les fois où je décide de la visiter, que les flots s’agitent et me forcent à m’agripper pour ne pas chanceler. Le céruléen s’assombrit, le ciel se couvre de nuages. Les gouttes ne tardent pas à s’abattre, puis deviennent torrent, alors qu’au loin se dresse une silhouette que je reconnais parfaitement. Au milieu de l’eau, une étendue de sable fin entoure une forêt en feu ; la fumée s’élève vers le ciel, les cendres virevoltes. L’odeur brûle mes yeux, brûle mon nez et ma gorge, brûle mes poumons.
La voilà enfin, l’île Combustible qui jamais ne s’éteint malgré la pluie.
– Je n’irai pas plus loin, vous serez seule désormais.
– Je sais. J’ai l’habitude.
Je me hisse sur la rambarde puis saute dans la tempête. L’eau glacée m’accueil et m’accompagne dans ma nage jusqu’au rivage. Le sable colle à mes chaussures et le vent fouettent mon visage.
Elle n’a pas toujours été ainsi, cette île. Autrefois paradisiaque, la végétation régnait. Au creux d’elle est venu, il y a longtemps, se réfugier un phœnix. Une étincelle est devenue flamme, puis brasier qui grignotait les fleurs et les buissons, aujourd’hui dévore les immenses arbres. La forêt n’a jamais disparu malgré le feu, le feu n’a jamais disparu malgré l’eau. Comme coincé dans une boucle, condamné à vivre et mourir sans que le sort ne soit décidé. Quelquefois l’on peut apercevoir battre de ses ailes pourpres le responsable de ce chaos.
Non loin de là, un élément qui ne figurait pas autrefois. Rongé par l’air marin, une pierre tombale semblant ancienne porte mon nom, et sous lui, l’épitaphe est autant moqueuse que fausse :
Ci git un être fantomatique qui se prenait pour un grand écrivain.
J’hésite à tourner les talons, prétendre n’avoir rien vu. Ce n’est pas ainsi que je souhaite être perçue. Près de la pierre, une couverture sombre dépasse du sable. L’injure continue, les premières pages m’informent qu’il s’agit d’une biographie datée dans un futur lointain ; ou bien un univers parallèle où j’ai connu l’échec. Une vie menée à être rarement remarquée, mal comprise lorsqu’au centre de l’attention. Dans les grandes lignes de cette biographie pathétique, écrite par un inconnu, j’ai trop écouté les critiques blessantes, ignoré les constructives. J’ai raté des occasions par manque de confiance ; la flamme s’est éteinte sous l’averse. Mes rares lecteurs ne sauraient me décrire, moi l’écrivain qui mettait rarement le nez dehors, sinon dire qu’il n’y a pas de style et que les histoires sont d’une grande banalité, truffées d’envolées lyriques qui planent aussi bien que des avions de papier malformés ; cela ne va pas loin et s’écrase contre le premier obstacle. Certains ont deviné que je n’ai jamais aimé mes écrits, et qu’aligner des mots aurait dû rester un passe-temps.
Rien n’est une fatalité. Si le feu continu de grandir et un jour quitte l’île, si un jour la passion sort enfin, au-delà de l’océan, serai-je un grand écrivain sans avoir à le prétendre ?
Bonjour Camelia Willoughby,
Je ne sais pourquoi mais sur vos mots tracés à l’ancre sur la plage blanche je suis parti divaguer sur “L’écume des jours” . Peut être une histoire de fleurs à envoyer, il parait que cela soigne. En tous cas merci, je continue ma dérive.
Bonsoir @Roll Sisyphus,
J’ai de nombreuses fois croisé Boris Vian sans jamais avoir eu l’occasion de le lire, pourtant "l’écume des jours" m’a toujours attiré; votre commentaire est le signe que je dois enfin ouvrir ce livre. Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire et commenter. Excellente soirée à vous.
Il y a des éléments plutôt plaisants dans cet écrit.
A la place de "J’ai raté des occasions par manque de confiance ; la flamme s’est éteinte sous l’averse." j’aurai bien vu, aussi par rapport au texte, mais la flamme brûle toujours…
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Par rapport à l’attente, Homère a dit “La vie est en grande partie une question d’attente.”
et un Proverbe Français lui “Qui se nourrit d’attente risque de mourir de faim.”
E.E. Schmidt dont j’ai eu la chance et le plaisir d’assister à une MasterClass "Ne vous haïssez pas. Si vous écrivez, c’est que vous avez une part de spontanéité. Ne détruisez jamais cette part de spontanéité" et aussi "Ne vous découragez jamais".
Courage. Et espoirs.
@Marco0Chapeau, merci beaucoup pour votre commentaire très touchant. La consigne, donnée par l’un de mes enseignants lors d’une Masterclasse, était d’écrire un futur hypothétique où l’on serait devenu écrivain raté. La flamme s’éteignant sous l’averse est une réelle crainte; je ne veux pas perdre la passion de l’écriture, et c’est pourtant un risque existant: elle brûle aujourd’hui, qu’en sera-t-il dans plusieurs années?
Je vous remercie une nouvelle fois pour vos encouragements, ainsi que ces citations inspirantes.