Après avoir entendu le son de mon réveil trois fois, je n’ai toujours pas envie de me lever, encore une journée où je ne me sentirais pas à ma place.
Cependant, je finis par me lever, je prépare mon sac en vérifiant que je n’ai oublié aucun cahier, sinon je risque encore de me retrouver en retenue. Un petit tour dans la salle de bain pour brosser mes cheveux, qui sont bien trop longs et surtout, bien trop roux. Je me brosse les dents avec ce dentifrice bien trop mentholé.
Pour le petit déjeuner, je prends un verre de lait et une clémentine, tout en regardant ma mère ronfler profondément. C’est encore un matin où je ne lui parlerai pas. Ensuite, un peu de nourriture pour mes perruches et un regard sur la photo de mon père qui me rappelle cette journée incroyable que nous avons passée ensemble sur le circuit de karting. Malheureusement, un chauffard ivre et fatigué nous l’a enlevé.
Cela fait déjà deux ans que je me lève seule le matin, et que je prends ce bus ignoble avec ce chauffeur à l’allure d’un vampire déprimé.
Je m’assois toujours à la même place, au fond, sur la droite, près de la fenêtre, afin de passer le plus inaperçu possible.
Personne ne s’assoit à côté de moi, pourtant il y a deux ans, mes trois amis Nina, Elisa et Sandra étaient assises à mes côtés. Nous faisions de l’équitation ensemble, des soirées pyjamas et bien d’autres moments amusants.
Cependant, à la mort de père, j’ai commencé à m’éloigner d’elles, car je vivais des moments très difficiles de ma vie. Malheureusement, elles ne m’ont pas soutenu comme je l’aurais espéré. Quand on a moins de choses marrantes à raconter ou que tu n’as pas le moral, tu deviens moins intéressante et on est vite oublié au profit de personnes bien plus stimulantes.
Les cours me semblent longs et ennuyeux, autour de moi tout me paraît sans saveur. Même les glaces à l’italienne que je partageais souvent avec mon père en regardant la formule 1 ne me font plus envie.
Je mange peu pour ne pas dire pratiquement pas. Malgré le fait que je sois en quatrième, ma petite taille et mon corps frêle font que l’on me prend pour une élève de sixième. En ajoutant à cela, ma toute petite voix qui rend difficile pour moi de me faire entendre.
Il n’y a qu’un garçon un peu gothique qui me sourit de temps en temps dans la cour de récré. Sans doute, car lui aussi ne doit pas se sentir à sa place ici. Je lui rends ce sourire et c’est généralement le seul que je reçois de la journée.
La sonnerie retentit et le dernier cours vient enfin de se terminer. Tout le monde se dépêche, sauf moi. Je n’ai rien de bon qui m’attend à la maison. Beaucoup d’élèves me bousculent sans même s’excuser ou me jeter un simple regard. Je monte de nouveau dans ce bus, toujours à la même place, et je vois mon ancien trio d’amis rires et chanter sans même me jeter un coup d’œil. Comment ont-ils pu m’effacer de leur vie à ce point-là ?
Le bus arrive dans ma rue, je vais devoir descendre et aller retrouver ma mère en espérant qu’elle sera dans un bon jour.
Je grimpe les marches silencieusement pour ne pas l’agacer. Elle est là, en robe de chambre, portant celle que portait mon père le dimanche matin.
La bouteille de Jack Daniel est déjà bien entamée sur la table. C’est la même histoire tous les jours : au début, l’alcool lui fait oublier sa solitude, mais ensuite, elle va commencer à me critiquer et m’insulter comme si j’étais le diable en personne, pour finir par me frapper jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus lever son bras.
J’ai mal partout : ma joue à cause de toutes les gifles qu’elle m’a données, mon ventre avec ses coups de pieds au sol qu’elle m’a portés. Mais ce qui me fait le plus mal, c’est mon cœur. La seule personne qui aurait pu m’aider est partie pour un monde meilleur, me laissant seul dans un univers où je n’ai plus d’amis, où je n’ai plus de père, où ma mère est devenue un démon terrifiant à cause de l’alcool et de la solitude.
Elle va s’endormir et je vais encore être seule dans cet appartement vide et sombre.
Chaque soir, je verse des larmes sans aucune présence réconfortante autour de moi.
Papa, viens me chercher, viens me serrer dans tes bras et me dire “ ne t’inquiète pas ma fille, tout va s’arranger “, mais tu ne viendras pas, rien ne va s’arranger, il n’y a que moi qui puisse faire changer cela et je vais agir.
Je fais mon lit, range un peu ma chambre, verse un peu de nourriture à mes perruches en les caressant délicatement. Je regarde ma mère ronfler sur le canapé à moitié nue avec un verre à la main.
L’horloge du micro-ondes indique 1h30 du matin, une coïncidence puisque c’est l’heure à laquelle nous avons appris le décès de mon père.
Un sentiment écrasant de solitude et de désespoir m’envahit.
En passant, je saisis un couteau de cuisine et je vais me plonger dans le lit de mes parents à l’endroit où dormait mon papa.
D’un geste bref et rapide, j’entaille mes poignets pour laisser couler le sang avec une énorme douleur, mais ce n’est pas grave, je vais enfin quitter ce monde horrible. Mes pensées sont confuses, je vois mon père, ma mère, bien que je ne regrette pas de la quitter. Étonnamment, je me surprends à penser au garçon qui me souriait chaque jour.
Ma vitalité m’abandonne, je le sens, je pars. Je ne sais pas si ma destination est mon père ou un lieu de damnation, mais tout ce que je désirais, c’était que tout s’arrête et c’est le cas. Tout devient sombre et la tranquillité m’emporte, après deux années de douleurs, je me sens enfin apaisée.
Adieu.