Les toilettes du bar Le Grattoir sont plutôt exigus et l’hygiène est douteuse, ce n’est pas l’endroit le plus accueillant ou le plus romantique. Pourtant c’est ici qu’Enzo a emmené discrètement et furtivement Lucie, il l’a embrassé avec fougue alors qu’il fermait le verrou de la porte en bois couverte de graffitis. Très vite, la main du jeune homme a glissé le long de ses cuisses pour finir dans sa culotte. Cela fait plusieurs jours qu’ils sortent ensemble maintenant et les moments qu’ils passent à deux sont plutôt agréables, bien que Lucie le trouve un peu trop tactile et entreprenant. Mais tous les garçons qu’elle a fréquenté dans le passé l’étaient également alors elle pense que c’est à elle de faire un effort.
Elle se concentre sur sa respiration tout en regardant l’ampoule du plafond clignoter, Enzo enfouie sa tête dans le cou de la jeune femme tout en continuant à mouvoir sa main dans son intimité. Elle feint échapper des soupirs étouffés, elle simule gentiment pour en finir au plus vite. La proximité de cet endroit la rend claustrophobe. Satisfait, Enzo enlève sa main, pose de nouveau ses lèvres sur les siennes, déverrouille la porte et l’attire au dehors.
Leurs amis sont autour de la table habituelle, près des murs rouges briques. Aucun d’eux n’est dupe, ils savent bien ce qu’il vient de se passer dans ces toilettes et Enzo sourit, complètement serein, fier même. Lucie, elle, ne sait plus où se mettre, elle déteste ça.
La bande d’amis se promène dans les rues de Gérardmer, le ciel est gris aujourd’hui et Lucie porte une veste en jean sur sa robe fleurie ainsi qu’un petit foulard rose poudré. Enzo la tient par la taille et elle a l’impression d’être exhibée comme un trophée. Elle est perdue dans ses pensées, n’écoutant que d’une oreille la discussion près d’elle quand elle aperçoit Samuel qui traverse une petite rue déserte non loin d’eux. Il ne la voit pas et elle ne cherche pas à ce que ça soit le cas, elle continue d’avancer avec ses amis et le perd vite de vue.
Malgré les nombreux moments avec Enzo et les autres durant les dernières jours, Lucie n’a pas réussi à chasser Samuel de ses pensées. C’est plus fort qu’elle, Samuel s’est déjà installé quelque part en elle et son cœur attend patiemment qu’elle revienne vers lui. Mais elle n’ose pas retourner près du lac. L’idée qu’il ne soit pas là lui fait peur mais ce qui la terrifie en plus c’est qu’il soit présent. Ses émotions sont très contradictoires quant à son dernier échange avec Samuel; elle se sent honteuse d’être partie si vite et encore en colère. S’il y a bien une chose qu’elle n’aime pas ce sont les conflits et la dernière chose qu’elle désire c’est de se disputer avec lui. Parce qu’elle a compris qu’elle avait des sentiments amoureux pour lui, que ce qu’elle éprouvait pour lui était sain et beau.
La nuit s’installe doucement, les pieds de Lucie touchent le béton d’un petit chemin qui borde un lac, il n’est pas très large car elle aperçoit la rive de l’autre côté. Elle ne connait pas cet endroit, elle ne se trouve pas à Gérardmer. Des appartements à l’architecture très moderne se dresse de l’autre côté du chemin. Lucie avance doucement, elle ne ressent rien : ni peur, ni joie, elle sait juste qu’elle doit avancer. Un ponton de bois se dessine devant ses yeux, il est étroit et surplombe l’eau sur plusieurs mètres. Elle s’y aventure sans crainte, comme si elle l’avait déjà fait cent fois auparavant, Sa main glisse sur le bois de la rambarde lorsqu’elle arrive au bout sous un petit abri dont la toiture pointue est soutenue par 8 pans. Une feuille de papier accrochée à l’un d’eux attire son attention : elle s’approche et reconnait le visage sur la photo en noir et blanc. Elle touche le papier plissé de ses doigts, ses cheveux, son nez, sa bouche … elle a tout juste le temps de lire les deux mots en dessous lorsqu’un cri retenti. Elle se retourne rapidement, les yeux attirés par l’eau et son infini et avant qu’elle ne puisse voir quoique ce soit, une force invisible la pousse dans le dos. Elle passe violemment au dessus de la balustrade en bois, le choc lui coupant le souffle et elle tombe à l’eau.
Lucie se réveille en sueur, s’assoit dans son lit et découvre qu’il est 3h36 sur l’écran de son téléphone. Elle peste silencieusement contre ses rêves qui lui font perdre la tête. Puis elle reprend ses esprits, les brides de sa mémoire se recollant morceaux par morceaux, et elle se souvient des deux mots sous la photo :
Samuel Ardot.
Elle est pourtant certaine que Samuel ne lui a jamais fait part de son nom de famille. Elle fouille dans ses souvenirs mais ne sait pas d’où elle sort ce nom. L’aurait-elle totalement inventé ? Il y a bien à un moyen qui l’aiderait à épancher sa soif de savoir mais elle n’est pas totalement à l’aise avec cette idée.
Lucie garde la tête enfouie dans ses mains pendant de longues minutes et quand son esprit est décidé elle s’empare de son smartphone et ouvre son moteur de recherche. Très vite, ses doigts balayent le clavier numérique et elle valide la recherche. Elle regrette immédiatement mais les résultats qui s’affichent sur l’écran attirent irrésistiblement son regard. Il y a même beaucoup de correspondances avec des sites de news; RTBF Info, La Libre, 20 minutes … Elle se demande quel est le rapport avec le Samuel qu’elle connait, peut-être qu’il a un homonyme. Elle scrolle la page de résultats sans trop la lire, sa tête commence à lui faire mal et une boule s’installe au creux de son ventre et enfin elle remonte au premier résultat et clique dessus. Elle ignore volontairement le titre et essaie de ne pas voir la photo de Samuel qui orne l’article.
«Le corps d’un homme a été repêché en fin de journée hier dans le Lac des Doyards. D’après les premières hypothèses, il semblerait que ce soit celui de Samuel Ardot. Pour rappel, le jeune homme a disparu depuis le 1er juillet, il n’est jamais rentré chez lui après une soirée. Les proches de Samuel Ardot, sa mère et sa soeur, doivent venir identifier le corps dans la journée.»