Mister.Suicide

4 mins

Comme tous les autres jours, François Delmont n’est vêtu que d’un caleçon sous son peignoir. On sonne à la porte. Il traîne ses pantoufles Mickey sur le parquet pour aller ouvrir. Il accueille le visiteur avec hostilité.

-C’est pour quoi ?

Un homme au costume fripé se présente.

-Bonjour monsieur. Je suis ici, pour vous parlez de…

François l’arrête aussitôt. Cet homme ne lui inspire pas confiance. Il n’a pas une gueule de porte-bonheur. Il a la dégaine d’un démarcheur au bout du rouleau.

-Peu importe ce que vous vendez. Je ne suis pas intéressé.

Accrocheur comme une teigne, l’individu bloque la porte avec le bout de son pied.

-Ah, mais vous n’avez pas le choix. Rétorque-t-il avec assurance.

-Eh pourquoi cela ? s’offusque François.

L’homme consulte son bloc note.

-Vous êtes donc François Delmont, vous avez…

-Ça, je crois le savoir.

Le représentant l’observe d’un mauvais œil.

-Bon, je reprends. Vous êtes François Delmont et vous avez 38 ans, bientôt 39. Vous êtes actuellement sans emploi depuis de nombreuses années, et un grand fainéant par-dessus le marché. Vous aimez boire du café au réveil et boire du whisky au coucher. Votre calvitie vous perturbe autant que votre incapacité à avancer. Vous vivez avec Monica Delmont, dont vous êtes marié depuis 2 années. Ce qui, entre nous, ne l’empêche pas de batifoler de temps à autre depuis maintenant 6 mois… je suis désolé de vous dire ça mais… Je ne la blâme pas. Même au contraire. Je la comprend.

-Je vous demande pardon ?! S’emporte François confus.

-Si vous n’arrêtez pas de me couper, on n’en finira jamais ! Merde à la fin ! Bon, je reprends de nouveau. Vous devez vous demander sans doute, le pourquoi de ma présence. C’est très simple. Je suis en quelque sorte votre dépression, enfin plus précisément… votre envie de mourir.

-Mon envie de mourir ?

-Oui. Mais si cela peut vous rassurer, vous n’êtes pas le seul dans ce cas. À notre époque, des gens dans votre situation, on en croise à tire-larigot. Nous sommes débordés de travail. Avec votre vie de merde, c’est plutôt compréhensible. Je dirais même que c’est une preuve de bon sens de votre part.

-Mais… Mais je vous emmerde !

Il lui claque la porte au nez. “Mais qui est-ce ce type ?! On ne peut plus être tranquille chez soi ?!” Marmonne-t-il dans sa barbe. Arrivé dans son salon, il est à deux doigts de la crise cardiaque. Il fait un bond en arrière, en faisant valdinguer ses chaussons. L’étrange démarcheur se tient fièrement devant lui, une tasse de café dans les mains.

-Mais vous êtes qui putain ?! Demande François, désarçonner.

-Je vous l’ai déjà mentionné. Votre envie de clampsé. 

L’homme et François sont assis l’un à côte de l’autre. Le regard de l’hôte est livide.

-Putain… Mais c’est vrai que t’as une tronche déprimante.

-Merci. C’est un peu mon but.

-Est-il possible de se débarrasser de toi ?

-Très peu probable.

-Et si j’appelle les flics ?

-Il n’ont pas réputation d’arranger les choses. Plutôt de les empirer. Ils risquent de vous interner. C’est tout ce que vous allez gagner. Passer le restant de vos jours en HP.

François est abattu. Ses épaules s’affaissent et ses gestes sont aux ralentis.

-Vous allez rester encore longtemps ?

L’homme consulte sa montre.

-Habituellement, la journée suffit.

Soudain, François se lève impulsivement. Il fait les 400 pas en causant à lui-même. Il se frotte le bout du menton.

-Il doit bien y avoir un moyen de se débarrasser de ce con.

Dos à lui, l’homme glisse quelques mots à son oreille d’une voix envoutante.

-Seul votre mort peut vous débarrasser de moi. Et si puis-je me permettre, je vous conseille le suicide par cachet. C’est la mort la plus rapide et la moins douloureuse.

François est à bout de nerfs. Il choppe ce parasite par le colback.

-Tu vas voir si je vais pas me débarrasser de toi.

Il le pousse avec brutalité. La sangsue s’entrave sur la table basse et s’écroule au sol. François a pété les plombs. Il le finit à coup de pied et à coup de poing en l’insultant de tous les noms.

François est de plus en plus déprimé. Il est affalé dans son canapé. Il n’a ni l’envie, ni la force de bouger. L’homme n’a aucune égratignure. Il arrange sa cravate, puis se rassoit à sa place.

-Vous êtes calmé ?

-Je veux mourir.

Un sourire malicieux se dessine sur le visage du démarcheur. Il tapote le genou de François avec amicalité.

-Ah, vous voyez… On avance.

François se tient debout sur un tabouret aux pieds fragiles. La corde au coup, il savoure son dernier whisky. Pendant ce temps, l’homme attend silencieusement qu’il passe à l’action. Il est assis sur le lave-vaisselle, les genoux pliés l’un sur l’autre. En croquant dans une pomme juteuse, il lit “Suicide, mode d’emploi, pour les nuls”.

-Mauvais choix. Commente-t-il

François sanglote.

-Je ne sais pas si je veux mourir…

-Allez, ça va ! vous avez fait le plus dur.

-Si je reprends ma vie en main, tu crois qu’il y a une chance pour que tu partes ?

-Rien ne vous empêche d’essayer.

Une lueur d’espoir brille dans les yeux de François.

Il est bien décidé d’arrêter de boire sans soif.

Il vide toutes ses bouteilles de whisky dans l’évier.

Il cherche un emploi sur le net et appelle la première annonce trouvée.

“Ça serait un grand honneur pour moi de travailler dans le domaine poubellier. Demain 5h ? Parfait”

Il n’aurait jamais cru sa femme capable de le tromper.

Il la quitte sans la moindre contrariété.

Il vaut mieux vivre seul que mal accompagner, lui avait-on toujours répété.

François prend une bonne douche, se parfume et se vêt de ses plus beaux habits.

Il observe les peu de cheveux ridicules essayant de dissimuler en vain sa calvitie.

D’un coup de rasoir, il met un terme à cette illusion.

Après avoir nettoyé l’appartement, il rejoint l’homme sur le canapé.

Ce dernier semble peiné.

– Alors, vous avez repris du poil de la bête on dirait ?

-Paré à repartir sur de bonnes bases.

-Bon, je vois. Je n’ai plus rien à faire ici désormais.

L’homme se lève du canapé. Il le salue froidement.

-Au plaisir de ne plus vous revoir. Lui lance François satisfait.

-Faites attention, il m’arrive de revenir bien plus vite que ce que l’on croit.

L’homme et François rigolent nerveusement.

-À votre prochaine dépression !

Et sur ces derniers mots, cet énigmatique individu s’en va pour de bon. “Ouais, c’est ça, crève connard” se dit François pour atténuer sa rage. Le claquement de la porte est un signe de soulagement et de répit.

François regarde une vidéo youtube en dégustant une barre chocolatée.

Le silence.

Une mouche qui passe.

Le désœuvrement.

Des gouttes tombent du plafond et atterrissent sur le parquet humide.

L’ennui.

Son visage se crispe.

Il souffle.

Il ne sait que faire.

La déprime.

Quelques secondes plus tard, à la porte, on sonne.  

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