Résumé : Sacha Morin, chercheuse de talent en neuroscience dans le domaine des troubles de l’humeur, n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis quelques semaines. Elle cache un secret qui la ronge. La venue d’Alexander Smith, post-doctorant, la chamboule. Ils coopérèrent sur une étude et des liens forts se tissent entre eux. Mais Alexander cache lui aussi un secret. Emprunte d’ombres dissimulées, leur relation risque d’exploser à mesure qu’ils se rapprochent de la vérité.
Partie 4 – Les découvertes
Le projet d’Alex, secondé par Sacha, commençait à faire grand bruit à l’institut. L’outils MAThyS avait marqué un certain désintérêt de la part des collègues habitués à des révélations plus fracassantes de la part de Sacha. Mais le voir en application concrète sur les phases maniaque, mixte, dépressive, et euthymique – comme disait le jargon pour « normale » – en montrait tout de suite son utilité dans une phase plus pratique. Les collègues avaient un peu raillé Alex au début en disant que « bien entendu, les bipolaires sont tous plus sensibles ». Mais Alex voulait montrer que cela allait plus qu’un simple « plus sensible ». Et qu’ils l’étaient à tout état psychique. Enfin, il voulait surtout coroller cette hyperréactivité affective avec les traumatismes. Les fêlures d’enfance, les drames, les fissures, les explosions et implosions, les hurlements et les silences… Il compilait soigneusement tous ces évènements de vie dramatiques et MAThyS l’aidait à en venir à sa conclusion. Bien sûr, il faudrait encore des mois, voire un an pour que cela soit vraiment probant. Mais l’étude penchait sérieusement sur l’hypothèse d’Alex : un traumatisme augmentait l’hyperréactivité émotionnelle des patients bipolaires.
Au début de l’étude, Alex était discret. Il s’intégrait doucement à l’équipe, osant parfois quelques blagues. Il recherchait surtout la présence de Sacha. Cela avait été difficile pour elle mais il était charmant, calme et l’avoir à ses côtés était devenue une évidence. L’étude avançait, il nouait des liens avec les autres membres de l’équipe. Il pouvait passer plusieurs jours à l’institut à travailler d’arrache-pied. Il avait parfois de brillantes idées et il portait l’équipe dans leur épopée avec bonne humeur. Mais on pouvait passer du temps à le chercher pour finalement le trouver dans la salle de pause, un café froid dans la main et le regard dans le vide. Il revenait alors, le pas lourd, le sourire forcé. Cela ne choquait pas les collègues, ne voyant dans ces états d’âme que le métier de chercheur – entre envolée de l’esprit, lassitude et déception – qui se forgeait au sein de ce post-doctorant.
Quand Alex et Sacha avaient repris le travail le lendemain de leur étreinte passionnée, Sacha craignait beaucoup de l’attitude d’Alex. Elle ne voulait surtout pas que ça s’ébruite. Elle n’arrivait déjà pas à gérer le bouillon émotionnel qui avait en elle. Si les collègues s’y mettaient, elle ne s’en remettrait pas. Le ventre noué, elle passa la porte de l’institut. Elle longea les couloirs, jetant de petits coups d’œil dans les salles si elle pouvait entrevoir Alex. A la fois déçue et rassurée, Sacha arriva à leur salle dédiée. Alex était déjà installé devant un ordinateur. Il était décoiffé et portait visiblement les vêtements de la veille. Intriguée, elle s’approcha de lui. Alex ne la remarqua que lorsqu’elle posa une main sur son épaule. Il sursauta puis son visage s’illumina tel un feu d’artifice quand il la vit.
« Sacha ! » s’écria-t-il.
« Moins fort… »
Il se leva brusquement, hésita sur la poignée de main, puis finalement, il lui déposa un baiser sur le coin des lèvres. Le cœur battant à tout rompre, elle le repoussa doucement.
« Alex, on avait dit pas au travail, on avait dit doucement. Tu fais quoi là ? »
Le sourire du jeune homme se transforma en une grimace de dépit. Il s’installa à nouveau dans le fauteuil, les yeux rivés sur l’écran.
« Ben je bosse, ça ne se voit pas ? »
Sacha en resta interloquée. Ce n’était pas l’Alexander qu’elle avait appris à connaître.
« Tu es venu travailler directement après le café ? » demanda-t-elle avec tout le calme dont elle était capable.
Il soupira, ses muscules se contractèrent.
« J’étais inspiré. » répondit-il seulement.
Interdite, elle ne répondit rien. Lentement, elle déposa son manteau, rangea son sac. Elle réfléchissait à tout allure. Au fond, au fond, ne le savait-elle pas déjà ? Sacha s’assit à sa place, dans un silence pesant.
« Il y a quelque chose dont tu voudrais me parler Alex ? Tu sais que tu peux avoir confiance en moi. » finit-elle par dire doucement.
Il se tourna brusquement pour lui faire face. Son visage était indéchiffrable.
« Je n’ai rien à dire. Et toi ? »
Elle resta immobile, silencieuse.
« Tu vois, on a tous les deux des choses dont on ne veut pas parler. »
Sa voix était plus douce. Alex était à nouveau tendre, les yeux clairs et lumineux. Il se mordilla les lèvres.
« Je suis désolé, je réagis vivement. Je manque de sommeil. Tu ne mérites pas ça. »
Un immense soulagement glissait sur Sacha comme une vague fraiche et réconfortante. Elle put afficher un vrai sourire. Et ravaler de manière très hypocrite ses questionnements. Alex jeta un œil à la porte, à sa montre puis fit glisser sa chaise roulante jusqu’à celle de Sacha. Il se pencha vers elle.
« On a environ dix minutes avant qu’Emilie vienne nous apporter les rapports des tests de la veille, chuchota-t-il d’un air faussement conspirateur, il pourrait se passer n’importe quoi pendant ces dix minutes. »
Ils pouffèrent. Elle était si heureuse de le retrouver. Cette version passive agressive lui avait fait vraiment peur. Alex se pencha un peu plus et inspira. Elle frissonna.
« Alex… »
Il se redressa avec un grand sourire.
« Chut, rien au travail voyons ! »
Elle secoua la tête en souriant devant sa piètre interprétation. Fier de son effet, Alex mima une révérence. Puis il s’installa dans son fauteuil, toujours collé à celui de Sacha. Quelques minutes passèrent en silence.
« J’ai vraiment aimé hier. Tu ne peux pas imaginer. » dit-il simplement.
Elle se tourna vers lui. Elle aurait aimé lui répondre. Mais les habitudes ont la vie dure. Il eut un sourire un peu las.
« Je comprends, t’inquiète. Y a des trucs dans ta vie qui… bon. T’as des choses à régler et moi dans les pattes ça n’aide pas. »
« Non Alex. Tu es la chose qui me fait tenir. Mais tu as raison, tout n’est pas si simple… »
« C’est rarement simple, n’est-ce pas ? »
« Ça ne devrait pas être si dur. » confessa-t-elle d’une petite voix.
Alex posa une main sur le visage de Sacha, plongeant dans son regard vert et si lumineux. Une forêt au printemps.
« Si un jour, tu as besoin de moi, je serai là pour toi. »
Elle caressa du pouce la main d’Alex sur sa joue.
« Toi aussi Alex. »
Les regards parlent parfois mieux que les mots. Le cœur moins lourd, pour tous les deux, ils se remirent à leur poste de travail. A point nommé pour l’entrée d’Emilie avec des documents. Alex tapota sa montre du doigt :
« J’avais dit dix minutes, ça fait douze. Je ne suis pas bon aujourd’hui. »
Emilie le regarda bizarrement et Sacha le rassura en lui disant que ce n’était qu’une blague entre eux qui n’avait pas grand sens.
Les jours qui suivirent furent un peu étranges. C’était Alex qui était parfois étrange. Il était assez euphorique. Les collègues mettaient ça sur le compte de l’avancée fulgurante de leur étude. Sacha se disait que leur relation devait y jouer. Mais pourtant, comme toujours avec Alex, quelque chose en elle remuait et cherchait à lui murmurer des mots qu’elle ne voulait pas entendre. Qu’elle ne pouvait pas entendre. Leurs rapports étaient professionnels, mais dès qu’ils étaient seuls, Alex lui jetait de longs regards qui se passaient de mots. Sacha savait qu’il attendait qu’elle prenne l’initiative. A son rythme, il avait dit, après tout. Un soir, tous les collègues étaient partis et ils ne restaient qu’eux deux, les gros acharnés du travail et qui n’avaient personne qui les attendaient à la maison. Alex se frottait les yeux, accoudé à sa table. Sacha, elle, se sentait fébrile. C’était le moment.
« Hm Alex, ça te dirait te sortir ? »
Il resta immobile un moment puis se retourna tout sourire.
« Que proposes-tu ? »
« Euh… je… je n’y ai pas pensé… » bafouilla-t-elle en rougissant.
Alex rit doucement et fit glisser sa chaise de travail vers elle pour lui attraper avec délicatesse la main.
« Don’t worry. On va chercher un truc ensemble. »
Elle se tranquillisa et osa un sourire.
« Faudrait quelque chose de grandiose… » murmura Alex.
« Tout simple aussi c’est bien, rétorqua Sacha en regardant bizarrement Alex. Un verre par exemple ? »
« Je ne bois pas d’alcool. » dit-il d’une voix sèche, amère.
Le silence s’installa à nouveau. Sacha ne savait plus vraiment sur quel pied danser. Alex était perdu dans ses pensées.
« On pourrait aller au cinéma, proposa-t-elle. J’ai très envie d’aller voir le dernier film de Luchini. »
Il la regarda et sourit en dodelinant de la tête.
« Je suppose que c’est un acteur français. Je suis écossais tu sais, alors je ne suis pas toujours au fait… »
« C’est un grand acteur français. Il est génial, tu vas adorer ! »
« Vendu ! » s’exclama-t-il.
Sacha était très nerveuse en attendant Alex devant le cinéma. Elle avait déjà pris les places car il était en retard. Il ne répondait pas aux SMS. Elle espérait qu’il ne lui avait pas posé de lapin. Faisant les cent pas, elle rongeait son frein. Le film allait commencer. Finalement, Sacha vit Alex arriver en trottinant. Contrairement à elle, il ne s’était pas changé en sortant du travail.
« Désolé, désolé, j’étais à l’institut, je n’ai pas vu le temps passé. »
Elle le considéra un moment, partagée entre colère et interrogation.
« Tu devrais peut-être lever le pied sur le travail Alex. C’est un marathon la recherche, pas un sprint. »
Son regard devint glacial un instant et il semblait vouloir dire quelque chose avant de se raviser.
« On devrait y aller non ? » dit-il plutôt.
Elle serra les dents mais acquiesça. Ils se faufilèrent entre les nombreux badauds. Alex lui attrapa la main et elle le suivit docilement, toute concentrée à ce contact. Ils trouvèrent la salle et ils s’installèrent sur les places du fond qui étaient vides. La salle n’était pas vraiment remplie, le film était sorti depuis longtemps déjà et seuls les retardataires étaient présents.
Les pubs venaient juste de finir et la salle fut plongée dans le noir. Elle s’installa pour être à son aise sur le fauteuil. Alex faisait de même, de sa posture négligée et s’étendant dans l’espace. Sa main était posée avec nonchalance sur l’accoudoir du siège, tout contre celui de Sacha. Il ne la regardait pas, le regard fixé sur le générique. Elle avait un peu de mal à se concentrer, se demandant s’il attendait qu’elle prenne sa main. Elle en avait envie, mais Alex n’envoyait pas vraiment de signaux. A son rythme, avait-il dit, c’était sans doute à elle de donner le tempo. Sacha allait enfin pour poser sa main sur la sienne quand il se tourna légèrement vers elle.
« C’est lui Luchini ? » chuchota-t-il en désignant l’acteur d’un geste du menton.
Elle hocha la tête et il le vit malgré l’obscurité de la salle tant qu’ils étaient proches.
« Il parle bizarrement mais j’aime bien, j’ai rarement vu ce genre de jeu. » murmura-t-il en s’approchant encore plus d’elle.
« Je te montrerai des vidéos d’interview, il est hilarant et intenable. »
Il était tout près. Son regard allait de l’écran à Sacha. Puis un sourire canaille étira son visage plongé dans l’ombre.
« Tu ne regardes pas le film. »
Elle aurait voulu se défendre mais c’était tout à fait vrai. Et pourtant elle voulait le voir ce film. Sacha s’installa dans le fauteuil, les mains sur les genoux, et se concentra sur la toile.
L’intrigue rebondissait quand Alex se pencha vers Sacha. Il capta son regard. Il était d’un sérieux étonnant, son regard sombre. Une de ses mains se posa sur le visage de Sacha. Son cœur s’affola. Le jeune homme s’avança, malgré l’accoudoir, et l’embrassa. Tout d’abord doucement. Elle sentait que toutes les parties de son corps s’enflammaient. Puis, le baiser fut plus passionné. Sa main quitta son visage pour descendre, le long de ses clavicules, la naissance des seins… Elle se raidit légèrement mais il poursuivit sa descente. Il caressa délicatement un de ses seins pendant que son autre main agrippait sa nuque. La descente continua. Sacha frissonnait, fébrile, emplie d’un désir dévorant. Sa main s’attarda sur le bas de son ventre. Elle avait presque envie de lui crier d’arracher son pantalon maintenant. Elle réalisa alors qu’ils étaient toujours au cinéma et entourés de quelques personnes. Sacha se figea mais c’est l’instant que choisit Alex pour descendre et se presser contre son intimité.
Le film se termina et les personnes quittèrent la salle. Sacha et Alex restèrent à leur place, au fond. Elle ne réalisait pas encore ce qu’elle venait de faire. Alex n’avait rien demandé et rien eu, mais il était fier du plaisir qu’il avait donné à Sacha. Un sourire satisfait se dessinait sur son visage. Sacha ne savait pas vraiment quoi penser de tout cela, même si elle devait admettre qu’elle avait pris un grand plaisir.
« C’était assez… incroyable. Et pas mal dangereux aussi… » dit-elle doucement, un peu sous le choc de ce qu’elle avait osé faire.
« C’est attirant le danger, non ? »
Elle le regarda longuement, cherchant à savoir à quel point il le pensait. Alex était toujours en perpétuel changement. Il n’était pas toujours la même personne. Si elle l’avait connu surtout serein et flegmatique, il pouvait depuis quelques semaines devenir irritable, agressif, ou encore tout feu tout flamme et surexcité. Au fond, au fond, elle savait. Mais elle ne voulait pas le voir. Il bailla largement ce qui la sortit de ses pensées.
« Tu devrais rentrer dormir un peu. » dit-elle d’un ton ferme.
Il lui jeta un regard, prêt à réagir, puis finalement sourit.
« Ouais. En plus, j’ai un futur patient à l’HP du campus. Il est sous contrainte donc je vais devoir me déplacer. J’aimerais faire bonne impression. »
« Sous contrainte ? C’est le premier, non ? »
« Oui, je pense que ça peut être très intéressant. Les plus… « violents » sont souvent ceux qui ont de bons traumatismes. Je ne sais pas comment ce patient a entendu parler de notre étude, mais c’est une aubaine. »
Elle acquiesça tout en se levant. Il était bien vingt-trois heures et ils avaient besoin de repos. Sacha aurait bien aimé voler quelques instants langoureux avec Alex, mais elle se disait qu’elle en avait déjà assez fait pour aujourd’hui. Ils se séparèrent d’un baiser tendre, profond. Sacha le regarda partir, agitant la main avant de se retourner, pensive.
Sacha se réveilla d’excellente humeur, toute à son souvenir des moments passés avec Alex. Elle chantonnait en attendant son café, parcourait son appartement – étonnement rangé – d’un pas presque aérien. Elle était définitivement amoureuse de cet homme surprenant, parfois déstabilisant. Ses changements d’humeur, l’hôpital, tout cela semblait l’atteindre mais de loin, de si loin. De sa vie, elle ne s’était jamais sentie aussi bien. Dans le bus, Sacha souriait à tous ceux qui la regardaient. A l’institut, elle salua les collègues avec entrain. Certains riaient sous leurs capes. Tous savaient qu’il y avait une ambiguïté dans la relation de Sacha avec Alex et ils se doutaient de ce qui pouvait causer autant de bonne humeur. Mais elle n’avait cure des regards des autres. Elle était heureuse et amoureuse, voilà tout. Lorsqu’elle rejoignit sa salle d’étude, celle-ci était vide. Sacha se rappela alors qu’Alex avait rendez-vous avec un patient hospitalisé sous contrainte (HSC pour les intimes). Elle était très curieuse de voir ce qui pouvait en sortir et si les résultats des tests seraient significativement différents des autres patients. Elle s’attela à sa tâche, avec sérieux, mais attendant impatiemment l’arrivée d’Alex.
Elle buvait un café avec Emilie lorsque la porte s’ouvrit à grand fracas. Les deux femmes sursautèrent. Alex semblait hors de lui, tremblant, la mâchoire contractée et le regard d’une glace brûlante.
« Emilie sors s’il te plait. »
Sa voix était sans appel. La femme sortit rapidement en jetant un coup d’œil inquiet à Sacha. Elle-même ne comprenait pas ce qui se passait et la crainte lui serrait l’estomac.
« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulait ferme, mais hélas, tremblante.
Alex faisait les cents pas, fulminant. Il semblait se contenir pour ne pas exploser. Finalement, il s’arrêta et la cloua sur place de son regard furibond.
« Pierre Morin. Ton frère. C’est lui le patient en HSC. »
Sans savoir comment, Sacha se retrouva assise sur son fauteuil, livide. Tout en elle s’était arrêté et même la colère d’Alex ne l’atteignait plus. Pierre. Pierre.
« Il avait beaucoup de choses à dire sur toi » ajouta Alex d’une voix venimeuse.
Un long silence s’installa. Sacha rassemblait ses esprits.
« Et je ne vois pas en quoi ça te regarde. » murmura-t-elle, fuyante.
Alex leva les bras aux ciels en jurant en anglais.
« Mais Sacha, Sacha, tu sais pour moi ? Bien sûr que tu sais pour moi ! »
« De quoi tu parles, je ne comprends pas… » bafouilla-t-elle faiblement.
Il se planta devant elle, la forçant à le regarder dans les yeux. Une forêt pendant un orage.
« Tu le sais. Je sais que tu le sais. »
« Non, non… »
« Arrête de faire l’idiote. Tu le sais. Vas-y, dis-le. Et tu comprendras pourquoi je suis en colère. »
Sacha baissa les bras. Elle savait.
« Tu as des troubles de l’humeur. Surement de la cyclothymie. Une grande alternance entre des états de type hypomaniaque et des dépressions. L’irritabilité, l’excès de travail, la prise de risque, l’euphorie, l’excitation mentale et physique… Tu es en hypomanie. »
Sa tirade tomba comme une sentence, ou comme le diagnostic d’une psychiatre à son patient. Alex se figea et la regarda longuement. Elle détournait les yeux, brûlant de larmes.
« Voilà. J’ai un traitement, je suis normalement stable mais… toi… je déraille un peu. »
Il avait l’air d’avoir besoin de se justifier, de se protéger. Il s’ébroua, il respirait fort.
« Comment as-tu pu faire ça à ton frère ? C’est ce que tu réserves à tous ceux qui ont des problèmes psy ? Tu vas sans doute me rejeter comme tu l’as fait avec Pierre ! Pour une chercheuse de renom sur les troubles de l’humeur, tu es une sacrée hypocrite. »
Sacha sursauta, comme giflée.
« Ce qui se passe ou pas avec mon frère ne te regarde pas, gronda-t-elle piquée, et je ne sais pas ce qu’il t’a raconté, mais ça ne te donne pas les droits de me juger. »
« Pierre Morin, trente ans. Bipolaire de type 1. Alternance entre manie sévère et dépression profonde. Problème d’addiction à la cocaïne. Violence sur policier suite à un accident de voiture de sa responsabilité. Hospitalisé sous contrainte depuis trois mois suite à une tentative de suicide. » récita Alex comme pour la provoquer.
Elle lui jeta un regard noir, elle aussi commençait à s’énerver. Il n’avait rien à faire avec son frère. Et rien à voir aussi…
« Tu n’es pas passé le voir alors qu’il est hospitalisé juste à côté depuis des mois. Tu as coupé les ponts avec lui depuis qu’il a quitté le domicile familial il y a dix ans. Tu ne l’as jamais soutenu alors que vos parents le maltraitait à cause de son état mental. »
Il attendait une réaction, une défense peut-être, un aveu, un effondrement. Mais Sacha resta droite et digne, même si elle sentait la nausée lui brûler la gorge et que son cœur battait à tout rompre.
« Je ne vois pas pourquoi je devrais me justifier auprès de toi de mes problèmes familiaux » déclara-t-elle d’une voix ferme, mais évitant son regard.
Un silence. Alex s’approcha, agrippa les accoudoirs du fauteuil et la força à lui faire face alors qu’il était penché.
« Et moi alors ? Que vas-tu faire de moi ? »
La question était agressive, mais elle commençait à connaître suffisamment Alex pour savoir qu’il y avait aussi une supplique. Sacha aurait voulu lui dire que c’était différent, que tout était différent. Que si elle le pouvait, elle irait voir Pierre et lui implorer son pardon. Elle était jeune, trop jeune, pour se rendre compte des graves conséquences de ses actes à l’époque. Les mots étaient coincés dans sa gorge alors que la porte s’ouvrit. Alex se redressa et Sacha vit Marc dans l’embrasure.
« Je peux savoir ce qu’il se passe ? »
Marc se tenait bien droit, mettant en avant sa grande taille. Son attitude était sévère.
« Rien, ça va. » répondit Alex en baissant les yeux.
Marc se tourna vers Sacha en attente d’une réponse de sa part.
« Tout va bien Marc. Juste un désaccord. On s’est un peu emporté mais ça va mieux là. »
Il la regarda, cherchant à voir si elle disait vrai. Finalement, il soupira.
« D’accord. Mais je ne veux plus de technicienne paniquée dans mon bureau. »
Quand il eut quitté la place, Alex se tourna vers Sacha, les yeux toujours au sol.
« Merci de… enfin… de n’avoir rien dit. » marmonna-t-il entre ses dents avant de fuir la salle d’un coup de vent.
Sacha resta assise sur son fauteuil, le sol lui paraissant bien bas. Son cœur battant fort dans sa poitrine, à grand coup glacé. Ses mains tremblaient et les larmes glissaient sur ses joues, en silence. Elle pensait à son frère, à leur enfance, leur adolescence et leurs parents. Elle pensait à son silence, à sa fuite. Elle pensait à ses remords et à sa honte. Puis, elle pensa à Alex. Elle n’arrivait plus à faire le point sur ce qu’elle ressentait tant c’était le chaos en elle. Que faire, maintenant ?