La vengeance, de l’Amour à la Haine

15 mins

— Tu m’aimes chéri ?… Demanda Chloé.

— Non ! Je ne t’aime pas… Je t’adore, ma chérie ! soupira Jean-Lou en la serrant dans ses bras. Tu te souviens que ce soir nous avons rendez-vous avec Mariko pour aller au ciné voir le film « Les sept Samouraïs » ?

— L’ennui, c’est que je prends l’avion pour Londres, d’ici une heure, je ne serai de retour que demain après-midi, dit Chloé.

— Pas de cinéma pour moi non plus, dit Jean-Lou, j’ai un travail urgent à terminer au bureau. Il faut appeler Mariko pour nous décommander.

— Tu devrais te reposer, dit Chloé, ça fait trois fois cette semaine que tu rentres à des heures impossibles.

— Je sais bien qu’il est difficile d’attendre mon retour, mon amour, mais ce que l’on perd la nuit, on le rattrape le lendemain. L’ennui c’est que le patron m’a placé sur une liste de promotion avec une augmentation à la clé.

— Je comprends ta position, déclara-t-elle, à toi de bien gérer ton avenir, chéri… Seigneur !… Il est temps pour moi de prendre un petit en-cas et filer vite à l’aéroport. Je te signale, mon amour, que je serai absente pour deux jours, sois sage, chéri.

Pendant que Chloé attendait son départ dans la salle d’embarquement, le haut-parleur annonça un retard de trente minutes sur le vol de Londres. Un retard qui se transforma en une heure sans avoir l’assurance que le décollage puisse avoir lieu, le smog étant de plus en plus épais.

Après cette longue attente sans certitude de pouvoir partir, Chloé choisit le retour au domicile.

Une fois devant la porte, elle demanda au taxi de patienter. Elle déposa son bagage, changea de tenue dans l’intention de se rendre au bureau et faire une surprise à son chéri.

Arrivée devant l’immeuble où se trouvait le bureau, elle évita de sonner le veilleur de nuit. Elle ouvrit avec sa clef, monta à l’étage et aperçut de la lumière par la fente de la porte mal fermée et saisit en même temps un murmure de voix étouffées.

« Tiens, pensa Chloé, il parle avec son patron ? »

Elle hésita à entrer, sa présence risquerait d’être mal interprétée. Elle fit un pas en arrière pour partir quand elle perçut un cri de jouissance accompagné de :

— Oui ! Oui ! Oui ! Encore… Mon gros loup… Chéri… Vas-y ! Fais-moi jouir… Encore… Encore !

Stupéfaite ! N’osant y croire, elle poussa légèrement la porte. Ce qu’elle vit et entendit allait rester gravé dans sa mémoire et rien au monde ne pourrait l’effacer.

Elle vit la fille, couchée sur le bureau, ses jambes relevées sur les épaules de Jean-Lou, qui se faisait forniquer avec enthousiasme.

Cette fille était Mariko, une Japonaise, sa meilleure amie ! Sa confidente ! C’était celle qu’elle avait aidée, alors qu’elle n’était qu’une simple shampouineuse, et à qui elle avait attribué le poste de directrice dans son affaire de relooking.

Et son partenaire était Jean-Lou ! Son salaud de mari ! Qui se gargarisait en lui disant des « Je t’aime, ma chérie, mon amour… », etc.

C’était grâce à elle s’il occupait ce poste dans la rédaction d’un journal de mode. Il était dépensier, nonchalant, toujours en rouge à la banque où elle, pauvre imbécile, lui avait donné procuration sur son compte personnel.

En ce moment, pétrifiée, elle restait figée devant le tableau que lui offrait ce couple maudit qui représentait ce qu’elle avait de plus précieux dans sa vie.

Que faire ? Devait-elle filmer avec son téléphone leurs ébats ou devait-elle se montrer et leur infliger la honte de leur vie ?

Pendant qu’elle réfléchissait, les deux amants avaient repris leurs activités érotiques, entrecoupés par des paroles où la pauvre Chloé crut défaillir en entendant Mariko demander :

— Alors chéri ? Est-ce que je fais mieux l’amour que ta vieille truie ?

— Je t’ai déjà dit que je la baisais plus, cette salope, elle me dégoûte ! Quand elle jouit, on dirait une…

— T’avais promis de divorcer, t’attends quoi ?…

— D’avoir réuni le paquet de son magot, pognon, actions, et placements à l’étranger, de quoi pouvoir vivre notre amour à l’aise.

C’en était trop pour Chloé, sa décision était prise. Évitant de faire le moindre bruit, elle referma son téléphone, retira la porte et partit, le cœur brisé.

Devant une telle félonie, une seule et unique peine allait pouvoir s’appliquer, cette vengeance qui portait le nom de « La Loi du Talion ».

Encore sous l’emprise de cette nuit de cauchemar qu’elle venait de vivre, la pauvre Chloé courait vers son domicile.

Elle errait dans les rues désertes, aveuglée par les larmes de cette horrible intrigue à laquelle elle venait d’assister. Être cocue aurait pu se pardonner, mais être salie, souillée, avec des complots de cupidité attentant peut-être même à sa vie, ne méritait aucun pardon.

Pour arriver au but du châtiment qu’elle désirait leur imposer, la priorité était de rester calme, sans s’affoler.

En revanche, il s’agissait de leur préparer un scénario de terreur et d’épouvante. Pour cela, elle devait mettre en sourdine sa colère et sa haine en agissant comme si elle ignorait les injures dont elle était victime.

Dès son arrivée, Chloé avait pris une douche afin de calmer son angoisse, puis elle avait recherché sur son répertoire des renseignements utiles pour démarrer ses actions de vengeance.

Elle venait de se coucher depuis un long moment, lorsqu’elle entendit la pendule du salon égrener trois heures du matin. Peu après, la clef de Jean-Lou tourna dans la serrure de la porte d’entrée.

Chloé s’empressa d’éteindre la lumière, remplacée par la veilleuse, elle abaissa son masque pour cacher ses yeux gonflés par les pleurs, et attendit patiemment.

La porte de la chambre s’ouvrit sur Jean-Lou. Surpris en voyant le lumignon allumé, il s’approcha du lit et, apercevant Chloé, il s’exclama :

— Comment ? Mais tu es là, ma chérie, quelle bonne surprise ! tu n’es pas partie, si j’avais su, je serais rentré plus tôt, dit-il en se glissant dans le lit.

Sa main posée sur son corps il cherchait à lui caresser les seins. Chloé sentit un grand frisson descendre le long de son dos. Malgré sa répugnance, il était impératif de simuler des sentiments de joie et de sollicitude.

— Ah !… Te voici, mon pauvre chéri, comme tu rentres tard, tu travailles beaucoup trop. À mon retour, tout à l’heure, j’ai failli venir à ton bureau te faire un coucou. Comme j’étais fatiguée, j’ai préféré m’en retourner.

— Tu as bien fait, le veilleur aurait refusé de te laisser entrer. Il est obligatoire de prévenir, le service de nuit est strict à ce sujet.

— En ce moment, j’aimerais bien dormir, dit-elle en imitant un grand bâillement. Excuse-moi de ne pas te faire un petit câlin, mais je crois avoir contracté un herpès.

— Oh ! Comme c’est contrariant, déclara Jean-Lou, moi qui m’apprêtais à te dévorer de bisous. Je me rattraperai demain. Bonne nuit, mon amour.

— Que cette nuit te soit bonne aussi, murmura Chloé et elle ajouta d’une voix presque inaudible « Prie pour que le diable t’assiste, c’est le seul qui pourra t’aider ».

Quelques minutes suffirent pour que la chambre retentisse des ronflements de son mari.

Évitant de faire du bruit, aussi silencieuse qu’une araignée tissant sa toile, Chloé s’était glissée hors du lit, emportant l’attaché-case de son époux.

Elle l’ouvrit, lui prit son chéquier. Puis elle nota tous les renseignements concernant les dossiers secrets maintenus dans un coffre et dont le patron lui avait confié la clef.

Il fut facile à Chloé de retourner au bureau de son mari.

Avec le mot de passe, elle ouvrit le coffre et en releva la teneur. Le fameux dossier dévoilé présentait le risque énorme de créer un incident d’une portée capitale.

De retour chez elle, il lui fallait agir vite pendant que son mari endormi ne se doutait de rien. Il était important de commencer à mettre son plan en œuvre.

En premier, elle appela le directeur de la banque, un ami fidèle. Elle savait que, très consciencieux, il se trouvait à son bureau bien avant l’heure d’ouverture. À la deuxième sonnerie, il décrocha et, devant l’heure matinale, s’exclama :

— Salut Chloé ! Qu’est-ce qui t’arrive de si bon matin ? Tu as un ennui ?

— Oui, Gilles, et pas des moindres… Il va falloir que tu m’aides, pour que tout soit réglé, rapidement. Je t’explique, dit Chloé, en lui racontant toute l’horreur qu’elle venait de subir.

— Inutile de m’en dire plus, j’ai compris, tu veux arrêter tous tes comptes en banque en retirant tout, chèque, dépôt, actions boursières, contrat d’assurance-vie, et les actions à l’étranger. En bref, tout sera supprimé, même les coffres sur lesquels il avait accès. Tu te doutes du « Boum ! » que ça va faire. Mon conseil serait que tu lui laisses son compte ouvert, avec le découvert qu’il a, tu vas rire un bon coup.

— OK ! Gilles, fais au mieux, tu as toute ma confiance. La seule chose qui m’importe c’est qu’il ne puisse accéder au moindre euro de ma part. Étant donné qu’il n’existe entre nous aucune communauté de biens, je pense qu’il doit être facile de l’exclure.

— Sois tranquille, d’ici une heure tout sera réglé, dit Gilles en la saluant amicalement.

Rassurée sur ce point, elle alla chez le serrurier et en payant le prix fort elle obtint un changement de serrure immédiat, avec une nouvelle clef spéciale.

La première partie du plan concernant la banque, le dossier, la clef était résolue.

La deuxième partie était bien plus difficile à réaliser. Si les actes pouvaient se traiter assez simplement sans danger pour celui qui allait les accomplir, l’ennui était que l’exécutant veuille faire du chantage.

Le moyen le plus sûr serait de s’adresser à la mafia, en y mettant le prix, ça devrait pouvoir se faire très facilement.

Après réflexion, Chloé opta pour cet arrangement, qui allait les lier par une omertà réciproque.

Elle possédait un atout majeur par la fréquentation de ces mafieux qui venaient dans son atelier conçu spécialement pour le relooking et forcément quelques confidences avaient été évoquées lors des opérations esthétiques pour les rendre méconnaissables.

Elle fit appel à Rob ( Roberto ) et lui expliqua brièvement les deux contrats à honorer en urgence, le soir même.

Elle lui donna les directives sur la façon d’agir pour pénétrer sans alerter le personnel de l’immeuble. Le meilleur serait de filer Jean-Lou jusqu’à la porte de son bureau.

Le second serait bien plus ardu à maîtriser vu sa complexité, mais rien ne pourrait arrêter Rob, ce futé renard.

En attendant, cette longue nuit de cauchemar allait toucher à sa fin, noyée dans l’aube naissante. Chloé espérait qu’elle lui apporterait la vengeance.

Là-haut, dans son lit douillet, Jean-Lou ronflait, ignorant l’ouragan qui s’approchait inexorablement en déployant ses larges ailes noires.

Il était aux environs de onze heures du matin quand il émergea de son sommeil. Il se leva, s’étira, bâilla, et pour faire sa toilette, il brancha sur son iPod la chanson de Colette Renard « Sur la route de Louviers ».

« Chante ! Chante !… Pensait Chloé, ce soir ce sera le chant du cygne que tu entendras, infâme pourriture qui vient encore me narguer par des chansons paillardes ».

La porte s’ouvrit sur un Jean-Lou, pomponné, élégant, ayant pris grand soin de son look. Il poussa un cri en voyant Chloé s’affairer en cuisine, une poêle à la main.

— Oh !… S’exclama-t-il, ma chérie, tu es déjà en train de nous préparer un délicieux déjeuner ! dit-il en s’avançant pour l’embrasser.

Il fut arrêté dans son élan par Chloé qui recula en disant :

— Non !… Non… Chéri, pas question de bisous. Je t’ai déjà prévenu, j’ai un herpès.

— Oh… là… là ! ma pauvre chérie, il faut guérir vite pour que nous puissions reprendre nos ébats, com…

La sonnerie du téléphone de Jean-Lou vibra un long moment, tandis que s’affichait le SMS suivant envoyé par le directeur :

« Besoin URGENT de ta présence au bureau, aucune excuse ne sera acceptée ».

— En voilà des façons d’exiger ! dit Jean-Lou, il s’imagine être le roi et moi son serviteur ! J’irai après avoir mangé, si ça me convient…

— À ta place, je n’attendrais pas, ça me paraît sérieux, dit Chloé, n’oublie pas que tu as été embauché sur la recommandation d’un de nos amis. Je vais attendre ton retour, tout en gardant notre repas au chaud.

— Bon d’accord ! J’y vais, et je reviens en courant, ma chérie.

Le temps qu’il prenne sa veste et le voilà parti… suivi en filature par Rob qui attendait le signal donné par Chloé.

Arrivé jusqu’à la porte, muni de tous les renseignements utiles, Rob revint sur ses pas, laissant Jean-Lou entrer dans son bureau.

Dès la porte franchie, Jean-Lou comprit qu’il s’agissait là d’un ennui grave.

Il vit le directeur furieux. Son visage était d’une pâleur mortelle, défiguré par une grimace de colère, il s’avança vers lui et, désignant le coffre ouvert, hurla d’une voix qui exprimait toute l’horreur et l’indignation d’avoir été trahi :

— Comment ? Toi ! Sale ordure en qui j’avais placé ma confiance, tu as pu me trahir comme ça ?

— Il ne peut s’agir que d’une erreur, j’ignore de quoi vous m’accusez. Je ne vous ai toujours servi qu’avec…

— Ah oui ? En dévoilant ce dossier secret contenant de quoi ruiner ma carrière et celle de hautes personnalités. Tu étais le seul à posséder la clef du coffre, alors explique-moi comment ces renseignements secrets auraient-ils pu être révélés ?

— Non ! C’est un piège qu’on vous a tendu, Monsieur le Directeur ! Je refuse d’en porter la responsabilité, affirma Jean-Lou d’un ton offensé.

— Ce ne sera pas utile, annonça le directeur, dès ce moment, tu es rayé du personnel, demain matin tu viendras ramasser tes affaires, et tu passeras au secrétariat pour récupérer tes papiers et ton solde. Je tiens à t’avertir qu’une main courante vient d’être déposée à la gendarmerie. Ce qui va t’envoyer direct au « Club des Sans Pitié » chez les SDF.

C’est la rage au ventre, désespéré d’avoir subi un tel affront pour une faute dont il était innocent, qu’il rentra chez lui.

Comment annoncer à Chloé qu’il venait d’être rejeté de son boulot ? Heureusement qu’elle serait là pour le soutenir, croyait-il…

— Ah !… Te voici de retour, dit Chloé, mon amour, je ne t’ai pas attendu pour le repas, j’ai gardé ta part au micro-ondes. J’ai l’impression que tu es contrarié… Tu n’es pas malade ?

— Bien pire que d’être malade. Le patron vient de me licencier, pour une faute que je n’ai pas commise. J’espère ma chérie que tu vas pouvoir m’aider, je suis dans un sacré merdier !

— Ne doute pas de mon aide. En temps voulu, je serai là, présente. Au fait, pendant ton absence la banque a appelé pour que tu passes les voir sans tarder. J’espère qu’il ne s’agit pas de bêtises te concernant.

— Mais non, ma chérie, ce doit être seulement un découvert que tu as eu toujours la gentillesse de combler. Tu sais très bien que, comme tu me l’as souvent dit, « l’amour qui nous lie est bien au-dessus de ces mesquineries de pognon ». D’ailleurs, ma petite minette d’amour, il serait bien que tu me donnes plein pouvoir sur tes comptes en banque, ça éviterait d’avoir des comptes séparés.

— Pourquoi pas ? Quand l’amour est là, répondit Chloé avec un sourire simulé. En attendant, il se fait tard, la banque va bientôt fermer, je te conseille de t’y rendre rapidement pour régler cette affaire. Néanmoins avant toute chose, je te suggère de téléphoner à notre amie Mariko de venir t’aider à récupérer les affaires de ton bureau ce soir, ceci après le départ de tout le personnel pour t’éviter les questions et les papotages.

— Tu as toujours de très bonnes idées, ma chouchoute. Je m’en occupe de suite. Je vais lui donner rendez-vous à huit heures au bureau. C’est le moment où le veilleur est absent pendant une heure. Maintenant, je vais de ce pas à la banque voir avec le directeur quelle est cette urgence qui nécessite ma présence immédiate.

Arrivé à destination, il poussa la porte entra et se dirigea vers le directeur tout fier, imbu de sa personne.

Dans une autosatisfaction d’une suffisance ridicule, il lui tendit la main, le saluant d’un grand geste en disant :

— Je vous salue, grand maître des finances, en quoi ai-je fauté pour que vous exigiez ma présence ? Ce n’est tout de même pas pour ce petit découvert qui d’ailleurs va être comblé par ma femme.

— Je crains, cher monsieur, que vous ne fassiez une énorme erreur. Votre femme Chloé n’a plus de comptes chez nous. Il est donc urgent de nous régler votre dette, nous ne saurions attendre au-delà de vingt-quatre heures, ceci dit, je vous salue monsieur. Il ajouta, il est dix-neuf heures, nous fermons notre agence.

 — Attendez ! Attendez ! Puis-je savoir depuis quand les comptes de ma femme sont clôturés et pour quelle raison ?

— Il ne m’appartient pas de vous répondre sur ce sujet, c’est à elle qu’il faut demander. Au revoir, dit le banquier en fermant la porte.

Devant ce coup du sort, le retour de Jean-Lou fut rapide, il revint au domicile pressé d’interroger Chloé, qu’il trouva allongée sur un sofa.

— Ma chérie, mon tendre amour, s’écria Jean-Lou, je suis désespéré, je viens de la banque et j’ai vu le directeur qui me demande de payer le passif de mon compte avant demain soir !

— Mais, voyons, où est le drame ? Tu fais comme d’habitude…

— J’aurais bien voulu ! Mais le directeur m’a annoncé que tes comptes étaient supprimés. Tu peux m’expliquer ce qui se passe ?

— Ne t’inquiète pas, il doit s’agir d’un « bug », je verrais ça demain avec lui. Pour le moment, ce serait peut-être une bonne chose que tu manges avant d’aller rejoindre Mariko pour débarrasser ton bureau. Il faut que tu m’excuses de te laisser te débrouiller seul, une affaire de la plus haute importance va me retenir ici. De toute façon, on peut faire confiance à cette chère Mariko qui, je suis certaine, saura t’aider efficacement. Dis-lui que je m’apprête à vous remercier tous les deux pour toute l’affection que vous me témoignez. Il est temps de passer à table, mon amour, dit Chloé, le repas est prêt, excuse-moi de ne pas t’accompagner, mais j’éprouve un mal fou à digérer en ce moment. Par contre, mon Loulou chéri, je t’ai préparé un bon rôti de porc où pour qu’il soit plus savoureux j’ai choisi la truie, je l’ai accompagné de nouilles au beurre.

Sans se rendre compte de l’intention cachée par ces mots, Jean-Lou se régalait, loin de se douter de ce qui se tramait dans son dos.

Le moment tant attendu par Chloé venait sonner à l’horloge du destin, de ce fatum inéluctable qu’elle avait conçu.

Avant toute chose, elle utilisa la nouvelle clef enfermant Jean-Lou dans la maison, sans qu’il éprouve le moindre doute. Puis elle lui prit son téléphone, le cacha afin qu’il ne puisse pas communiquer. La première chose qu’elle fit ensuite fut de donner le signal à Roberto. D’après le plan arrêté, il devait suivre Mariko jusqu’au bureau et, dès qu’elle serait à l’intérieur, l’enfermer à clef. Ensuite, avec une bouteille munie d’une fine canule, pouvant glisser sous la porte, projeter de l’essence dans la pièce. Il suffisait de craquer une allumette pour mettre le feu et d’avertir en même temps les pompiers pour lui éviter une mort atroce. Cet accident laisserait supposer qu’il se soit agi d’une négligence.

Le téléphone de Chloé vibra dans sa poche annonçant un SMS : « Allô ! » qui n’avait de sens que pour elle, lui signalant que l’opération était lancée.

— C’était qui ? demanda Jean-Lou curieux.

— Aucune idée, un importun, comme d’habitude.

— Je vais te laisser, chérie, je dois aller rejoindre Mariko au bureau pour ranger mes…

Il fut interrompu par la sonnerie lointaine de son téléphone qu’il n’arrivait pas à trouver et en même temps celui de Chloé qui n’arrêtait pas de sonner.

— Réponds ! dit Jean-Lou, anxieux.

À la seconde même où elle décrocha, en ayant branché le haut-parleur, ce furent des cris, des hurlements de Mariko qui vociférait appelant « Au secours ! Il y a le feu et je suis enfermée ! Jean-Lou, viens de suite ! Le feu a gagné je vais mourir ! »

— J’arrive !… J’arrive !… Où est mon téléphone ? demanda Jean-Lou en invectivant Chloé méchamment, tout en bondissant sur la porte, qui refusait de s’ouvrir. Donne-moi cette putain de clef ! gueulait-il, et passe-moi ton téléphone !… Vite !… Vite !…

— Alors là, il n’en est pas question ! Mon gros porc, imaginer ton grand amour dans la détresse et qui va te détester de ne pas lui porter secours, va alléger ma souffrance de votre trahison. À l’avenir vous saurez que la « truie » n’est pas aussi bête que vous croyez.

Les appels désespérés et déchirants de Mariko qui s’époumonait à crier, rugissant tel un animal pris au piège, continuaient, devenant de plus en plus faibles, presque inaudibles…

Au loin, la sirène des pompiers se rapprochait pour s’arrêter devant cet incendie visible depuis la rue.

Jean-Lou avait arraché le téléphone des mains de Chloé et guidait les pompiers jusqu’à la porte fermée qu’ils défoncèrent.

Ils se précipitèrent au secours de cette torche humaine, encore vivante, à demi asphyxiée par le feu et la fumée, qui de ses mains cachait son visage tout boursouflé par les brûlures. Aussitôt prise en charge, elle fut dirigée vers l’hôpital des grands brûlés.

— Tiens, salaud de trouillard ! Dit Chloé, tu as là ton téléphone et la clef pour ouvrir la porte et aller rejoindre ton adorable beauté !

Sans un mot, dans une rage folle, il lui arracha la clef des mains, l’introduisit, tira sur la poignée de la porte à plusieurs reprises sans pouvoir l’ouvrir.

Il se trouvait à nouveau bloqué à l’intérieur.

« Cette salope croit m’enfermer, pensa Jean-Lou, elle va voir un peu ! »

Il prit une canette de coca vide, la déchira et utilisa l’astuce qu’il avait vue sur le Net. La méthode fonctionna, le pêne se libéra, il s’agissait de tirer sur la poignée pour ouvrir, ce qu’il fit.

À l’instant précis où l’ouverture eut lieu, il fut blessé par un explosif faisant voler une nuée de petits plombs vitriolés qui lui éclatèrent au visage, le défigurant par des stigmates ressemblant à la vérole.

Il partit en hurlant de douleur aux urgences qui confirmèrent des cicatrices à vie.

La Loi du Talion « Œil pour Œil et Dent pour Dent » venait d’être symbolisée par cette vengeance féroce que Chloé avait appliquée à ces deux usurpateurs qui avaient transformé ses sentiments d’amour en haine.

Pour Jean-Lou et Mariko, le temps apaiserait leurs douleurs, mais ne pourrait jamais effacer les traces imprimées sur leurs visages.

Leur avenir s’annonçait dans l’errance d’une recherche professionnelle qu’il leur serait difficile à obtenir.

S’agissant de Chloé, elle quitta le pays.

L’argent n’étant pas un problème, elle décida de partir en croisière faire le tour du monde. Elle avait la possibilité de s’arrêter à chaque escale pour découvrir de nouveaux pays habités par des peuples différents, parfois des autochtones dont la fréquentation était enrichissante.

Ce fut un soir que le hasard l’amena devant un feu de camp qui réunissait des gens misérables. Elle fut intriguée par la présence d’un homme qui les réconfortait en leur distribuant des soins.

Piquée par la curiosité et par la bonté de ce personnage, elle s’avança pour faire sa connaissance et lui demander son nom.

— Je crains que vous ne soyez déçue, chère dame, je ne suis qu’un simple docteur, un baroudeur, dont la mission est d’apporter de l’aide à ce peuple délaissé dans la misère et pour lequel tout le monde se moque royalement.

— Serait-ce indiscret, dit Chloé, de vous demander vos coordonnées, docteur ? À mon avis, votre œuvre doit être soutenue. Pour ce faire, je suis prête à vous aider du maximum qu’il me sera possible financièrement et amicalement, je suis entièrement libre et sans attaches sentimentales. Je sors d’une aventure sordide et mon but est d’oublier.

— OK ! ma chère amie ! J’accepte votre aide, rien n’est meilleur que de s’oublier soi-même dans l’amour qu’on donne aux autres, dit le docteur.

Il glissa un bras sur son épaule, l’attira à lui, et, lui effleurant les cheveux d’un baiser pudique, lui murmura la chanson de Joe Dassin : « Si tu t’appelles mélancolie ».

Se pourrait-il que Chloé puisse enfin trouver l’amour avec un homme droit et bon ?

Il lui faudrait bien du temps pour retrouver la confiance, elle avait été tellement flouée, humiliée et désabusée.

Enfin, « qui vivra verra », se disait-elle, mais, même sa vengeance accomplie, le souvenir de la trahison de ces deux êtres qu’elle avait tant aimés et ensuite punis pour leur félonie lui laissait le goût amer d’un vide qui serait, décidément, bien difficile à combler…


Fin

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