TÉLÉ-ÉCRAN

6 mins

Tout peut arriver lorsque les temps changent… Rien n’avait prédit que ce simple événement allait bouleverser toute mon existence. Avant d’aller me coucher, je programmai sur mes « Electrode Dream », le rêve qui m’accompagnait durant ces 20 dernières années. Une fois tombé dans les bras de Morphée, je dévale à toute allure les pistes pyrénéennes. Une grande blonde d’origine suédoise skie à mes côtés. Son physique touche à la perfection. Une beauté que l’on voit seulement dans les « Reality Show ». Après le sport, nous nous relaxons dans un SPA privatisé. Allongés dans des transats, on sirote un Brandy en admirant le soleil orangé disparaître derrière les montagnes.

Mon réveil sonna à l’aube. Ma journée commença de la plus banale des manières, rythmer par les mêmes habitudes prises à ma naissance en l’an 2075. Je décollai les conducteurs scotchés à mon crâne, puis installa sur mes épaules les bras métalliques de mon « Télé-Écran ». Je gobais ma barre énergisante qui contient assez de calorie pour que je tienne du levé au couché. Au coin de la rue, je prenais le tapis roulant A 62 qui m’amenait jusqu’à l’arrêt de bus voie 36. L’autocar me déposait ensuite devant mon lieu de travail. De là, je passais le portique de sécurité sans encombre puis monta à bord de l’ascenseur qui me laissa juste devant mon poste. Pendant tout le trajet, mes yeux étaient rivés sur mon télé-écran sur lequel était diffusé un documentaire au sujet des biens faits de la technologie d’aujourd’hui sur les rapports humains.

Comme celui des 86 autres employés, mon boulot consistait à analyser les réponses aux questionnaires « Happiness », créer par nos compatriotes américains. De ce fait, nous pouvions ensuite répondre aux besoins de la population et contribuer à leurs épanouissements. D’après les statistiques, le peuple désirait posséder une nouvelle marchandise : « Le Splash Boom ». Une pommade permettant de tirer la peau du visage à son maximum et de la rendre aussi lisse que celle d’un nouveau-né. Adieu les contraintes de la chirurgie esthétique. Sa commercialisation était prévue dans les jours à venir.

Mon travail me demanda une concentration considérable. À la fin de mes expertises, les chiffres, les réponses et les tic-tac de l’horloge m’avaient totalement lessivé. Pour me détendre, je plongeais dans une émission retraçant l’histoire de la fabrication des barres nourrissantes. C’est lors de l’interview de son créateur que l’incident s’est produit.

 Mon visionnage a d’abord été perturbé par des grésillements, avant que l’écran d’affichage ne s’éteigne complètement. J’avais beau frappé dessus comme une brute, impossible de le rallumer. Jamais encore, je ne m’étais retrouvé face à une panne sèche de ce genre d’appareil. Je sentais mon cœur battre dans ma poitrine. Dans mon crâne résonnaient des pensées produites par aucunes sources électroniques. Toutes venaient de moi. Uniquement de moi. C’est à ce moment précis que je pris pleine conscience de ma propre existence.

Je me rendis compte de l’environnement qui m’entourait. Assis au fond d’un bus crasseux, j’étais pris en sandwich entre deux personnes repoussantes. Elles n’avaient rien avoir avec les êtres humains que l’on voyait généralement sur les téléviseurs. Les yeux rivés sur leurs écrans, elles se goinfraient de leurs bâtonnets sans saveur. Je n’avais aucune idée de l’image que je renvoyais jusqu’à ce que j’aperçus mon reflet dans la vitre. Un relent d’écœurement me remonta le long de la gorge. « Comment avais-je bien pu me laisser aller à ce point ?! » Pris d’une panique incommensurable, je m’étais mis soudainement à hurler. Les passagers n’eurent aucune réaction. Le bus piloté automatiquement s’arrêta brusquement. Deux agents équipaient de masque virtuel firent leurs apparitions. Ils m’amenèrent de force à l’extérieur puis piquèrent une de mes veines jugulaires pour m’injecter une substance inconnue. Je m’endormis sur le coup.

Je me retrouvais dans ma tenue d’Adam attaché en croix à une table d’opération. Mes mains, mes pieds et ma tête étaient liées. Un médecin aux cheveux gras vérifia le bon fonctionnement de chacun de mes membres. Sur son graphique, il consulta avec attention les oscillations qu’émettait mon cerveau.

« Vous êtes en parfaite santé ! S’enchantait-il avec son accent scandinave. On va réparer votre télé-écran et tout va rentrer dans l’ordre. Mais avant, vous allez répondre à ce questionnaire. »

Il me détacha. Je n’avais pas touché du vrai papier depuis des lustres.

Répondre à toutes ces questions fut un travail laborieux. Depuis ma venue au monde, je ne mettais jamais retrouvé face à moi-même. J’étais confronté à mes doutes et à mes contradictions, avec le terrible ressentiment que le sens de ma vie m’avait échappé. « Mais qui suis-je ?! » me répétais-je sans arrêt. Au bout de 30 minutes de tortures psychologiques, je rendis le questionnaire entièrement rempli. Le docteur l’inséra dans une sorte de scanner. Devant les résultats, le nordique ne fut jamais aussi pâle. « Je n’avais jamais vu ça, en 30 ans de carrière ! »

Le dénouement était sans appel. Aucun objet, ni matériel ne pouvait répondre à mes besoins. Mon pouls s’accéléra et ma tension artérielle augmenta. Une crise existentielle s’empara de tout mon être. « Combien de temps devrais-je vivre sans mon télé-écran ?! » Lui demandai-je.

Me voyant à bout de nerf, le toubib pris du temps avant de me répondre. Il craignait ma réaction. Il bégaya : « Tr..Trois jours.. ». Son intuition était bonne. Je rentrais dans une colère noire. Le docteur appuya sur son bouton d’urgence caché sous son bureau. L’alarme retentit. Les lumières rouges s’affolèrent dans le cabinet. Je venais de perdre la raison. Enragé, je fonçai sur son bureau. Je le poussai jusqu’à aplatir le médecin contre le mur. Un filet de sang s’expulsa de sa bouche. « Mes ulcères ! » Gémissait-il de douleur. Alors qu’il était sur le point de claquer, il usa de ses dernières forces pour agripper son télé-écran et visionner les dernières minutes de son émission de télé-réalité favorite.

J’étais devenu l’homme le plus recherché de la planète, perdu en pleine métropole, encerclé par les gratte-ciels recouvert de spots publicitaires. J’étais la seule personne sur cette terre à ne pas posséder de télé-écran et à être nu comme un vers. Pourtant, je passais inaperçu aux yeux de mes autres congénères. J’étais comme un étranger, isolé du reste de la population. Le seul être vivant à la ronde entourée de mort-vivant dont la réalité était éclipsée par le flux d’image qu’ils dévoraient en continu. Au loin, je discernais une insigne représentant deux points d’eau reliée par un cours d’eau. Elle était mise en évidence sur le haut d’une tour. Ce logo était présent à chaque début d’émission. Il appartenait à la société « Dreamer ». Si je voulais des réponses, elles se trouvaient sûrement là-bas.

Je me faufilais facilement entre deux gardiens trop captivés par leurs télés portatives. Je passais sans problème le portique de sécurité étant donné que je n’avais avec moi que ma peau et mes os. Dans l’ascenseur était projeté la nouvelle bande-annonce de BIODESTRUCTOR 32. Une voix fluette annonça le terminus. Les portes s’ouvrirent sur une immense portail coulissant avec l’inscription :« Défense d’entrée ». Je tournais la poignée et la porte s’ouvrit. Plus personnes n’enfreignait les lois depuis que les gens étaient absorbés par leurs téléviseurs. Au centre de la pièce se trouvait une immense centrale recouverte d’une multitude d’écrans où étaient diffusés tous les programmes produit par « Dreamer ». Cette énorme machine était semblable à une atroce araignée géante. Des tuyaux métalliques y étaient reliés aux autres étages de l’édifice. Elle alimentait la ville d’une quantité de données ininterrompues, plongeant les gens à des années lumières de ce qui existe vraiment. Je surplombais le reste de la cité. Envoûté par l’impressionnante vue, je perdis la notion du temps. Le silence m’apaisa pour la première fois. De là-haut, je dominais le monde.

 À présent, le but de mon existence était clair. Je devais délivrer la population de cet automate démoniaque. De laisser la vie reprendre son droit. Le sort de l’humanité se jouait entre mes mains. Alors que j’étais sur le point de débrancher l’approvisionnement, je fus subitement hypnotisé par un écran diffusant un rêve déjà-vu. Celui qui tourne en boucle dans mon crâne chaque nuit. Je voyais cette station de ski luxuriante s’offrir à moi. J’observais ce magnifique top-modèle descendre la piste en chasse-neige. Un dilemme s’imposa. Préférai-je vivre dans une illusion rêvé ou dans une réalité déchirante ? Je posai ma main sur l’écran. Le terminal m’enveloppa tout entier. Je découvre la sensation de froid. Si j’avais su, j’aurais pris le temps de me rhabiller. Je suis nu et frigorifié. Chaque fragment de la station me semble si réel. Pourtant, je ne peux faire un pas en avant. J’attrape la suédoise par le bras, mais ma main passe au travers de son corps. Je suis coincé à tout jamais dans cette station fictive, condamner à passer l’éternité dans cette illusion en compagnie de la projection d’une femme toute aussi réelle qu’une émission de télé-écran à la con.  

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