Si j’avais su, je n’aurais pas attendu tout ce temps.

4 mins

Je n’arrive pas à me relever, mon sac à dos pèse une tonne. Foutus cailloux, foutues montagnes, foutues gorges ! Personne à des kilomètres à la ronde. Je suis à bout. Le paysage est magnifique, mais ces falaises menaçantes me font peur. Je ne suis pas habituée à ces paysages vertigineux, j’ai perdu tous mes repères. J’ai chaud, j’ai mal, et je me sens seule. J’ai envie de pleurer et de tout arrêter. De toute façon là, je ne peux pas continuer. Heureusement, j’ai toujours accès à ma réserve d’eau, même si comme moi, elle va finir par s’épuiser. Ça fait un moment que je lutte pour récupérer mon portable, mais je n’y arrive pas. Dans ma chute, il a été projeté un peu trop loin…

Je n’aurais jamais dû me retrouver là seule… Là, c’est au beau milieu des gorges de la Bourne entre Villard-de-Lans et Pont-en-Royan, à la frontière entre l’Isère et la Drôme. Ici même où ma cousine Alice est décédée lors d’un sauvetage. Une voiture ensevelie par des tonnes de pierre. Un accident fréquent dans ces gorges du diable m’a expliqué la propriétaire du gîte où j’ai fait étape à Pont-en-Royan. Des heures à déblayer pour retrouver une voiture aplatie comme une crêpe. Un orage qui éclate, un dernier « caillou » qui se décroche et projette Alice dans le vide. Mon Alice, avec qui j’ai été élevée presque comme une sœur, bien loin d’ici.

J’ai toujours eu le vertige. Pas forcément gênant quand on habite La Rochelle, me direz-vous. Pont-en-Royans, Villard, je n’y avais jamais mis les pieds. Je les connaissais à travers les récits de ma cousine. Elle vouait un véritable culte à la montagne en général, et au Vercors en particulier. Si nous partagions beaucoup de choses, je n’avais jamais trop aimé la montagne. Depuis l’accident, je la détestais, et le vertige, je l’avais du haut d’un tabouret.

Mais, j’avais un besoin désespéré de tourner la page. Pour cela, j’avais la sensation de devoir affronter celle qui m’avait volé Alice. C’est alors qu’avec Raphaël, nous avions décidé de venir sur les lieux du drame. Pour que j’accepte enfin : elle est partie en faisant ce qu’elle aimait. Au fond, je lui en voulais à Alice, et je jalousais la montagne. Ça prête à rire dit comme ça. Mais, comment avait-elle pu partir si loin, vivre une vie si différente ? Tout ça pour de gros tas de cailloux instables. Pour finalement y laisser sa peau à tout juste 30 ans. Pendant ce temps-là, moi j’étais sans elle à La Rochelle, où nous avons grandi.

Au tout départ, c’était une idée de mon psy. Aller sur place pour tenter de comprendre la passion d’Alice et d’apprivoiser un peu l’environnement à l’origine de mes souffrances. Raphaël avait pris le projet à bras le corps, il avait trop peur que je me démotive. Il s’était mis en tête que nous devions faire la randonnée des gorges de la Bourne, qui rallie, par les chemins, Pont-en-Royans à Villard-de-Lans. Plus de trente kilomètres sur des sentiers escarpés. Il y a de quoi s’imprégner. Se dépayser aussi.

Quand Raphaël m’a quitté, j’ai d’abord pensé tout abandonner. Avec le vertige comme seul compagnon, je ne pourrais jamais marcher le long d’un canyon. À quoi bon ? Puis j’ai compris que c’est pour moi que je devais aller mieux. Pas pour lui. Je devais pardonner Alice de m’avoir laissée pour faire sa vie. Pour cela, je devais me rapprocher d’elle plutôt que de m’en éloigner, comme je tentais de le faire depuis des mois, en ne sortant plus de ma coquille.

C’est donc dans cette optique que j’avais pris un blablacar pour traverser la France. Huit heures de route avec des passagers sympathiques qui m’avaient presque fait oublier un temps ma quête. Niort, Poitiers, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Valence, puis l’arrivée spectaculaire sur Pont-en-Royans en fin de journée. Les reflets dorés du soleil dans la Bourne donnaient un éclat magique aux maisons suspendues. Ces maisons qui semblaient plonger dans la rivière noire. J’étais transportée. Hors du temps. Je commençais à comprendre ma cousine. Je m’étais soudainement sentie proche d’elle malgré son absence.

Je suis partie au petit matin, car j’en avais pour une bonne journée de marche. Le début a été très difficile. Ma peur du vide me ralentissait énormément. Mais, très vite, subjuguée par le paysage, j’ai cessé d’avoir des idées noires. Dans les gorges, la profondeur, l’austérité du canyon m’ont autant enchantée et qu’impressionnée. C’était tout simplement spectaculaire. Plus j’avançais, plus je fatiguais, plus je me libérais de mon vertige. Mais l’euphorie a été de courte durée. La chaleur, le dénivelé, le danger incessant à flanc de falaise avaient finalement eu raison de moi.

Maintenant, je suis face contre terre, en train de rôtir, écrasée sous le poids de mon sac à dos. La situation est ironique quand on y pense. Il y a peu de chance que quelqu’un passe par là à cette heure-ci en plein mois de juillet. j’en viens même à regretter que des chenapans ne traînent pas par ici. Si j’arrive finalement à me relever, je ne sais même pas si je peux raccourcir par la route. Cette très belle route directement creusée dans la roche m’a-t-on expliqué à Pont-en-Royans. Cela me paraît tellement abstrait. Je suis vraiment dans un autre monde. J’espère que mes parents s’inquiéteront ce soir quand ils n’auront pas de nouvelles. Franchement, je ne sais pas si je tiendrais jusque-là. Je me fais violence pour ne pas céder à la panique et tente de rester optimiste malgré la situation dramatique. Après tout, je n’ai pas succombé au vertige tout à l’heure. Même si je finis à bout, ce voyage m’a déjà fait du bien. Je suis sortie de ma tanière. Il ne faudrait pas que ça soit la dernière fois.


Je me réveille groggy, dans ce qui ressemble à une chambre d’hôpital. J’ai la cheville strappée. Je me sens vidée, mais vivante.

— Ce n’était pas très malin de partir comme ça, seule et sans expérience mademoiselle, me moralise l’infirmier, entré pour vérifier que tout allait bien. Vous avez l’air d’une de ces savates qui traînent devant l’hôpital

— Au contraire, j’ai bien fait de faire fi de tous les sages conseils. Si j’avais su, je n’aurais pas attendu tout ce temps…

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6 Commentaires
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Curly Mc Hado
3 années il y a

C’est si bien raconté qu’on se demanderait presque si tu n’as pas vécu cette histoire toi-même ! Chapeau !

Gaëlle Galindo
3 années il y a

Je suis du même avis que Curly. Je trouve ça super bien raconté. Vraiment.

Équipe WikiPen
Administrateur
3 années il y a

Bonjour Aude,
Le Pen est ajouté au concours, bonne chance !

Ever Liliac
3 années il y a

Coucou ! Apres ton accueil chaleureux je suis venue decouvrir un peu ton ecriture. Le concours m’a semblé une priorité puisqu’il y a un timing. J’ai donc lu ta petite histoire. L’accroche est là puisque j’ai lu jusqu’au bout du texte et ta petite histoire etait sympa, bien racontée. J’ai liké donc ???? seul petit truc que j’ai relevé (puisque nous sommes la pour faire des critiques constructives) la repetition du nom des villes ou villages est de trop, la géolocalisation n’apporte rien de plus à l’histoire c’est plutôt gênant pour moi bien sur, ce n’est que mon point de vu bien entendu. Sinon comme tous le monde surement, j’attendais le moment des mots obligatoires à placer et attendre la fin est très judicieux pour nous faire patienter, c’est judicieux ! A bientôt

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