L’Ordinaire – Prologue

3 mins

Ottilia se terra à l’angle de la nef. Elle savait que son insolence lui coûterait cher, mais elle ignorait encore le prix de cet affront. La jeune fille se couvrit le visage de ses mains : une protection inutile. Il s’agissait surtout d’un moyen d’effacer ses larmes. 

Furieux, Salsian avait fait appeler Lioran des Istres, celui-là même qui l’avait amenée au Domaine un mois plus tôt. Le clerc avançait à grands pas sous les ricanements de ses camarades. Il allait la sermonner pour son impertinence. 

Ottilia le regrettait déjà. On était quand même tolérant avec les jeunes recrues, non ? Un petit mensonge de rien du tout, ça passait ? Certes pour les gros menteurs la sentence était sévère, mais pour de légers arrangements avec la réalité sortis de la bouche d’une fille de treize ans, on pardonnait. C’était tout ce qu’Ottilia espérait.

— Elle a accusé Emmelie du vol, résuma Salsian au clerc. Un sabre qui vaut une fortune. Elle le voulait pour elle et l’a gardé une semaine sous son lit.

Ottilia osa un regard sous son avant-bras, maigre protection contre une scène qui la glaçait d’effroi. Lioran des Istres posa ses yeux bleus clairs sur la jeune fille. La corneille sur son épaule croassa des reproches d’un son strident. En moins de deux, le clerc et le volatile étaient penchés au-dessus d’elle et le sermon débuta : 

— Lève-toi ! 

Il n’eut pas besoin de le répéter. Bras ballants, tête baissée, lèvre tremblante, elle se mit debout.

— Tu devrais avoir honte et être reconnaissante à l’égard de l’Ordinaire de te laisser une seconde chance. 

Une seconde chance ? Oui, ce n’était pas faux. Pour un vol couronné d’un mensonge, au mieux on souffrait le martyre, au pire, on mourrait.

— Une prière suffira, déclara Lioran avant de crier : Regarde-moi ! Fais face à ton déshonneur !

Ottilia hésitait à commencer le Premier poème, elle craignait de débiter des sanglots plutôt que des mots.

— Récite-le ! insista Salsian.

Derrière son maître d’armes et le clerc à la corneille, le décor devenait flou. Ses yeux s’embuaient de larmes dont le goût salé glissa jusqu’à sa bouche. Ottilia reprit son souffle et récita :

— Trois, tu te soumets.

— Depuis que tu as trois ans, Ottilia, tu exécutes les ordres, tu fais ce que l’on te dit, reformula Lioran.

— Cinq, tu… apprends.

— Apprends le Premier poème et connais-le à la perfection.

— Dix, commença Ottilia, la gorge nouée. Tu es honnête.

— Donc tu ne mens pas ! gronda le clerc.

La corneille s’envola sous le plafond et le battement de ses ailes retentit comme des coups de fouet imaginaires.

— Douze, tu pries, continua-t-elle.

— Chaque jour, au moins une fois, tu récites le poème.

— Vingt, tu es.

— Et toi, tu seras une grande Sabreuse, c’est ton destin qui est ainsi fait, conclut Lioran.

— Trente, tu as créé le fil, fit Ottilia en reniflant bruyamment.

— N’oublie pas d’avoir un enfant avant l’âge de trente ans pour perpétuer ton espèce.

Ottilia se tortilla les doigts. Elle approchait des derniers vers et espérait se libérer de l’expression courroucée de son mentor.

— Dans tes pas, ils te suivent.

Étonnée, elle entendit ses camarades et son maître d’armes se joindre à sa récitation : 

— Sur leurs traces, tu t’inclines ; Jusqu’à ce que le ciel s’ouvre ; Et que la terre te couvre.

Lioran eut l’air satisfait. Ottilia, quant à elle, était déçue qu’il ne les reformule pas. Pourquoi les derniers vers n’obtenaient-ils jamais d’explications ? 

— Bien, conclut le clerc. N’oublie pas, petite, que l’Ordinaire te surveille. Il saura te protéger, mais le jour où tu L’offenseras, Il te châtiera. Alors, ne vole pas et ne mens plus jamais.

La jeune fille acquiesça

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4 Commentaires
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d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Ca semble prometteur, j’attends la suite

Leconteur Benoit
2 années il y a

Bonjour – J’ai lu avec beaucoup de plaisir votre prologue. Je le trouve très bien écrit. Vos phrases, à la syntaxe généralement courte, sont accrocheuses. En outre, vous variez efficacement les tournures. Vous proposez un incipit "in medias res" très réussi où vous alternez le narratif, le descriptif et le dialogué. Le jeune personnage féminin est, d’entrée, d’une belle consistance, et j’ai envie de connaître la suite de son histoire. Bravo !

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