PDV LILIANE – Mercredi 17 Mars 2137
Je vis au foyer depuis mes un an, la première année de ma vie je l’ai passée dans un hôpital, puis, on m’a placée chez une nourrice avant de m’envoyer ici. Dix-sept ans que je suis là. Le quotidien est assez simple, nous devons aider une fois par semaine pour le repas et pour la vaisselle, et à 21h nous sommes libres de faire ce que nous voulons. Nous pouvons faire des jeux, regarder des films puis, tout le monde au lit. Je partage ma chambre avec trois autres filles, Marion, Aly et Lexie, elles sont sympas mais quand nous devons éteindre, que tout le monde commence à dormir, c’est le retour dans ces pensées, souvent triste pour moi. Tout le monde est cool mais je n’ai pas de vraie ami.e.s ici enfin c’est mon impression, ce ne sont pas des ami.e.s à qui je peux tout dire, à qui je dis la vérité quand on me demande : « ça va ? ».
J’ai aujourd’hui dix-huit ans, le foyer avait en possession une lettre avec mon prénom, j’ai été déposée devant l’hôpital à peine quelques jours après ma naissance et il y avait cette enveloppe sur moi. J’arrive devant le bureau de la directrice, je rentre et demande ma lettre.
Un jour au foyer, je me suis mis en colère, jalouse contre un enfant qui avait des nouvelles de ses parents, si je me souviens bien, l’enfant était là car ses parents ne pouvaient pas s’occuper de lui correctement. Les surveillant.e.s m’ont balancé au visage que mes parents n’avaient rien laissé pour moi, le soir même je me suis faufilée dans le bureau principal et fouillée tous les tiroirs, j’ai vu dans mon dossier un enveloppe avec écrit mon prénom. Malheureusement, la directrice m’a attrapée en plein délit, elle m’a dit qu’elle me la donnerait quand je serais majeure, pour mieux comprendre disait-elle.
Pourtant, je suis quand même énervée, parce que ce jour me rappelle sans cesse que je suis une orpheline. Je fourre l’enveloppe rageusement dans mon sac et m’en vais vers l’ES, Eeva est là m’attendant devant le bar avec un papier cadeau.
– Joyeux anniversaire ma chérie, dit-elle en m’enlaçant.
– Merci, dis-je doucement toujours dans ces bras, alors que la haine disparaît de mon cœur.
– Aller ouvre ! dit-elle en se reculant de moi puis, me mettant la lettre dans mes mains.
– Whaou… Tu as réussi à m’avoir un stage ? demandé-je ébahie.
– Oui, un stage d’observation à l’hôpital côté infirmerie, tu hésitais entre pharmacienne et infirmière, alors tu verras par toi-même si c’est ce que tu veux faire, c’est en juillet après l’examen !
– C’est génial merci beaucoup ! dis-je émue. Mince on va être en retard ! M’écrié-je en regardant l’heure.
– J’attendais quand tu t’en rendrais compte ! Rigole-t-elle puis, nous nous mettons à courir en se poussant gentiment.
Qu’est-ce que je ferais sans Eeva, c’est ma meilleure amie, ma sœur, mon âme sœur, nous nous sommes rencontrés en classe 12 à la rentrée, nous avons été placés à côté puis, nous nous sommes plus lâchés. Avec Eeva, nous nous disons tout et je sais que je peux tout lui dire, tous mes problèmes et toutes mes angoisses.
C’est pour ça qu’elle est avec moi maintenant. C’est la pause du midi, nous avons mangé rapidement enfin elle, toute cette histoire avec cette lettre me retourne l’estomac, je n’ai rien pu avaler.
Je la regarde une dernière fois et ouvre la lettre, à l’intérieur se trouve un papier un peu vieilli. Une écriture fine et penchée noirci la feuille. Mon cœur se serre à l’idée de découvrir ce qu’elle renferme. Prenant mon courage à deux mains, je décide de la lire à haute voix.
– C’est mon acte de naissance… Liliane née le 17 Mars 2119, mère : Daphné Dupont, père : inconnu. Quoi c’est tout ! Un nom ! Génial, ma mère m’a abandonnée car elle le voulait, elle n’a rien laissé pour moi, dis-je amère.
– Je suis désolée, dit Eeva, en me prenant dans ses bras.
Je reste un instant contre elle avant de m’éloigner, je sèche mes larmes et je me reprends en main.
– Ce n’est pas ça qui va m’achever, dis-je en souriant légèrement.
Cela confirme ce que je suis, une orpheline. Mais je le serais toujours. Biologiquement. Shay, ma mère dans mon cœur. Nous nous sommes connectées si facilement, elle et moi. Notre histoire à jouer, toutes deux abandonnées par leur famille.
XX
Après m’être calmée, nous sommes retournées en cours, j’ai comme matières svt, chimie et sciences sociales. Il est 17h, et nous sommes assis.e au bar de Shay, à une table contre le mur, je suis sur la banquette, en face Lucas et à côté de lui Eeva, nous sommes devant nos ordinateurs, je finalise mon dossier de stage. Le stage à la pharmacie… Je suis si indécise, notre stage était obligatoire pour cette dernière année d’école, il était important pour moi de le faire, pour voir si je peux et veux continuer directement dans le monde professionnel après mon diplôme. J’ai aussi envoyé mon dossier à l’ESS, nous verrons bien ce qu’iels vont nous répondre. Si je suis acceptée à l’ESS, j’irai mais si je ne le suis pas, je ne sais pas quoi faire. Le stage permet de voir si nous pouvons directement travailler, commencer à s’orienter, et espérer avoir des pistons ou de la chance comme Eeva. Maintenant que j’ai l’opportunité de voir aussi le métier d’infirmière, je pourrais mieux me décider pour la suite.
Il est bientôt 19h, nous rangeons nos affaires pour chacun repartir chez soi, mais Shay s’approche de moi, son attitude me semble étrange tout d’un coup. Que se passe-t-il ?
Elle s’approche et nous indique de la suivre à l’étage. Eeva fait signe à Lucas d’attendre dehors puis, elle me suit dans l’escalier en colimaçon.
– Bon j’ai cette information, commence-t-elle, mais tu ne dois pas me demander comment je l’ai eue, je l’ai eue c’est tout…
– Ok, nous t’écoutons, dis-je suspicieuse en regardant Eeva.
– Ça te concerne plus toi Liliane, mais Eeva j’espère que tu ne la laisseras pas tomber sur ça.
– D’accord, qu’est ce qui se passe ? S’écria Eeva, maintenant inquiète.
– Garde ton calme et arrête de crier s’il te plait. La MCPV va venir au foyer, ils vont prendre au moins trente enfants, en se concentrant sur les plus jeunes et ceux qui n’ont aucune famille, je ne sais pas qui ils vont emmener mais c’est direction la ville 1bis.
– Ils ont le virus, les enfants ? Demandé-je.
– Tu ne trouves pas ça bizarre qu’ils viennent enlever trente enfants au foyer, s’ils avaient le virus ils ne devraient pas être au bâtiment de la MCPV avant ? Et c’est une proportion infime pour que trentes enfants soient malades tous en même temps, dit Eeva.
– Euh, je comprends rien… dis-je.
– Quand arrivent-ils ? Ce jour-là, tu viens chez moi, tu seras en sécurité, dit Eeva, je ne vais pas t’abandonner Lili’, dit-elle en me pressant le bras droit en signe de réconfort.
– Elle sera en sécurité pour le moment, mais ils vont revenir et la prochaine fois ils vont emmener sûrement plus d’enfants ou même pas que des enfants du foyer. Il y a un gars, c’est mon ami, il s’appelle Rick, vous pouvez lui faire confiance. Il est infiltré dans la milice, vous montez dans son van, toi, Eeva et Lucas. Il vous emmènera en sécurité, c’est pour vendredi soir, explique-t-elle puis, elle repart aussitôt en bas en me glissant un papier dans la main, nous laissant à l’étage.
Nous nous observons avec Eeva, choquée, démunie face à ce que nous venons d’apprendre. Je suis bloquée sur cette information, mon cerveau repasse encore et encore les mots de Shay. Mais ce n’est pas possible ? Eeva a raison, il n’y aucun moyen pour que trente enfants soient malades en même temps, et surtout n’étant pas au poste de la milice… Sachant que les enfants des foyers ne sont pas pris au sérieux, que nous n’avons pas de famille, nous sommes quoi ? Sacrifiable ? Mais pourquoi ? Je suis en colère mais je ne sais pas pourquoi, mais j’ai en même temps peur… Partir comme ça ? Tout abandonner ?
Je sens Eeva me tirer vers les escaliers, je la suis automatiquement, mon corps agit mais ma tête ne veut pas. Nous sortons du bar. Je prends Eeva dans mes bras et lui chuchote à son oreille :
– Qu’est-ce qu’on va faire ?
– Pour le moment, on rentre chez nous puis, on s’appelle tout à l’heure,
Nous nous séparons et ils.elles prennent le chemin pour rentrer chez eux, je me retourne et avance dans la rue, je regarde le papier, c’est une photo, sûrement celle de son ami.
XX – FOYER – 22h du soir toujours mercredi
Je suis dans la cour arrière du foyer, il fait sombre, des poubelles m’entourent, il y a une petite odeur nauséabonde mais elle ne me gêne pas, c’est le silence qui m’entoure qui me met mal à l’aise. Je me dépêche de récupérer mon téléphone et enclenche l’appel. Je le coince contre mon oreille gauche et frotte légèrement mon bras. Il y a un petit vent frais qui s’engouffre dans l’impasse, mes cheveux s’envolent et resers ma veste autour de mon corps.
– Ouais, Eeva ça va ? Dis-je quand elle décroche enfin.
– Toujours choquée, mais déterminée à partir,
– Mais c’est de la folie Va’ on ne va pas faire ça, dis-je en essayant de ne pas crier.
– Je ne sais pas pourquoi la MCPV emmène ses enfants à la ville 1bis, mais tu crois qu’ils vont faire quoi ? Moi, pour être sûre, je ne préfère pas le découvrir…
– Tu ne peux pas faire ça ! M’énervé-je cette fois-ci, et Lucas, et ton père ?
– Arrête de dire ça ! Lucas vient avec nous, et mon père tu sais bien que c’est compliqué,
– Si tu viens je n’irai pas, dis-je sérieuse, tu ne vas pas tout abandonner pour moi, j’en vaux pas le coup, chuchoté-je.
– Eh ! Je t’interdis de dire ça, t’en vaux largement le coup tu m’entends ? Je ne compte pas t’abandonner.
– Oui, mais t’abandonnes ton père, et je sais que t’espères qu’il revienne vers vous…
Elle ne me répond rien, elle sait que j’ai raison, parce que c’est elle qui me l’a dit, qu’elle a encore de l’espoir.
– Je sais ce que j’ai dit, mais maintenant c’est plus le cas…
– Qu’est-ce qui se passe ? Demandé-je en fronçant les sourcils.
– Je pense qu’il a le virus, chuchote-t-elle, il s’est éloigné encore plus, et j’ai plus ou moins fouillé son bureau, j’ai trouvé une lettre pour un Elio Turner, en gros il lui demande de s’occuper de nous. Il y a aussi deux billets pour un voyage jusqu’à la ville 20. Ce nom ne me disait rien puis, j’ai lu la lettre plus en détail, c’est le docteur qui a accueilli ma mère en 2110.
– Whaou ok, mais tu l’as trouvée quand, cette lettre ?
– Dimanche… M’en veux pas, pour ne t’avoir rien dit, je ne savais pas trop quoi en faire, de cette information,
– Et t’as rien dit à Lucas ? Demandé-je, pas le moins du monde vexé.
Eeva va forcément me dire ce qui la tracasse, mais elle fait toujours un point seul avant de venir m’en parler, alors que moi je lui en parle tout de suite, parce que j’ai besoin de ses conseils.
– Non et puis je n’ai pas besoin de lui dire parce qu’on va partir avec toi,
– Eeva !
– Je lui dirai après, dit-elle abandonnant facilement pour une fois.
Elle avait sûrement déjà prévu de lui dire, on va dire que cette nouvelle information a précipité les choses.
– Très bien, Shay m’a donné une photo du type, je te montre ça demain, dis-je en abandonnant facilement moi aussi, parce que j’ai besoin d’elle puis, j’ai confiance en Shay si elle dit que le type va nous emmener en sécurité alors oui je vais le faire, je serai de tout façon plus en sécurité autre part que dans le foyer si jamais la milice revient.
– Super, bon à demain alors, dit-elle.
– A demain.
Je raccroche et retourne dans le bâtiment, je croise les autres autour d’un jeu, mais je n’ai pas envie de les rejoindre, je me glisse dans mon lit, tous les enchaînements ont raison de moi et je laisse mes larmes s’échapper. C’était une journée de merde….