Parchemin 1 de 3
Je n’aime pas la mer. Son tempérament est trop imprévisible, sa démesure n’est que sauvagerie. Impossible de la dompter, on ne peut que s’en accommoder. L’idée de devenir capitaine de vaisseau me rebutait, mais que des hommes puissent mourir à cause de moi, je ne pouvais le supporter. Malgré cela, mon mentor à l’académie navale, le commandant Parker, tenait à ce que je passe cet examen.
Le soleil venait de se lever. Quatre ans s’étaient écoulés depuis mon admission, aussi bien dire quatre siècles. Le WindAxe était un deux mâts au profil élancé. Ce navire-école avait été un second berceau pour moi comme pour tous ces compagnons dont le départ dans la vie avait pris une embardée.
En ce dernier jour de mon épreuve, la situation sur la passerelle était tendue, à cause de ces deux examinateurs externes, deux escogriffes aux airs de grands inquisiteurs. Leur mauvaise humeur tenait de leur désaccord sur la route imposée par l’Envoyé spécial du gouvernement. Ce type au regard de sépulture me reprochait d’en faire trop. Le capitaine du WindAxe, présent pour la circonstance, avait acquiescé à mes demandes du bout des lèvres. Mon échec était prévisible, mais la vérité, c’est que je me foutais de leurs opinions.
En dépit des sarcasmes de ces vieilles croûtes, j’avais réussi à rehausser la défense du navire. Des harponneurs postés à la proue allaient ouvrir la voie alors que des canonniers disposés sur les flancs avaient pour mission de tenir à distance les Animalus, cette nouvelle faune toxique apparue des suites du grand Réchauffement. Des escouades de sabreurs étaient en poste sur tous les ponts, sauf sur celui des Avariés. L’Envoyé avait bloqué net tout renfort au pont inférieur. « On ne touche pas aux intouchables. Les Avariés connaissent le risque associé à leur contrat ! » avait-il ajouté en crachant sur le pont. Recrutés chez les paumés et les désespérés, les membres de cette caste de navigants étaient méprisés des militaires. Aucun ne survivait plus de deux ans sauf une exception, une jeune psyché de dix-neuf ans, capable de transmission de pensée comme je le suis. Contre toute attente, la jeune femme commençait sa troisième année d’un contrat de cinq ans, aussi bien dire un suicide. De jour comme de nuit, on la voyait faire le guet, immobile comme une statue de marbre, vêtue de son armure bricolée à partir d’un fil de fer tissé serré. L’ensemble créait une cotte de mailles aux motifs artistiques qui épousait le mouvement de son corps même lorsqu’elle balayait l’air de ses larges coups d’épée. Angel.Eanor, c’était son nom, me faisait bander, comme d’ailleurs tous les autres blancs-becs de la passerelle. Côté ondes cérébrales, la demoiselle combattante n’était pas trop le genre à s’épancher.
« La barre à cinquante.» Le WindAxe planait sur la mer endormie. Le rideau de brume matinale s’ouvrit sur notre destination : le portail de Cérébrée.
Le silence se fit. Tous savaient que ces falaises aux reflets mordorés, dressées comme des lances, dissimulaient l’entrée d’un détroit sinistre. Coincé entre ces murailles naturelles, les turbulences de la mer et les vents contraires qui régnaient dans ce passage massacraient les navires.
Et il y avait les Animalus.
Le WindAxe obliqua vers l’Est. Je fis réduire la voilure et tirai le col de mon uniforme. Dans ce détroit, la mer se teintait d’une noirceur de deuil, sa surface couvertes d’embruns en permanence. Le vent se mit à siffler, l’obscurité figea l’équipage.
Voilà qui promet une belle (et effrayante) épopée homérique.
Les "avariés", c’est à peine caricaturé dans l’attitude de certains qui choisissent ou non de répondre à un bonjour. (Je sais je digresse, la conscience de classe, ou de caste, n’a pas disparue avec le révolution).
M’oui, mais c’est exactement de cela dont parle le récit. Les Avariés seront manipulés par le président Trompe qui tablera sur leurs sentiments d’injustice. Les choses vont assez mal tourner aux Archipels-Unis.
Le Président "Trompe", ça m’avait échappé! Bien joué.
Les "animalus" Q bien décodés…J’arrive tard. Tout est écrit à côté …
En fait les Animalus et (plus tard dans l’histoire) les Animala sont une dérive de l’Animus et de l’Anima, une référence à la vision symbolisée qu’ont les hommes des femmes et des femmes sur les hommes. Il s’agit donc des principes masculins et féminins qui s’affrontent. J’aime bourrer mes histoires de couches de significations cachées. Évidemment, ça complique les choses car tout doit être cohérent. C’est pour cela que je suis assez exigent envers moi-même. Ce texte est un écrit que j’ai rejeté parce que l’action prenait trop de place alors que le but d’un premier chapitre doit être de montrer la tension entre le désir profond du protagoniste et la peur qui l’empêche d’avancer dans la vie. La nouvelle version sera plus calme et surtout plus claire.
Moi j’aime bien cette version, mais je ne suis pas aussi exigeant.
L’action n’empêche pas d’introduire le"sens caché" et donne du souffle au récit.
Tu me donnes courage Christophe ! Merci.