Le navire s’engouffra dans le détroit de Cérébrée comme s’il avait été aspiré. Je fis encore réduire la voilure. On alluma les fanaux et le silence se glissa comme une angoisse enserre le cœur. Tous se mirent à observer le fil de l’eau sur la coque. Les murailles se rapprochaient de chaque côté du navire.
Le Lieutenant Jet.Parter surnommé ”DeFleur”, ramena sa tronche sur la passerelle.
— Lieutenant .Parter au rapport ! Mon… hum… mon Capitaine. (Ce titre était le mien pour la durée de l’examen. DeFleur en avait la nausée.)
— Prévenez le Sergent Diether. Il y aura des blessés.
— Tout de suite mon… » (DeFleur venait de sortir.)
La simple mention de l’équipe médicale me rappelait l’attentat de l’île de l’Adage. Cet événement ne me quittait d’ailleurs jamais. Des morts partout, des corps carbonisés, ceux de ma famille et du clan des Méditeurs au grand complet. Je les revois souvent en rêve, mon père forgeron, ma mère fileuse de mélopées. Avec mes frères et mes sœurs, avec mes compagnons nous avions vécu des jours heureux à flâner sur les rivages de notre île. Jusqu’à ce jour fatal.
À peine l’évènement avait-il fait la manchette. Les crieurs évitaient de parler des attentats, en particuliers ceux fomentés par notre Président. Les reportages s’intéressaient plutôt aux attaques des Animalus, ces créatures marines toxiques apparues après le grand Réchauffement. Ces monstres dévoraient les ressources de la mer, disait le gouvernement des Archipels-Unis. Une famine était à prévoir à moins de se consacrer entièrement à leur éradication. Je me tenais loin de ce débat.
« La voilure au quart » ordonnais-je. Sans surprise, les vents devinrent fous. Le massacre du WindAxe venait de commencer. Nous arrivions à la pince du corridor, le lieu idéal pour une embuscade. Je savais qu’on voulait me faire croire qu’un escadron de faux ennemis allait nous saupoudrer d’une grêle de projectiles. Mais j’avais ce foutu pressentiment qui ne me lâchait pas.
Le moustachu du Gouvernement gloussait de me voir silencieux, occupé à sonder les échos psychiques des Animalus. Je levai le cornet pour haranguer l’équipage. « Rappelez-vous que les escouades pairées se doivent un secours mutuel. » Les examinateurs levèrent les yeux. L’un d’entre eux lécha son crayon. Encore des points perdus.
Le ciel du matin n’était plus qu’une lézarde entre les falaises. Ici dans ce corridor de vent, il faisait froid. Dans cette obscurité, le WindAxe frôlait la paroi devenue verticale comme un mur. On aurait presque pu la toucher. « La barre à trente. Choquez les focs, bon Dieu ! Magnez-vous le cul ! »
Du haut d’un escarpement, un groupe d’Albavos severum s’élança dans l’ombre. Pas normal, pas à cette heure. Et puis il y eut un écho dans l’éther de la pensée. La main à la tempe, j’entendis le songe d’une rage animale. Quelque chose bougea dans les embruns. « Bon sang ! Vigie ! Vigie ! Sonnez la cloche ! »
Trop tard, le guetteur venait de s’écraser sur le pont. Mon cœur s’emballa. « Je ne veux pas être responsable d’une autre hécatombe ! »
C’est une dure épreuve qu’on soumet au personnage.
Comme un entraînement pour les bleus mais à balles réelles.
J’aime beaucoup la façon condensée de bâtir tout un monde, et même son histoire. Mes respects à l’auteur.