Du même auteur : Le conundrum – Les Critiques aquatiques – Trolloic Dumbing Down
Chapitre 2 – L’aggression
776 mots
Un appel de la Colonial Airlines pour les Bermudes déroula son tapis de soleil dans l’aérogare. À l’image d’une flopée d’oiseaux migrateurs, des voyageurs se levèrent d’un bond. Dans ce mouvement général, deux types pourfendaient la foule. Une angoisse étreignit la jeune femme. L’un d’eux, celui au Fedora, était un de ces marchands de cul installé dans le So-Ho. Il obliqua pour aller se poster un peu plus loin. Ce détail échappa à la jeune femme, surprise de voir le type en complet blanc s’engouffrer dans une porte réservée au personnel. La fermeture trop molle n’enclencha pas le loquet.
La môme s’approcha. Au bas de l’escalier, sous la lumière d’un établi, un employé en uniforme contemplait une masse truffée de fils électriques. L’homme en blanc lui donnait des instructions.
Un ombre la figea de peur. Un mélange unique d’eau de Cologne et de sueur lui fit remonter le temps. Un poussée et le vide. Fouettée contre la rambarde, Gerflynt chuta à coup de bonds et de rebonds pour finalement s’affaler sur le plancher. Les deux se retournèrent. « Occupez-vous d’elle, » rugit le Fedora du haut de l’escalier.
Elle hurla un mensonge. « Mon fiancé est sur mes talons. Il est armé ! » Sa voix alla se perdre dans le dédale de valises et de cartons à chapeaux. Le type en blanc approcha. Mouvement, réaction, à ce jeux, la grâce d’un vieil ours mal charpenté n’avait aucune chance contre la jeunesse. La pile de valises vola dans tous les sens.
Gerflynt battit en retraite. Toutes ces années dans les rues, son enfance passée à faire la sentinelle pour les dealers et les gang de malfrats, toute cette faune lui avait appris une chose. Ne jamais se rendre.
Un pas en arrière, sa main palpa un levier, une manivelle peut-être. À droite, le préposé logeait la bombe dans un bagage. Elle reconnut sa lingerie. Fraction de seconde perdue. Acculée au mur, elle n’offrait désormais pour toute défense qu’une chaînette de la vierge Marie noyée au creux de sa poitrine. L’égorgeur humecta ses lèvres. Deux monceaux de crevasses parsemées de poils barbelés. Sa main tendue pressa la gorge de la jeune femme. Le cartilage se déforma. La fraîcheur du fruit promettait d’être exquise.
Il ne vit pas venir l’engin.
Un craquement, des morceaux d’os s’envolèrent dans une giclée de sang. Gerflynt fit un pas vers l’homme qui gisait, inerte, la mâchoire déformée. « Bon sang ! Qu’aie-je encore fait ? » L’autre l’empoigna par derrière. Elle battit l’air de ses jambes et se contorsionna jusqu’à le mettre hors d’équilibre pour refaire le même coup. L’acier frappa le genoux et ce deuxième homme s’affala. Le temps pressait. Plus loin, le préposé bloquait l’escalier. Alors comme portée par un courant d’air ascendant, l’image du quartier de son enfance lui revint en mémoire. Tout ce quadrillage d’asphalte et de pierres aux odeurs d’égouts lui était maintenant interdit. Pas mal de gens la voulaient morte ou assujettie, chacun avait son grief. Histoires de rue. Trouver sa mère par des recherches directes lui était désormais impossible. Cette famille riche, ce job, la réussite de cette mission était son seul espoir.
Elle n’allait pas rater ce vol, quoiqu’il arrive.
Et puis, comme une onde de choc qui rebondit, le mec se redressa. Ce roulement d’épaules, cet air amusé, toute cette puissance musculaire lui étaient tristement familière. Les deux se toisèrent. « Si c’est pas ma p’tite Gerf. Le même air de sainte… Alors t’as finalement fait pute de luxe… et sans m’en parler ! J’t’avais pourtant avertie…
— Ta gueule Stewart ! »
Gerflynt se mordit les lèvres. Ses yeux se remplirent de larmes, puis une vague de honte la traversa. Même après quatre ans, même après toute cette violence, ce mélange unique de charme et de cruauté lui vrillait encore le bas ventre. Dans les rues du Lower East End, le rabatteur de fille s’était de longue date arrogé les droits sur la petite sentinelle. Il l’avait protégée, lui avait prodigué des conseils d’une voix paternelle allant même jusqu’à la nourrir. Les années passèrent. Et puis, il y avait eu le début d’un flirt, rapidement suivi par le jour du recrutement forcé. Les choses avaient mal tourné et aux yeux de la môme, personne n’était plus dangereux que ce salaud.
Mais en cette journée d’octobre 1951, la jeune femme n’avait aucune envie de mourir à nouveau. Elle gifla l’interrupteur. La poussière se souleva dans les vapeurs d’huile chauffée. Le convoyeur emporta les bagages dans une danse de la folie en direction d’une gueule béante percée à même le mur. Un battement de cil, la môme du Lower East End venait de disparaître.
Ouh, très mouvementé!
Je suis un peu perdu quant aux personnages, mais l’action est haletante, bravo!
Oui, je me rend compte que Jessy Stewart n’a pas été nommé au Chapitre 1. Il était un des assaillants près du convoyeur. Ah ! Ha ! Depuis toutes ces années… lol
J’ai été aussi un peu désorienté mais c’est bon je situe tous le monde maintenant. Enfin tout ceux qu’on a vue !