Chapitre 27 – Le port de Marseille
Novembre 1951
Quai de la CGT
600 mots
La route vers le port de Marseille s’était faite dans le silence. Le camion, cette fois, avait dû progresser à coups de freins pour assurer la descente vers la mer.
Les docks suintaient le mazout, comme toujours. Dans ces effluves de cambouis, des marchandises volaient en tous sens, ballottées par le mistral comme des papillons fragiles au bout de leur câble. Tirés du ventre des navires, des produits d’une époque coloniale pas encore révolue étaient déposés au sol. Sacs de coton, cartons, coffrets de bois, tout ce vrac de biens issu de la sueur humaine était transporté à dos d’homme. Mais pour les travailleurs du port, rien n’était plus lourd que le poids du cercueil des soldats français. L’Indochine et ses denrées à bas prix se payaient cher.
L’humeur de Falsetti ne s’était pas arrangée. L’homme sauta sur les freins en maugréant. « Il doit y avoir une taupe… » À l’entrée du quai, un cordon d’interdiction s’assemblait à la hâte. Sous la harangue d’un chef, d’autres dockers approchaient au pas de course. Bienvenue sur le territoire de la CGT.
L’italien ouvrit la porte. Un bond sur le marchepied, un autre sur l’asphalte, en quelques enjambées il se retrouva sur la ligne de démarcation nez à nez devant le chef des opérations. Les deux s’engueulèrent. Gerflynt se maudit de ne pas avoir fui au premier poste de contrôle. Elle se déplaça côté conducteur. Dans le rétroviseur, une camionnette arrivait sur les chapeaux de roues. Claquement de portières, les deux truands descendirent et s’approchèrent du bâché avec trois types en blousons dans leurs foulées.
Aveugle dans cette direction, elle se concentra sur l’entrée du quai où la tension montait. Le Chef s’obstinait à refuser l’accès alors que le nombre de dockers à ses côtés ne cessait de croître. Et puis, quelque chose d’indéfinissable se produisit. La jeune femme jura avoir aperçu une ombre dans le rétroviseur sur sa droite. Un type tentait de se soustraire à sa vue. La respiration coupée, la môme se jeta sur tout ce qui pouvait servir à se défendre. Un couteau de combat dans le sac de Falsetti : trop gros, impossible de l’utiliser dans ce réduit. Deux calibres, un .38 et un .45. chargés à bloc, deux monstres à se foutre dans les poches de vareuse, mais il fallait mieux. Boîte à gant : enfin quelque chose d’utile. Un couteau Springer, sournois, léger, rapide. Le coupe-carotide parfait. Un rappel de ce nuage de gouttelettes sur sa petite robe vint la hanter. Le jet d’une artère, vaporisé sur 15 pieds de distance l’avait enveloppée. Son esprit se bloqua. Le quartier où elle avait grandi était bourré d’assassins. Le Springer logeait parfaitement dans sa main. Une simple vérification lui permit de constater l’essentiel : la lame encastrée avait une détente de cobra. « Il me faudra plus encore… » Elle fouilla. Cartes routières, factures, coupons rabais… Un mouchoir blanc brodé à l’enseigne d’une boîte d’effeuilleuse. L’empreinte d’un baiser imprimé au rouge. « Euh… » Il y avait urgence, il ne fallait pas s’arrêter, l’angoisse en tenaille, elle poursuivit sa fouille. « Juste une petite lame de rasoir… Putain, juste une, …pour le dernier moment, quand ils me tiendront. » Ses doigts se posèrent sur une masse de métal noire. Ses yeux se plissèrent. Une odeur. « Ce malade astique ses grenades à la cire… » Une pression sur le levier, la goupille s’enlevait facilement. Le fruit de la passion était armé.
Un cognement à la fenêtre se fit entendre, délicat, furtif comme un coup de gong. Il ne lui restait peut-être qu’une minute à vivre, mais ces ordures allaient payer.