Chapitre 28 – Bienvenue à la CGT
Novembre 1951
Quai de la CGT
621 mots
Dans le rétroviseur, la môme reconnut le fœtus avarié, le pisseur à l’œil de fouine aperçu au matin. Son regard de dément la fixait d’un désir sauvage. Une rangée de dents à chier, la langue dressée en saccade, son éminence du respect sonda sous la portée du miroir. Un bruit, comme un grignotement dans la serrure. Gerflynt n’attendit pas. Elle fourra le matos dans ses poches et ouvrit avec fracas.
Le temps de pivoter et le puant, la tête sonnée par l’impact de la portière, se retrouva adossé contre le camion, le Springer sur la gorge. Gerflynt sentit la chaleur d’une bouffée de jouissance. Sans doute avait-elle participé à trop de rumbles [1] dans les rues de Brooklyn. Sans doute était-ce un relent de cette accusation d’incendiaire, suite à une plainte faite par un honnête homme, son violeur, le propriétaire de ce noble établissement où elle avait été enfermée dans une chambre de défonce. Le juge ne lui avait laissé que deux choix : l’école de réforme ou l’offre généreuse faite par les religieuses de la Sainte-Rédemption, celles-là survenues d’on ne savait où. Le choc lorsqu’elle s’était retrouvée dans un couvent situé au milieu d’une campagne verdoyante. Sa rage hurlée à pleins poumons, ses séances d’auto mutilations, des confrontations aux allures d’interrogatoires menées par la Révérende Mère. Suicide interdit, reddition, sans condition. Sa marche vers la normalité, jamais complètement atteinte.
« Ne bouge pas et ferme-là, » dit-elle en s’étirant le cou. À gauche, une coulée de sang s’étirait du pare-chocs arrière. Plus loin devant, sur sa droite, les trois brutes en blousons distribuaient les gourdins aux hommes de Falsetti, les truands en imperméable ayant l’air de superviser le tout. « Mais que se passe-t-il ? » Gerflynt cracha mentalement sur l’Italien, mais c’est à ce moment qu’elle remarqua cet air de ne pas trop piger sur le visage de sa douzaine d’hommes. Elle comprit que le contremaître devait macérer dans la flaque de sang aperçue plus tôt. Les gueux se déployèrent en une ligne molle, les truands derrière, l’arme levée sous le pan de leur manteau. Quelque chose marchait à cloche-pied au royaume de la merde, Gerlynt n’oublia pas de raffermir la lame sur la carotide. « Toi tu ne bouges pas, parce que cette lame, je pourrais décider de te la foutre dans le cul. »
Falsetti se retourna. Furieux, il renvoya tout le monde au camion. Mais il changea rapidement de ton lorsque personne ne bougea sauf les trois brutes qui s’approchèrent de lui. Le plat de la main relevé, ses yeux noirs bondissaient partout.
Gerflynt comprit que Falsetti allait se faire massacrer : Si l’assaut était donné et qu’il survivait à l’échauffourée, les trois brutes allaient terminer le travail eux-mêmes au milieu de la confusion. Dans les deux cas, la CGT allait boire la tasse. Mais elle déglutit à sec. Dans cette affaire, elle servait de paiement.
Les choses dégénéraient. Sur la ligne, les syndiqués étaient maintenant armés. D’autres types rejoignaient leurs rangs. L’avantage du nombre venait de basculer. Le front syndical se mit en mouvement. Falsetti se retrouva en souricière.
Le Springer pénétra la cuisse. La fouine hurla …en Russe. « Désolé Popov ! » dit-elle. Haletante, elle se coiffa d’un béret et enfonça le reste de sa chevelure dans son col de manteau. « Avec un peu de chance, ils me prendront pour un mec. » Un coup d’œil au moment de dissimuler son foulard de soie. Les deux lignes étaient sur le point de se fracasser, barres de fer et clés à molette d’un côté, gourdins timidement dressés de l’autre. Un sprint. Gerflynt se retrouva dans ce qui restait du no man’s land. « Stop ! » hurla-t-elle, la grenade brandit à bout de bras.
Les partis se figèrent.
[1]: Rumble : Au sens figuré, désigne une guerre de rue entre des gangs.