Chapitre 36 – Avon Arlington Extorqueuse de criminel
Décembre 1951
Petit quai de la Sargasse
614 mots
Quickegg descendit l’échelle du quai et sauta sur une plate-forme flottante d’où il prépara la chaloupe dotée d’un mât et d’une petite voile qu’il ne déploya pas. Le boxeur disposa les rames dans les taquets et se tint prêt.
Le visage de Sorensen était éclairé par un rayon de soleil. Une rareté dans ce lieu étroit à l’eau poisseuse couvertes de flaques d’huiles et de débris végétaux.
« Faites très attention, mademoiselle Glåss. Vous êtes impliquée malgré vous dans ce qui est considéré par un affront fait au clan par cette femme.
« Il y a quatre ans, au décès de notre père, Harriet a fait examiner les livres de la General Supply, l’entreprise américaine dirigée par Eleanor, mais créée à l’origine par la comptable lors de son séjour à New York. Certains des fournisseurs de l’entreprise ne purent être retrouvés malgré les factures reçues. Pire encore, les montants payés semblaient s’être agglomérés au fil du temps.
— En quoi est-ce que ça me concerne ? demanda Gerflynt les sourcils froncés.
— Les agglomérats correspondaient aux décès des demi. Le total dépensé pour ce poste budgétaire ne variait donc pas.
— Quelqu’un trafiquait les livres ?
— Et de longue date. Le staff de l’entreprise a payé des versements réguliers sans se poser de question. Un demi, une facture, un paiement. Il y a même de la correspondance.
— Qui était le destinataire final ? Gerflynt sentit son cœur battre.
— Cette recherche à pris du temps à cause d’une fragmentation infinie dans la chaîne de paiements bancaires et d’un transit à travers des dons de charité.
— Venez-en au fait.
— La fin de cette chaîne aboutit à l’adresse d’une obscure boîte postale dans le Tonkin, quelque part dans le Sud-Est asiatique. Les chèques étaient encaissés là-bas.
— Le Tonquin ? Gerflynt crut défaillir.
Sa révérende mère était bien la dernière personne qui pouvait faire partie d’une fraude, sauf peut-être pour des criminels. Il était connu que cette femme n’avait pas froid aux yeux.
— Il a fallu envoyer l’homme de confiance de Loïc.
— Jessy Stewart s’est rendu au Vietnam ?
— Avec Grenier.
— Je les ai croisés à l’aéroport, pensa la môme le cœur battant.
Sa demande pour se joindre à la communauté en Indochine avait longtemps été considérée comme ridicule, les religieuses estimant qu’elle n’avait pas la foi. Mais voilà qu’un matin, sans prévenir, l’idée était devenue acceptable. Sa révérende mère savait quelque chose. « Il vous était facile de découvrir cette anomalie monsieur Sorensen…
— Les livres comptables ne m’intéressent pas. Et puis je ne suis pas très proche de ma famille.
— Donc ce serait cette mystérieuse femme qui aurait organisé la fraude…
— Elle a mis en place le stratagème dès la création de la General Supply.
— Avez-vous aidé votre frère dans ses recherches, monsieur Sorensen ?
— Ça non ! À ce jour, il tente de retracer une Anglaise née à Canterbury. Mais tôt ou tard, il découvrira une piste. »
Gerflynt leva des yeux implorants. « Comment était-elle ? Je veux dire…
— Tout à fait vot’genre : de l’audace, un acharnement fou et une incurie pour les convenances.
— Aucun doute qu’elle soit dans les emmerdes, répondit Gerflynt.
— Elle est née à Salisbury.
— Vous avez trafiqué les documents ? …pour nuire à Loïc ? »
Ülf regardait ses pieds. « J’en suis venu à les détester tous. Je n’attends plus rien d’eux. Et puis, j’aimais bien Avon Arlington. »
Les traits de Sorensen paraissaient libérés d’un poids. « Commencez votre tournée par Salomon l’Antiquaire. Vous n’avez plus que trois jours à vivre, petite mademoiselle. Loïc et Stewart arrivent à Paris par le prochain vol. L’intention de mon frère est de se saisir de vous pour forcer Avon à sortir de son trou. Vous crèverez toutes les deux ensembles. Votre fin sera horrible. »