Le corps – Partie 2

2 mins

Le corps

Partie 2

478 mots

Acte 1 Bloc 1 Beat 2


     Les derniers jours de ma vie s’écoulaient entourés des photos de mon épouse et de nos cinq enfants. Il me fallut ce jour-là enfoncer un clou pour suspendre un cadre. À peine avait-il traversé la cloison que deux bras luminescents se croisèrent pour tenter de l’extraire. Un geste de la serre de mon marteau et le dard de métal s’en alla valser à l’autre bout de la pièce. 

     Je restai coi et décidai de ne pas faire de cas de cette vision. Bof. Avec toutes les pilules qu’on me donnait, je n’allais pas croire au spirituel.

    Je sentis tout de même le besoin de toucher la zone avec mes paumes. Il me sembla que quelque chose souffrait à cet endroit. Et alors cette vibration et cette chaleur se manifestèrent à nouveau. Le contact de mon front provoqua l’extraction de son équivalent. Un nez, des pommettes et un facium au grand complet jaillirent du mur. Cette fois, pensai-je, j’étais mûr pour l’internement. 

    Le visage translucide qui venait de se montrer était harmonieux, ses traits encore diffus exprimaient une souffrance intériorisée. La caresse de mes paumes l’aida à se sculpter. L’affinage des lèvres me procura, je l’avoue, un plaisir exquis. Sous l’empire de mon appel, la tête au grand complet poursuivit son extrusion mais cette dernière, sitôt sortie, tomba penchée en avant, comme si le cou avait été chargé d’un fardeau. Il régnait dans ce regard une fièvre lancinante, celle procurée par une chair active, pleine de besoins, mais les yeux, ces yeux-là, étaient hantés par le désir d’aimer. La rencontre de nos regards alluma une braise entre nous. 

   Je tirai vers moi le reste de cet être de beauté et un corps complet jaillit du mur. 

   Nous nous regardâmes.

                                   *                         *                         * 

   Dans les jours qui suivirent je réalisai toutes les limites imposées à un corps qui n’existe qu’au contact d’un mur. Cette beauté radiante de féminité pouvait se retourner pour me montrer ses fesses, mais alors il lui fallait garder la tête plongée dans le plâtre. Il y avait aussi que la peau de ce corps, qui était toujours lisse, révélait à mon touché un rappel de la matière du mur dont il s’extrayait. 

   Et puis, il y avait que cet être magnifique ne pouvait parler. 

    C’est ici que j’aurais dû m’arrêter. 

    Mais mon esprit est ainsi fait qu’il devient obsessif. Tous savent que l’âme cherche le bonheur par la liberté et qu’on ne peut aller contre la nature des choses. Miracle pour miracle, il devait être possible de donner chair à cette forme et ainsi de la libérer de cette maison qui la gardait captive. Je doutai un moment qu’une existence humaine allait lui donner le goût pour l’errance, mais à quoi bon s’en faire, ma vie s’achevait.

    C’est ainsi que je me fis le serment de donner un corps à cette âme errante, à cette beauté éthérée.

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3 Commentaires
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P. Maryse
2 années il y a

J ai hâte de lire la suite…

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