Le corps – Partie 3
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Les effets de ma décision se firent sentir rapidement. Des piles de livres anciens, des manuscrits provenant d’époques et de régions diverses et même des parchemins hiéroglyphes s’amoncellèrent dans toutes les pièces. Ma seule exigence, au moment de les acheter, avait été qu’il y fût mention d’esprits. Il y avait même des ouvrages sur les démons, allez savoir. Tout cela devait être monté dans les combles que je faisais aménager en antre de travail.
Un hacker engagé pour la circonstance m’installa un ordinateur puissant. Le générateur d’incantations acheté sur e-Bay nécessitait à lui seul un environnement isolé. Le courriel, l’engin de forage, les portails spécialisés, bref, chaque fonction devait être affectée à un visuel distinct. Je pris la précaution de faire construire un mur de quelques mètres de largeur allant du plancher jusqu’à la toiture mansardée. Cet espace mural allait permettre au Corps de venir se lover contre moi ou de se mettre à l’aise sur un canapé derrière ma chaise. L’idée que cet être puisse se sentir abandonné me tordait les boyaux. Nous avions tant de choses en commun.
Je travaillai ainsi plusieurs semaines et ma tendance à me négliger ne passa pas inaperçue. C’est ainsi qu’une assiette soulevée à travers les marches de l’escalier glissa tout au long du plancher en avançant un tapotement à la fois, l’objet parcourant la trajectoire des murs de l’étage au-dessous. Ce repas atterrit sur mon bureau, ramassée par le Corps qui s’étira dans une contorsion magnifique à partir du mur près de ma chaise.
Cette aide concrète m’était d’un grand réconfort. Je notai avec amusement que le Corps réagissait à mes différentes lectures. Un ouvrage rédigé par la chercheuse Mary Grimmins la fit particulièrement réagir. Il était question d’un archange appelé l’Ange noire dont la mission consistait à damner les âmes d’un type particulier. Les gourous, les pasteurs corrompus, les faux grands hommes, bref les criminels à couvert se présentaient aux portes du paradis avec à leur compte, seulement de bonnes actions, alors que les hordes de leurs supporteurs tombaient aux enfers pour avoir agi avec naïveté dans l’idée général de leur enseignement. Mais l’œuvre du professeur Grimmins attira mon attention pour une autre raison. Il était écrit que l’Ange noir avait l’autorité de renvoyer sur terre les anges gardiens de ces hordes de damnés en les enfermant dans des corps humains afin de leur faire expier leurs échecs.
Durant cette lecture, le Corps se contorsionna dans une chorégraphie dont il avait seul le secret, son lien avec le mur n’étant assuré que par une jambe tendue raide, alors que l’autre entourait mon tronc dans une caresse enveloppante. Son bras autour de mon torse et l’autre dans ma chevelure assuraient une partie de vadrouille voluptueuse. Et puis, ses lèvres brûlantes me couvraient de baisers alors que ses mouvements de tête nerveux projetaient des rideaux de cheveux sur mon front. Je ne sus dire si le Corps donnait ou cherchait du réconfort pour lui-même. Je ne l’avais jamais vu dans cet état. Dieu est cependant témoin de mon lien spirituel total à son égard. Mon amour pour cette créature était complet, total et fusionnel. Mon âge avancé ne rendait que plus urgent de lui donner sa liberté avant ma mort.
Mes recherches me conduisirent à un autre écrit de Mary Grimmins, celui-là publié dans « The Journal of Supernatural Beings ». Je me redressai. L’Ange noire pouvait donner vie à des esprits en errance. N’était-ce pas ce qu’était le Corps ? La piste était prometteuse.
D’après mes lectures la devise pour obtenir ce genre de services était généralement les âmes elles-mêmes, rien de rassurant. Des exécutions, des tortures sinistres avaient servi de paiements au moyen âge. Le Corps se resserra contre moi, je crus bien percevoir un frisson sur sa peau qui avait ici la texture du gypse.
Le répertoire des chercheurs en sciences occultes me permit de trouver l’adresse courriel de la chercheuse de Harvard dont le centre de recherche, cette fameuse église, se trouvait près de Boston. « Pfftt… Deux heures de voiture, » fis-je.
Le déluge de caresses nerveuses me fit comprendre qu’il m’était impossible d’y aller seul sans mon Corps. Je tapotais le bureau. Déplacer la maison était impossible, mais…
La solution était évidente.
Ohhhhh je suis flattée d’avoir pu t’inspirer un tel écrit ! J adore ton histoire de plus en plus.
Merci Maryse ! Oui effectivement je t’ai donné un rôle dans cette histoire, il le fallait bien, puisque tu m’as inspiré le thème ! …et merci encore pour tes encouragements, ça me fait chaud au cœur !
Édit : Je me suis demandé si je ne devais pas convertir Grimoire en Gremere plutôt que Grimmins. En effet, le Français Paul Rivoire, un acteur bien connu de la révolution américaine avait changé son nom pour Paul Revere.
Je préfère Grimmins…entre les frères Grimm et les Gremlins 🙂
Je ne connaissais pas Paul Revere, j ai fait des recherches du coup. Il était orfèvre, un artiste. Du coup, je comprends l hésitation.
Alors ce sera Grimmins ! 🙂