Le Corps – Partie 6

6 mins

Le Corps – Partie 6

Acte 1 – Bloc 2 – Beat 6 – Conséquences de la décision 

1 484 mots 

    Les graminés ondulaient sous la caresse de la brise. L’horizon en flamme inondait les champs d’une lumière mordorée, baignant les blés d’un aura de paix et de sérénité. La grâce de cette étendue végétale n’était interrompue que par la seule présence d’une église dont la flèche élancée tendait un lien sacré avec l’éternité. 

    Le Humvee labourait la terre boueuse dans le hurlement de sa suspension lorsqu’il rebondit sur une ornière pour s’échouer le capot levé dans un nuage de vapeur. Je coupai le contact.

     L’adresse était bien celle indiquée par Mary Grimmins dans son premier message. 

    Je pris le M16 et me hâtai en direction de la porte en chêne massif, la tête hurlante, l’esprit rempli d’images d’horreur alors que je pataugeais dans la boue. Il m’avait fallu frapper le Thérianthrope, réapparu en une réplique de ma mère, m’implorant de ne pas tirer. Et le couloir de l’enfer ! Une abomination ! J’entends encore les cris des forcenés lorsque le train se mit en marche. Cette ferraille sulfureuse n’était capable que de les propulser sur deux mètres, un bond à la fois, suivi d’une pause. À toutes les minutes, une détonation, à toutes les minutes une propulsion dans la terreur et les cris. Les encagés ne pouvaient même plus désirer la mort, enfermée dans une chair désormais immortelle, abandonnée à la cadence de cette mécanique aux rouages désorganisés. 

    Et le Corps qui se trouvait perdu dans cet endroit, seule et désespérée. Elle avait été, de par sa nature, impuissante à contester mes décisions et moi, incabable d’autre chose que de décevoir, comme d’habitude.


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    À bout de souffle, je grimpai à quatre marches l’escalier du parvis. Le battant de la porte s’enfonça dans un air épaissi par l’encens, offrant à ma vue une nef baignée par des faisceaux inclinés comme autant de rampes d’accès vers le paradis. À bout de souffle, je luttai pour ne pas m’évanouir. Des moines et des civils travaillaient dans ce lieu, certains penchés sur leur clavier, d’autres attroupés par petites équipes autour d’un générateur d’incantation, je le savais grâce à mes lectures. Quelques-uns s’occupaient à l’examen d’objets étranges, apparemment ramenés des confins de la planète. L’écran mural, installé sous un énorme crucifix, affichait une nuée de statistiques sur une mappemonde saupoudrée de symboles étranges dont les positions étaient suivies. 

    Le murmure d’une conversation me fit tourner la tête vers deux femmes en jupes et tailleurs, debout sous une statue de la vierge Marie. Je reconnus Mary Grimmins, la vraie cette fois. À ma grande surprise, son interlocutrice n’était autre que la fille au Glock du Bewitched. Impossible qu’elle soit ici, j’avais roulé à tombeau ouvert sur l’autoroute. Je m’approchai en boitant sans m’en faire avec le bruit de succion de mes bottes trempées de boues. Il y avait cette crampe à la poitrine qui ne me lâchait pas et mes comprimés de nitro qui étaient restés dans la Humvee. J’arrivai enfin, incapable de parler. Le professeur Grimmins me harponna. « Vous êtes en retard, monsieur de la Forge. »

— Il y a urgence, dis-je à bout de souffle.

     La femme me considera en silence. Sa gifle faillit m’étendre au plancher. À voir son visage, la fille au Glock se retenait de m’achever. 

— Où est-elle ? Où est le Corps ? hurlai-je dans le feu de la douleur. Parlez au nom de Dieu ! »

    L’éclairage baissa d’un coup. Tout le monde se renfrogna. Le silence se jeta sur l’église.

— Ne jurez ici sous aucun prétexte ! répondit Grimmins les dents saillantes, prêtes à me déchirer.

     Un prêtre descendit de l’hôtel et nous doucha d’une giclée d’eau bénite. 

— Suivez-moi, ordonna-t-elle.

    La noblesse sur les traits de cette femme était de loin supérieur à sa réplique. Les forces du mal avaient omis cette aura de douleur, celle de se sentir différente, isolée de ceux qu’on aime à cause d’une tare. Trop de dons pour certains, pas assez pour d’autres. Bienvenue chez les anges incarnés.

     Le professeur émérite ouvrit une porte en bois teint, assez lourde pour devoir la pousser à deux mains. Son cul par contre, était conforme à la copie, impossible d’améliorer la perfection.

    Je marchai en me tenant le cœur, le front dégoulinant. Nous entrâmes dans une chapelle éclairée par la seule lueur de multiples rangées de chandelles. Un christ en croix jetait un regard empli de mansuétude sur les murs ornés de gravures du moyen âge. Des empalés, des brûlés au bûcher, bref je dus me secouer. Dans le genre, je venais de faire le plein.

    « Ces histoires de Thérianthrope et de Sylvanium, parlez ! Dites-moi où est le Corps, j’irai le chercher, implorai-je.

— Calmez-vous ! Les traits de Grimmins se couvrirent de gravité.  

    » Je devrais vous faire la révérence, mais j’en suis incapable. Ainsi, pour un deuxième siècle d’affilée aurons-nous eu les honneurs d’un Sylvanium dégénéré, une purée d’avorton, un incube de seconde classe. Ça nous a coûté les deux grandes guerres et cette fois encore, c’est reparti. D’abord l’incendie de Notre-Dame et maintenant l’Ukraine…

— Épargnez-moi vos élucubrations ! Dites-moi où est le Corps où je vous flingue.

     La fille au Glock dégaina. Je levai une main défensive. Je tenais à peine debout, le souffle toujours à la remorque.

— Sans doute est-elle dans une cage, en route pour l’enfer où elle comparaîtra devant l’Ange Noir. L’immortalité est relative. Ces créatures peuvent être néantisées, clâma Grimmins.

     Mon cœur rata un battement. Je ne comprenais rien. Je lui râlai une réponse dans une coulée de sueur. « Il doit y avoir un moyen de descendre. Dites-moi comment. »

     Les deux femmes pouffèrent. « Le Corps s’était réfugié dans vos murs pour y trouver protection ! »

    Je pliai de douleur. « Faites quelque chose, vous m’entendez ? » Les jambes me lâchèrent et dans mes efforts pour trouver un appuie, je balayai une tablette. Des objets se cassèrent dans une pétarade de maléfices aussitôt réprimés par la fille au Glock. 

     « Vos problèmes de vieux pervers ne m’intéressent pas, » lança Grimmins en tournant les talons. 

     Impossible de la laisser partir, pas maintenant, j’avais trop besoin d’elle. Je l’accrochai et la projetai contre un mur. Soulevée de terre, prise dans l’étau de mes poignes, la femme affronta mon regard. Nous nous retrouvâmes face contre face, emportés dans ce qui me sembla être une voltige des anges. 

    La froideur du Glock sur ma tempe me ramena sur terre. Décidément, ma présence imposait des heures sup à cette putasse.

      Je relâchai Grimmins qui s’ébroua. La femme consentit encore à me parler, c’était déjà ça.

     « Nous sommes à l’air du Verseau, de la Forge, l’ère relationnelle, vous pigez ? Le diable en profite pour tout saboter. Il utilise les réseaux sociaux pour blesser l’ego et attiser la violence. Enfermés dans une dérive désincarnée, les âmes solitaires cèdent à une certitude secrète, celle de n’être rien, de n’être qu’une entité abjecte destinée à une vie dénuée de sens. Crise d’obésité, suicide, violence entre les groupes culturels, regardez autour de vous. L’Ange noir en profite pour les reconstruire autour d’un bouclier de vanité, d’un sentiment d’injustice hurlé au credo d’une arrogance partagée. Les milices se multiplient, le martèlement des bottes, autrefois discret, se précise un peu plus chaque jour. 

     Grimmins fit quelques pas et ouvrit le bouquin dont elle était l’auteur. Le Corps et moi l’avions lu avec intérêt, enlacés dans une fusion charnelle divine. La femme prit lecture. « Dans ces conditions de solitude et d’anxiété, l’accès à la conscience et à la sensibilité de l’être sont bloqués. La peur s’installe. L’âme se retrouve en désarroi, prête à se confier au premier souverain, celui capable de garantir sa survie par la puissance de répression dont il dispose. »

    Le sol trembla. La fille au Glock se figea, l’arme pointée vers le plancher, le regard empreint d’une tristesse infinie. « Du calme Skylar, » ordonna Grimmins. Ces deux femmes étaient liées par quelque chose, mais je crois bien qu’elles n’en étaient pas conscientes.

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Le professeur poursuivit son laïus. « Le résultat est une catastrophe. La cadence du train vers l’enfer à doublé, les diables construisent maintenant une autoroute. Il n’y avait au départ rien sur ce convoyeur, de la Forge. Ces pauvres hères ne sont encagés que par leur haine matérialisée sous cette forme. Ils sont seuls, isolés dans les contraintes de leurs certitudes, désespérés au constat de leur folie ! »

    Une crampe à la poitrine me foudroya, je tombai sur les genoux. Je levai les yeux vers le crucifix de la chapelle. 

    Le Corps incarnait la bonté infinie. Habitée par le simple désir de bonheur, celui de vivre au présent, cet être de perfection, mon petit Corps tout à moi, avait conclu à tort qu’elle méritait d’être dénaturée, parce qu’elle n’était apparemment pas complète. J’avais tout gâché. Je lui avait fait un mal immense.

     Je me mis à pleurer. Je n’étais qu’un individu dangereux, un monstre capable du pire. La chaleur dans ma poitrine se précisa. « Seigneur, ayez pitié, » dis-je. 

Ma mort fut rapide. 

———

O. veut retrouver le corps

Mais il ne sait pas comment faire 

Alors il se rend chez la vrai Mary Grimmins qui ne peut l’aider. Il en meurt.

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5 Commentaires
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Gaëlle Galindo
1 année il y a

Mais que vont ils faire au corps ! Monsieur de Javel doit le retrouver et vite. Pas le temps de pleurer.

Maryse P.
1 année il y a

Quand on touche le fond, y a plus qu’à remonter ! Avec l’aide de Mary Grimmins qui lui tendra sûrement la main.

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