Le Corps – Partie 14a

6 mins

Le Corps – Partie 14a

Acte 2 – Bloc 5 – Beat 14 – Midpoint – Rebond de l’intrigue

1 305 mots

     

    Le saut dans l’Oblivion avait été terrifiant. Le prix à l’entrée se payait à coup de débris encaissés comme des frappes alors que les vents chargés de gravats nous sablaient la peau. Il me fallut refermer les ailes en tombeau pour protéger ma passagère pendant une chute libre de quelques kilomètres jusqu’à la délivrance qui se produisit dans un flash de clarté.

   De l’intérieur, le tourbillon prenait une toute autre dimension. Rien à voir avec le Grand Canyon. La démesure de ce monde giratoire inférieur s’alimentait à la déraison, ses nuages étaient hantés par un grondement perpétuel, hurlant sous le fouet des volées de foudre. 

    Les rares éclaircies laissaient poindre un ciel étoilé, ponctué de plusieurs soleils dont les rayons transversaux dardaient les nuages d’une clarté de cristal. Cette étrange cosmogonie dansait dans l’orbite de l’oblivion, sa lumière provenant de la combustion des âmes égarées.

    Je m’enquis de l’état de ma passagère.


   « Je me suis ressaisie, » répondit-elle.


    Le moment de l’envol avait été difficile. Confrontée à la vision du maelström, le mulet avait pris panique. « J’entends une voix qui m’interdit d’y revenir ! » avait-elle affirmé dans un gémissement qui lui avait fait perdre le souffle. À cause de l’urgence, je n’avais pas relevé l’anomalie dans sa réponse, obnubilé par ma propre obsession, celle de l’agonie du Corps, de l’attaque sur l’humanité et de mon besoin égoïste de trouver un guide. 

     Sur mon ordre, les Séraphins Danäel et Erasnäel l’avaient sanglée au harnais de transport. Skylar avait bondit devant. « Retirer vos pattes d’incubes, avait-elle maugrée en prenant sur elle de resserrer les attaches de jambes et le baudrier. Personne n’avait osé un commentaire. 

   J’avais ordonné le départ alors que ma passagère dodelinait encore de la tête. 


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                                *                                           *                                           *      

     Notre plongée se poursuivait à travers un nombre incalculable de strates nuageuses, uniques par leur couleur, chacune tournant à sa vitesse, parfois même à contresens. Sanglée à ma poitrine, Grimmins tourna la tête et caressa la commissure de mes lèvres. « Qui que je puisse être, dans l’Enfer de l’Ange noir ou dans le Bas-Ciel du Sylvanium, ce que je ressens pour vous O., est sincère, je le jure ! » Ces paroles changèrent mon angélité à tout jamais.

    Je n’eus pas le temps de réagir qu’elle me pointa une formation nuageuse. « Évitez cette turbulence ! me dit-elle en la pointant du doigt. J’arquai mes ailes pour dévier de notre course afin d’eviter ce qui semblait être une boule d’orage aux nuages d’un bleu inquiétant qui pétaradaient de foudre.

— Cette perturbation est appelée l’Olzor. La chaleur des enfers surchauffent ses nuées d’ammoniac, les dards de grêle qui la traversent sont des flèches aux poisons mortels.

— Comment savez-vous cela Mary ?

— Je regagne la mémoire à mesure que nous descendons, ce qui me revient est plutôt angoissant. Je vais vous décevoir. »

    Cette fois encore, je manquai une alarme sonnée à coup de gong céleste. Je n’eus pas le temps de réagir qu’une ombre aux couleurs fauves apparut à travers les nuées en contrebas. « Gare au sol ! » hurlai-je.

    Mes ailes en aérofreins amortirent l’impact mais c’est le contact en oblique d’un amoncellement de soufre qui sauva la mise. Je défis le harnais alors que nous dévallions la pente de sable, nos jambes défonçant le sable, hors d’équilibre. Dans notre descente, je retournai Grimmins pour l’enlacer et nous enrouler dans une étreinte vrillée de baisers brûlants aux feux de l’enfer. Nous descendîmes ainsi, perdus dans une longue coulée de sable soufré arraché à la dune. Une fois au sol, je l’embrassai une dernière fois, alors que mon corps allongé contre le sien la réclamait avec une force bien au-delà de tout ce tout ce que j’avais ressenti auparavant. C’est à regret que je la libérai. Le collier de fer refermait son étreinte sur sa gorge alors que le boulet se couvrait de runes anciennes.

    « Pas de mal ? » demandai-je hors d’haleine. J’arquai mon tronc pour décharger le boulet fixé à mon dos, ce qui obligea Grimmins à reprendre sa position de suppliciée, condamnée à vivre à genoux. Je détestais cet objet avec la rage d’un griffon.

    Le mulet traîna la masse sur quelques pas et s’abandonna au sol, crevée par l’effort, il faisait chaud. Dans cette atmosphère ocre, ses yeux noirs levés vers le ciel se voilaient d’une teinte de jade. « Ils arrivent ! » souffla-t-elle. 

   Les Séraphins se posèrent dans une floconnade de battement d’ailes. L’aéro-caisse heurta le sol dans un bruit mat.

   Les anges porteurs Fardaēl et Diesël ne perdirent pas une seconde. Sitôt posés, ils éventrèrent le couvercle et distribuèrent les M-16. Les cliquetis des chargeurs firent scintiller le brouillard, alors qu’on s’échangeait les armes, chaque ange devenant peu à peu un arsenal mobile. 


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   Assise en tailleur dans le sable, Grimmins se figea la bouche entrouverte. Je la regardai, incapable de comprendre la transformation de son corps. Son visage se plissa de douleur, le dos arqué, alors que ses vêtements militaires se dissolvaient dans une vapeur âcre. Sa peau se couvrit de perles acides dont l’égouttement se terminait sous l’arc de ses seins dont le replis laissa filtrer un goudron noir qui se mit à croître pour mouler son buste. Des manchons gluants apparurent aux chevilles et aux poignets. Toute cette matière molle se durcit en une fonte noire imprimée de messages haineux. Des serpents de fers aux têtes entrelacées parcoururent ses hanches pour former une boucle de ceinture dont le nœud ruissela d’une coulée verticale élargie sur le temple et prolongée jusqu’au dos. Cet étrange arceau de fer lui étrangla l’entrejambe en une contrainte de chasteté hurlante de maléfices. 

   Le contraste avec la chaîne et le boulet était étonnant. Pas le même métal, pas le même art débile. Deux partis se disputaient ce territoire de chair, trois, si on m’incluait. 

    Je m’approchai et m’agenouillai. « Grimmins, vous m’entendez ? » En guise de réponse, le sillon de sa poitrine se couvrit de runes minuscules tracées de l’intérieur de sa peau, à même une encre tirée de ses entrailles : 

« 

Tel est le corps du Corps,

Tel est l’Épouse de corps de l’Ange noir.


Qui de sa chair la touchera,

Qui en son être la sanctifiera,

De corps et d’esprits sera disjoint,

Néantisé aux forges du destin.

» 

     Je me redressai, stupéfait. Mary Grimmins, le mulet sans âme, était le corps du Corps ! …mais elle était également la propriété signée de l’Ange noire !


     Je refusai d’y croire.


     Je battis dès paupière et l’inscription sur sa peau disparut sans laisser de traces. « Deux-cent années de libertés sur la terre ne valaient-elles pas mieux qu’un trône de souffrance pour l’éternité ? Vous avez gâché ma chance d’en finir ! À cause de vous, je suis redevenue l’épouse du premier lieutenant de Satan ! Je vous hais ! » une larme coula sur son visage couvert de rosée. Grimmins venait de rajeunir, elle devait avoir vingt-six ans.

   Je ne sus quoi dire. Mary Grimmins ignorait son état réel. Le mulet était la clé de nos plans respectifs à l’Ange noir et à moi alors que son désir le plus cher était d’en finir avec son existence. 

   « Désormais, rien n’est possible entre nous, O., murmura-t-elle en sanglotant. Fuyez et oubliez-moi, je vous en supplie ! » 

   Un bandeau de métal noir serti d’une pierre à la noirceur d’un puits lui enserra la tête tel un troisième œil. Cabré dans ses contraintes de fer, le mulet se transformait en une créature forcée à la soumission pour l’éternité. Mary Grimmins, l’épouse de l’Ange noir, la Reine des enfers, se tenait maintenant à genoux dans le sable soufré sous notre regard ahuris, son être perdu dans l’horreur des brouillards sulfuriques. 

   Je me retournai vers mes anges. Nous avions tous le même air, sauf pour Skylar qui s’élanca sur sa protégée dans un gémissement à crever le cœur. 


   « Tout ça c’est de ma faute ! »




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O. veut aller aux enfers pour reprendre l’esprit du Corps

Mais l’oblivion de vent apparaît plus complexe que prévu 

Alors il se laisse guider par Grimmins.

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2 Commentaires
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P. Maryse
2 années il y a

Quelle descente en enfer ! Ma pauvre Grimmins…

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