Pourquoi aimes-tu la mer, Papa? me demanda Lisa ce soir, la tête contre mon épaule, ses cheveux cajolés par le vent infatigable de la Bretagne, qui rapproche la mer, en ramenant jusqu’à chez nous, son bruit, son odeur, et même sa fraîcheur.
Je sais qu’il faut argumenter avec La Lili, les réponses simplistes n’ont pas leur chance avec elle.
J’aime la mer, car comme toi elle est belle, elle est douce, et elle est calme,
Mais aussi comme toi des fois, elle est capricieuse, houleuse, et je dirai même irrationnelle,
Elle tape, elle saute, elle hurle, mais finit toujours comme toi, par se calmer, redevenir câline, caresser tendrement les rochers du littoral, et se rapprocher discrètement des plages de sable.
J’aime la mer, car comme toi, je peux la regarder à l’infini sans m’en lasser.
Mes yeux retrouvent leur liberté en regardant loin, bien loin, là où la mer touche le ciel.
Quand j’étais petit, je pensais que les montagnes finissent sur la terre plate, et que la terre s’arrête là où la mer commence, et que la mer se termine, là où le ciel se dresse.
Par la suite, j’ai réalisé qu’étant enfant j’étais adepte, sans le savoir, de la mythologie grecque de l’antiquité et de ses dieux, là où Gaia la Terre-Mère, avait eu comme enfants, Ouranos le ciel, Ouréa les hautes montagnes, et Pontos le dieu marin, et par la suite, Océanos le dieu aquatique qui entoure la terre.
J’étais bien lancé dans la présentation de la lignée des dieux grecques, quand mon attention se fit captée par la respiration profonde de la petite fille de 11 ans, qui semblait être plongée dans un sommeil profond. Emportée très probablement par l’ennui de mon histoire, ou pourquoi pas, par Hypnose dieu du sommeil, qui l’a confiée à son fils Morphée dieu des rêves.
Pendant que mes yeux se fixaient sur elle, ma voix s’éteignait tout doucement, en sortant lentement, avec une sonorité de plus en plus faible, les derniers mots qui restaient encore dans ma pensée, avant de laisser le monopole de l’espace à son souffle régulier, accompagné du souffle de la mer toute proche, le tout dans une harmonie mozartienne.
Je l’allongeai sur le canapé, la tête sur mes genoux, avec beaucoup de délicatesse, pour ne pas interrompre son rêve. Son rêve d’enfant, que j’imagine, devait l’emmener dans des plaines, suivies d’autres plaines aussi vertes et ensoleillées, qu’elle parcourt en l’espace d’un clin d’œil. Elle doit se trouver entourée de licornes qu’elle a toujours imaginées, atteindre les sommets des montagnes en quelques pas, comme les chevreuils qu’elle était toujours la première à voir dans les Alpes du sud. Elle doit danser, avec les pieds qui effleurent à peine le sol, au milieu des fleurs qu’elle a toujours dessinées. Propulsée en ville par magie, elle doit retrouver sa salle de gymnastique qui lui manque tellement, car interdite pour elle, depuis le confinement. Elle doit enfin pouvoir se régaler sur les barres asymétriques, la table de saut, et la poutre. Elle doit trouver ça trop facile, même la poutre va lui paraître d’une aisance inouïe. Elle doit faire ses figures au sol sur le plancher à ressort, sans la moindre erreur.
Plus je me projetais dans ses rêves d’enfant, plus je me trouvais aspirer dedans.
Ah si je pouvais redevenir enfant pour avoir droit aux mêmes rêves. Même pour l’espace d’une nuit, de quelques heures, et pas plus d’un rêve. Il y avait de la cruauté dans les années de ma vie. Elles ont arraché l’enfance en moi, année après année, sous les applaudissements de mes anniversaires.
Je ne pouvais certainement pas redevenir enfant, mais je peux laisser un enfant me prendre par la main vers des destinations lointaines, sous un ciel à plusieurs soleils, et une nuit à plusieurs lunes. On oublie qu’on est adulte, on se prend au jeu, on entre assis sur un nuage dans ce monde merveilleux.
Je remercie la vie de m’avoir donné cette faculté de ressentir et de revivre le bonheur des enfants, comme un enfant, à travers un enfant.
Merci Lisa.