C’était une soirée inoubliable pour ces trois couples liés par une amitié
d’enfance qui, avec le temps, avait viré vers des sentiments amoureux.
Ils se retrouvaient chaque week-end pour s’amuser dans des sorties ludiques.
Cette nuit-là, soir de Fête nationale, un grand bal était donné sur la place du
village.
Trois couples étaient réunis : Joe et Claudia, Valentin et Maud et le dernier,
Dylan et Sloana qui étaient amants depuis peu et, animés d’une passion
dévorante, dansaient étroitement enlacés sur un slow de Joe Dassin « Et si tu
n’existais pas » joué et chanté par l’un des musiciens.
Du haut de la tour du vieux château, minuit égrena ses douze coups en même
temps que la cloche de l’Église se mettait à sonner le glas, effrayant la foule.
Certains, impressionnés, quittèrent la fête malgré les excuses du maire pour
cette ignoble plaisanterie qui serait, disait-il, sévèrement punie.
Il offrit une tournée générale pour détendre l’atmosphère et la fête continua sur
une musique joyeuse et entraînante.
La soirée touchait à sa fin…
La piste de danse n’était plus occupée que par quelques couples cherchant à
conclure agréablement cette soirée.
— Chérie, murmura Dylan à l’oreille de Sloana, tu ne vas pas m’en vouloir si
je te laisse avec nos amis afin de pouvoir me reposer un peu. Je te retrouverai
demain matin.
— Alors, tu vas m’abandonner comme ça ? dit-elle en fredonnant la chanson
« Dis, quand reviendras-tu ? »
Il lui fut difficile de s’arracher à son étreinte.
Enfin libéré, Dylan rentra chez lui, ferma sa porte, fit un brin de toilette et
allait se glisser dans le lit, quand le bruit de la porte qui s’ouvre l’alerta.
Il fut debout d’un bond et sursauta en voyant Sloana qui le regardait avec un
sourire d’une tristesse déchirante.
Dylan, tout ému, la prit dans ses bras pour la consoler. Soudain, il fut surpris
et ressentit un froid pénétrant qui lui donna un frisson et l’angoissa.
— Viens te mettre dans le lit, tu es glacée. Tu n’aurais pas dû venir ! Nous nous
étions dit bonsoir, ma chérie. Demain n’est pas si loin et je ne vais pas t’oublier,
dit-il en riant.
— Hélas ! J’ai bien peur que « tu oublies tous ces jours et ces nuits qui
n’appartenaient qu’à nous » dit-elle en appuyant sur le bouton de son iPod.
La chanson terminée, elle enlaça Dylan afin de lui communiquer sa passion.
— Ma chérie, mon trésor, mon amour, dit Dylan, je n’ai pas besoin de chanson
pour te montrer combien je t’aime…
Et, pour le prouver, il lui donna un très… très long baiser d’amour, lequel, une
fois encore, le fit frissonner.
Se dégageant de son étreinte, elle dit d’une voix faible et presque inaudible.
— Adieu, mon amour ! À plus !
Sans ajouter un mot, elle sortit aussi discrètement qu’elle était entrée.
Soucieux de son attitude inhabituelle, il remit à plus tard le soin de
comprendre.
Il verrouilla la porte et remonta en pyjama pour pouvoir se mettre au lit.
Aussitôt couché, la lumière éteinte, encore sous l’emprise de cette soirée
mouvementée, il allait sombrer dans le sommeil quand on sonna à nouveau d’une
façon insistante, tambourinant de manière impérative tout en criant son nom :
— Dylan !… Dylan !… Dylan !… C’est Maud ! Réponds-moi ! Je t’en supplie !
Il faut que tu viennes vite !… Vite !… Hurlait-elle.
— J’arrive !… Mais qu’est-ce qu’il y a de si urgent ? Dit Dylan en ouvrant la
porte sur Maud toute en pleurs, le visage défiguré par les larmes.
La voix brisée par les sanglots, elle se jeta dans les bras de Dylan en lui disant :
— Juste après ton départ, nous avons eu un terrible accident. Je suis venu te
chercher, dépêche-toi, enfile un vêtement, je t’attends dans la voiture, je t’en
supplie, fais vite, dit-elle la voix cassée.
Il ne fallut que quelques secondes à Dylan pour rejoindre Maud, qui démarra
aussitôt en trombe.
— Vas-y mollo ! Tu vas nous envoyer dans le décor ! Calme-toi ! Raconte-moi
ce qui se passe. Il y a eu des blessés parmi vous ?
— Je ne peux pas te dire ! C’est trop affreux ! Tu verras par toi-même ! hurla
Maud dans un cri qui donna des frissons à Dylan.
Elle arrêta la voiture, agitée de tremblements l’empêchant de se concentrer.
— Calme-toi ! Ma chérie, je vais conduire à ta place. Mais, n’attends plus pour
me dire ce qui se passe, il faudra bien que je le sache.
— Eh bien, soit ! dit Maud, en nouant ses bras autour du cou de Dylan. Sois
fort, il y a eu un mort dans l’accident. Tu sais, elle n’a pas souffert, sa mort a été
instantanée.
— Dieu du Ciel ! s’écria Dylan, la pauvre et sublime Claudia, si gentille, si
douce, et comment a réagi notre ami Joe ?
— Mais… tu n’as rien compris, Dylan ! Ce n’est pas Claudia… C’est
Sloana… J’ai pensé que tu aimerais lui adresser un dernier adieu.
— Arrête de déconner, Maud ! Sloana n’est pas morte ! Elle a passé la soirée
chez moi ! Elle venait de me quitter, même pas trois minutes avant que tu ne
viennes me chercher !
— Je participe à ta peine, mais il ne sert à rien de refuser la vérité. Tourne à
droite, l’ambulance est garée un peu en dehors du centre. Ils attendent que tu sois
arrivé avant de l’amener à la morgue. Arrête-toi ici, sur le parking.
— Vous êtes tous de grands malades ! dit Dylan en se laissant conduire vers la
dépouille qui gisait sur la civière.
Ce fut un moment crucial lorsque le docteur découvrit le corps de Sloana.
— Non ! Non ! Non !… S’écria Dylan, c’est impossible ! Elle était bien en vie
il y a seulement quelques minutes ! Elle était venue me dire…
— Ce n’est pas fréquent, dit le médecin, mais il y a eu des cas où, dans une
mort brutale, l’esprit se détache pour un dernier adieu…
— Oui… mais elle était vivante ! Et l’on s’est embrassés !
— Mon pauvre ami… ce n’était plus elle… C’est la Mort à qui vous avez
offert votre baiser !
Épouvanté, Dylan s’enfuit en hurlant : « J’ai embrassé la Mort ! »
Il disparut et ses amis ne l’aperçurent qu’au moment des funérailles.
Depuis, ses amis le recherchent toujours, sa maison a été vendue, il est absent
à son travail, plus aucune trace ne le relie à eux.
Où était-il passé ?
Dans son baiser la Mort l’avait-elle programmé pour rejoindre Sloana, sa bien-
aimée ?
Errait-il, poursuivi par la peur de revivre le souvenir de cet épouvantable
« Baiser de la Mort » ?
Le saurait-on un jour ?
Fin
Terrifiant mais très beau texte !