Le soleil était déjà haut dans le ciel et la chaleur bien présente quand elle se réveilla. Mathilde s’était endormie sur le petit bureau et c’est une mauvaise migraine qui la faisait maintenant émerger. Elle était aussi toute courbaturée de la mauvaise position qu’elle avait prise, mais au moins, elle avait dormi quelques heures. Elle se dit qu’une douche la remettrait peut-être sur pieds, mais la vibration de son téléphone portable la retint dans la chambre. Le chat sauta sur ses genoux pendant qu’elle répondait.
— Je vois que tu ne dors pas plus en vacances que lorsque tu es à Paris ; envoyer des messages à trois heures du mat’, on n’a pas idée.
— Bonjour Sam.
— Bonjour à toi aussi, enfin vue l’insomnie, j’imagine que tu n’es pas très fraîche.
— On ne peut rien te cacher ; tu m’appelles juste pour prendre des nouvelles et m’abreuver de tes sarcasmes ou bien, tu as des informations intéressantes.
— Intéressantes, je ne sais pas, c’est trop qui jugera. Mais oui, j’ai trouvé, enfin, on a trouvé avec Fred des choses sur Tristan. Tu sais qu’il devient doué ?
— Qui ?
— Fred voyons. Je le forme à quelques techniques de recherches numériques et franchement, il se défend. Pas autant que moi, mais quand même.
— Tant mieux, je suis ravie de voir que je ne le paye pas à rien faire. J’espère juste qu’il n’oublie pas le secrétariat. Bon alors, quoi de neuf.
— Alors pour la période italienne de notre jeune archéologue, on a trouvé tous ses différents postes. Je t’enverrai un mail avec les dates et les lieux. Que des universités prestigieuses si j’ai bien compris. Notamment à Rome. Enfin, tu verras tout ça. Ce qu’on a repéré, c’est qu’il était très brillant mais pas toujours très apprécié de ses collègues. Le fait qu’il soit jeune lui attirait pas mal de jalousies des uns et des autres. Et puis aussi le fait qu’il soit français. Il parlait l’italien couramment, mais il venait de Nice et certains auraient préféré qu’il y retourne.
— Comment tu as appris ça ?
— Les réseaux sociaux essentiellement ; pas mal de gens ne se cachaient pas pour se montrer sceptiques sur ses découvertes ou ses recherches. On sentait pas mal de mépris à peine voilé. Mais le problème, c’est que ses recherches s’avéraient souvent payantes, comme s’il avait du flair pour dégoter les bons chantiers de fouilles.
— Oui, ça confirme ce que m’a dit Nicole.
— Et puis, il avait le sens des médias. Il faisait très bien mousser ses découvertes, il était même en cheville avec deux ou trois journalistes qui le suivaient parfois au jour le jour pour montrer les progrès de ses fouilles.
— Ah, ça, c’est peut-être intéressant.
— Tu penses qu’il a fait la même chose ici ?
— ça vaut le coup de vérifier d’autant que Nicole lui avait demandé le silence absolu. Mais ce n’est peut-être pas ce qu’il a fait. Et pour la petite amie ?
— Alors, ils se sont bien rencontrés en Italie où elle faisait ses études, mais elle est d’ici.
— Française ?
— Et même d’Arles. C’est la fille d’une huile de la mairie. Le premier adjoint au maire de la ville.
— ça aussi ça m’intéresse.
— Je ne sais pas ce que tu ferais sans nous.
— Je me le dis tous les jours en me levant. Et pour le coup de fil ?
— Rien pour le moment, mais on est dessus. Je te rappelle si on a du nouveau. Essaie de te reposer un peu entre deux insomnies. Et pense aux vitamines pour rester en forme, mange des fruits et légumes.
— Oui promis, je fais attention, autant que je peux. Merci pour tout !
Après avoir raccroché, Mathilde se prépara rapidement et rejoignit Nicole à l’internat où se trouvait le groupe. Nicole avait obtenu des autorités d’accompagner les quelques jeunes qui étaient toujours sur place aux Alyscamps pour ne pas qu’ils restent présents pendant que les policiers continuaient d’interroger les archéologues et les étudiants. Mathilde les accompagna, pour garder un œil sur Pauline et pour pouvoir trouver une occasion d’interroger l’assistante de Nicole.
Ils cheminaient parmi les tombes antiques, sous l’ombre des grands arbres. Nicole était entrée dans un long discours passionné pour expliquer à tout le monde comment les Romains envisageaient la vie après la mort. (à développer) La petite Pauline s’était blottie contre Mathilde.
— Tu es mal à l’aise ?
— J’ai l’impression d’être entourée de morts, ça fait froid dans le dos alors qu’on est en été.
— Il y a longtemps, qu’il n’y a plus personne dans ces sarcophages. Et puis je trouve l’atmosphère, avec ce soleil, avec l’ombre sereine de ces arbres…Apaisante.
— Morte quoi.
— Tu es jeune, tu envisages la mort comme une catastrophe, c’est normal, c’est sain. Mais parfois, je me dis que l’expression “reposer en paix” correspond bien à un lieu comme ici.
— Tu crois que maman, elle repose en paix ?
C’était donc cela qui la travaillait. Ce que craignait Mathilde était bien présent : toute cette histoire ramenait Pauline à la mort de sa mère alors que ces vacances auraient dû lui apporter un peu de légèreté. Elle savait bien qu’elle devrait aborder ce point avec elle, mais elle craignait d’être maladroite.
— Oui, je crois.
— Tu crois en une vie après la mort, comme chez les Romains ? Ou un paradis, comme me le disent Papi et Mamie ?
— Je n’en sais rien. Je ne suis pas très croyante. Mais je crois que pour ta mère, n’importe quelle divinité aurait eu envie de créer des champs Elyséens rien que pour elle.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que c’était ma sœur et que je l’adorais.
— Elle me manque.
— À moi aussi.
Elles se regardèrent en souriant à travers les larmes qui commençaient à emplir leurs yeux.
— Tu veux qu’on parte d’ici ?
— Non, en fait, c’est joli, c’est toi qui avais raison. Et puis demain Papa arrive alors il faut que je profite de mes vacances avant qu’on ne reparte.
— Et les autres ?
— Livia est déjà partie hier soir, et Théo part comme moi demain.
— Je suis désolée que ça se termine comme cela.
— Ne t’inquiète pas, on s’appellera et puis on se verra à Nice. Et toi, tu ne veux pas rentrer avec nous ?
— L’enquête ne fait que débuter et d’ailleurs, je devrais commencer à interroger l’assistante de Nicole.
— Katia ? Bon courage, elle est toujours débordée, je ne suis pas sûre qu’elle ait pu remarquer quoi que ce soit.
Mathilde acquiesça d’un sourire, mais chercha du regard la jeune femme. Elle était en train d’expliquer un panneau informatif à deux grands adolescents qui n’étaient pas encore partis. Mathilde s’approcha du petit groupe et lui sourit. Elle savait que Nicole l’avait prévenue de son rôle et qu’elle viendrait lui poser des questions, mais elle espérait qu’elle éviterait l’écueil de l’interrogatoire formel pour avoir une meilleure approche, la mettre à l’aise qu’elle se livrât plus facilement. Elle fit mine de s’intéresser également aux sarcophages alignés par terres et qui faisaient comme une haie d’honneur, les accompagnant jusqu’au sanctuaire au bout de l’allée. Certains étaient tellement usés par les siècles que les inscriptions, et même les bas-reliefs étaient effacés. D’autres étaient étrangement beaux, très travaillés et les mousses et végétaux qui poussaient dessus faisaient comme une parure supplémentaire à leur enveloppe.
Mathilde fut intriguée malgré elle par une figure qu’elle distinguât sur un des tombeaux ce qui lui permit d’entamer la conversation avec la jeune femme.
— Qu’est-ce que les Romains représentaient sur leurs tombes, des dieux ou des êtres humains ?
— ça dépend, mais c’est le plus souvent symbolique, c’est rarement une personne précise, qui a existé, tu comprends ?
— Et tu étais au courant pour la découverte de Tristan ? J’ai vu le bas-relief qu’il a découvert, mais je ne comprends pas ce que ça représente.
— Oui, je l’ai vu, Nicole me l’a montré. C’est un personnage, c’est certain et là non plus ce n’est pas une personne réelle ; je pense plutôt soit à une figure mythique ou à une divinité.
— Ça ne m’a évoqué aucun dieu du panthéon latin.
— Il était bien plus étendu qu’on ne le croit généralement. Il existait beaucoup de divinités mineures, surtout à cette époque et surtout dans les provinces, comme ici en Gaule Narbonaise.
—Et tu penses quoi de cette découverte ? Et de la façon dont Tristan menait les fouilles ?
— Il était content, on aurait dit un gamin.
— Pour le moment, on me l’a décrit comme quelqu’un d’assez calculateur, qui faisait les choses pour faire avancer sa carrière.
— Évidemment, on est tous obligés de penser à notre place, mais ce qui faisait vraiment la force de Tristan et que les autres ne comprenaient pas, c’est qu’il s’investissait à deux cents pour-cent dans ses projets et c’est pour ça qu’il obtenait de bons résultats.
— Tu l’aimais bien ?
— Il avait une petite amie.
— Ce n’était pas vraiment ma question. Il y avait quelque chose entre vous deux ?
— Pour être honnête, j’aurai bien aimé, mais on était très occupés tous les deux et lui surtout, je crois qu’il n’avait pas la tête à ça.
— Il était préoccupé par quelque chose ?
— Peut-être, je le trouvais très agité.
— Et ce n’était pas seulement la découverte ?
— Je crois qu’il y avait autre chose, en effet.
— Bon et tu n’as rien remarqué de bizarre la veille de son meurtre ?
— Je n’arrête pas de chercher, mais je ne vois pas ; je me repasse la journée en boucle dans ma tête.
— Ne te focalise pas trop, et n’hésite pas à me dire si quelque chose te revenait.
Mathilde lui tapota l’épaule, tant pour la réconforter, car elle avait l’ai déçu de ne pas être plus utile, que pour créer un contact tangible avec elle. Elle laissa le groupe avancer. Le lieu était très calme, ici pas de hordes de touristes, simplement quelques flâneurs, quelques familles qui cherchaient l’ombre en cette fin de matinée brûlante. Elle n’avait pas appris grand-chose, ni sur Tristan, ni sur sa découverte. En soupirant, elle rejoignit les autres qui s’étaient installés en cercle sous un grand arbre pour pique-niquer. Elle-même s’était acheté un sandwich en route ; elle espérait seulement qu’il ne serait pas trop flétri. En le sortant de son grand sac fourre-tout, elle fit tomber un petit rectangle de carton qui n’était pas à elle ; elle reconnut une des cartes du tarot. Une de celles qui avait fait partie de son tirage. Celle qui lui rappelait quelque chose. Elle s’abîma dans sa contemplation, persuadée cette fois d’avoir compris quelque chose même si elle n’était pas persuadée de pouvoir le formuler en une pensée concrète et logique.