Ce n’est pas parce qu’une sirène, pardon, une Marie-Morgane, ne peut plus chanter qu’elle ne pourra pas vous envoûter.
Cinq jours plus tard, je n’ai toujours pas reçu des nouvelles du vieux dragon, mais ce satané fourbe a fait en sorte que je ne l’oublie pas. Oh, que non ! Monsieur est peut-être un fan de l’adage qui dit que l’on impose, à distance, plus de respect, moi ce que je note, c’est que même sans le voir, il arrive toujours à me faire chier. Vous vous souvenez de la fameuse “lecture” pour me familiariser et m’avancer dans mes études, et bien figurez-vous que comme par hasard, elle s’est avérée être beaucoup plus studieuse que prévue. Cela ne me fourvoie pas du tout, venant de la part de ce vieillard sournois. Je crois bien que toute la bibliothèque de cette foutue institution est passée entre mes mains, je le soupçonne même d’être allé piocher dans celles de ses voisins. J’en suis rendue au point que dans mes rêves, je vois des farandoles des bouquins et des parchemins danser joyeusement à la queuleuleu, sous les déclamations des derniers textes que j’ai lus et croyez-moi, il ne s’agit pas de paroles joyeuses de chansons populaires. Je viens de passer ces derniers jours à me coltiner des pages et des pages de tout, de rien, de pas-grand-chose et surtout du grand n’importe quoi. J’ai eu droit à tous les sujets, l’histoire, la géographie, la philosophie, la théologie, la littérature, les langues vivantes et mortes, l’histoire de la magie, la divination, l’astronomie, l’astrologie, les sciences, la politique, vous êtes toujours vivants? Car moi là, je viens de mourir d’ennuis pour la millième fois.
Ce n’est pas parce que j’ai grandi dans une arène que je n’ai pas reçu d’éducation. J’ai eu un précepteur qui m’a appris les deux tiers de ce que j’ai lu pour l’instant. Ce que je viens de vivre, ce n’est pas de l’instruction, c’est du bourrage de crâne. À quoi cela peut me servir à connaître la reproduction des arcocras de mer. Je ne savais même pas que ces bestioles existaient. Pour votre gouverne, il s’agit d’une petite pieuvre à carapace de crabe ou d’un crabe à tentacule, je n’ai pas encore très bien saisi la subtilité de la différence entre les deux. Et en parlant de subtilité, j’ai même eu droit à des pavés sur les étiquettes et traditions des différents peuples d’Andadel. Sachez que ces us et coutumes sont les choses que je déteste le plus dans ce monde. Encore plus que la reproduction des acocras ! Dans la famille, les diplomates sont mon père et mon frère. Ce sont eux qui vont faire les beaux de royaumes en royaume. Moi, le seul contact que j’ai avec la populace, c’est dans les arènes. Je suis quelqu’un d’insociable. C’est simple, je n’aime pas les gens. C’est trop contraignant de les côtoyer. Il y a trop de protocoles, de codes, de règles et surtout avec eux, tout est bon pour créer des problèmes à cause de fierté mal placée et de susceptibilités plus grandes qu’un géant. Alors les emmerdes et autres balais coincés dans le cul, je les laisse avec mon plus grand plaisir aux ambassadeurs familiaux.
On ne va pas se mentir, mais il y a quand même des traditions culturelles dans les étiquettes des cours, complètement loufoques. Prenez l’exemple des lycanthropes, dans leurs coutumes, tu ne dois jamais être plus haut qu’un alpha, surtout l’alpha royal. Le roi actuel mesure un peu moins de cinq pieds de haut les bras levés, vous imaginez le cirque lors d’un bal au château . Mon frère m’a expliqué que tous les invités devaient se déplacer accroupis ou à genoux sans jamais lever les yeux pour éviter de croiser le regard couronné. Vous visualisez la scène ? Moi aussi et c’est un réel plaisir de me représenter mon frangin et mon père qui mesure plus de six pieds de haut, accroupis, se dandinant comme des canards dans leur habit d’apparat. Je l’avoue, je ne déteste pas autant que ça ces ridicules concepts sociétaux de ces hautes sphères de la société. Imaginer les hommes de ma famille s’empêtrer dans toutes ses aberrations de bienséance me fait bien rigoler. Je ris tellement devant ces images qui défilent dans ma tête que les larmes coulent à torrent sur mon visage et je me tords de douleur sous les spasmes abdominaux causés par mon fou rire. J’avais complètement oublié que mon ventre était encore un peu sensible et devait être ménagé pour quelques jours supplémentaires.
Un énorme bruit se fait soudainement entendre, dans le couloir. C’est comme si un pan de mur venait de s ‘écrouler, me coupant net dans mon hilarité.
-Nom d’un acrocras enragé, il n’y a personne ici pour se bouger le popotin et venir m’aider ?
Ma curiosité est piquée au vif. Je ne suis pas du genre à toujours vouloir tout savoir sur ce qui se passe autour de moi, mais là, je suis intriguée. Il faut dire que la voix féminine que je viens d’entendre est très atypique : rauque et légèrement voilée, comme si sa propriétaire avait crié à pleins poumons pendant des jours sans s’arrêter. On pourrait penser que cela lui enlèverait toute sa féminité, mais au contraire, cela lui ajoute une sensualité langoureuse. Je m’imagine une femme à la beauté magnétique, un chef-d’œuvre de fantasme érotique qui pourrait faire changer de bord n’importe quelle femme. Mais ce qui m’interpelle le plus, je dois dire, ce sont plutôt les mots qui viennent d’être employés. Attention, je ne me considère pas au-dessus des autres femmes et j’avoue que sa voix me fait relever les poils de mon corps à défaut d’autre chose, mais quand même, déjà, d’une, elle connaît les acrocras et en plus, elle vient de m’apprendre qu’ils pouvaient choper la rage, saloperie de bestiole, et de deux, elle vient d’utiliser le mot le plus ringard que je n’ai jamais entendu. On en parle du « popotin » . Sérieusement, qui emploie encore cette expression de nos jours ? Ma grand-mère, sûrement.
Une chose est sûre, c’est qu’il faut que je voie ça de plus près. Je me dirige vers la porte et l’entrouvre doucement. Juste devant ma porte se trouve trois grands coffres ouverts qui sont imbriqués les uns dans les autres, avec tout autour des vêtements et d’objets divers. Au milieu de tout ce bordel, se trouve une fille d’environ cinq pieds et demi. Elle a les cheveux noirs coupés très courts, de grands yeux bleus océan entourés d’un cercle doré, une bouche en forme de cœur, un teint de porcelaine et des courbes généreuses. Nos regards se croisent et s’accrochent. Son sourcil droit se soulève et un sourire en coin apparaît à la commissure de ses lèvres. Cette jeune demoiselle, serait-elle en train de me provoquer ? Défi relevé gente dame. J’affiche mon air le plus innocent et lui demande avec un air des plus ingénus possibles :
-Aurais-tu besoin d’aide?
Son sourcil se soulève encore plus et son sourire s’allonge.
-Non c’est bon, ça va. Comme tu peux le voir, je gère au poil.
Son sarcasme me fait sourire. Accroche-toi ma cocotte, tu ne vas pas être déçu du voyage. Je lui lance mon regard le plus naïf de mon répertoire, hausse fortement mes épaules et referme doucement ma porte.
-D’accord, je te laisse alors. Je ne voudrais pas te déranger plus longtemps, si tu as bien la situation en main.
-Non, attends ! Par pitié, ne ferme pas cette porte, j’ironisais, je te faisais une blague. Pardonne-moi, je ne pensais pas que tu le prendrais au pied de la lettre.
Devant sa déconfite, j’explose de rire. J’adore quand un plan se déroule sans accroc.
-Je l’avais deviné, mais avoue que c’était tentant quand même. Je ne pouvais pas ne pas relever ton défi.
-j’ai voulu jouer à la plus maline et me suis fait remettre à ma place en un claquement de doigts. Note pour moi-même, ne pas chercher la fille aux cheveux blancs, car quand tu la trouves, c’est douloureux.
Je sors de ma chambre en rigolant et commence à ramasser ce qui se trouve à mes pieds.
-Je m’appelle Meria et je viens juste d’arriver. Mais bon cette partie de l’histoire, tu dois déjà la connaître. À l’origine, j’étais accompagnée de braves chevaliers qui selon leur code d’honneur, devaient m’apporter soutient, protection et dévotion. Alors, imagine ma surprise quand ces soi-disant chevaliers qui ne sont pas moins que les hommes de mon propre père, mon lâchement abandonné, comme on le ferait d’une vieille chaussette trouée. Ils m’ont laissé, livrée à moi-même dans ce lieu inconnu et hostile, moi, une princesse fragile et sans défense. Tu imagines le choc émotionnel que je peux ressentir. En même temps, ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. J’ai l’habitude de me débrouiller toute seule, mais quand même, ce n’est pas comme si je pouvais porter ces trois coffres pleins à ras bord, toute seule. D’ailleurs, ce n’est pas écrit sur mon front en grosses lettres « princesse dotée d’une force surhumaine, pas la peine de s’en occuper ». Nom d’un pirate sanguinaire en abstinence de sang, ils ne perdent rien pour attendre, ces maudits vauriens.
C’est vrai qu’elle n’a rien d’une balèze, mais tout d’une petite chose fragile. Rien à voir avec la déesse du sexe que sa voix laisse à penser. C’est le genre de fille qui enclenche automatiquement ton côté protecteur tellement, elle paraît délicate. Elle ressemble à ces poupées en porcelaine que les demoiselles de la noblesse exposent dans des vitrines de peur qu’elles ne se cassent au moindre courant d’air. Elle a cet air d’innocence fragile et sans défense qui ferait craquer n’importe quelle personne possédant un cœur. Vous voyez, comme ce petit chaton tout tremblant avec de grands yeux larmoyant que tu croises dans la rue et que tu ramènes chez toi, car tu n’as pas pu le laisser seul face à la mort et à la dureté de ce monde sans pitié. À la voir comme ça, au milieu de ce fouillis, j’ai qu’une envie, c’est l’adopter.
-Le pire dans toute cette triste histoire, c’est que cette bande de méduses desséchées, m’a traité de boulet. Moi ! Un boulet ! Soi-disant que depuis notre départ, je les fatigue de mes bavardages futiles, que je suis indigne de mon rang et blabla blabla. Mais, ce qu’ils oublient, c’est qu’un jour, je reviendrais et quand je serais revenue, je me vengerais en faisant claquer mon fouet autour de leur sale cou de mouettes galeuses. On verra bien si au bord de l’asphyxie, ils continueront à me cracher au visage que je ne suis qu’une vermine de pirates. Ils veulent du pirate ? Pas de soucis, je ne suis pas du genre contrariante, je vais leur en donner du pirate, je vais les gaver avec, jusqu’à qu’ils ressemblent à des dindes farcies prêtent à déguster.
Si tu pouvais éviter de parler de dinde farcie, cela m’arrangerait, s’il te plaît.
-Pourquoi, tu n’aimes pas les dindes ?
-J’ai tendance à m’identifier à elles depuis quelque temps.
-Pourtant tu n’as rien d’une dinde.
-Je te montrerais bien mon ventre pour te prouver le contraire, mais l’histoire qui va avec est trop longue à expliquer. Sache juste que pour le moment les dindes farcies sont un sujet sensible pour moi. Mais revenons à toi, il y a certains points que je n’ai pas bien compris dans ce que tu viens de me dire. Si tu es une princesse, pourquoi tes “lâcheurs” te comparent à un pirate et quand tu parles de les étrangler avec ton fouet, tu peux vraiment le faire ? Là, ma curiosité est au supplice. Sérieusement, la strangulation par le fouet est une idée fabuleusement vicieuse, il faut absolument que j’essaie ça. Je n’en suis toute émoustillée rien que de l’imaginer.
Méria s’esclaffe devant mon air dévoyé.
-Tu es une fille avec des goûts particuliers, mais tellement drôles. Ça me plaît beaucoup, tu me fais penser un peu à moi. Pour répondre à ta première question, si on me traite de pirates, c’est parce que j’ai grandi sur un de leurs bateaux. Mon père adoptif est un fameux capitaine des Assassins des mers. Tu as peut-être entendu parler de lui, il s’agit du fameux “Capitaine aux mille têtes” ou plus communément “Têtes volantes”. Au cas où tu te demandes pourquoi un tel nom, c’est parce que ce cher monsieur possède la capacité de faire voler les têtes grâce à son fouet. Et non, ce n’est pas une légende. Mon petit papounet arrive d’un simple claquement de son joujou en cuir, à décapiter un homme. Je n’ai pas encore réussi cet exploit, car c’est toute une technique de précision, de force et de dextérité, mais en attendant de comprendre comment ça marche, je dois quand même me vanter de faire pas mal de dégâts avec le mien.
C’est en la voyant effleurer sa ceinture avec une main que je découvre que ce n’est pas une lanière de cuir quelconque qui lui serre la taille, mais un véritable fouet qui tel un serpent se tient enroulé à moitié caché sous les plis de sa jupe. La petite poupée fragile, cacherait-elle une pirate redoutable derrière son joli visage de porcelaine ? Les apparences sont souvent trompeuses et je pense que notre princesse joue le jeu à fond et serait une véritable manipulatrice des apparences. Elle commence à profondément me plaire, cette petite.
J’observe le chaos qui nous entoure et réfléchit sur comment en venir à bout.
-Où on met tout ça ?
-Dans ma chambre.
-C’est laquelle .
Elle hausse les épaules et se dirige vers la porte à côté de la mienne, elle l’ouvre, regarde à l’intérieur et me sourit d’un air satisfait.
Nous retroussons nos manches et transférons tout son foutoir dans sa chambre pour ensuite le ranger correctement dans sa commode. Je dois avouer que je comprends maintenant ce que ressentent tous les hommes en couple qui doivent voyager avec leur tendre moitié et qui râlent sur la quantité faramineuse d’objets inutiles qu’elles peuvent emporter avec elles. Plus jamais je ne me moquerais d’eux. Papa, je te demande pardon de t’être moquée de toi quand tu te plaignais de maman et de sa montagne de bagages pour un séjour de deux jours. Je viens de vivre la même expérience que je qualifie de traumatisante avec cette fille.Je ne sais même pas comment tout son fatras peut tenir dans cette ridicule petite chambre.
Je ne suis pas une amoureuse du rangement, loin de là, ce qui fait que j’ai tendance à posséder le minimum vital, mais elle, par tous les dieux, je pense que l’expression stricte nécessaire ne fait pas partie de son vocabulaire. J’ai dû me pincer plus d’une fois pour vérifier que je ne rêvais pas à chaque fois que je découvrais ce qu’elle avait embarqué dans ses satanés coffres. Il y a des trucs, je ne savais même pas que cela existait : un recourbe-cils par exemple, pour quoi faire ? Qu’est-ce qu’on en a foutre d’avoir de grands cils recourbés. Vous saviez qu’il existait plusieurs nuances de poudre “Bonne mine” . Lumière d’été, Rose des neiges, automne flamboyant, douceur de printemps. De la vraie poésie pour une pauvre poudre qui reste un véritable mystère sur la nécessité de son utilisation. Il y a même des crèmes pour différents moments de la journée et pour les occasions spéciales. Je sais que je n’y connais rien aux grands rituels de la mise en beauté d’une femme, mais quand même, ça commence à faire beaucoup. Moi, la seule coquetterie que je m’accorde, c’est… Oh, merde, je n’en ai pas ! Je suis un vrai bonhomme. En y réfléchissant bien, je crois que même les mecs sont plus soignés que moi.
Note pour moi-même, faire plus d’efforts de présentation, enfin si l’occasion se présente et si je trouve le courage et l’envie de le faire. Car j’ai quand même ma petite arme secrète qui repose sur un seul produit et ne prend pas beaucoup de temps dans ma préparation. Il existe une petite merveille de la nature et un don des dieux qui est un savon fait avec de la sève de doudédia. Le doudédia est un arbre très moche, tout tordu avec très peu de feuilles et des fleurs jaunes qui a maturation pue comme une vieille charogne, mais dont la sève est une véritable merveille. Elle fait tout : elle soigne, elle hydrate, elle apaise, elle illumine le teint, atténue les imperfections et pleins d’autres bienfaits curatifs et le plus, c’est qu’on peut l’utiliser comme infusion ou en cataplasme.
-Alors, mademoiselle la mystérieuse, vas-tu me dire qui tu es ? Ce n’est pas que cela me dérange, loin de là, mais je suppose que lors de ta naissance quelqu’un t’as donné un nom ? Je t’avoue que je ne me sens pas du tout apte à t’en donner un. Si je te nomme « machine » ou « eh ! », tu risques de ne pas apprécier du tout, ce que je comprendrais fortement. Il y a certaines personnes quand ils te disent comment ils s’appellent, tu te demandes si leurs parents les aimaient ou s’ils n’étaient tout simplement pas doués pour ce genre de choses. C’est comme pour ceux qui s’évertuent à vouloir donner des petits surnoms soi-disant plein d’esprit et de présomption. Dans le palais de mon père, tout le monde s’obstine à me donner des quolibets injurieux. Crois-moi, les comparaisons honteuses auxquelles j’ai le droit, sont dignes du côté le plus mesquin et méchant qu’un esprit dit « intelligent » puisse vomir. Rien à voir avec Machine ou autres onomatopées. Quelle bande de morues vaniteuses sans cervelle. Ils peuvent m’appeler comme cela leur chante, leurs venins fétides glissent comme de l’eau claire sur moi.
D’un geste de la main, elle fait comme si elle repousse des insectes volants invisibles devant son joli visage boudeur.
-Revenons à l’essentiel, c’est-à-dire à toi, raconte-moi ton histoire. Je suis littéralement en train de mourir à petit feu de curiosité.
Putain, cette nénette est un vrai moulin à paroles. Elle est toute mignonne et gentille, je n’ai rien à redire sur ça, mais elle est aussi soûlante qu’une bonne bouteille de gnôle pure bu cul sec. Mon cerveau vient d’en prendre un coup. Si je ne fais pas gaffe, il va finir en bouillie et s’écouler par mes oreilles et mes narines.
-Tu parles toujours autant ?
Vu son air déconfit et ses joues rougissantes, je peux supposer que ce n’est pas la première fois qu’elle entend ce genre de question.
-Tu trouves que je parle de trop ?
Elle ne va pas se mettre à pleurer quand même. Ses yeux grands yeux larmoyants, ses lèvres roses tremblantes et les légers trémolos dans la voix, me sers les triples et me remplissent de culpabilité. Mon petit chaton perdu et malheureux a besoin que je le console. Sacrés noms des dieux, je ne vais pas me laisser mener par le bout du nez par cette petite bonne femme. La franchise a toujours été infaillible chez moi, je ne vais pas commencer à jouer du pipeau maintenant.
-Rien qu’un peu quand même.
Je suis trop faible devant ce petit chaton tristounet.
Un grand sourire éclaire son visage.
– Même si elle pique un peu, ta franchise est aussi rafraîchissante qu’un tsunami. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un d’honnête même si elle essaie d’y mettre la forme.
Le clin d’œil qu’elle me fait à ce moment-là, m’indique que cette petite vicieuse vient de me berner en beauté.
-Mais cela ajoute un petit côté piquant et vrai à ton charme. Par contre, je vais peut-être te paraître insistante, mais aurais-tu l’amabilité de me donner ton prénom, s’il te plaît ?
Pourrais-je un jour refuser quelque chose à mon petit chaton?
-Je m’appelle Alyana.
-Alyana, c’est joli comme prénom. Cela te va bien, j’aime beaucoup. On peut même utiliser des diminutifs : Al, Aly, Alya, Yana, Ana. J’adore. Dis-moi, tu es ici pour apprendre la magie ? En même temps, il est évident que tu es ici pour apprendre la magie, vu que nous sommes dans une école de magie. Tu n’es pas là pour apprendre à faire des points de croix. Parfois, je pose des questions complètement stupides. Mais bon, c’est un trait de ma personnalité que je n’arrive pas à modifier. C’est plus fort que moi. J’ouvre la bouche et hop, un truc débile sort. Les gens normaux réfléchissent et après parlent, moi, je parle et après, je réfléchis.
-Si cela peut te rassurer, moi, je tape, je réfléchis, je retape et après, je parle. Parfois, il m’arrive même de retaper une dernière fois. Donc pour ce qui est de ne pas être comme les autres, je sais ce que c’est. La différence nous rend plus forts et ceux à qui ça dérange, j’en fais mon affaire.
-J’aime ta façon de penser, j’ai à peu près la même. Autrement, parle-moi un peu de toi. D’où viens-tu ? Quels sont tes objectifs pour cette palpitante année que nous allons passer ici ? As-tu des passions, des passe-temps, une superbe histoire d’amour croustillante à dévoiler? Je sais que la curiosité est un vilain défaut, mais je dois bien t’avouer que le mystère qui t’entoure est plutôt interpellant. Je ressens de bonne vibration avec toi. Si je te pose toutes ces questions, c’est pour pouvoir cerner qui tu es. Toi et moi, nous allons devenir les meilleures amies du monde et pour cela, je dois connaître les bases sur ta petite personne pour pouvoir forger notre amitié.
Elle est complètement frappée, cette fille. Mignonne et attachante, mais complètement allumée. Ce n’est pas possible, elle a dû être bercée trop près d’un mur. Finalement, c’est ce qui la rend génialissime et parfaite. Elle est comme moi : frappadingue, barge, maboule, marteau, frappé, ravagé, cinglée, folle, fêlée, agitée du bocal, bonne pour l’asile. Je l’aime déjà même si elle est usante avec ses grands discours. Mais par-dessus tout, elle ressemble trop à un chaton abandonné, un chaton bizarre, mais tellement adorable. Je ne peux pas lui résister, c’est au-dessus de mes forces, je fonds devant elle, même si elle parle trop et à force en devient épuisante. Faisons-lui plaisir et répondons à ses questions. Au moins le temps où elle m’écoutera, elle se taira. Enfin, j’espère.
-Je me nomme Alyana Dedaharko, plus précisément Princesse Alyana Alice Ambre Dedaharko. Je suis la fille des souverains du royaume de feu, deuxième à la succession du trône après mon frère jumeau. Je ne m’attarderais pas sur lui, car la liste de ses défauts est trop longue et qu’il n’est même pas venu me voir depuis que je suis ici, ce qui dans le monde des jumeaux est un crime encore plus grave que le meurtre. C’est pour ça que pour le punir de son acte de négligence auprès de sa sœur bien-aimée, je le rejette de mon existence jusqu’à ce qu’il vienne s’excuser en rampant devant ma personne. Autrement, je suis maître des arènes du Sud et de la Sanglante qui entre parenthèses n’est pas une légende. Je suis ici parce que la haute autorité parentale en a décidé ainsi et que comme je suis une gentille fille, j’obéis à la tyrannie familiale. Il m’arrive de temps en temps de me transformer en un superbe dragon noir cracheur de feu et de glace selon l’humeur. Je suis alliée aux quatre éléments même si je n’ai pas encore compris ce que cela voulait dire. J’ai encore l’espoir que mes parents se rendent compte de leurs conneries et reviennent en courant me chercher. Mais, plus les jours avances et moins je me fais d’illusions sur mon retour au bercail.
-Alors nous sommes toutes les deux dans le même bateau des rejetés. Mais ne t’inquiète pas, nous allons nous serrer les coudes et devenir des sœurs de cœur. Ne me demande pas comment je le sais, je serais incapable de te l’expliquer. Je le ressens au fond de moi, comme une certitude absolue. On dit que ceux qui sont affiliés avec l’eau perçoivent des choses au-delà de la simple perception humaine, comme un sixième sens. Je suis liée à lui et tout mon être et mon âme me disent que nos destins sont liés. Tu dois me prendre pour une illuminée, mais j’arriverais à te convaincre de la véracité de mes dires, même si cela doit me prendre mille ans.
Je ne sais pas si ce qu’elle dit est vrai ou si elle a vraiment des araignées au plafond, mais elle est tellement passionnée dans ses mots et elle dégage une telle sincérité dans son regard que je ne peux que la croire. En même temps, elle m’a déjà accroché dans ces filets. On dit que les chiens sont les meilleurs amis de l’homme et que les chats en sont leurs maîtres. Moi, je viens de trouver ma maîtresse, donc si tu dis que nous allons devenir meilleures amies alors nous deviendrons meilleures amies. Ce que mon petit chaton décide, je le fais.
– Je parle, je parle. Mais je dévis de la conversation d’origine qui est la présentation des antagonistes principaux de notre histoire, c’est-à-dire nous deux. Il est grand temps pour moi de me présenter officiellement. Je me présente Mérïa Coraliyas, je suis la princesse du royaume de corail, fille du roi Néméros et de Calips grande prêtresse des sorcières de mer. J’ai été enlevée quand je n’étais qu’un simple nourrisson pour raison politique et abandonnée par mes ravisseurs tout de suite après, par lâcheté. Cette bande de morues pétochardes a pris peur quand mes parents ont lâché les léviathans et les krakens à ma recherche. Ils ont écumé les mers et océans pour me retrouver, mais les recherchent n’ont rien donné, car entre-temps, divaguant dans un couffin de fortune fait d’algues et de morceaux de bois, j’ai été sauvée et recueillie par un jeune pirate imberbe qui deviendra, plus tard, le redoutable Faucheur des océans.
Plusieurs années, plus tard, j’ai retrouvé ma mère à mes seize ans, par hasard, alors que je pensais vendre mon chant à une intrigante sorcière de mer. Il s’est avéré qu’elle était ma génitrice qui pleurait encore la perte de son enfant. Après de belles retrouvailles avec mes parents biologiques, j’ai été catapulté sans aucune préparation à la cour de corail au plus grand regret de ses occupants. En même temps, il faut se mettre à leur place les pauvres petits courtisans délicats qui se retrouvent face à une misérable gueuse éduquée par des brigands et des catins et qui par-dessus le marché, ose souiller leurs pures petites vies de son vulgaire comportement venu tout droit des bas-fonds des plus glauques villes portuaires. Mais après mûre réflexion, je pense que ce qui les scandalise le plus, c’est que je ne puisse plus chanter et que par-dessus tout, je sois végétarienne. Imagine l’affront que cela peut représenter pour le monde pédant et arriéré de l’aristocratie marine.
Je pense que le jour de mes dix-neuf ans sera écrit dans les livres d’histoire comme le jour ou l’obscurantisme qui telle la lèpre qui gangrène la gloire de la cour de corail, s’est incliné face à son destin. Le jour mémorable, où la magie de l’eau s’est révélée en moi. Pour l’anecdote, il faut savoir que le soir même de cet événement, mon père avait signé mon départ pour l’école de magie, il y a précisément trois jours de cela.
Eh bien, pour une histoire, c’est une histoire ! Et moi qui me plaignais d’avoir eu une enfance compliquée, je pense avoir trouvé un pair.
– Mais ne va pas croire que mes parents m’ont rejeté en utilisant le premier prétexte qui se présentait pour m’envoyer au loin. Ils m’aiment, c’est sûr, ils me l’ont dit, prouvé et répété assez régulièrement pour que je n’en doute pas un seul instant. Je pense juste que mon père biologique qui passe son temps à s’arracher le peu de cheveux qui lui restent pour trouver une solution au problème que je représente dans la vie politique du royaume, a pu, enfin voir une lumière dans ces ténèbres, grâce à mes pouvoirs naissants. Ce n’est pas facile pour lui tous les jours, je suis considérée par les conseillers royaux, poussiéreux, patriarcales, misogynes et racistes comme étant révolutionnaire, anarchiste, extrémiste et dangereuse. Alors disons qu’il est plus facile pour mon père de m’exiler que de réformer et dissoudre la totalité de son conseil. Ce qui est fort dommage si tu veux mon avis. Il y a quelque momie parmi les grands sages qui seraient bien mieux au fond d’un trou qu’au premier rang du conseil royal. Parfois, il faut savoir se séparer des vieilles choses encombrantes même si on pense qu’elles peuvent toujours nous servir.
– Si j’ai bien tout compris, on peut dire que tu es une sirène qui ne mange pas de viande, qui ne chante pas et une révolutionnaire. Donc pour la faire courte, tu es une emmerdeuse.
– Je n’emploierais pas ce terme là, mais ce n’est pas faux non plus. Je voudrais juste revenir sur le mot sirène qui m’horripile grandement. S’il te plaît, ne me confonds pas avec ces mouettes carnivores. Moi, je suis une Marie-morgan, une femme avec une queue-de-poisson à la place des jambes. Les sirènes sont nos cousines, des véritables folles furieuses avec un corps d’oiseau et une tête de femme. Je ne comprends pas pourquoi on nous confond tout le temps. Il y a quand même tout un monde entre un oiseau et un poisson ! Et d’ailleurs, le physique n’est pas la seule chose qui nous différencie. En plus, d’être complètement enragées, ces amatrices de chair tendre et sanguinolente ne chantent pas, elles leur truc, c’est de commander les vents et les courants, de vrais tyrans sanguinaires. Alors que nous, les Chevaucheuses des écumes, nous chantons et envoûtons les mâles de toutes espèces confondues.
-J’ai déjà entendu parler des Chevaucheuses des écumes, c’est dans un très beau poème d’un barde du siècle dernier.
-Éric le brun, il fait partie de mes ancêtres. Il a épousé un de mes arrières grandes tantes. Une véritable épopée qui restera à jamais gravée dans les mémoires.
-En parlant de famille, elles sont si horribles que ça tes cousines les sirènes ?
-Elles sont aussi dangereuses qu’un banc de requins enragés et affamés atteint de démence meurtrière. Laisse-moi t’expliquer comment nos histoires de famille marchent.
Je pense que j’ai intérêt à prendre mes aises car vu comment elle remonte ses manches et s’humidifie les lèvres, je vais avoir droit à tout un monologue.
– Quand une Marie-Morgan devient mature, c’est un peu comme l’arrivée des menstruations chez vous, les terrestres, elle se déclenche vers les dix-sept, dix-huit ans, et se compare à une stimulation sexuelle très active. Il n’y a pas de sang, de douleur ou autre dérèglement de la personnalité que l’on rencontre chez les jeunes filles pédestres. Enfin si, il y a bien un dérèglement de la personnalité. De simples tueuses tortionnaires et sanguinaires, elles deviennent des tueuses tortionnaires, sanguinaires et lubriques. Et il y a bien du sang et de la douleur, mais tu les retrouves chez leurs victimes. Pour simplifier les choses, c’est comme les premières chaleurs animales même si je n’aime pas trop cette image. Elle nous rabaisse à de simples utérus ambulants cherchant un accouplement pour procréer. Je sais que pour beaucoup, le rôle de la femme se résume exactement à ça, et cela me rend très, très, très irritée. Ce sont juste des mollusques végétatifs accrochés à un gros tas d’excréments de kraken. Nous sommes toutes dotées d’un cerveau qui marche très bien et d’une capacité intellectuelle qui nous place au même niveau que le sexe opposé. Comme si l’intelligence se résumait à la capacité de pouvoir remplir son pantalon. L’incapacité masculine à pouvoir séparer le sexe à tout raisonnement, me surprendra toujours. Alors là, je suis tout à fait d’accord avec elle, même si je dois quand même préciser que la connerie qui elle n’est pas misogynie se trouve aussi dans la gent féminine et que, hélas, ce sont toujours ces femmes-là que l’on remarque en premier.
La suite bientôt.
Je suis désolée d’avoir mis si longtemps, mais j’ai eu quelques petits soucis qui m’ont empêché d’écrire et pour couronner le tout je me suis aperçue que ce chapitre se transformait en deux chapitres et qu’il fallait que je le refasse en entier.