L’air est frais, doux, on croirait être dans une crême de vie. L’herbe chatouille mes chevilles, ma robe danse dans le vent. J’ai l’impresion d’être happée par l’instant présent. La Clémentine Toguert, la nature en fait ce qu’elle veut. À vrai dire je me laisserais bien aller, là, qu’on m’emmmène quelque part sans me dire où, et qu’on me ramène à Lyon, ensuite. Je m’allonge contre du foin. Le soleil fait toujours aussi mal, je ferme les yeux et soupire. Le sol vibre, je sursaute et ouvre les yeux juste à temps pour voir passer un cerf dans le champ d’en face. Ma respiration ralentit, je pose ma tête au sol.
– Ah t’es là ! Maman te cherche.
Simon me regarde fixement, les mains sur les hanches.
– Dêpeche toi, y’a un monsieur à qui tu dois dire bonjour. Tu verras, il est bizarre. Moi il me fait peur avec sa grosse voix cassée. Et puis il est mal habillé, pire que grand-père.
Je me redresse, secoue ma robe, grimace devant la tache verte que maman va devoir retirer, et me décide à y aller.
– Te voilà ! S’exclame maman. Je vois que tu t’es imprêgnée du jardin ! Ça tombe bien, Jean-Marie aime la nature. Je vous présente Clémentine, ma troisième fille.
– Bonjour, fait l’homme en m’embrassant.
Sa voix me surprend, je retiens un hoquet. Simon avait dit juste. Il porte un vieux polaire troué, un pantalon dix fois trop grand tenu par une ceinture raffistolée à plusieurs endroits. Il sourit bêtement en me regardant, un sourire mielleux. Mais franc. Il penche légèrement vers la droite, appuyé sur sa hanche. Il a de petits yeux, ou alors il les plisse, comme son front d’ailleurs, froissé par le vent. Je le regarde, lui semble fixer quelque chose au fond du jardin, maman parle, personne n’écoute.
– Vous prendriez bien un café, propose-t-elle.
Son haussement d’épaule agrémenté d’un sourire timide envoient ma mère directement dans la salle à manger. Je profite de son absence pour m’échapper de nouveau. L’herbe chatouille mes chevilles, remonte contre mon genou, je m’agace, et pourtant je ne rentre pas. J’arrive devant une grange. En entrant, je suis étonnée par le froid qui me saisit. La peur ? La pierre conserve bien les températures on dirait. Je soulève une branche. Une tache noire se réfugit sous un tronc. Je soulève le tronc. La tache part sous un tas de paille. Sans réfléchir, je ballaye de mes mains sa cachette et recule dans un sursaut. Dans la précipitation, j’heurte une brouette et m’étale dans la poussière. Une araignée. Une énorme, avec des pattes et des poils, contre ma main, mes doigts, je garde l’affreuse sensation de ses gestes contre ma peau.
– Clémentine ! Si tu n’aimes plus le blanc, on trouvera une autre couleur. Mais là, franchement, repeindre toi même ton vètement, c’est une mauvaise idée.
Mon père me regarde en riant. Pour une fois son laxisme m’énerve. Mais en voyant l’état dans lequel je me trouve, je finis par me contenter de sa présence souple, qui n’aurait jamais été celle de ma mère. En quittant la grange, dans laquelle je ne suis pas prête de remettre les pieds ni quoi que ce soit d’ailleurs, j’ai l’envie soudaine de retrouver mon lit.