Un havre de paix faillible, partie 2.
BASIL
Après avoir repris le contrôle de mon corps, je filais chez l’infirmière qui me donna mon dû sans faire d’histoires pour une fois, il n’était pas trop tôt. Je bus le flacon d’une traite, habitué au goût amer du liquide. Je me rendis compte alors que mon corps était crispé et tendu depuis quelques jours, comme s’il s’était préparé à ma transformation.
Je savais comment préparer mon breuvage, les quantités, les ingrédients étaient gravés dans ma mémoire. Cependant, l’ingrédient clé de cette préparation était une incantation que seul les Sorciers pouvait réaliser. Ce qui me rendait dépendant d’Ecclésia était la présence de Sorciers pouvant m’offrir leur potentiel. Je pensais à l’infirmière, mais également à Madalena, et Clara. J’avais accordé ma confiance – et même ma vie – à ses trois femmes, dans le minuscule espoir qu’elles me délivrent de ma malédiction, mais toute avaient été catégorique. La seule issue était de tuer le Sorcier qui m’avait maudit ou espérer sa mort. En sachant que nous étions presque immortels, j’avais peu de chance que ma deuxième option fonctionne.
Clara m’avait proposé d’aller voir le Passeur d’Elvedin. Un Être choisit par les Dieux, né seulement dans le but de faire passer sa voix. Il n’y en avait un par espèce tous les mille ans, ce qui faisait qu’aujourd’hui, seuls trois avaient survécu : celui de Devrim, le Dieu des Démons ; de Loève, la Déesse des Loups et d’Elvedin, des Elfes. Clara m’avait dit qu’avec un peu de chance, Elvedin me sauverait de mon mal-être, étant un Dieu bon et bienveillant notamment envers les créatures de Psyanka qu’il affectionnait tant pour leur intelligence : les Psychics. J’avais éclaté de rire en disant que j’avais trop de sang sur les mains pour qu’un Dieu puisse s’occuper de moi. Elle s’était renfrogné, en marmonnant qu’il l’avait bien fait pour elle.
Lorsque j’entrais dans la salle Principale du château, je vis au loin Aiden qui discutait avec Élise et Gabriel, un jeune Loup de troisième année, il s’éclipsa avant que je n’eus le temps d’approcher. Je sentis la nervosité de la Louve d’ici. Ma condition de Psychic me rendait sensible aux émotions des autres, les plus fortes m’arrivaient par vague et me les faisait sentir à mon tour. Contrôler mes frontières avait été dur lorsque j’étais jeune, mais aujourd’hui, j’avais une certaine maîtrise.
— Tu étais ou, abruti de Psychic ? Probablement en train de sacrifier une vierge, lança Aiden en me voyant arriver.
— Oui, je t’ai laissé un peu de son sang si t’as une petite faim, j’espère que t’aime les O positifs.
— J’adore ça, me suivit mon ami avec un sourire malsain.
Je pouffais devant son envie presque sincère. Ai-je mentionné que j’adorais les psychopathes dans son genre ?
— Vous me répugnez.
Elle le disait pour le geste, mais sa Louve avait dû déchiqueter vivant des dizaine de corps avant de les dévorer sans pitié, l’animal sauvage qu’elle était.
Elle tapotait du pied sous la table, buvant son verre de soda pour occuper ses mains sans paraître folle.
— Qu’est-ce qu’il se passe pour que Lilise se mette dans des états pareilles ? Demandais-je en m’allumant une cigarette.
La salle Principale du château était une salle où les élèves avaient carte blanche. En quelque sorte. C’était ce qui ressemblait le plus à un bar, grande extension. Et pendant les grandes vacances, nous avions encore plus de liberté. Un long bar avec toute sorte de boisson longeait le mur en face, et des tables de quatre à six places étaient éparpillées dans la pièce. Des canapés et des sièges plus confortables étaient posés ici et là, rendant l’endroit plus cosy avec bien sûr, il y avait quelques objets de loisir Humain pour ne pas dépayser les nouveaux comme la petite Demesse. Cependant, ils allaient vite en prendre un coup lorsqu’ils verront certains objets volants dans la pièce ou des balais nettoyant tout seuls, c’était commun dans les couloirs. Un tel château demanderait beaucoup de personnel pour être entretenu.
— Son cher et tendre est en chemin, me répondit Aiden sous le regard meurtrier de la Louve.
— Pourquoi elle fait la gueule alors ?
— Je ne sais pas, elle croit peut-être que la gamine est une bombe atomique qui a ensorcelé son mec.
— En espérant qu’elle soit moche, alors, levais-je mon verre.
— On croise les doigts ! Me rejoignis le Vampire avant d’ajouter : enfin, pas trop quand même.
J’éclatais de rire.
— Vous allez la fermer. Je suis là, je vous entends !
— T’entends un truc, Bas’ ? Parce que moi, j’entends…
Aiden fut coupé par Élise qui lui écrabouilla violemment le pied sous la table. Après ça, elle quitta la salle en furie et je ne m’arrêtais pas de rire.
Ne jamais sous estimer Élise.
— C’est une malade, putain ! Elle m’a explosé le pied avec ses talons !
— C’était prévisible, dis-je en haussant les sourcils.
Élise pouvait paraître timide au premier abord, mais capable de foutre des raclées à tout-va, une vraie Louve comme on en voyait peu.
— En plus, elle va rater Greg de ta faute. Il vient d’arriver.
Sentant sa conscience à deux couloirs d’ici. Aiden se tapa deux fois le front sur la table en bois.
— Fais chier, elle va m’assassiner.
— Et te découper en morceaux avant de te bouffer.
Les yeux jaunes d’Aiden s’agrandirent comme des soucoupes.
Alors que Greg fit son apparition, une petite brune aux boucles épaisses le suivait comme une sangsue, tirant une grosse valise derrière elle. Elle regardait tout autour d’elle avec admiration comme un gosse dans un magasin de jouet. Je pouffai en écrasant ma clope dans le cendrier, c’était donc ça, la Demesse ?
— Pourquoi tu rigoles ? Demanda Aiden en relevant la tête.
— Regarde-moi ça, montrais-je d’un mouvement de la tête.
— C’est une Humaine ?
— Et non, c’est la fameuse Demesse.
Aiden fronça les sourcils, et je n’eus pas besoin d’écouter ses pensées pour deviner qu’elle ne terminera jamais sa première année ici sans se faire bouffer.
— Mon Psychic préféré ! Hurla Greg en ouvrant ses bras et par la même occasion, rassemblant tous les regards vers nous.
Greg était un Loup dominant, ayant même l’étoffe d’un Alpha, c’était certain. Il avait un don pour rendre les gens meilleurs et une facilité déconcertante à entrer dans vos vies. Lorsque j’étais arrivé à Ecclésia, Greg avait été ma première rencontre. Bien que je voulais rester seul dans mon coin et éviter toute sociabilisation de peur à ce que je déchiquette le membre de quelqu’un, Greg avait été le seul à avoir oser m’approcher. Il était en troisième année à l’époque. Alors même si j’étais un petit con qui voulait effrayer tout le monde, il m’avait intimidé, le con.
— Mon petit Dracula !
— Tu m’appelles encore une fois comme ça Greg, je te fais faire le saut de la mort sur le toit du château, menaça Aiden, tout à fait sérieux.
Greg se mit à rire, sa grosse voix lui donnait un rire communicatif. Nous nous donnâmes une accolade, heureux de revoir notre ami après un mois et demi d’absence.
— Content de te revoir aussi, mon pote. Les mecs, je vous présente Tori !
La gamine qui nous avait ignoré jusque-là car elle zieutait partout à la fois, tourna son visage vers vous pour la première fois. Alors que mon souffle se coupa, Aiden eu un mouvement de recul.
— Ça, alors, putain Greg, se mit à rire nerveusement Aiden.
Ses pensées étaient tellement fortes que je les captais comme une onde de choc.
« Démon, danger, démon, danger… » Inlassablement, ce qu’il pouvait être chiant quand il s’y mettait.
La gamine ne parut pas s’en formaliser et à ma grande surprise, elle se présenta la première.
— Je suis Tori, et toi, tu es ? demanda-t-elle, d’une voix assurée.
Elle me tendit sa main, ses ongles étaient peints d’un vernis noir.
— Basil, enchanté. Voici Aiden, dis bonjour Aiden.
Le concerné me fusilla du regard avant de serrer la main de la gamine… de Tori. Elle eut un sourire qui s’évapora la seconde d’après.
— Tu veux boire quelque chose ? Proposa poliment Greg.
Je sentis qu’il y avait de la gentillesse à son égard. S’étaient-ils bien entendus ? Une certaine complicité était née apparemment.
— Non merci, c’est gentil. Je préférerais plutôt ranger tous ça, dit-elle en montrant sa grosse valise.
Il est vrai qu’elle semblait fatiguée, de grosse cernes entouraient ses yeux monstrueusement violets. Greg acquiesça et l’emmena illico presto hors de la salle, peut être était-ce l’occasion pour lui de lui faire visiter le château. C’était drôle de voir Greg prendre son rôle autant à cœur, c’était tout en son honneur évidemment. Je me souvenais encore de son ambition lorsque Madalena lui avait autorisé à devenir Majeura l’année dernière. Effectivement, à partir de la deuxième année, les élèves pouvaient postuler pour devenir Majeura et ils avaient pour but d’aller chercher les Surnaturels qui n’étaient pas au courant de leurs compétences. Comme la Demesse. Ce n’était pas la première fois qu’il postulait, mais il fallait avoir un bon dossier, sans antécédents violents ou de caractères facilement manipulable et instable. Aiden et moi étions d’ores et déjà hors-jeu, heureusement que cela ne nous intéressait pas.
— Tu as bien vu ce que j’ai vu ?
Aiden devenais paranoïaque, ils avaient eu quelques problèmes avec les Démons par le passé. Ce qui lui avait permis de gagner cette haine constante pour les « yeux violets ».
— Oui, je ne suis pas daltonien, répliquais-je, lassé par sa méfiance pour une gamine qui ne fera pas de mal à une mouche.
— C’est un Démon ! Chuchota le Vampire pour empêcher que d’autre élèves ne nous entendent.
Il n’y avait pas de Démon à Ecclésia, pour la simple et bonne raison qu’ils avaient leur propre école à Rowenam. Néanmoins, j’espérais qu’elle s’était préparée à la vague de rumeurs qui allait déferler sur elle lorsque les élèves se rendront compte qu’elle faisait partie des « yeux violets ». C’était ainsi qu’ils étaient appelés par la plupart de la population, comme si leur nom était une injure.
— Arrête de dire des conneries. C’est une Demesse, t’es con ou quoi ?
— Très bien, alors c’est quoi l’autre moitié ? me demanda-t-il en posant ses deux mains à plat sur la table.
Bonne question.
Toujours aussi passionnant. On s’attache aux personnages, et pourtant ils sont effrayants. Bravo Serena.
Humhum l’autre moitié… Intéressant hâte de savoir.