Deux Joyaux Violets. Chapitre 15,1.

Les rêves d’une inconnue, partie 1.

TORI

C’était amusant, pour ne pas dire craquant. Gabriel m’avait emmené en ville, nous étions en face du lac Ontario qui s’étendait vers l’horizon, trompant l’œil grâce au ciel aussi bleu que l’eau. La nuit commençait à tomber et plusieurs cafés, restaurants et bars longeaient le lac et amenaient une ambiance chaleureuse et conviviale. De la musique retentissait de l’intérieur des établissements, attirant par la même occasion les personnes à la recherche d’un endroit où s’installer pour la soirée. Les gens riaient et discutaient autour d’un verre ou d’un plat.

 Au bord du lac, se trouvait une grande roue où des enfants et adultes faisaient la queue avec les yeux pétillants d’impatience face à l’engin majestueux. Nous avions fait un tour avant de s’installer dans un restaurant qui servait, d’après le Loup, les meilleurs burgers de la ville.

 Je me retournais vers Gab, le sourire jusqu’aux oreilles. Ses lèvres feignaient un léger sourire devant mon émerveillement exagéré. Nous nous étions baladé à Hamilton presque toute la soirée, me permettant ainsi de visiter et connaître la ville dans laquelle je résidais depuis deux mois. Car en effet, je n’avais pas eu l’occasion de quitter Ecclésia depuis mon arrivée à l’école, en septembre.

— Hamilton te plaît ?

— J’adore, c’est une ville très accueillante. Et très différente de Chicago, lui répondis-je en buvant une gorgée de mon soda.

— Tu as toujours vécu à Chicago ?

 Il est vrai que nous avions pas vraiment eu le temps et l’esprit d’apprendre à se connaître, Gab et moi. Bien que nous parlions presque tous les jours, ne nous connaissions pas vraiment la vie de l’un et l’autre avant Ecclésia.

— Oui, j’y habite depuis mon adoption mais je ne me souviens pas de ma vie d’avant… Mes vrais parents. J’étais sûrement trop jeune, dis-je pour moi-même.

 Je haussai les épaules en tentant de sourire. Parler de ce trou dans ma mémoire me dérangeait, dans le sens où je me mentais à moi-même et aux autres en disant que j’étais trop petite pour me souvenir de mes parents. J’avais sept ans lorsque Thérésa et Chris m’avaient adopté, je pouvais très bien me souvenir de ma vie avant eux, mais c’est comme si une barrière que je me dressais naturellement me barrait le chemin vers mes propres souvenirs. J’avais été voir une psychologue lorsque j’étais plus jeune et elle m’avait diagnostiqué un traumatisme trop important dans ma jeune enfance qui m’aurait fait oublier cette étape importante de ma vie. Pourtant, au fond de moi, je savais qu’il y avait autre chose, mes souvenirs étaient emprisonnés à double tour, mais je savais les ouvrir, il fallait juste que je trouve la clé.

 Le Loup vit que le sujet me mettait mal à l’aise, en parfait gentleman, il dériva la conversation vers un autre sujet que moi-même.

— Je viens d’un petit village dans l’Illinois. Je t’avais déjà expliqué que mon père était le Gamma de ma meute et je suis destiné au même avenir depuis ma naissance. J’ai toujours vécu avec mon père, je n’ai jamais connu ma mère, elle est morte lorsque je n’avais même pas un an, Gab haussa les épaules sans convictions. Mon père ne parle jamais d’elle, c’était son âme-sœur, ça l’a brisé.

— Je suis désolée, Gab.

 Le Loup se mit à sourire, bienveillant.

— Ne le sois pas, ce n’est rien.

 Le repas se déroula dans une atmosphère affectueuse, Gabriel était de très bonne compagnie et je me surprenais à être à l’aise avec n’importe quel sujet que l’on pouvait aborder. Gabriel était un homme gentil et intéressant, il était aussi très respectueux et gentil, je ne l’imaginais pas en colère, son coeur semblait trop pur.

  Ça faisait du bien de pouvoir parler de tout et de rien sans barrière. Je me sentais tellement à l’aise que cela me paraissait suspect.

— Tu ne fais plus de cours avec Basil, non ? Demanda soudainement Gab en attaquant sa glace.

 Je fronçais les sourcils et finis d’avaler ma bouchée avant de répondre.

— Non, je n’en ai plus besoin.

— Pourtant il arrive encore à lire dans tes pensées.

 Je pouffai. Après plusieurs mois à étudier à Ecclésia, j’avais développé mes compétences Psychic. Les émotions étaient élémentaires chez nous, et je sentais sans difficulté que le Loup était contrarié.

— C’est compliqué, commençais-je. Basil et moi sommes…

 Je cherchais mes mots, ne sachant pas vraiment comment qualifier notre situation.

— Ensemble ?

— Quoi ? Bien sûr que non, riais-je.

 Rien que l’idée me paraissait hilarante. Nous ne tiendrons même pas une journée en couple.

— Je ne sais pas, vous êtes très proches et… j’avais juste pensé… Enfin, voilà quoi. Tu vois ce que je veux dire. Puis je ne suis pas le seul à l’avoir pensé.

— Tu es jaloux.

 Ce n’était pas une question. Je le sentais, ses émotions ricochaient comme un galet sur la surface d’un lac et j’étais ce lac. j’ignorais si c’était une bonne chose. Il me parut encore plus déconcerté et ne répondit pas, mal à l’aise. Je repris :

— C’est compliqué à expliquer, nous-même nous ne comprenons pas vraiment d’où vient cette facilité à entrer en contact par l’esprit. Notre prof nous a expliqué que c’est des choses qui arrivaient, sans pour autant qu’il y ait une raison. Alors oui, j’arrête les cours avec Basil parce que je sais très bien fermer mon esprit si je le souhaite, mais avec lui, c’est une autre paire de manche.

 Après ces explications que j’espérais claires, le Loup acquiesça sans faire de chichis. Le repas se déroula sans que la discussion « Basil » ne revienne sur le tapis. Gabriel était adorable et je ne trouvais pas le moyen de m’ennuyer avec lui. Lorsque nous rentrâmes à Ecclésia, il était silencieux, mais je ne m’en formalisais pas, il était tard et après n’avoir fait que parler pendant deux bonnes heures, nous étions fatigués. Gabriel me conduisit jusqu’à mon couloir, toujours mué dans son silence.

 Arrivée au détour de ce fameux couloir, je me tortillais les mains, ne sachant pas trop comment me comporter. Fallait-il que je m’éclipse comme une voleuse ? Que je lui fasses un bisou sur la joue ? Sur les lèvres ? Trop de questions, je surchauffais.

— Bon c’était sympa, à demain ?

 Malgré toutes ces solutions, je paniquais et choisissais la plus merdique. Gab sourit devant ma maladresse.

— J’ai passé une superbe soirée, Tori. Ça faisait longtemps que ça ne m’étais pas arrivé, confit-il.

— Moi aussi, c’était formidable.

 Le Loup se rapprocha de plus en plus de moi et j’étais sûr qu’il entendait mon cœur faire une embardée. Pourtant, il ne s’arrêta pas en voyant que je le laissais faire. Arrivé assez proche, je fus obligée de lever la tête vers Gabriel, ses cheveux blonds caressaient son front tandis que son tendre sourire dévoilait une fossette sur sa joue gauche, il était adorable.

— Tu es tellement belle…

 Je n’attendis pas une seconde de plus avant de fondre sur ses lèvres. Pas vraiment étonné, il n’eut aucun mal à me suivre et à m’embrasser tendrement en retour. Après quelques secondes, nous nous détachâmes l’un de l’autre, le souffle court. Les joues de Gabriel étaient rosies, et ses yeux étaient rieurs, je ne pus m’empêcher de le trouver plus craquant. Nous nous mettons à rire avant de ses dires une bonne fois pour toute « bonne nuit ». Il me fit un baiser sur le front puis me laissa sur le palier de ma chambre. Un sourire idiot ne put quitter mon visage pour les dix minutes qui suivirent.